• La boîte au fond du jardin

     

    La boîte au fond du jardin

     

    La boîte au fond du jardin

     

     
     
    Jeudi 22 juillet 2004



    Ca fait bien deux heures que je suis devant cette page blanche à me demander si je fais bien de le faire ou pas... mais ce que je me dis c'est que j'en ai besoin, tout simplement.

    J'ai trop mal : ça peut paraître con, mais je me sens vraiment pas bien et je ne vois pas trop mes parents aller me consoler, alors je préfère vider tout ça sur papier.

    Alors voilà, allons-y ! Donc je m'appelle Cédric Noël, j'ai dix-sept ans, je suis en première (Eh oui ! j'ai un an de retard parce que j'ai redoublé ma quatrième... bah ! je foutais rien à l'époque). Je fume un peu, ça me fait un peu peur parce que j'aime ça et que je commence à en prendre l'habitude. J'ai peu d'amis, en fait j'en ai surtout deux : Mathieu et Xavier, avec eux je m'entends bien, on passe pas mal de temps dans les bars le soir à jouer au billard...

    Enfin bref, je ne vais pas m'éterniser sur moi non plus. Si aujourd'hui j'ai tant besoin de mettre ce que je ressens sur papier, c'est parce que mon chat est mort cette nuit : Ca faisait trois jours qu'elle souffrait, sûrement suite à un choc avec une voiture, c'est ce qui a semblé le plus probable. Enfin, pendant ces trois jours elle était chez le véto et on espérait qu'elle allait aller mieux, mais ça n'a pas été le cas : Cette après-midi, on l'a enterré dans le jardin, mes parents ne voulaient pas trop, mais j'ai insisté...

    Ils avaient surtout l'air plus désolé pour moi que pour Bagherra (c'était son nom). Enfin bon, j'ai creusé le trou et je l'ai enterré... Voilà, elle est sous terre maintenant... et depuis je suis dans ma chambre à me morfondre... Je ne sais pas si cette feuille de papier m'aidera, mais je ne vois pas trop quoi faire d'autre pour l'instant.



    Vendredi 23 juillet 2004



    Hier, comme je ne me sentais vraiment pas bien, j'ai appelé Xavier : On est allé se boire une bière dans notre bar habituel, et, comment dire... Oui c'est un chat, et alors ! C'est pas une raison pour se foutre de moi parce que je suis malheureux ! Du coup hier en plus d'être triste, je me suis senti seul : En gros Xavier était surpris que je sois si accablé par la mort de Bagherra, il cherchait un peu à me consoler, mais bon, il me trouvait bien sensible d'être autant affecté par la mort d'un chat... Mais quand je pense à elle... : Elle avait tout juste deux ans et demi ! Une petite chatte noire avec une petite tache blanche sous le cou, toute féline, à vous faire un raffut de tous les diables le matin pour vous réveiller et que vous lui ouvriez la porte pour qu'elle puisse aller en sortie... Elle avait un sale caractère mais en même temps elle passait toutes les nuits sur mon lit... Purée ! et alors c'est pas normal d'être triste ?

    Xavier s'en fout... et mes parents compatissent comme ils peuvent : Ils m'ont proposé d'en prendre un nouveau, mais je ne veux pas, je pense trop à elle... Je me rappelle quand mes parents sont entrés dans ma chambre au matin du jour de mes quinzes ans avec une boîte à chaussures entre les mains en me disant « bon anniversaire ! » : J'ai tout d'abord cru qu'ils m'offraient une paire de baskets, c'est quand j'ai pris la boîte que j'ai senti que ça bougeait dedans !

    « Fais attention ! c'est fragile » m'avaient dit mes parents : Alors j'avais délicatement posé la boîte sur mon lit, et doucement soulevé le couvercle : Dès qu'elle fut entrebâillée, une petite forme noire passa par-dessus le rebord de la boîte : elle gambadait maintenant sur les couvertures. Bagherra avait tout juste deux mois à ce moment-là. Elle a commencé à fouiller partout dans la chambre, je l'ai prise dans mes bras, elle avait peur... Ca me fait tout drôle quand j'y repense, elle était toute petite, elle tenait entière dans le creux d'une main ! C'était une petite boule de poils, et elle avait peur de moi, et moi j'avais juste envie qu'elle se sente bien... j'avais juste envie de la réconforter...

    Ouais, à part que maintenant elle est morte.

    Pour l'enterrer, je l'ai reposée dans la boîte à chaussures : celle dans laquelle elle était le premier jour. Je l'avais gardée dans mon placard, en souvenir.

    Pauvre petite, seule, dans sa boîte à chaussures, sans un bruit, sans un son, sans un réconfort...

    Bon... ça me fout les boules d'écrire tout ça, je préfère m'en arrêter là pour aujourd'hui.



    Samedi 24 juillet 2004



    Ce que j'ai écrit hier m'a beaucoup affecté : Depuis je n'arrête pas de l'imaginer seule, sous la terre, dans le silence, sans un son, sans une lumière, sans rien... abandonnée dans cette boîte à chaussures à peine assez grande pour elle. Cette image m'obsédait, et je ne savais plus trop quoi faire pour me calmer, alors finalement je suis allé au fond du jardin, à l'endroit où je l'avais enterrée, et je suis resté debout près du petit tas de terre meuble qui dépassait un peu du sol. Je suis resté comme ça assez longtemps, mon père a dû m'apercevoir et est passé regarder ce que je faisais. Il avait l'air désolé de me voir abattu comme ça, il m'a conseillé de rentrer à la maison ou de sortir un peu.

    Lui est triste pour moi... moi je suis triste pour elle.



    Dimanche 25 juillet 2004



    Quelle nuit j'ai encore passé !

    Hier soir je suis allé en sortie avec Mathieu et Xavier, je dois dire qu'ils ont été super avec moi : On a beaucoup bu bien sûr, et comme je n'avais pas le moral, ils n'ont pas arrêté de faire les guignols, ça m'a fait penser à autre chose, et finalement je me suis bien amusé... Non, le problème c'est quand je suis rentré chez moi.

    C'était vers les deux heures du matin, après la fermeture des bars. J'arrivais à l'entrée de la maison, et je me suis mis à penser à Bagherra : La lumière du réverbère se reflétait sur mon blouson en cuir et mettait bien en évidence les petits trous qu'il y avait un peu partout sur les épaules... Ces petits trous elle me les avait faits les deux premiers mois qu'elle a passé avec moi : Je la mettais sur l'épaule et j'allais me promener à pied dans les quartiers avoisinants, et elle restait calme, tranquillement installée, observant le paysage, les griffes plantées dans mon blouson... Jusqu'à ce qu'elle ait vers les quatres mois et qu'elle apprécie trop d'aller voir les jardins des maisons devant lesquelles je passais ! Enfin bref, en voyant ces petits trous sur les épaules de mon blouson j'ai repensé à elle, et alors je suis retourné près du trou, je me suis assis en tailleur et je suis resté là, sans bouger, sans parler... Il faut dire qu'à cause de l'alcool j'avais tendance à somnoler... mais bon je sais pas... je... disons que... je voulais lui tenir compagnie !

    Elle me manque, ça me fait bizarre de me dire que je ne la reverrais plus, j'ai jamais connu la mort de quelqu'un avant. Mais là, on a beau me dire que ce n'est qu'un chat, je m'en fous... La mort... La mort ça ne devrait pas exister... c'est n'importe quoi... je ne comprends pas pourquoi.



    Lundi 26 juillet 2004



    J'ai attendu que mes parents soient couchés et je suis allé dehors, près d'elle, et je me suis assis en tailleur, comme la nuit dernière... Je ne veux pas la laisser seule, je ne veux pas l'abandonner comme ça. Pourquoi maintenant chaque nuit je dois dormir tout seul, sans elle sur les couvertures ? Je ne peux pas dormir maintenant sans me dire qu'elle est toute seule au fond du jardin, sans rien, abandonnée dans une boîte à chaussure sous la terre... Donc ce soir je suis allé la voir, et je lui ai tenu un peu compagnie, je me sentais mieux. Au bout d'un moment je suis rentré à la maison... Mais je retournerai demain soir, je refuse de l'oublier comme ça.



    Jeudi 29 juillet 2004



    Je ne sais pas trop comment dire... ben voilà : J'étais maintenant comme chaque soir au fond du jardin, assis près d'où repose Bagherra, dans ma tête je me repassais en boucle mes souvenirs d'elle, et en même temps je ne pouvais m'empêcher de me dire que je ne la reverrai plus jamais... Alors j'ai commencé à réfléchir à tout ça, tout d'abord par rapport à elle, et puis progressivement par rapport à ma famille : Je n'ai pas encore perdu un membre proche de ma famille, mais ce soir je me l'imaginais, et vu mon âge je me disais que par exemple, il était plus probable que ma mère ou mon père parte avant moi, que l'inverse. Et me dire qu'un jour ils disparaîtront me tordait l'estomac... Un jour ils ne seront plus là, et je resterai là sans eux...

    Ce soir je me dis que j'ai peur d'avancer dans la vie, peur de voir les choses qui m'entourent disparaître.



    Vendredi 30 juillet 2004



    J'en ai marre ! J'ai vraiment l'impression que personne ne me comprend, ils me font tous chier à la fin !

    Bon alors ce midi, pour commencer, je mangeais seul avec ma mère (mon père ne rentre pas le midi, mais elle oui), et là je lui ai parlé un peu de mes appréhensions sur la vie... enfin la mort... enfin... Bon, bref, elle m'a regardé l'air étonnée, et elle m'a dit « Tu es sûr que ça va Cédric ? » : Je lui ai dit que oui, mais que je pensais beaucoup à la mort en ce moment. Et là elle m'a répondu « Bah ! tu ne devrais pas trop penser à ça, tu vas broyer du noir, ça n'est pas bien bon. » et comme je ne répondais rien, elle rajouta « Et puis c'est l'été, ce sont les vacances, allez ! pense à autre chose ! » : Vu sa réponse j'ai préféré acquiescer et faire mine d'aller mieux.

    Mais alors comme ça je ne devrais pas penser à ça ! Ah bon ? Je devrais ne pas y penser ?... de toute façon, j'ai l'impression que personne ne pense à ça... Les gens se croient tous immortels ou quoi ?

    Et puis le soir, pendant le repas, mon père en a remis une couche : « Tu es sûr que tu ne voudrais pas un autre chat ? » : Alors voilà qu'il me sort ça d'un coup, comme ça ! Bon ben j'ai vite compris, maman avait dû lui raconter ce dont je lui avais parlé le midi... Ca doit les faire flipper, ils doivent se dire que je déprime... Mais je ne veux pas d'un autre chat ! pas comme ça, juste après qu'elle soit morte. Pas comme on changerait de voiture une fois l'autre bonne pour la casse. Non, je ne veux pas la remplacer comme ça.



    Dimanche 1 août 2004



    Alors après être resté dans ma chambre tout le samedi après-midi comme un con, j'ai fini par appeler Mathieu et Xavier pour aller passer la soirée dans les bars : Après tout autant en profiter, puisque « ce sont les vacances », comme dis ma mère... D'ailleurs à ce sujet, Xavier part demain avec ses parents pour deux semaines.

    Bon, on s'est bien marré, et à un moment je leur ai quand même parlé de mes tourments sur la mort... Quand je le leur ai dit, Mathieu m'a regardé avec un air crispé, il m'a dit qu'il n'avait pas du tout envie de parler de tout ça. On est resté alors silencieux pendant une ou deux minutes, et puis pour briser ce silence qui devenait pesant Xavier a enchaîné sur autre chose. Après, pendant le reste de la soirée, j'en ai plus du tout parlé.

    Donc voilà, j'ai l'impression d'être bien seul... et toutes ces idées me rongent... et je ne reverrais jamais plus Bagherra me rejoindre quand j'arrive le soir à la maison... et je n'arrive pas à m'y faire.



    Lundi 2 août 2004



    Comme prévu, Xavier vient de partir en vacances avec ses parents pour deux semaines. Mathieu, lui, partira samedi, aussi pour deux semaines... Et moi je vais rester ici tout seul... J'en ai marre, je me sens fatigué, je dors mal, je me sens mal, et je n'ai personne à qui parler...

    Alors, ce soir comme d'habitude, vers vingt-trois heures, une fois les parents couchés, je suis allé la voir au fond du jardin, je me suis assis en tailleur : D'habitude je restais silencieux, mais là je lui ai parlé... Ca m'a fait bizarre de me dire que je parlais à mon chat mort, enterré à mes pieds, dans une boîte à chaussures... Mais en même temps ça m'a fait du bien : Je lui ai parlé de mes peurs, des réactions que ça a provoquées autour de moi... Je lui ai aussi dit qu'elle me manquait, et que je pensais à elle tout le temps... et puis au bout d'un moment j'ai fini par rentrer à la maison.



    Mercredi 4 août 2004



    Il ne fait pas beau ces jours-ci, il pleuvait aujourd'hui, alors avec Mathieu on est resté jouer aux jeux vidéos chez lui...

    Je n'arrêtais pas de penser à Bagherra, dans sa boîte à chaussures, enterrée sous la terre, toute trempée à cause de la pluie... elle qui n'aimait pas l'eau...

    J'ai mal, ce que j'ai mal...



    Samedi 7 août 2004



    Je reviens d'avoir été dire au revoir et souhaiter de bonnes vacances à Mathieu, il était encore à faire ses bagages, toujours à la bourre comme d'hab ! Il doit être parti avec ses parents à l'heure qu'il est... Bon... me voilà tout seul comme un con... Mes parents auraient pu prendre des vacances quand même cet été, mais ils ne pensent qu'au boulot... J'en ai marre.

    Tout me semble si triste en ce moment et me retrouver seul ainsi, ça ne m'aide pas vraiment. A part Mathieu et Xavier je ne vois pas avec qui je pourrais sortir. Je n'ai vraiment pas beaucoup d'amis. Ce soir on a beau être samedi, je vais rester ici... de toute façon je ne suis pas d'humeur à sortir.

    Et puis, ce soir, comme tous les soirs maintenant, j'irai au fond du jardin et je parlerais à mon chat... à qui d'autre pourrais-je parler en ce moment de toute façon ?



    Dimanche 8 août 2004



    Je me suis levé tard : vers midi. D'ailleurs je n'avais pas très faim, j'ai mangé un petit peu quand même histoire de faire illusion aux parents. J'ai passé les premières heures de l'après-midi seul dans ma chambre, et pour finir je suis sorti me promener à pied.

    Je me sentais déjà mal : Personne à qui parler, mes copains partis en vacances, et la mort Bagherra qui continue obstinément de me hanter la tête... et en prime pendant ma promenade j'ai croisé une chatte noire qui se prélassait au soleil devant l'entrée d'une maison. Elle ressemblait vraiment à Bagherra, et ça m'a anéanti : J'avais l'impression que c'était elle... sauf qu'elle n'a pas bronché en me voyant. Au bout de quelques secondes, elle s'est même levée et est partie, sûrement que je devais trop la fixer ou être trop près d'elle à son goût !

    Je suis resté là à la regarder s'en aller, effrayé par la ressemblance que je lui trouvais par rapport à Bagherra et par cette envie que j'avais de la prendre dans mes bras... et aussi par la peine que j'éprouvais à m'admettre que ce n'était pas elle.



    Lundi 9 août 2004



    Il est cinq heures du matin, mais j'ai envie d'écrire parce que j'ai peur... peut-être que c'était juste mon imagination...

    Enfin voilà, à deux heures du matin je ne dormais toujours pas, je n'arrêtais pas de me tourner et de me retourner dans mes couvertures, obsédé par l'image du chat que j'avais vu pendant l'après midi. Le cœur serré, j'ai fini par réaliser que je n'étais même pas allé voir Bagherra. Du coup je me suis rhabillé et doucement je suis sorti de la maison pour aller au fond du jardin. Arrivé à une dizaine de mètres de l'endroit où elle est enterrée, je l'ai entendu... oui ! je l'ai entendu miauler, je suis sûr que ça venait du trou ! j'entendais Bagherra miauler : Ces mêmes petits miaulements aigus qu'elle faisait quand elle voulait quelque chose. J'ai eu comme un immense frisson qui m'a parcouru tout le corps tellement j'étais surpris. J'en suis resté hébété, immobile, sans ne savoir quoi faire ou que penser. Puis j'ai couru jusqu'au trou, et j'ai collé mon oreille sur la terre qui le recouvrait : Mon cœur battait fort, j'étais paniqué, mais je me calmai un peu et écoutai attentivement... mais je n'entendis rien. J'ai bien dû rester une bonne demi-heure, l'oreille contre terre à écouter. Parfois je lui demandais de miauler encore, je la suppliais de faire encore un peu de bruit... mais rien. Au bout du compte j'ai fini par retourner dans la maison, désespéré de n'avoir plus rien entendu : pas un bruit, pas un son, que le silence.

    Pourtant je me suis senti tellement heureux quand je l'ai entendu miauler, je n'en croyais pas mes oreilles, alors pourquoi après je n'ai plus rien entendu ? Peut-être qu'elle miaulait pour m'appeler et quand je suis arrivé elle s'est arrêtée ?...

    Mais qu'est ce que je dis là ! Elle est morte à la fin !



    Lundi 9 août 2004



    C'est l'après-midi, je n'ai pratiquement pas réussi à dormir, tout se mélange dans ma tête. Je n'arrête pas de me dire « et si j'avais bien entendu ? elle est vivante alors ? »... et là je ne sais plus...

    Je me suis quand même levé un peu avant midi pour aller manger, je n'ai pas envie que maman se pose des questions... elle me croirait fou si je lui disais.



    Mardi 10 août 2004



    J'ai appelé son nom, je me suis remis l'oreille collée au sol, et j'ai encore appelé, plein d'espoir de l'entendre de nouveau, de l'entendre réponde à mes appels... Mas rien, je suis resté presque une demi-heure, à attendre, à espérer, en vain... Je n'ose pas aller déterrer la boîte... Mais bon sang ! Pourquoi elle ne me répond pas ? pourquoi ?



    Mercredi 11 août 2004



    Elle est peu être trop faible pour miauler ? ... Oh, mais qu'est ce que je dis là... Purée ! mais elle est morte !

    Oui, mais si je n'avais pas rêvé... Alors elle est enfermée dans cette boîte à chaussures sans rien, sans boire ni manger... Non ça n'est pas possible ! Je ne veux plus penser à ça !... Je ne veux pas aller déterrer la boîte... non... J'ai trop peur.



    Vendredi 13 août 2004



    Hier, j'ai vraiment passé une journée horrible, partagée entre me demander si je pétais les plombs, et penser à ma pauvre Bagherra dans sa boîte à chaussures, et à ses miaulements que j'ai, ou ai cru, entendre. J'en avais des crampes d'estomac... et l'idée d'aller la déterrer me révulsait... Alors j'ai eu une idée :

    Une fois les parents couchés, je suis allé prendre le vieux balais qu'on utilise pour la balayer cave : le manche est métallique et creux. Muni de mon tube de fortune je suis allé dehors, et je l'ai planté dans la terre qui recouvre le trou... Puis je l'ai enfoncé jusqu'à sentir la boîte qui bloquait : On ne l'avait pas enterré profond, peut être soixante-dix à quatre-vingts centimètres de profondeur environs. J'ai un peu forcé, et le tube a traversé le carton... Alors comme le tuyau était dans la boîte, j'ai écouté, mais rien... Je lui ai parlé, mais je n'ai rien entendu en retour. C'est quand j'ai enlevé le tube que je me suis rendu compte qu'il y avait plein de terre dedans, c'était normal, elle était passée dedans en même temps que j'enfonçais le tuyau dans le sol... Franchement après je me suis senti tellement bête d'avoir fait ça que je suis allé nettoyer le tube, je l'ai remis avec la tête du balai, et je suis remonté dans ma chambre... Je me sens idiot d'avoir fait ça.



    Dimanche 15 août 2004



    Finalement j'ai beaucoup réfléchi et j'ai fini par trouver une solution pour le manche à balais : j'ai mis un bouchon de liège dedans, je l'ai tenu fixe en enfonçant un bâton dans le tube, et une fois dans la boîte, j'ai poussé juste un petit peu sur le bâton pour le faire sortir du tuyau... Bon du coup il est tombé dans la boîte : il faudra que j'en trouve d'autres.

    Par contre je n'ai toujours pas entendu de miaulements... J'étais plein d'espoir, mais rien, toujours rien...

    Alors je lui ai fait passer quelques croquettes par le tuyau... j'y ai fait couler aussi un peu de lait... on ne sait jamais...

    Je ne sais plus trop quoi penser.



    Mardi 17 août 2004



    Xavier m'a appelé aujourd'hui... Bon dieu, j'avais complètement oublié, mais lundi il est rentré de vacances !

    Il m'a appelé hier après midi, j'en étais tout surpris d'entendre sa voix... j'étais vraiment ailleurs ces derniers jours...

    On s'est vu le soir, on est allé boire et jouer au billard, comme d'habitude... Moi ça me faisait bizarre d'entendre tout ce bruit, tous ces gens autour de moi, mais je pense que ça m'a fait du bien.

    Par contre je n'ai pas trop bu, j'avais un peu peur de trop boire vu les idées que j'ai dans la tête en ce moment.

    Xavier a passé de bonnes vacances... Quand il m'a demandé ce que j'ai fais de mon côté pendant ces deux semaines, je lui ai dit que j'ai passé mon temps à faire du vélo, à jouer aux jeux vidéos et à lire... : J'ai préféré ne pas lui parler de Bagherra et de tout ce que j'avais en tête.

    Vers une heure du matin, en rentrant à la maison, je suis passé la voir, j'ai planté le tuyau, je n'ai encore rien entendu et puis j'ai fini par pleurer : J'aimerais ne plus penser à tout ça, vivre comme avant... J'en viens à regretter ce jour où mes parents m'ont donné un chat...



    Mercredi 18 août 2004



    Je n'y comprends plus rien ! J'en peux plus ! Pourquoi ? Mais bon sang pourquoi elle ne miaule plus ?!

    Ca fait maintenant quatre jours que tous les soirs je plante mon tuyau et que je lui parle, à chaque fois je lui fais passer un peu de croquettes et du lait... Pourquoi je ne l'entends pas ?!

    Ma pauvre petite, là toute seule dans son trou...

    Mais je continuerais à y aller, je suis sûr de l'avoir entendu miauler, j'en suis certain ! Elle va bien finir par se manifester de nouveau !



    Jeudi 19 août 2004



    Et si j'avais mal entendu la fois où j'ai cru l'entendre miauler ?

    Ce soir encore aucun son n'est sorti de sa tombe... je lui ai encore fais passer un peu de croquettes et un verre de lait.

    Je me suis risqué à sentir l'air qui venait de tuyau, et ça ne sentait pas bon... : un mélange de viande pourrie et de lait rance.



    Vendredi 20 août 2004



    Cette nuit je suis encore allé lui parler et lui donner à manger par le tuyau... L'odeur que j'y ai encore senti me fait peur.

    Elle ne répond toujours pas : Je donnerais tout ce que j'ai pour l'entendre de nouveau miauler... Mais je ne sais même plus très bien si je l'ai vraiment entendu la dernière fois.

    Je me sens paumé.



    Samedi 21 août 2004



    Mathieu vient de m'appeler ! Il est rentré de vacances ! Ca me fait bien plaisir qu'il soit de retour ! On a prévu de se voir ce soir, Xavier sera avec nous aussi. Je ne sais pas si je pourrais leur parler de tout ce qui m'arrive en ce moment... D'un autre côté je vais toujours aussi mal, et je me dis qu'il faut que j'en parle à quelqu'un... et eux, ils comprendront peut-être.



    Dimanche 22 août 2004



    Je ne sais pas par quoi commencer...

    Hier avec Mathieu et Xavier j'ai beaucoup bu, vraiment beaucoup... Du coup avec l'effet de l'alcool je me suis lâché : j'ai dis tout ce que j'avais en tête, j'étais complètement abattu, et les mots sortaient, s'enfuyaient de ma bouche sans que je puisse m'arrêter. Je leur ai tout déballé : Les miaulements que j'avais crus entendre, le tuyau, et tout le reste... Ils ont été assez gentils avec moi, il faut dire qu'ils étaient bien amochés aussi, je n'avais pas été le seul à boire. On est sorti dehors, ils m'ont assis sur un banc dans le jardin public qui n'était pas trop loin. On a fumé clope sur clope, ils ont cherché à me remonter le moral, à me dire qu'il fallait que je pense à autre chose... mais je me suis borné à mon désespoir et à ma peur. Vers les trois heures du matin, ils ont dû en avoir marre, et ont prétextés de devoir rentrer chez eux. Alors on s'est séparés, et moi je suis donc rentré à la maison.

    En titubant, encoure bien saoul, je suis allé jusqu'au fond du jardin, et je me suis écroulé devant le petit monticule de terre. Je pense que j'ai bien dû rester allongé au moins une heure comme ça, je me sentais vraiment mal : Encore bien bourré quand même, les souvenirs de Bagherra n'arrêtaient pas de venir me torturer l'esprit, je sombrais dans un tourment incontrôlable, tout seul affalé par terre dans le jardin.

    Encore complètement submergé par la tristesse, je crus entendre de nouveau des miaulements. Je me suis figé, j'ai senti mon cœur battre la chamade, et j'ai écouté attentivement, mais cela ne me faisait aucun doute : j'entendais bien des miaulements... des miaulements qui provenaient du trou ! Pris de panique, ne sachant plus quoi penser, entre le bonheur et la terreur, encore à moitié sous l'effet de l'alcool. Je suis alors rentré d'un pas précipité chez moi, j'ai été prendre une pelle dans le garage, et j'ai creusé, j'ai déterré la boîte, j'ai déterré Bagherra.

    Mon dieu, c'était horrible, la boîte à chaussure était toute cabossée, le couvercle était tout défoncé, le carton était imbibé d'humidité, et commençait à se décomposer. Je me suis penché sur le trou et j'ai touché le couvercle : il était tout humide et mou. Je l'ai soulevé, et je ne voudrais plus jamais, oh non, plus jamais voir ce que j'ai vu : Bagherra était morte, oui belle et bien morte ! Son corps recroquevillé n'avait pas bougé, il y avait de la terre... non... de la boue dans tout le fond de la boîte... il y avait des croquettes un peu partout, l'odeur de lait rance était insupportable ainsi que l'odeur de viande pourrie, elle m'envahissait les narines... Bagherra gisait là-dedans, son poil n'était plus brillant, mais mat et tout couvert de boue, ses yeux étaient ouverts, et ils ne brillaient plus du tout, ils paraissaient tout flétris. Avec horreur, j'ai remarqué que son ventre était ouvert... et bon dieu, il y avait un ver de terre qui entrait par le trou ! Et cette odeur, cette odeur devenait insupportable... et le ver de terre entrait tranquillement dans le ventre de mon petit chat... et d'un coup j'ai vomi. J'ai vomi dans le trou... enfin sur le bord je crois bien, j'ai juste eu le temps de me décaler un peu avant que ça ne sorte... Je me suis relevé, les yeux fermés, n'osant plus voir tout ça. Je pleurais, j'avais envie de hurler, mais je ne pouvais pas, il ne fallais pas, je devait taire tout ça, ou on m'aurais pris pour un détraqué... Je n'osais plus regarder vers le trou... Alors sans le regarder je l'ai rebouché, j'ai bien tassé la terre, et puis je me suis assis par terre, et j'ai pleuré... Vers six heures, j'ai ramassé la pelle, et je suis rentré dans ma chambre, silencieusement... J'ai entendu mon père se lever une heure après...

    Ni lui ni ma mère n'ont rien dis là-dessus aujourd'hui, ils m'ont juste demandé si j'avais bien fait la fête cette nuit. Ils m'ont aussi prévenu que je devrais peut-être reprendre un rythme plus régulier car l'école ne va pas trop tarder à redémarrer. Ils n'ont donc sûrement rien entendu, tant mieux pour moi.

    Je ne sais plus quoi faire ou quoi penser, je n'ai pas faim, j'ai l'estomac noué : Je me suis forcé à manger ce soir, et je n'ai envie de rien... j'ai juste toutes ces images horribles dans la tête.

    J'ai mal pour Bagherra... ça fait maintenant un mois jour pour jour qu'elle est morte.



    Lundi 23 août 2004



    Aujourd'hui j'ai revu Mathieu et Xavier... je leur ai dit que j'étais trop bourré samedi soir et que j'ai peut-être démesurément exagéré ce que j'ai dit : Ils m'ont répondu qu'ils se sentaient soulagés, parce que mon comportement de la dernière fois les avait inquiétés... La vérité est que ce soir-là j'avais exprimé ce que j'avais en tête, l'alcool ne m'avait pas fait exagérer les choses, mais avait plutôt ouvert les vannes à ce trop plein que j'avais en tête...

    Mais bon, il valait mieux que je désamorce tout ça... de toute façon ils ne comprennent pas.

    J'ai toujours mal au ventre quand je repense à ce que j'ai vu en la déterrant : son image me torture, je n'arrive pas à arrêter d'y penser... Je commence aussi à me dire que je finirai comme ça un jour et ça me terrifie.



    Mardi 24 août 2004



    Cette nuit j'ai pleuré... Je pensais à Bagherra, et puis j'ai pensé à moi... Une vision affreuse m'est venue à l'esprit : Je me sentais bien vivant là, maintenant, et j'imaginais que dans cent ans, par exemple, ce serait le néant pour moi : je serais mort, enterré comme Bagherra, et tout serait noir, ce serait le néant... le vide. Cette vision m'emportait dans un vertige qui m'épouvantait : le vide, le néant... Je ne veux pas, j'ai peur de mourir...



    Jeudi 26 août 2004



    Je n'en peux plus... je viens encore de pleurer, seul, en silence, dans ma chambre. Tout me paraît si triste, tout me semble si futile, si inutile... de toute façon quoi que je fasse, je mourrais tous tôt ou tard. Je ressens maintenant souvent ce vertige face à cette idée de vide et de néant après ma mort... Tout ce que je ressens aujourd'hui, tout ce que j'entends ou vois... tout cela ne sera plus... Cette idée m'insupporte... Je voudrais que tout ça sorte de ma tête : Ca devient obsédant, je ne sais plus quoi faire, je ne sais pas à qui en parler...

    C'est comme si la mort de Bagherra m'avait fait prendre conscience que j'étais mortel.



    Samedi 28 août 2004



    Mes potes m'ont proposé de sortir ce soir : C'est l'avant dernier week-end avant la rentrée... purée l'école va reprendre dans neuf jours ! En plus cette année, c'est la terminale, avec le bac à la fin... Il va falloir bosser. Je commence déjà à avoir peur de l'échec, j'ai du mal à me dire que je vais pouvoir réussir à travailler dans mon état d'esprit. Déjà que l'année dernière je suis passé tout juste... Et puis, je ne sais même pas ce que je ferais après mon bac. Pourtant il faut que je choisisse cette année : Que je choisisse dans quelle filière, dans quelle école je vais aller... que je choisisse mon avenir... Mais je n'arrête pas de me dire qu'au bout, de toute façon, c'est le néant, la mort. Alors à quoi tout ça va me servir ?



    Lundi 30 août 2004



    C'est bizarre, il y en a qui à l'adolescence se suicident... ils sont déprimés, et se suicident... Alors est-ce que je suis vraiment déprimé ?... Parce que je n'ai vraiment pas envie de mourir, justement, je ne veux absolument pas mourir !

    J'ai mal, j'ai très mal d'avoir perdu Bagherra, et je suis terrifié à l'idée de ma mort, mais est-ce que je suis déprimé...

    ... ou est ce juste que je suis maintenant conscient de ma condition ?



    Mercredi 01 Septembre 2004



    Hier j'étais à boire avec Mathieu et Xavier, d'un coup je me suis mis à penser aux années que j'avais encore à vivre... J'ai dix-sept ans : Imaginons que je meure, à, disons... soixante-dix ans : il m'en reste cinquante-trois à vivre ! Ca fait plus de trois fois ce que j'ai déjà vécu !



    Jeudi 02 septembre 2004



    Même, si je ne vis pas jusqu'à soixante-dix ans... purée ! là je suis vivant ! Et tant que je le suis, je peux en profiter...

    De toute manière je ne peux rien contre ma mort... Elle est là, et aller pleurer n'y changera rien... Mais en attendant je peux peut-être mieux profiter de ma vie...



    Dimanche 05 septembre 2004



    J'ai préparé mon sac pour l'école, ça commence demain... Maintenant je me sens mieux, j'ai presque hâte d'y être : Cette année je décroche mon bac, et après je pars d'ici ! Je partirai faire mes études ailleurs : j'irai à la ville, j'irai connaître pleins de gens ! Bordel, tant qu'à faire autant en profiter ! Je commence aussi à réfléchir au métier que je vais faire : Autant faire un métier qui me plait, ça n'en sera que mieux ! J'ai envie de faire pleins de choses, que ma vie ne soit pas inutile... Un jour je mourrai, c'est comme ça ! c'est ainsi... et en même temps c'est une force... Une force qui va peut-être me donner l'envie d'avancer... Avancer tant que je le peux : Etre conscient de ma mortalité me pousse à profiter de la vie qui m'est offerte... C'est vrai que je me dis que je ne sais pas ce qu'il y a après la vie... Mais justement je ne sais pas, et je n'arriverai jamais à le savoir et à en être sûr... alors autant profiter de la vie, au moins je sais qu'elle est là... même si je sais qu'elle ne durera pas.

    on, plus jamais voir ce que j'ai vu : Bagherra était morte, oui belle et bien morte ! Son corps recroquevillé n'avait pas bougé, il y avait de la terre... non... de la boue dans tout le fond de la boîte... il y avait des croquettes un peu partout, l'odeur de lait rance était insupportable ainsi que l'odeur de viande pourrie, elle m'envahissait les narines... Bagherra gisait là-dedans, son poil n'était plus brillant, mais mat et tout couvert de boue, ses yeux étaient ouverts, et ils ne brillaient plus du tout, ils paraissaient tout flétris. Avec horreur, j'ai remarqué que son ventre était ouvert... et bon dieu, il y avait un ver de terre qui entrait par le trou ! Et cette odeur, cette odeur devenait insupportable... et le ver de terre entrait tranquillement dans le ventre de mon petit chat... et d'un coup j'ai vomi. J'ai vomi dans le trou... enfin sur le bord je crois bien, j'ai juste eu le temps de me décaler un peu avant que ça ne sorte... Je me suis relevé, les yeux fermés, n'osant plus voir tout ça. Je pleurais, j'avais envie de hurler, mais je ne pouvais pas, il ne fallais pas, je devait taire tout ça, ou on m'aurais pris pour un détraqué... Je n'osais plus regarder vers le trou... Alors sans le regarder je l'ai rebouché, j'ai bien tassé la terre, et puis je me suis assis par terre, et j'ai pleuré... Vers six heures, j'ai ramassé la pelle, et je suis rentré dans ma chambre, silencieusement... J'ai entendu mon père se lever une heure après...

    Ni lui ni ma mère n'ont rien dis là-dessus aujourd'hui, ils m'ont juste demandé si j'avais bien fait la fête cette nuit. Ils m'ont aussi prévenu que je devrais peut-être reprendre un rythme plus régulier car l'école ne va pas trop tarder à redémarrer. Ils n'ont donc sûrement rien entendu, tant mieux pour moi.

    Je ne sais plus quoi faire ou quoi penser, je n'ai pas faim, j'ai l'estomac noué : Je me suis forcé à manger ce soir, et je n'ai envie de rien... j'ai juste toutes ces images horribles dans la tête.

    J'ai mal pour Bagherra... ça fait maintenant un mois jour pour jour qu'elle est morte.



    Lundi 23 août 2004



    Aujourd'hui j'ai revu Mathieu et Xavier... je leur ai dit que j'étais trop bourré samedi soir et que j'ai peut-être démesurément exagéré ce que j'ai dit : Ils m'ont répondu qu'ils se sentaient soulagés, parce que mon comportement de la dernière fois les avait inquiétés... La vérité est que ce soir-là j'avais exprimé ce que j'avais en tête, l'alcool ne m'avait pas fait exagérer les choses, mais avait plutôt ouvert les vannes à ce trop plein que j'avais en tête...

    Mais bon, il valait mieux que je désamorce tout ça... de toute façon ils ne comprennent pas.

    J'ai toujours mal au ventre quand je repense à ce que j'ai vu en la déterrant : son image me torture, je n'arrive pas à arrêter d'y penser... Je commence aussi à me dire que je finirai comme ça un jour et ça me terrifie.



    Mardi 24 août 2004



    Cette nuit j'ai pleuré... Je pensais à Bagherra, et puis j'ai pensé à moi... Une vision affreuse m'est venue à l'esprit : Je me sentais bien vivant là, maintenant, et j'imaginais que dans cent ans, par exemple, ce serait le néant pour moi : je serais mort, enterré comme Bagherra, et tout serait noir, ce serait le néant... le vide. Cette vision m'emportait dans un vertige qui m'épouvantait : le vide, le néant... Je ne veux pas, j'ai peur de mourir...



    Jeudi 26 août 2004



    Je n'en peux plus... je viens encore de pleurer, seul, en silence, dans ma chambre. Tout me paraît si triste, tout me semble si futile, si inutile... de toute façon quoi que je fasse, je mourrais tous tôt ou tard. Je ressens maintenant souvent ce vertige face à cette idée de vide et de néant après ma mort... Tout ce que je ressens aujourd'hui, tout ce que j'entends ou vois... tout cela ne sera plus... Cette idée m'insupporte... Je voudrais que tout ça sorte de ma tête : Ca devient obsédant, je ne sais plus quoi faire, je ne sais pas à qui en parler...

    C'est comme si la mort de Bagherra m'avait fait prendre conscience que j'étais mortel.



    Samedi 28 août 2004



    Mes potes m'ont proposé de sortir ce soir : C'est l'avant dernier week-end avant la rentrée... purée l'école va reprendre dans neuf jours ! En plus cette année, c'est la terminale, avec le bac à la fin... Il va falloir bosser. Je commence déjà à avoir peur de l'échec, j'ai du mal à me dire que je vais pouvoir réussir à travailler dans mon état d'esprit. Déjà que l'année dernière je suis passé tout juste... Et puis, je ne sais même pas ce que je ferais après mon bac. Pourtant il faut que je choisisse cette année : Que je choisisse dans quelle filière, dans quelle école je vais aller... que je choisisse mon avenir... Mais je n'arrête pas de me dire qu'au bout, de toute façon, c'est le néant, la mort. Alors à quoi tout ça va me servir ?



    Lundi 30 août 2004



    C'est bizarre, il y en a qui à l'adolescence se suicident... ils sont déprimés, et se suicident... Alors est-ce que je suis vraiment déprimé ?... Parce que je n'ai vraiment pas envie de mourir, justement, je ne veux absolument pas mourir !

    J'ai mal, j'ai très mal d'avoir perdu Bagherra, et je suis terrifié à l'idée de ma mort, mais est-ce que je suis déprimé...

    ... ou est ce juste que je suis maintenant conscient de ma condition ?



    Mercredi 01 Septembre 2004



    Hier j'étais à boire avec Mathieu et Xavier, d'un coup je me suis mis à penser aux années que j'avais encore à vivre... J'ai dix-sept ans : Imaginons que je meure, à, disons... soixante-dix ans : il m'en reste cinquante-trois à vivre ! Ca fait plus de trois fois ce que j'ai déjà vécu !



    Jeudi 02 septembre 2004



    Même, si je ne vis pas jusqu'à soixante-dix ans... purée ! là je suis vivant ! Et tant que je le suis, je peux en profiter...

    De toute manière je ne peux rien contre ma mort... Elle est là, et aller pleurer n'y changera rien... Mais en attendant je peux peut-être mieux profiter de ma vie...



    Dimanche 05 septembre 2004



    J'ai préparé mon sac pour l'école, ça commence demain... Maintenant je me sens mieux, j'ai presque hâte d'y être : Cette année je décroche mon bac, et après je pars d'ici ! Je partirai faire mes études ailleurs : j'irai à la ville, j'irai connaître pleins de gens ! Bordel, tant qu'à faire autant en profiter ! Je commence aussi à réfléchir au métier que je vais faire : Autant faire un métier qui me plait, ça n'en sera que mieux ! J'ai envie de faire pleins de choses, que ma vie ne soit pas inutile... Un jour je mourrai, c'est comme ça ! c'est ainsi... et en même temps c'est une force... Une force qui va peut-être me donner l'envie d'avancer... Avancer tant que je le peux : Etre conscient de ma mortalité me pousse à profiter de la vie qui m'est offerte... C'est vrai que je me dis que je ne sais pas ce qu'il y a après la vie... Mais justement je ne sais pas, et je n'arriverai jamais à le savoir et à en être sûr... alors autant profiter de la vie, au moins je sais qu'elle est là... même si je sais qu'elle ne durera pas.

    regarder vers le trou... Alors sans le regarder je l'ai rebouché, j'ai bien tassé la terre, et puis je me suis assis par terre, et j'ai pleuré... Vers six heures, j'ai ramassé la pelle, et je suis rentré dans ma chambre, silencieusement... J'ai entendu mon père se lever une heure après...

    Ni lui ni ma mère n'ont rien dis là-dessus aujourd'hui, ils m'ont juste demandé si j'avais bien fait la fête cette nuit. Ils m'ont aussi prévenu que je devrais peut-être reprendre un rythme plus régulier car l'école ne va pas trop tarder à redémarrer. Ils n'ont donc sûrement rien entendu, tant mieux pour moi.

    Je ne sais plus quoi faire ou quoi penser, je n'ai pas faim, j'ai l'estomac noué : Je me suis forcé à manger ce soir, et je n'ai envie de rien... j'ai juste toutes ces images horribles dans la tête.

    J'ai mal pour Bagherra... ça fait maintenant un mois jour pour jour qu'elle est morte.



    Lundi 23 août 2004



    Aujourd'hui j'ai revu Mathieu et Xavier... je leur ai dit que j'étais trop bourré samedi soir et que j'ai peut-être démesurément exagéré ce que j'ai dit : Ils m'ont répondu qu'ils se sentaient soulagés, parce que mon comportement de la dernière fois les avait inquiétés... La vérité est que ce soir-là j'avais exprimé ce que j'avais en tête, l'alcool ne m'avait pas fait exagérer les choses, mais avait plutôt ouvert les vannes à ce trop plein que j'avais en tête...

    Mais bon, il valait mieux que je désamorce tout ça... de toute façon ils ne comprennent pas.

    J'ai toujours mal au ventre quand je repense à ce que j'ai vu en la déterrant : son image me torture, je n'arrive pas à arrêter d'y penser... Je commence aussi à me dire que je finirai comme ça un jour et ça me terrifie.



    Mardi 24 août 2004



    Cette nuit j'ai pleuré... Je pensais à Bagherra, et puis j'ai pensé à moi... Une vision affreuse m'est venue à l'esprit : Je me sentais bien vivant là, maintenant, et j'imaginais que dans cent ans, par exemple, ce serait le néant pour moi : je serais mort, enterré comme Bagherra, et tout serait noir, ce serait le néant... le vide. Cette vision m'emportait dans un vertige qui m'épouvantait : le vide, le néant... Je ne veux pas, j'ai peur de mourir...



    Jeudi 26 août 2004



    Je n'en peux plus... je viens encore de pleurer, seul, en silence, dans ma chambre. Tout me paraît si triste, tout me semble si futile, si inutile... de toute façon quoi que je fasse, je mourrais tous tôt ou tard. Je ressens maintenant souvent ce vertige face à cette idée de vide et de néant après ma mort... Tout ce que je ressens aujourd'hui, tout ce que j'entends ou vois... tout cela ne sera plus... Cette idée m'insupporte... Je voudrais que tout ça sorte de ma tête : Ca devient obsédant, je ne sais plus quoi faire, je ne sais pas à qui en parler...

    C'est comme si la mort de Bagherra m'avait fait prendre conscience que j'étais mortel.



    Samedi 28 août 2004



    Mes potes m'ont proposé de sortir ce soir : C'est l'avant dernier week-end avant la rentrée... purée l'école va reprendre dans neuf jours ! En plus cette année, c'est la terminale, avec le bac à la fin... Il va falloir bosser. Je commence déjà à avoir peur de l'échec, j'ai du mal à me dire que je vais pouvoir réussir à travailler dans mon état d'esprit. Déjà que l'année dernière je suis passé tout juste... Et puis, je ne sais même pas ce que je ferais après mon bac. Pourtant il faut que je choisisse cette année : Que je choisisse dans quelle filière, dans quelle école je vais aller... que je choisisse mon avenir... Mais je n'arrête pas de me dire qu'au bout, de toute façon, c'est le néant, la mort. Alors à quoi tout ça va me servir ?



    Lundi 30 août 2004



    C'est bizarre, il y en a qui à l'adolescence se suicident... ils sont déprimés, et se suicident... Alors est-ce que je suis vraiment déprimé ?... Parce que je n'ai vraiment pas envie de mourir, justement, je ne veux absolument pas mourir !

    J'ai mal, j'ai très mal d'avoir perdu Bagherra, et je suis terrifié à l'idée de ma mort, mais est-ce que je suis déprimé...

    ... ou est ce juste que je suis maintenant conscient de ma condition ?



    Mercredi 01 Septembre 2004



    Hier j'étais à boire avec Mathieu et Xavier, d'un coup je me suis mis à penser aux années que j'avais encore à vivre... J'ai dix-sept ans : Imaginons que je meure, à, disons... soixante-dix ans : il m'en reste cinquante-trois à vivre ! Ca fait plus de trois fois ce que j'ai déjà vécu !



    Jeudi 02 septembre 2004



    Même, si je ne vis pas jusqu'à soixante-dix ans... purée ! là je suis vivant ! Et tant que je le suis, je peux en profiter...

    De toute manière je ne peux rien contre ma mort... Elle est là, et aller pleurer n'y changera rien... Mais en attendant je peux peut-être mieux profiter de ma vie...



    Dimanche 05 septembre 2004



    J'ai préparé mon sac pour l'école, ça commence demain... Maintenant je me sens mieux, j'ai presque hâte d'y être : Cette année je décroche mon bac, et après je pars d'ici ! Je partirai faire mes études ailleurs : j'irai à la ville, j'irai connaître pleins de gens ! Bordel, tant qu'à faire autant en profiter ! Je commence aussi à réfléchir au métier que je vais faire : Autant faire un métier qui me plait, ça n'en sera que mieux ! J'ai envie de faire pleins de choses, que ma vie ne soit pas inutile... Un jour je mourrai, c'est comme ça ! c'est ainsi... et en même temps c'est une force... Une force qui va peut-être me donner l'envie d'avancer... Avancer tant que je le peux : Etre conscient de ma mortalité me pousse à profiter de la vie qui m'est offerte... C'est vrai que je me dis que je ne sais pas ce qu'il y a après la vie... Mais justement je ne sais pas, et je n'arriverai jamais à le savoir et à en être sûr... alors autant profiter de la vie, au moins je sais qu'elle est là... même si je sais qu'elle ne durera pas.
     
     
     
     
     
     
     

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