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    La boîte au fond du jardin

     

    La boîte au fond du jardin

     

     
     
    Jeudi 22 juillet 2004



    Ca fait bien deux heures que je suis devant cette page blanche à me demander si je fais bien de le faire ou pas... mais ce que je me dis c'est que j'en ai besoin, tout simplement.

    J'ai trop mal : ça peut paraître con, mais je me sens vraiment pas bien et je ne vois pas trop mes parents aller me consoler, alors je préfère vider tout ça sur papier.

    Alors voilà, allons-y ! Donc je m'appelle Cédric Noël, j'ai dix-sept ans, je suis en première (Eh oui ! j'ai un an de retard parce que j'ai redoublé ma quatrième... bah ! je foutais rien à l'époque). Je fume un peu, ça me fait un peu peur parce que j'aime ça et que je commence à en prendre l'habitude. J'ai peu d'amis, en fait j'en ai surtout deux : Mathieu et Xavier, avec eux je m'entends bien, on passe pas mal de temps dans les bars le soir à jouer au billard...

    Enfin bref, je ne vais pas m'éterniser sur moi non plus. Si aujourd'hui j'ai tant besoin de mettre ce que je ressens sur papier, c'est parce que mon chat est mort cette nuit : Ca faisait trois jours qu'elle souffrait, sûrement suite à un choc avec une voiture, c'est ce qui a semblé le plus probable. Enfin, pendant ces trois jours elle était chez le véto et on espérait qu'elle allait aller mieux, mais ça n'a pas été le cas : Cette après-midi, on l'a enterré dans le jardin, mes parents ne voulaient pas trop, mais j'ai insisté...

    Ils avaient surtout l'air plus désolé pour moi que pour Bagherra (c'était son nom). Enfin bon, j'ai creusé le trou et je l'ai enterré... Voilà, elle est sous terre maintenant... et depuis je suis dans ma chambre à me morfondre... Je ne sais pas si cette feuille de papier m'aidera, mais je ne vois pas trop quoi faire d'autre pour l'instant.



    Vendredi 23 juillet 2004



    Hier, comme je ne me sentais vraiment pas bien, j'ai appelé Xavier : On est allé se boire une bière dans notre bar habituel, et, comment dire... Oui c'est un chat, et alors ! C'est pas une raison pour se foutre de moi parce que je suis malheureux ! Du coup hier en plus d'être triste, je me suis senti seul : En gros Xavier était surpris que je sois si accablé par la mort de Bagherra, il cherchait un peu à me consoler, mais bon, il me trouvait bien sensible d'être autant affecté par la mort d'un chat... Mais quand je pense à elle... : Elle avait tout juste deux ans et demi ! Une petite chatte noire avec une petite tache blanche sous le cou, toute féline, à vous faire un raffut de tous les diables le matin pour vous réveiller et que vous lui ouvriez la porte pour qu'elle puisse aller en sortie... Elle avait un sale caractère mais en même temps elle passait toutes les nuits sur mon lit... Purée ! et alors c'est pas normal d'être triste ?

    Xavier s'en fout... et mes parents compatissent comme ils peuvent : Ils m'ont proposé d'en prendre un nouveau, mais je ne veux pas, je pense trop à elle... Je me rappelle quand mes parents sont entrés dans ma chambre au matin du jour de mes quinzes ans avec une boîte à chaussures entre les mains en me disant « bon anniversaire ! » : J'ai tout d'abord cru qu'ils m'offraient une paire de baskets, c'est quand j'ai pris la boîte que j'ai senti que ça bougeait dedans !

    « Fais attention ! c'est fragile » m'avaient dit mes parents : Alors j'avais délicatement posé la boîte sur mon lit, et doucement soulevé le couvercle : Dès qu'elle fut entrebâillée, une petite forme noire passa par-dessus le rebord de la boîte : elle gambadait maintenant sur les couvertures. Bagherra avait tout juste deux mois à ce moment-là. Elle a commencé à fouiller partout dans la chambre, je l'ai prise dans mes bras, elle avait peur... Ca me fait tout drôle quand j'y repense, elle était toute petite, elle tenait entière dans le creux d'une main ! C'était une petite boule de poils, et elle avait peur de moi, et moi j'avais juste envie qu'elle se sente bien... j'avais juste envie de la réconforter...

    Ouais, à part que maintenant elle est morte.

    Pour l'enterrer, je l'ai reposée dans la boîte à chaussures : celle dans laquelle elle était le premier jour. Je l'avais gardée dans mon placard, en souvenir.

    Pauvre petite, seule, dans sa boîte à chaussures, sans un bruit, sans un son, sans un réconfort...

    Bon... ça me fout les boules d'écrire tout ça, je préfère m'en arrêter là pour aujourd'hui.



    Samedi 24 juillet 2004



    Ce que j'ai écrit hier m'a beaucoup affecté : Depuis je n'arrête pas de l'imaginer seule, sous la terre, dans le silence, sans un son, sans une lumière, sans rien... abandonnée dans cette boîte à chaussures à peine assez grande pour elle. Cette image m'obsédait, et je ne savais plus trop quoi faire pour me calmer, alors finalement je suis allé au fond du jardin, à l'endroit où je l'avais enterrée, et je suis resté debout près du petit tas de terre meuble qui dépassait un peu du sol. Je suis resté comme ça assez longtemps, mon père a dû m'apercevoir et est passé regarder ce que je faisais. Il avait l'air désolé de me voir abattu comme ça, il m'a conseillé de rentrer à la maison ou de sortir un peu.

    Lui est triste pour moi... moi je suis triste pour elle.



    Dimanche 25 juillet 2004



    Quelle nuit j'ai encore passé !

    Hier soir je suis allé en sortie avec Mathieu et Xavier, je dois dire qu'ils ont été super avec moi : On a beaucoup bu bien sûr, et comme je n'avais pas le moral, ils n'ont pas arrêté de faire les guignols, ça m'a fait penser à autre chose, et finalement je me suis bien amusé... Non, le problème c'est quand je suis rentré chez moi.

    C'était vers les deux heures du matin, après la fermeture des bars. J'arrivais à l'entrée de la maison, et je me suis mis à penser à Bagherra : La lumière du réverbère se reflétait sur mon blouson en cuir et mettait bien en évidence les petits trous qu'il y avait un peu partout sur les épaules... Ces petits trous elle me les avait faits les deux premiers mois qu'elle a passé avec moi : Je la mettais sur l'épaule et j'allais me promener à pied dans les quartiers avoisinants, et elle restait calme, tranquillement installée, observant le paysage, les griffes plantées dans mon blouson... Jusqu'à ce qu'elle ait vers les quatres mois et qu'elle apprécie trop d'aller voir les jardins des maisons devant lesquelles je passais ! Enfin bref, en voyant ces petits trous sur les épaules de mon blouson j'ai repensé à elle, et alors je suis retourné près du trou, je me suis assis en tailleur et je suis resté là, sans bouger, sans parler... Il faut dire qu'à cause de l'alcool j'avais tendance à somnoler... mais bon je sais pas... je... disons que... je voulais lui tenir compagnie !

    Elle me manque, ça me fait bizarre de me dire que je ne la reverrais plus, j'ai jamais connu la mort de quelqu'un avant. Mais là, on a beau me dire que ce n'est qu'un chat, je m'en fous... La mort... La mort ça ne devrait pas exister... c'est n'importe quoi... je ne comprends pas pourquoi.



    Lundi 26 juillet 2004



    J'ai attendu que mes parents soient couchés et je suis allé dehors, près d'elle, et je me suis assis en tailleur, comme la nuit dernière... Je ne veux pas la laisser seule, je ne veux pas l'abandonner comme ça. Pourquoi maintenant chaque nuit je dois dormir tout seul, sans elle sur les couvertures ? Je ne peux pas dormir maintenant sans me dire qu'elle est toute seule au fond du jardin, sans rien, abandonnée dans une boîte à chaussure sous la terre... Donc ce soir je suis allé la voir, et je lui ai tenu un peu compagnie, je me sentais mieux. Au bout d'un moment je suis rentré à la maison... Mais je retournerai demain soir, je refuse de l'oublier comme ça.



    Jeudi 29 juillet 2004



    Je ne sais pas trop comment dire... ben voilà : J'étais maintenant comme chaque soir au fond du jardin, assis près d'où repose Bagherra, dans ma tête je me repassais en boucle mes souvenirs d'elle, et en même temps je ne pouvais m'empêcher de me dire que je ne la reverrai plus jamais... Alors j'ai commencé à réfléchir à tout ça, tout d'abord par rapport à elle, et puis progressivement par rapport à ma famille : Je n'ai pas encore perdu un membre proche de ma famille, mais ce soir je me l'imaginais, et vu mon âge je me disais que par exemple, il était plus probable que ma mère ou mon père parte avant moi, que l'inverse. Et me dire qu'un jour ils disparaîtront me tordait l'estomac... Un jour ils ne seront plus là, et je resterai là sans eux...

    Ce soir je me dis que j'ai peur d'avancer dans la vie, peur de voir les choses qui m'entourent disparaître.



    Vendredi 30 juillet 2004



    J'en ai marre ! J'ai vraiment l'impression que personne ne me comprend, ils me font tous chier à la fin !

    Bon alors ce midi, pour commencer, je mangeais seul avec ma mère (mon père ne rentre pas le midi, mais elle oui), et là je lui ai parlé un peu de mes appréhensions sur la vie... enfin la mort... enfin... Bon, bref, elle m'a regardé l'air étonnée, et elle m'a dit « Tu es sûr que ça va Cédric ? » : Je lui ai dit que oui, mais que je pensais beaucoup à la mort en ce moment. Et là elle m'a répondu « Bah ! tu ne devrais pas trop penser à ça, tu vas broyer du noir, ça n'est pas bien bon. » et comme je ne répondais rien, elle rajouta « Et puis c'est l'été, ce sont les vacances, allez ! pense à autre chose ! » : Vu sa réponse j'ai préféré acquiescer et faire mine d'aller mieux.

    Mais alors comme ça je ne devrais pas penser à ça ! Ah bon ? Je devrais ne pas y penser ?... de toute façon, j'ai l'impression que personne ne pense à ça... Les gens se croient tous immortels ou quoi ?

    Et puis le soir, pendant le repas, mon père en a remis une couche : « Tu es sûr que tu ne voudrais pas un autre chat ? » : Alors voilà qu'il me sort ça d'un coup, comme ça ! Bon ben j'ai vite compris, maman avait dû lui raconter ce dont je lui avais parlé le midi... Ca doit les faire flipper, ils doivent se dire que je déprime... Mais je ne veux pas d'un autre chat ! pas comme ça, juste après qu'elle soit morte. Pas comme on changerait de voiture une fois l'autre bonne pour la casse. Non, je ne veux pas la remplacer comme ça.



    Dimanche 1 août 2004



    Alors après être resté dans ma chambre tout le samedi après-midi comme un con, j'ai fini par appeler Mathieu et Xavier pour aller passer la soirée dans les bars : Après tout autant en profiter, puisque « ce sont les vacances », comme dis ma mère... D'ailleurs à ce sujet, Xavier part demain avec ses parents pour deux semaines.

    Bon, on s'est bien marré, et à un moment je leur ai quand même parlé de mes tourments sur la mort... Quand je le leur ai dit, Mathieu m'a regardé avec un air crispé, il m'a dit qu'il n'avait pas du tout envie de parler de tout ça. On est resté alors silencieux pendant une ou deux minutes, et puis pour briser ce silence qui devenait pesant Xavier a enchaîné sur autre chose. Après, pendant le reste de la soirée, j'en ai plus du tout parlé.

    Donc voilà, j'ai l'impression d'être bien seul... et toutes ces idées me rongent... et je ne reverrais jamais plus Bagherra me rejoindre quand j'arrive le soir à la maison... et je n'arrive pas à m'y faire.



    Lundi 2 août 2004



    Comme prévu, Xavier vient de partir en vacances avec ses parents pour deux semaines. Mathieu, lui, partira samedi, aussi pour deux semaines... Et moi je vais rester ici tout seul... J'en ai marre, je me sens fatigué, je dors mal, je me sens mal, et je n'ai personne à qui parler...

    Alors, ce soir comme d'habitude, vers vingt-trois heures, une fois les parents couchés, je suis allé la voir au fond du jardin, je me suis assis en tailleur : D'habitude je restais silencieux, mais là je lui ai parlé... Ca m'a fait bizarre de me dire que je parlais à mon chat mort, enterré à mes pieds, dans une boîte à chaussures... Mais en même temps ça m'a fait du bien : Je lui ai parlé de mes peurs, des réactions que ça a provoquées autour de moi... Je lui ai aussi dit qu'elle me manquait, et que je pensais à elle tout le temps... et puis au bout d'un moment j'ai fini par rentrer à la maison.



    Mercredi 4 août 2004



    Il ne fait pas beau ces jours-ci, il pleuvait aujourd'hui, alors avec Mathieu on est resté jouer aux jeux vidéos chez lui...

    Je n'arrêtais pas de penser à Bagherra, dans sa boîte à chaussures, enterrée sous la terre, toute trempée à cause de la pluie... elle qui n'aimait pas l'eau...

    J'ai mal, ce que j'ai mal...



    Samedi 7 août 2004



    Je reviens d'avoir été dire au revoir et souhaiter de bonnes vacances à Mathieu, il était encore à faire ses bagages, toujours à la bourre comme d'hab ! Il doit être parti avec ses parents à l'heure qu'il est... Bon... me voilà tout seul comme un con... Mes parents auraient pu prendre des vacances quand même cet été, mais ils ne pensent qu'au boulot... J'en ai marre.

    Tout me semble si triste en ce moment et me retrouver seul ainsi, ça ne m'aide pas vraiment. A part Mathieu et Xavier je ne vois pas avec qui je pourrais sortir. Je n'ai vraiment pas beaucoup d'amis. Ce soir on a beau être samedi, je vais rester ici... de toute façon je ne suis pas d'humeur à sortir.

    Et puis, ce soir, comme tous les soirs maintenant, j'irai au fond du jardin et je parlerais à mon chat... à qui d'autre pourrais-je parler en ce moment de toute façon ?



    Dimanche 8 août 2004



    Je me suis levé tard : vers midi. D'ailleurs je n'avais pas très faim, j'ai mangé un petit peu quand même histoire de faire illusion aux parents. J'ai passé les premières heures de l'après-midi seul dans ma chambre, et pour finir je suis sorti me promener à pied.

    Je me sentais déjà mal : Personne à qui parler, mes copains partis en vacances, et la mort Bagherra qui continue obstinément de me hanter la tête... et en prime pendant ma promenade j'ai croisé une chatte noire qui se prélassait au soleil devant l'entrée d'une maison. Elle ressemblait vraiment à Bagherra, et ça m'a anéanti : J'avais l'impression que c'était elle... sauf qu'elle n'a pas bronché en me voyant. Au bout de quelques secondes, elle s'est même levée et est partie, sûrement que je devais trop la fixer ou être trop près d'elle à son goût !

    Je suis resté là à la regarder s'en aller, effrayé par la ressemblance que je lui trouvais par rapport à Bagherra et par cette envie que j'avais de la prendre dans mes bras... et aussi par la peine que j'éprouvais à m'admettre que ce n'était pas elle.



    Lundi 9 août 2004



    Il est cinq heures du matin, mais j'ai envie d'écrire parce que j'ai peur... peut-être que c'était juste mon imagination...

    Enfin voilà, à deux heures du matin je ne dormais toujours pas, je n'arrêtais pas de me tourner et de me retourner dans mes couvertures, obsédé par l'image du chat que j'avais vu pendant l'après midi. Le cœur serré, j'ai fini par réaliser que je n'étais même pas allé voir Bagherra. Du coup je me suis rhabillé et doucement je suis sorti de la maison pour aller au fond du jardin. Arrivé à une dizaine de mètres de l'endroit où elle est enterrée, je l'ai entendu... oui ! je l'ai entendu miauler, je suis sûr que ça venait du trou ! j'entendais Bagherra miauler : Ces mêmes petits miaulements aigus qu'elle faisait quand elle voulait quelque chose. J'ai eu comme un immense frisson qui m'a parcouru tout le corps tellement j'étais surpris. J'en suis resté hébété, immobile, sans ne savoir quoi faire ou que penser. Puis j'ai couru jusqu'au trou, et j'ai collé mon oreille sur la terre qui le recouvrait : Mon cœur battait fort, j'étais paniqué, mais je me calmai un peu et écoutai attentivement... mais je n'entendis rien. J'ai bien dû rester une bonne demi-heure, l'oreille contre terre à écouter. Parfois je lui demandais de miauler encore, je la suppliais de faire encore un peu de bruit... mais rien. Au bout du compte j'ai fini par retourner dans la maison, désespéré de n'avoir plus rien entendu : pas un bruit, pas un son, que le silence.

    Pourtant je me suis senti tellement heureux quand je l'ai entendu miauler, je n'en croyais pas mes oreilles, alors pourquoi après je n'ai plus rien entendu ? Peut-être qu'elle miaulait pour m'appeler et quand je suis arrivé elle s'est arrêtée ?...

    Mais qu'est ce que je dis là ! Elle est morte à la fin !



    Lundi 9 août 2004



    C'est l'après-midi, je n'ai pratiquement pas réussi à dormir, tout se mélange dans ma tête. Je n'arrête pas de me dire « et si j'avais bien entendu ? elle est vivante alors ? »... et là je ne sais plus...

    Je me suis quand même levé un peu avant midi pour aller manger, je n'ai pas envie que maman se pose des questions... elle me croirait fou si je lui disais.



    Mardi 10 août 2004



    J'ai appelé son nom, je me suis remis l'oreille collée au sol, et j'ai encore appelé, plein d'espoir de l'entendre de nouveau, de l'entendre réponde à mes appels... Mas rien, je suis resté presque une demi-heure, à attendre, à espérer, en vain... Je n'ose pas aller déterrer la boîte... Mais bon sang ! Pourquoi elle ne me répond pas ? pourquoi ?



    Mercredi 11 août 2004



    Elle est peu être trop faible pour miauler ? ... Oh, mais qu'est ce que je dis là... Purée ! mais elle est morte !

    Oui, mais si je n'avais pas rêvé... Alors elle est enfermée dans cette boîte à chaussures sans rien, sans boire ni manger... Non ça n'est pas possible ! Je ne veux plus penser à ça !... Je ne veux pas aller déterrer la boîte... non... J'ai trop peur.



    Vendredi 13 août 2004



    Hier, j'ai vraiment passé une journée horrible, partagée entre me demander si je pétais les plombs, et penser à ma pauvre Bagherra dans sa boîte à chaussures, et à ses miaulements que j'ai, ou ai cru, entendre. J'en avais des crampes d'estomac... et l'idée d'aller la déterrer me révulsait... Alors j'ai eu une idée :

    Une fois les parents couchés, je suis allé prendre le vieux balais qu'on utilise pour la balayer cave : le manche est métallique et creux. Muni de mon tube de fortune je suis allé dehors, et je l'ai planté dans la terre qui recouvre le trou... Puis je l'ai enfoncé jusqu'à sentir la boîte qui bloquait : On ne l'avait pas enterré profond, peut être soixante-dix à quatre-vingts centimètres de profondeur environs. J'ai un peu forcé, et le tube a traversé le carton... Alors comme le tuyau était dans la boîte, j'ai écouté, mais rien... Je lui ai parlé, mais je n'ai rien entendu en retour. C'est quand j'ai enlevé le tube que je me suis rendu compte qu'il y avait plein de terre dedans, c'était normal, elle était passée dedans en même temps que j'enfonçais le tuyau dans le sol... Franchement après je me suis senti tellement bête d'avoir fait ça que je suis allé nettoyer le tube, je l'ai remis avec la tête du balai, et je suis remonté dans ma chambre... Je me sens idiot d'avoir fait ça.



    Dimanche 15 août 2004



    Finalement j'ai beaucoup réfléchi et j'ai fini par trouver une solution pour le manche à balais : j'ai mis un bouchon de liège dedans, je l'ai tenu fixe en enfonçant un bâton dans le tube, et une fois dans la boîte, j'ai poussé juste un petit peu sur le bâton pour le faire sortir du tuyau... Bon du coup il est tombé dans la boîte : il faudra que j'en trouve d'autres.

    Par contre je n'ai toujours pas entendu de miaulements... J'étais plein d'espoir, mais rien, toujours rien...

    Alors je lui ai fait passer quelques croquettes par le tuyau... j'y ai fait couler aussi un peu de lait... on ne sait jamais...

    Je ne sais plus trop quoi penser.



    Mardi 17 août 2004



    Xavier m'a appelé aujourd'hui... Bon dieu, j'avais complètement oublié, mais lundi il est rentré de vacances !

    Il m'a appelé hier après midi, j'en étais tout surpris d'entendre sa voix... j'étais vraiment ailleurs ces derniers jours...

    On s'est vu le soir, on est allé boire et jouer au billard, comme d'habitude... Moi ça me faisait bizarre d'entendre tout ce bruit, tous ces gens autour de moi, mais je pense que ça m'a fait du bien.

    Par contre je n'ai pas trop bu, j'avais un peu peur de trop boire vu les idées que j'ai dans la tête en ce moment.

    Xavier a passé de bonnes vacances... Quand il m'a demandé ce que j'ai fais de mon côté pendant ces deux semaines, je lui ai dit que j'ai passé mon temps à faire du vélo, à jouer aux jeux vidéos et à lire... : J'ai préféré ne pas lui parler de Bagherra et de tout ce que j'avais en tête.

    Vers une heure du matin, en rentrant à la maison, je suis passé la voir, j'ai planté le tuyau, je n'ai encore rien entendu et puis j'ai fini par pleurer : J'aimerais ne plus penser à tout ça, vivre comme avant... J'en viens à regretter ce jour où mes parents m'ont donné un chat...



    Mercredi 18 août 2004



    Je n'y comprends plus rien ! J'en peux plus ! Pourquoi ? Mais bon sang pourquoi elle ne miaule plus ?!

    Ca fait maintenant quatre jours que tous les soirs je plante mon tuyau et que je lui parle, à chaque fois je lui fais passer un peu de croquettes et du lait... Pourquoi je ne l'entends pas ?!

    Ma pauvre petite, là toute seule dans son trou...

    Mais je continuerais à y aller, je suis sûr de l'avoir entendu miauler, j'en suis certain ! Elle va bien finir par se manifester de nouveau !



    Jeudi 19 août 2004



    Et si j'avais mal entendu la fois où j'ai cru l'entendre miauler ?

    Ce soir encore aucun son n'est sorti de sa tombe... je lui ai encore fais passer un peu de croquettes et un verre de lait.

    Je me suis risqué à sentir l'air qui venait de tuyau, et ça ne sentait pas bon... : un mélange de viande pourrie et de lait rance.



    Vendredi 20 août 2004



    Cette nuit je suis encore allé lui parler et lui donner à manger par le tuyau... L'odeur que j'y ai encore senti me fait peur.

    Elle ne répond toujours pas : Je donnerais tout ce que j'ai pour l'entendre de nouveau miauler... Mais je ne sais même plus très bien si je l'ai vraiment entendu la dernière fois.

    Je me sens paumé.



    Samedi 21 août 2004



    Mathieu vient de m'appeler ! Il est rentré de vacances ! Ca me fait bien plaisir qu'il soit de retour ! On a prévu de se voir ce soir, Xavier sera avec nous aussi. Je ne sais pas si je pourrais leur parler de tout ce qui m'arrive en ce moment... D'un autre côté je vais toujours aussi mal, et je me dis qu'il faut que j'en parle à quelqu'un... et eux, ils comprendront peut-être.



    Dimanche 22 août 2004



    Je ne sais pas par quoi commencer...

    Hier avec Mathieu et Xavier j'ai beaucoup bu, vraiment beaucoup... Du coup avec l'effet de l'alcool je me suis lâché : j'ai dis tout ce que j'avais en tête, j'étais complètement abattu, et les mots sortaient, s'enfuyaient de ma bouche sans que je puisse m'arrêter. Je leur ai tout déballé : Les miaulements que j'avais crus entendre, le tuyau, et tout le reste... Ils ont été assez gentils avec moi, il faut dire qu'ils étaient bien amochés aussi, je n'avais pas été le seul à boire. On est sorti dehors, ils m'ont assis sur un banc dans le jardin public qui n'était pas trop loin. On a fumé clope sur clope, ils ont cherché à me remonter le moral, à me dire qu'il fallait que je pense à autre chose... mais je me suis borné à mon désespoir et à ma peur. Vers les trois heures du matin, ils ont dû en avoir marre, et ont prétextés de devoir rentrer chez eux. Alors on s'est séparés, et moi je suis donc rentré à la maison.

    En titubant, encoure bien saoul, je suis allé jusqu'au fond du jardin, et je me suis écroulé devant le petit monticule de terre. Je pense que j'ai bien dû rester allongé au moins une heure comme ça, je me sentais vraiment mal : Encore bien bourré quand même, les souvenirs de Bagherra n'arrêtaient pas de venir me torturer l'esprit, je sombrais dans un tourment incontrôlable, tout seul affalé par terre dans le jardin.

    Encore complètement submergé par la tristesse, je crus entendre de nouveau des miaulements. Je me suis figé, j'ai senti mon cœur battre la chamade, et j'ai écouté attentivement, mais cela ne me faisait aucun doute : j'entendais bien des miaulements... des miaulements qui provenaient du trou ! Pris de panique, ne sachant plus quoi penser, entre le bonheur et la terreur, encore à moitié sous l'effet de l'alcool. Je suis alors rentré d'un pas précipité chez moi, j'ai été prendre une pelle dans le garage, et j'ai creusé, j'ai déterré la boîte, j'ai déterré Bagherra.

    Mon dieu, c'était horrible, la boîte à chaussure était toute cabossée, le couvercle était tout défoncé, le carton était imbibé d'humidité, et commençait à se décomposer. Je me suis penché sur le trou et j'ai touché le couvercle : il était tout humide et mou. Je l'ai soulevé, et je ne voudrais plus jamais, oh non, plus jamais voir ce que j'ai vu : Bagherra était morte, oui belle et bien morte ! Son corps recroquevillé n'avait pas bougé, il y avait de la terre... non... de la boue dans tout le fond de la boîte... il y avait des croquettes un peu partout, l'odeur de lait rance était insupportable ainsi que l'odeur de viande pourrie, elle m'envahissait les narines... Bagherra gisait là-dedans, son poil n'était plus brillant, mais mat et tout couvert de boue, ses yeux étaient ouverts, et ils ne brillaient plus du tout, ils paraissaient tout flétris. Avec horreur, j'ai remarqué que son ventre était ouvert... et bon dieu, il y avait un ver de terre qui entrait par le trou ! Et cette odeur, cette odeur devenait insupportable... et le ver de terre entrait tranquillement dans le ventre de mon petit chat... et d'un coup j'ai vomi. J'ai vomi dans le trou... enfin sur le bord je crois bien, j'ai juste eu le temps de me décaler un peu avant que ça ne sorte... Je me suis relevé, les yeux fermés, n'osant plus voir tout ça. Je pleurais, j'avais envie de hurler, mais je ne pouvais pas, il ne fallais pas, je devait taire tout ça, ou on m'aurais pris pour un détraqué... Je n'osais plus regarder vers le trou... Alors sans le regarder je l'ai rebouché, j'ai bien tassé la terre, et puis je me suis assis par terre, et j'ai pleuré... Vers six heures, j'ai ramassé la pelle, et je suis rentré dans ma chambre, silencieusement... J'ai entendu mon père se lever une heure après...

    Ni lui ni ma mère n'ont rien dis là-dessus aujourd'hui, ils m'ont juste demandé si j'avais bien fait la fête cette nuit. Ils m'ont aussi prévenu que je devrais peut-être reprendre un rythme plus régulier car l'école ne va pas trop tarder à redémarrer. Ils n'ont donc sûrement rien entendu, tant mieux pour moi.

    Je ne sais plus quoi faire ou quoi penser, je n'ai pas faim, j'ai l'estomac noué : Je me suis forcé à manger ce soir, et je n'ai envie de rien... j'ai juste toutes ces images horribles dans la tête.

    J'ai mal pour Bagherra... ça fait maintenant un mois jour pour jour qu'elle est morte.



    Lundi 23 août 2004



    Aujourd'hui j'ai revu Mathieu et Xavier... je leur ai dit que j'étais trop bourré samedi soir et que j'ai peut-être démesurément exagéré ce que j'ai dit : Ils m'ont répondu qu'ils se sentaient soulagés, parce que mon comportement de la dernière fois les avait inquiétés... La vérité est que ce soir-là j'avais exprimé ce que j'avais en tête, l'alcool ne m'avait pas fait exagérer les choses, mais avait plutôt ouvert les vannes à ce trop plein que j'avais en tête...

    Mais bon, il valait mieux que je désamorce tout ça... de toute façon ils ne comprennent pas.

    J'ai toujours mal au ventre quand je repense à ce que j'ai vu en la déterrant : son image me torture, je n'arrive pas à arrêter d'y penser... Je commence aussi à me dire que je finirai comme ça un jour et ça me terrifie.



    Mardi 24 août 2004



    Cette nuit j'ai pleuré... Je pensais à Bagherra, et puis j'ai pensé à moi... Une vision affreuse m'est venue à l'esprit : Je me sentais bien vivant là, maintenant, et j'imaginais que dans cent ans, par exemple, ce serait le néant pour moi : je serais mort, enterré comme Bagherra, et tout serait noir, ce serait le néant... le vide. Cette vision m'emportait dans un vertige qui m'épouvantait : le vide, le néant... Je ne veux pas, j'ai peur de mourir...



    Jeudi 26 août 2004



    Je n'en peux plus... je viens encore de pleurer, seul, en silence, dans ma chambre. Tout me paraît si triste, tout me semble si futile, si inutile... de toute façon quoi que je fasse, je mourrais tous tôt ou tard. Je ressens maintenant souvent ce vertige face à cette idée de vide et de néant après ma mort... Tout ce que je ressens aujourd'hui, tout ce que j'entends ou vois... tout cela ne sera plus... Cette idée m'insupporte... Je voudrais que tout ça sorte de ma tête : Ca devient obsédant, je ne sais plus quoi faire, je ne sais pas à qui en parler...

    C'est comme si la mort de Bagherra m'avait fait prendre conscience que j'étais mortel.



    Samedi 28 août 2004



    Mes potes m'ont proposé de sortir ce soir : C'est l'avant dernier week-end avant la rentrée... purée l'école va reprendre dans neuf jours ! En plus cette année, c'est la terminale, avec le bac à la fin... Il va falloir bosser. Je commence déjà à avoir peur de l'échec, j'ai du mal à me dire que je vais pouvoir réussir à travailler dans mon état d'esprit. Déjà que l'année dernière je suis passé tout juste... Et puis, je ne sais même pas ce que je ferais après mon bac. Pourtant il faut que je choisisse cette année : Que je choisisse dans quelle filière, dans quelle école je vais aller... que je choisisse mon avenir... Mais je n'arrête pas de me dire qu'au bout, de toute façon, c'est le néant, la mort. Alors à quoi tout ça va me servir ?



    Lundi 30 août 2004



    C'est bizarre, il y en a qui à l'adolescence se suicident... ils sont déprimés, et se suicident... Alors est-ce que je suis vraiment déprimé ?... Parce que je n'ai vraiment pas envie de mourir, justement, je ne veux absolument pas mourir !

    J'ai mal, j'ai très mal d'avoir perdu Bagherra, et je suis terrifié à l'idée de ma mort, mais est-ce que je suis déprimé...

    ... ou est ce juste que je suis maintenant conscient de ma condition ?



    Mercredi 01 Septembre 2004



    Hier j'étais à boire avec Mathieu et Xavier, d'un coup je me suis mis à penser aux années que j'avais encore à vivre... J'ai dix-sept ans : Imaginons que je meure, à, disons... soixante-dix ans : il m'en reste cinquante-trois à vivre ! Ca fait plus de trois fois ce que j'ai déjà vécu !



    Jeudi 02 septembre 2004



    Même, si je ne vis pas jusqu'à soixante-dix ans... purée ! là je suis vivant ! Et tant que je le suis, je peux en profiter...

    De toute manière je ne peux rien contre ma mort... Elle est là, et aller pleurer n'y changera rien... Mais en attendant je peux peut-être mieux profiter de ma vie...



    Dimanche 05 septembre 2004



    J'ai préparé mon sac pour l'école, ça commence demain... Maintenant je me sens mieux, j'ai presque hâte d'y être : Cette année je décroche mon bac, et après je pars d'ici ! Je partirai faire mes études ailleurs : j'irai à la ville, j'irai connaître pleins de gens ! Bordel, tant qu'à faire autant en profiter ! Je commence aussi à réfléchir au métier que je vais faire : Autant faire un métier qui me plait, ça n'en sera que mieux ! J'ai envie de faire pleins de choses, que ma vie ne soit pas inutile... Un jour je mourrai, c'est comme ça ! c'est ainsi... et en même temps c'est une force... Une force qui va peut-être me donner l'envie d'avancer... Avancer tant que je le peux : Etre conscient de ma mortalité me pousse à profiter de la vie qui m'est offerte... C'est vrai que je me dis que je ne sais pas ce qu'il y a après la vie... Mais justement je ne sais pas, et je n'arriverai jamais à le savoir et à en être sûr... alors autant profiter de la vie, au moins je sais qu'elle est là... même si je sais qu'elle ne durera pas.

    on, plus jamais voir ce que j'ai vu : Bagherra était morte, oui belle et bien morte ! Son corps recroquevillé n'avait pas bougé, il y avait de la terre... non... de la boue dans tout le fond de la boîte... il y avait des croquettes un peu partout, l'odeur de lait rance était insupportable ainsi que l'odeur de viande pourrie, elle m'envahissait les narines... Bagherra gisait là-dedans, son poil n'était plus brillant, mais mat et tout couvert de boue, ses yeux étaient ouverts, et ils ne brillaient plus du tout, ils paraissaient tout flétris. Avec horreur, j'ai remarqué que son ventre était ouvert... et bon dieu, il y avait un ver de terre qui entrait par le trou ! Et cette odeur, cette odeur devenait insupportable... et le ver de terre entrait tranquillement dans le ventre de mon petit chat... et d'un coup j'ai vomi. J'ai vomi dans le trou... enfin sur le bord je crois bien, j'ai juste eu le temps de me décaler un peu avant que ça ne sorte... Je me suis relevé, les yeux fermés, n'osant plus voir tout ça. Je pleurais, j'avais envie de hurler, mais je ne pouvais pas, il ne fallais pas, je devait taire tout ça, ou on m'aurais pris pour un détraqué... Je n'osais plus regarder vers le trou... Alors sans le regarder je l'ai rebouché, j'ai bien tassé la terre, et puis je me suis assis par terre, et j'ai pleuré... Vers six heures, j'ai ramassé la pelle, et je suis rentré dans ma chambre, silencieusement... J'ai entendu mon père se lever une heure après...

    Ni lui ni ma mère n'ont rien dis là-dessus aujourd'hui, ils m'ont juste demandé si j'avais bien fait la fête cette nuit. Ils m'ont aussi prévenu que je devrais peut-être reprendre un rythme plus régulier car l'école ne va pas trop tarder à redémarrer. Ils n'ont donc sûrement rien entendu, tant mieux pour moi.

    Je ne sais plus quoi faire ou quoi penser, je n'ai pas faim, j'ai l'estomac noué : Je me suis forcé à manger ce soir, et je n'ai envie de rien... j'ai juste toutes ces images horribles dans la tête.

    J'ai mal pour Bagherra... ça fait maintenant un mois jour pour jour qu'elle est morte.



    Lundi 23 août 2004



    Aujourd'hui j'ai revu Mathieu et Xavier... je leur ai dit que j'étais trop bourré samedi soir et que j'ai peut-être démesurément exagéré ce que j'ai dit : Ils m'ont répondu qu'ils se sentaient soulagés, parce que mon comportement de la dernière fois les avait inquiétés... La vérité est que ce soir-là j'avais exprimé ce que j'avais en tête, l'alcool ne m'avait pas fait exagérer les choses, mais avait plutôt ouvert les vannes à ce trop plein que j'avais en tête...

    Mais bon, il valait mieux que je désamorce tout ça... de toute façon ils ne comprennent pas.

    J'ai toujours mal au ventre quand je repense à ce que j'ai vu en la déterrant : son image me torture, je n'arrive pas à arrêter d'y penser... Je commence aussi à me dire que je finirai comme ça un jour et ça me terrifie.



    Mardi 24 août 2004



    Cette nuit j'ai pleuré... Je pensais à Bagherra, et puis j'ai pensé à moi... Une vision affreuse m'est venue à l'esprit : Je me sentais bien vivant là, maintenant, et j'imaginais que dans cent ans, par exemple, ce serait le néant pour moi : je serais mort, enterré comme Bagherra, et tout serait noir, ce serait le néant... le vide. Cette vision m'emportait dans un vertige qui m'épouvantait : le vide, le néant... Je ne veux pas, j'ai peur de mourir...



    Jeudi 26 août 2004



    Je n'en peux plus... je viens encore de pleurer, seul, en silence, dans ma chambre. Tout me paraît si triste, tout me semble si futile, si inutile... de toute façon quoi que je fasse, je mourrais tous tôt ou tard. Je ressens maintenant souvent ce vertige face à cette idée de vide et de néant après ma mort... Tout ce que je ressens aujourd'hui, tout ce que j'entends ou vois... tout cela ne sera plus... Cette idée m'insupporte... Je voudrais que tout ça sorte de ma tête : Ca devient obsédant, je ne sais plus quoi faire, je ne sais pas à qui en parler...

    C'est comme si la mort de Bagherra m'avait fait prendre conscience que j'étais mortel.



    Samedi 28 août 2004



    Mes potes m'ont proposé de sortir ce soir : C'est l'avant dernier week-end avant la rentrée... purée l'école va reprendre dans neuf jours ! En plus cette année, c'est la terminale, avec le bac à la fin... Il va falloir bosser. Je commence déjà à avoir peur de l'échec, j'ai du mal à me dire que je vais pouvoir réussir à travailler dans mon état d'esprit. Déjà que l'année dernière je suis passé tout juste... Et puis, je ne sais même pas ce que je ferais après mon bac. Pourtant il faut que je choisisse cette année : Que je choisisse dans quelle filière, dans quelle école je vais aller... que je choisisse mon avenir... Mais je n'arrête pas de me dire qu'au bout, de toute façon, c'est le néant, la mort. Alors à quoi tout ça va me servir ?



    Lundi 30 août 2004



    C'est bizarre, il y en a qui à l'adolescence se suicident... ils sont déprimés, et se suicident... Alors est-ce que je suis vraiment déprimé ?... Parce que je n'ai vraiment pas envie de mourir, justement, je ne veux absolument pas mourir !

    J'ai mal, j'ai très mal d'avoir perdu Bagherra, et je suis terrifié à l'idée de ma mort, mais est-ce que je suis déprimé...

    ... ou est ce juste que je suis maintenant conscient de ma condition ?



    Mercredi 01 Septembre 2004



    Hier j'étais à boire avec Mathieu et Xavier, d'un coup je me suis mis à penser aux années que j'avais encore à vivre... J'ai dix-sept ans : Imaginons que je meure, à, disons... soixante-dix ans : il m'en reste cinquante-trois à vivre ! Ca fait plus de trois fois ce que j'ai déjà vécu !



    Jeudi 02 septembre 2004



    Même, si je ne vis pas jusqu'à soixante-dix ans... purée ! là je suis vivant ! Et tant que je le suis, je peux en profiter...

    De toute manière je ne peux rien contre ma mort... Elle est là, et aller pleurer n'y changera rien... Mais en attendant je peux peut-être mieux profiter de ma vie...



    Dimanche 05 septembre 2004



    J'ai préparé mon sac pour l'école, ça commence demain... Maintenant je me sens mieux, j'ai presque hâte d'y être : Cette année je décroche mon bac, et après je pars d'ici ! Je partirai faire mes études ailleurs : j'irai à la ville, j'irai connaître pleins de gens ! Bordel, tant qu'à faire autant en profiter ! Je commence aussi à réfléchir au métier que je vais faire : Autant faire un métier qui me plait, ça n'en sera que mieux ! J'ai envie de faire pleins de choses, que ma vie ne soit pas inutile... Un jour je mourrai, c'est comme ça ! c'est ainsi... et en même temps c'est une force... Une force qui va peut-être me donner l'envie d'avancer... Avancer tant que je le peux : Etre conscient de ma mortalité me pousse à profiter de la vie qui m'est offerte... C'est vrai que je me dis que je ne sais pas ce qu'il y a après la vie... Mais justement je ne sais pas, et je n'arriverai jamais à le savoir et à en être sûr... alors autant profiter de la vie, au moins je sais qu'elle est là... même si je sais qu'elle ne durera pas.

    regarder vers le trou... Alors sans le regarder je l'ai rebouché, j'ai bien tassé la terre, et puis je me suis assis par terre, et j'ai pleuré... Vers six heures, j'ai ramassé la pelle, et je suis rentré dans ma chambre, silencieusement... J'ai entendu mon père se lever une heure après...

    Ni lui ni ma mère n'ont rien dis là-dessus aujourd'hui, ils m'ont juste demandé si j'avais bien fait la fête cette nuit. Ils m'ont aussi prévenu que je devrais peut-être reprendre un rythme plus régulier car l'école ne va pas trop tarder à redémarrer. Ils n'ont donc sûrement rien entendu, tant mieux pour moi.

    Je ne sais plus quoi faire ou quoi penser, je n'ai pas faim, j'ai l'estomac noué : Je me suis forcé à manger ce soir, et je n'ai envie de rien... j'ai juste toutes ces images horribles dans la tête.

    J'ai mal pour Bagherra... ça fait maintenant un mois jour pour jour qu'elle est morte.



    Lundi 23 août 2004



    Aujourd'hui j'ai revu Mathieu et Xavier... je leur ai dit que j'étais trop bourré samedi soir et que j'ai peut-être démesurément exagéré ce que j'ai dit : Ils m'ont répondu qu'ils se sentaient soulagés, parce que mon comportement de la dernière fois les avait inquiétés... La vérité est que ce soir-là j'avais exprimé ce que j'avais en tête, l'alcool ne m'avait pas fait exagérer les choses, mais avait plutôt ouvert les vannes à ce trop plein que j'avais en tête...

    Mais bon, il valait mieux que je désamorce tout ça... de toute façon ils ne comprennent pas.

    J'ai toujours mal au ventre quand je repense à ce que j'ai vu en la déterrant : son image me torture, je n'arrive pas à arrêter d'y penser... Je commence aussi à me dire que je finirai comme ça un jour et ça me terrifie.



    Mardi 24 août 2004



    Cette nuit j'ai pleuré... Je pensais à Bagherra, et puis j'ai pensé à moi... Une vision affreuse m'est venue à l'esprit : Je me sentais bien vivant là, maintenant, et j'imaginais que dans cent ans, par exemple, ce serait le néant pour moi : je serais mort, enterré comme Bagherra, et tout serait noir, ce serait le néant... le vide. Cette vision m'emportait dans un vertige qui m'épouvantait : le vide, le néant... Je ne veux pas, j'ai peur de mourir...



    Jeudi 26 août 2004



    Je n'en peux plus... je viens encore de pleurer, seul, en silence, dans ma chambre. Tout me paraît si triste, tout me semble si futile, si inutile... de toute façon quoi que je fasse, je mourrais tous tôt ou tard. Je ressens maintenant souvent ce vertige face à cette idée de vide et de néant après ma mort... Tout ce que je ressens aujourd'hui, tout ce que j'entends ou vois... tout cela ne sera plus... Cette idée m'insupporte... Je voudrais que tout ça sorte de ma tête : Ca devient obsédant, je ne sais plus quoi faire, je ne sais pas à qui en parler...

    C'est comme si la mort de Bagherra m'avait fait prendre conscience que j'étais mortel.



    Samedi 28 août 2004



    Mes potes m'ont proposé de sortir ce soir : C'est l'avant dernier week-end avant la rentrée... purée l'école va reprendre dans neuf jours ! En plus cette année, c'est la terminale, avec le bac à la fin... Il va falloir bosser. Je commence déjà à avoir peur de l'échec, j'ai du mal à me dire que je vais pouvoir réussir à travailler dans mon état d'esprit. Déjà que l'année dernière je suis passé tout juste... Et puis, je ne sais même pas ce que je ferais après mon bac. Pourtant il faut que je choisisse cette année : Que je choisisse dans quelle filière, dans quelle école je vais aller... que je choisisse mon avenir... Mais je n'arrête pas de me dire qu'au bout, de toute façon, c'est le néant, la mort. Alors à quoi tout ça va me servir ?



    Lundi 30 août 2004



    C'est bizarre, il y en a qui à l'adolescence se suicident... ils sont déprimés, et se suicident... Alors est-ce que je suis vraiment déprimé ?... Parce que je n'ai vraiment pas envie de mourir, justement, je ne veux absolument pas mourir !

    J'ai mal, j'ai très mal d'avoir perdu Bagherra, et je suis terrifié à l'idée de ma mort, mais est-ce que je suis déprimé...

    ... ou est ce juste que je suis maintenant conscient de ma condition ?



    Mercredi 01 Septembre 2004



    Hier j'étais à boire avec Mathieu et Xavier, d'un coup je me suis mis à penser aux années que j'avais encore à vivre... J'ai dix-sept ans : Imaginons que je meure, à, disons... soixante-dix ans : il m'en reste cinquante-trois à vivre ! Ca fait plus de trois fois ce que j'ai déjà vécu !



    Jeudi 02 septembre 2004



    Même, si je ne vis pas jusqu'à soixante-dix ans... purée ! là je suis vivant ! Et tant que je le suis, je peux en profiter...

    De toute manière je ne peux rien contre ma mort... Elle est là, et aller pleurer n'y changera rien... Mais en attendant je peux peut-être mieux profiter de ma vie...



    Dimanche 05 septembre 2004



    J'ai préparé mon sac pour l'école, ça commence demain... Maintenant je me sens mieux, j'ai presque hâte d'y être : Cette année je décroche mon bac, et après je pars d'ici ! Je partirai faire mes études ailleurs : j'irai à la ville, j'irai connaître pleins de gens ! Bordel, tant qu'à faire autant en profiter ! Je commence aussi à réfléchir au métier que je vais faire : Autant faire un métier qui me plait, ça n'en sera que mieux ! J'ai envie de faire pleins de choses, que ma vie ne soit pas inutile... Un jour je mourrai, c'est comme ça ! c'est ainsi... et en même temps c'est une force... Une force qui va peut-être me donner l'envie d'avancer... Avancer tant que je le peux : Etre conscient de ma mortalité me pousse à profiter de la vie qui m'est offerte... C'est vrai que je me dis que je ne sais pas ce qu'il y a après la vie... Mais justement je ne sais pas, et je n'arriverai jamais à le savoir et à en être sûr... alors autant profiter de la vie, au moins je sais qu'elle est là... même si je sais qu'elle ne durera pas.
     
     
     
     
     
     
     

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    Cette chose attend que j'éteigne

     

    Cette chose attend que j'éteigne

     

     
     
     
     

     

    Marie,



    S'il te plait, je t'en supplie Marie, lis les mots qui vont suivre. Je n'ai pas arrêté d'essayer de t'appeler cette après-midi : tu ne m'as même pas laissé le temps de m'expliquer ! Comme tu as dû débrancher ton téléphone (vu que tu ne réponds plus du tout), j'ai décidé de t'envoyer cette lettre. Je t'écris depuis la chambre de l'hôpital psychiatrique où l'on m'a interné aujourd'hui. Ca ne va pas du tout pour moi, il faut que tu m'écoutes, s'il te plait ne jette pas cette lettre avant d'avoir fini de la lire.

    Si cette lettre est écrite au crayon-feutre c'est parce que les médecins ne veulent pas me donner de crayon à bille ou à plume : ils ont peur que je me fasse du mal avec. Ils n'arrêtent pas de dire que je me suis automutilé cette nuit chez moi, mais ça n'est pas vrai ! ils ne croient pas ce que je leur dis ! Il y a un quart d'heure ils m'ont coupé les ongles tellement courts que ça a saigné un peu : Ils disent que comme ça je ne pourrais pas m'infliger de griffures et d'écorchures supplémentaires. Le psychiatre à l'air de dire que je vis mal notre séparation, mais qu'est ce qu'il en sait !

    Je ne veux pas rester ici. D'accord je ne vais pas vraiment bien, mais je suis sûr que je ne suis pas fou ! et qui à part toi pourrait m'aider à me faire sortir de là ? Tu es ma famille la plus proche depuis que mes parents sont décédés. Ça peut paraître un peu sordide ce que je vais te dire, mais tant qu'on a pas divorcé, s'il y a bien quelqu'un qui pourrait faire des démarches pour me sortir de là, c'est bien toi. Ecoutes, si tu ne le fais pas par souvenir de nous deux, alors fais moi sortir d'ici et je signe tout de suite les papiers du divorce. Ca va presque faire un mois maintenant que tu attends ça, hein ? Si tu me fais sortir de là, je les signe sur le champ.

    Je ne veux pas continuer à dégringoler comme ça : Si ça continue, si je ne retourne pas travailler, je vais en plus perdre mon boulot ! Déjà que ce mois-ci je n'y suis presque pas allé à cause de tout ça et du reste : En effet ces derniers temps il n'y a pas eu que notre séparation qui a été difficile, j'ai eu d'autres problèmes. Ca n'est pas évident à expliquer, et je ne sais pas comment te dire tout ce qui m'est arrivé, déjà que ces cons de toubibs ne veulent pas me croire, je me demande vraiment si tu me prendras aussi pour un fou, mais de toute façon au point où j'en suis...

    Bon, depuis le début du mois, après le week-end de la toussaint, enfin disons plutôt suite à notre ultime dispute, j'ai fini par dégotter un petit appartement après deux nuits d'hôtels : il était assez pourri, mais je pouvais le louer tout de suite. Puis j'ai donc pris mon jeudi pour venir chercher mes affaires : Excuse moi, mais à ce moment-là tu étais obligé d'être aussi désagréable avec moi ? Tu savais que je passais, alors tu as vraiment fais exprès d'avoir déjà quelqu'un d'autre à la maison ? Tu étais vraiment si pressée d'enterrer nos dix-huit ans de mariage ? Je ne te demandes pas non plus d'être éplorée et habillée en noir, mais là quand même... Tu ne peux pas savoir à quel point j'ai souffert toute la nuit qui suivit, j'étais anéanti. Le lendemain, je suis allé travailler, mais j'ai été voir Fred pour lui demander deux semaines de vacances : Je me sentais beaucoup trop mal pour pouvoir travailler, avec tout ça j'avais besoin de me mettre au vert et de m'aérer l'esprit. Bah ! tu connais un peu Frédéric, je t'en ai déjà parlé, il est souvent assez chiant pour accorder les congés, mais j'ai fini par le faire céder. Donc arrivé le vendredi soir je me retrouvais avec deux semaines de repos, j'avais trouvé une maison de vacances à louer dans un petit village près d'Albertville, en Savoie. Le lendemain midi je suis parti là-bas.

    Les tout premiers jours se passèrent bien, l'air de la campagne, le calme, loin de la ville : tout cela m'aidait à faire le point, et à mieux supporter la situation. Je passais mes journées à me promener dans la montagne, le soir j'allais dans le bistrot du bourg du village, et je me saoulais un petit peu avant de rentrer me coucher : je n'arrêtais pas malgré tout de ressasser le passé, de penser à nous.

    Durant la nuit du lundi au mardi je me suis réveillé en sursaut, j'ai poussé un cri tellement j'ai eu peur. Pendant mon sommeil j'ai eu l'impression qu'on me grattait sur le dessus de là tête, j'étais sûr qu'on m'avait gratté dans les cheveux. La sensation qui m'avait tiré du sommeil paraissait réelle, mais quand j'ai allumé la lumière, je n'ai rien vu, il n'y avait personne. Je suis resté un bon quart d'heure, lumière allumée, allongé dans mon lit à regarder au plafond avant de me décider à me rendormir. Sur le moment je me suis juste dis que ma dépression me faisait des tours... je le croyais, mais plus maintenant.

    Deux nuits plus tard je me suis réveillé en hurlant en plein milieu de la nuit pour la même raison : Je sentais qu'on me grattait sur le dessus du crâne. Je suis resté assis sur mon lit quelques minutes, je n'arrêtais pas de me dire que je perdais la boule. J'ai fini par allumer la télé et je me suis endormi devant. Au matin, les dessins animés pour enfant m'ont tiré du sommeil. A mon réveil, je me suis dit qu'il valait mieux que je ne consomme plus du tout d'alcools, fort de cette décision, je passai une bonne journée.

    Tu n'as sûrement pas peur dans le noir, non ? Je dois dire que moi aussi, cela faisait partie des peurs d'enfants qui m'avaient quittées avec le temps. Mais à cause de la nuit précédente, le soir arrivé, je n'avais pas trop envie d'aller me coucher. Il est vrai que j'avais envie de boire un peu, c'est vrai, mais j'avais surtout un peu peur. Une fois allongé, lumière éteinte, je me suis blotti dans les couvertures, je gardais les yeux bien clos, on aurait sûrement dit un enfant de cinq ans ! Je finis par m'endormir, mais d'un sommeil léger, sûrement à cause de la peur, et elle m'a été salvatrice : C'est sûrement à cause de cette crainte que je dormis d'un sommeil agité, et que je me suis réveillé plusieurs fois au milieu de la nuit. Ce devait être la troisième fois de la nuit que j'ouvrais l'œil : tout était plongé dans l'obscurité, on ne discernait qu'un léger trait de lumière à la jonction des volets qui laissaient filtrer un peu de la clarté de la lune du dehors. Au début, à moitié endormi, j'ai pensé que je devais être un peu pris à la gorge et que le son que j'entendais devait être le râle de ma respiration. Mais je respirais très bien, et plus qu'un râle j'entendais à présent clairement le son, non pas d'un râle, mais d'un grognement, comme celui d'un chien prêt à attaquer. Il provenait d'à côté de la porte de la chambre. Je me blottis encore plus fort dans mes couvertures : j'avais peur de bouger. Le grognement s'intensifia. Pris alors de panique, dans un mouvement incontrôlé je projetai ma main sur l'interrupteur de ma lumière de chevet, et allumais : Le grognement s'arrêta aussitôt, il n'y avait rien dans la chambre. J'ai gardé les lumières allumées toute la nuit.

    Il me fallut attendre jusqu'au petit matin avant de trouver le sommeil. J'ai dormi jusqu'en début d'après-midi, puis je suis allé au bistrot du coin : On était le samedi et il y avait un match de foot qui passait à la télé, du coup il y avait du monde et ça me rassurait d'entendre le brouhaha tout autour de moi : je me sentais en sécurité. Je me suis mis à boire, jusqu'au milieu de la nuit. Arrivé à la maison, même saoul, je ne me sentais pas très rassuré, je laissais les lumières de la chambre allumées avant de m'écrouler sur le lit. Le lendemain j'ai passé une bonne partie du dimanche à récupérer de ma gueule de bois, mais je me sentais, malgré cela, un peu plus serin : Il n'y avait rien eu de bizarre pendant la nuit.

    Le soir venu je me suis endormi avec la lumière allumée, j'étais rassuré par la lumière : J'avais l'impression de retourner en enfance, mais entre laisser les lumières allumées et ne pas dormir, mon choix avait été vite fait.

    Je me suis réveillé dans mon lit en hurlant, une douleur atroce au torse. J'étais plaqué sur le dos, on m'écrasait le ventre. La pièce était plongée dans le noir : La lumière, je ne savais comment, était éteinte. J'ai hurlé... oh ! ce que j'ai hurlé ! de douleur surtout, mais aussi d'effroi. Ce qui était sur moi hurlait aussi, enfin, plutôt émettait une espèce de « gggGGGoooOOOO » guttural, grave et puissant, rien que d'y penser, j'en ai des frissons. Je ne voyais rien, juste une ombre aux contours indéfinis au-dessus de moi. J'ai tendu le bras et essayé plusieurs fois d'allumer la lampe de chevet, mais sans résultat. Ensuite je ne sais pas comment j'ai fait pour me dégager, sûrement que la poussée d'adrénaline n'y a pas été pour rien, mais j'ai réussi à m'échapper de l'étreinte. J'ai couru hors de la chambre, ce qui était maintenant derrière moi s'est mis à hurler encore plus fort. Ce truc m'a poursuivi, je l'entendais juste derrière moi. Au moment où j'ai allumé la lumière, ça hurla, le cri fut déchirant, comme le hurlement d'une femme qui se fait agresser. Le temps que je fasse volte-face, le cri avait cessé et il n'y avait plus rien derrière moi.

    Comment te décrire l'état dans lequel je me trouvais après cela : Tu t'es déjà réveillé en sueur, parfois en hurlant après un cauchemar terrifiant, puis d'un coup tu réalises que tu es au chaud, en sécurité dans ton lit ? Eh bien là c'était l'inverse, je me croyais au calme, en sécurité, et je me suis fait agresser : j'étais complètement terrifié, il n'y avait plus de lumière et je ne voyais donc rien quand c'était arrivé, et ce... cette chose me labourait le torse. Quand c'est parti je suis resté dans le couloir, la main sur l'interrupteur. Je suis resté comme ça jusqu'au petit matin, je ne voulais plus bouger, je ne pouvais plus dormir : j'avais trop peur.

    Je suis retourné dans la chambre à la lumière du jour : j'ai compris pourquoi la lumière était éteinte quand c'était arrivé : La maison datait pas mal, et les fils électriques ne passaient pas par les murs, mais le long de la plinthe : Ils avaient été déchiquetés juste avant l'entrée dans la chambre.

    On était le lundi, j'avais encore devant moi un peu moins d'une semaine de location de la petite maison de vacances, mais je ne voulais plus rester là. Franchement je ne savais pas ce qu'il y avait de bizarre dans ce village, mais je n'aurais pas voulu aller mener l'enquête auprès des habitants : Ils m'auraient sûrement cru fou, et je ne serais de toute façon pas resté une nuit de plus dans ce patelin.

    J'ai repris le bus puis le train le jour même : Plus je m'éloignais, mieux je me sentais : Toutes ces choses avaient eu lieu là-bas, et en partant je les laissaient derrière moi. Franchement je ne cherchais plus trop à savoir si j'étais fou ou si c'était vrai : j'avais peur, et je voulais retrouver ma sécurité et ma sérénité. Au moins l'avantage était que notre rupture me tracassait du coup beaucoup moins : Un souci en chasse un autre finalement !

    Mais deux nuits plus tard ça à repris : Je commençais tout juste à penser à autre chose, que ça reprenait. Je m'étais réveillé de nouveau à cause du grognement près de moi dans mon lit : Là encore complètement paniqué j'ai allumé la lumière, et tout c'est arrêté. J'avais peur, mais ce qui me rendait malade était que je n'avais pas pensé que ça m'aurait poursuivi.

    On était le mercredi et j'étais donc toujours en vacances, ça valait mieux car je ne devais pas être beau à voir : Je n'avais pas dormi de tout le reste de la nuit, j'avais bu tout ce qui me restait de whisky, je restais juste assis sur le bord de mon matelas à me demander désespérément ce que je pouvais faire, et à qui je pourrais demander de l'aide. Plus j'y pensais et plus je pouvais constater que j'étais vraiment seul, je ne voyais personne en qui j'avais assez confiance pour lui déballer tous ces trucs de dingues. A part toi et les enfants j'ai vraiment l'impression que je n'ai plus grand monde que je connaisse bien et sur qui je puisse compter.

    Pour la nuit suivante j'ai rallumé les lumières dans ma chambre, j'avais bien vérifié que le fil passait dans le mur, mais c'est le cas pour toutes les constructions d'aujourd'hui. J'avais vraiment peur de la nuit qui allait venir, je ne savais plus trop quoi faire, au final pour me rassurer un peu plus, j'ai scotché les interrupteurs dans ma chambre à grosses doses de chatterton.

    Durant la nuit je dormis par intermittence, à penser et à ressasser sans fin ce qui m'arrivait. Vers les trois heures du matin, j'eus envie d'uriner : Je me levais, ouvris la porte de ma chambre, entrai dans le couloir. Mon sang se glaça quand j'entendis le rugissement sourd sur ma droite, j'eus à peine le temps de bouger qu'une douleur fulgurante me fit hurler. Je bondis sur l'interrupteur, la lumière s'alluma, le même cri aigu de la dernière nuit dans la maison de campagne résonna, puis plus rien. Je suis resté assis sur le sol, adossé au mur, ma cuisse saignant lentement par la longue plaie que ça m'avait infligée. J'avais vraiment mal, et je me sentais complètement abasourdi par cette agression foudroyante que je venais de subir. Je me suis dit que les gens qui se font agresser dans la rue devaient ressentir un sentiment de dénuement avoisinant. Au bout de dix minutes je me suis décidé à aller dans la salle de bain pour soigner ma blessure.

    Disons que si les jours précédents je doutais encore que ça craignait la lumière, j'en étais complètement sûr après cette nuit-là : La lumière n'était allumée que dans ma chambre quand c'était arrivé. J'en ai déduit que ça m'avait attendu juste en dehors, je ne l'avais vraiment pas vu venir quand ça m'avait sauté dessus : Au moins j'étais quasi persuadé qu'à la lumière j'étais en sécurité. Après m'être désinfecté et bandé ma cuisse, j'ai bien pensé à appeler la police, mais pour leur dire quoi ? Qu'un monstre me saute dessus quand je dors la nuit ? J'ai failli aussi t'appeler à ce moment-là, j'aurais peut-être dû, mais je ne voulais pas empirer davantage la situation entre nous. Il faut croire que j'avais encore un espoir qu'on puisse se remettre ensembles : Et je te rassure, si aujourd'hui je t'écris, c'est pour demander ton aide, juste ça, pas plus, juré.

    Après réflexion, vu qu'à la lumière j'étais en sécurité, je suis allé acheter de gros rouleaux de chatterton, j'ai allumé toutes les lumières de l'appartement et j'ai abondement scotché les interrupteurs, je n'y étais pas allé de main morte : Ca avait marché pour ma chambre, donc je me disais que ça marcherait aussi pour le reste de l'appartement, et j'avais raison.

    De nouveau je dormis paisiblement. La première nuit, j'eus des craintes, mais il ne se passa rien, cela me rassura et je m'endormis assez sereinement les nuits suivantes. Mes congés touchaient doucement à leur fin, je commençais à repenser au boulot, à notre séparation, à me dire que j'avais peut-être un peu perdu la tête avec les agressions que je subissais la nuit : Je ne leur trouvais pas d'explication, je finis par admettre un peu l'idée que tout ça puisse se passer dans ma tête. J'ai failli t'appeler le week-end pour passer te voir afin qu'on décide des dates pour aller en finir avec notre mariage : vu que tout ça me faisait perdre la boule, je voulais que ça s'arrête au plus vite. Mais je n'ai rien fait, je suis resté tranquillement chez moi tout le week-end, à attendre le lundi pour reprendre le travail. Je ne m'endormis pas trop tard le dimanche soir afin d'arriver en forme au boulot le lendemain.

    Bon dieu ! Je me suis réveillé en plein milieu de la nuit dans les ténèbres, tout était noir ! Je dis que je me suis réveillé, disons plutôt que je fus réveillé par ce qui était en train de me secouer comme un prunier, je hurlais de douleur : Ca m'agrippait, comme pris dans un étaux, je sentais ses griffes rentrer dans mes épaules. Ca me secouait avec une telle violence que quand ma tête heurta le montant du lit, je crus bien m'évanouir. Le son que ça émettait, le « ggggGGGoooOOO » grave et guttural, fit place à des grognements dès que j'ai commencé à me débattre. J'ai essayé de donner des coups de pieds, mais ça me tenait par les épaules et je ne pouvais rien faire. Alors prenant appui sur mes jambes, j'ai tenté de me dégager en pivotant sur moi-même : j'ai eu très mal, les griffes m'ont littéralement déchiré les épaules quand je me suis arraché de sa prise. Je reculai vers le pied de lit, je sentis une douleur atroce me parcourir le dos, j'entendais maintenant derrière moi comme le hurlement d'un cochon qu'on égorge, j'étais complètement terrorisé. Je courus hors de la chambre, il n'y avait pas de lumière dans le couloir. Je me jetai sur l'interrupteur, mais rien ne s'alluma ! Pris de panique, entendant ce qui était derrière moi approcher, je me précipitai dans le couloir de l'immeuble, j'allumai la lumière, qui marchait : J'entendis alors comme des petits cris de chien battu venant de mon appartement. J'étais nu, dans le couloir de l'étage de mon immeuble, les épaules et le dos gravement et profondément écorchés, avec ce truc dans mon appartement qui allait me sauter dessus dès que je me retrouverais dans le noir. Comment voulais-tu que j'aille voir un voisin pour lui dire ça et demander de l'aide ? Heureusement que la moquette du couloir était sombre, car je pense que sinon les voisins auraient vu au petit matin les taches de sang que j'avais laissées. Quant à moi j'avais décidé d'attendre que le jour arrive, je m'étais caché dans la cage d'escalier de l'immeuble : Je me suis dit que les gens prennent tous l'ascenseur et que je ne serais pas surpris si je restais là. Il faisait très froid, je n'en pouvais plus. Mon sang, qui avait fini par arrêter de s'écouler au bout d'un moment, avait tacheté le sol en béton. Je gardais le doigt pressé sur l'interrupteur, craignant plus que jamais de me retrouver dans l'obscurité. Pendant tout le temps où je suis resté là à attendre, je n'arrêtais pas de me demander comment ça avait pu tout éteindre dans l'appartement, pourquoi les lumières ne s'étaient pas allumées quand j'avais essayé.

    Quand j'entendis les premières personnes sortir de chez eux, cela faisait bien trois heures que j'étais dans la cage d'escalier, derrière la porte, nu, en chien de fusil, le bras tendu vers l'interrupteur pour tenir la lumière allumée. Principalement j'étais frigorifié, je tremblais de partout, et je crois bien que j'aurais fini par être en hypothermie si j'avais dû rester plus longtemps là. J'entrouvris donc la porte, jetai un oeil dans le couloir, il n'y avait personne, la porte de mon appartement était toujours ouverte, je voyais de la lumière : Je n'avais pas fermé les volets, et la lumière du jour éclairait maintenant mon appartement. Je courus jusqu'à l'entrée, ça n'avait plus l'air d'être là : je vérifiais qu'il n'y avait plus rien dans chaque pièce, attrapais ma couette au passage dans la chambre, retournais à l'entrée, fermais la porte et m'effondrais, le dos contre le mur de l'entrée. Je pleurais, j'étais épuisé, je me suis enroulé dans ma couette. Quelques minutes plus tard je m'endormais, derrière ma porte d'entrée, à même le sol, sanglotant encore.

    Je me suis réveillé un peu avant midi. J'avais le dos et les épaules en feu, je n'étais évidemment pas allé travailler, n'ayant pas encore le téléphone dans cet appartement de fortune, ils n'avaient aucun moyen de me contacter du travail. Mais ce n'était pas mon travail qui me tourmentait le plus, je voulais savoir pourquoi les lumières étaient toutes éteintes cette nuit quand je fus agressé. Je devais être vraiment complètement désorienté pour ne pas avoir compris plus tôt : Le compteur d'électricité était à l'intérieur de l'appartement, mais tout près de l'entrée... et il était coupé. Je ne sais pas comment ça a fait à cause de la lumière, mais ça c'était débrouillé. Une heure plus tard, je sortais dehors pour aller acheter des bougies, j'en profitais pour appeler au boulot et demander un jour de congé car je me sentais mal, mon patron n'était pas content. Après mes achats, je revins chez moi, avec un sac rempli de bougies.

    Avant que le soleil ne se couche, j'avais disposé les bougies un peu partout dans ma chambre. Leurs lumières, ajoutées à celles du plafond, emplissaient la chambre. Cela me rassurait, et même si le courant était coupé je n'aurais pas été pris au dépourvu. Malgré tout je n'arrivais pas trop à dormir.

    Il était deux heures du matin, je ne dormais toujours pas. J'entendis le « clac » du disjoncteur à m'entrée, les lumières s'éteignirent : C'était là, c'était encore venu. Je ne bougeais pas de mon lit, j'avais peur et je tremblais, mais avec les bougies ce n'était que la seule pièce éclairée, je n'allais donc pas sortir de là ! Sans surprise j'entendis son grognement rauque approcher de la porte, puis ça se mit à pousser de longs rugissements caverneux, ils s'accompagnaient de sifflements comme ceux de la respiration d'un asthmatique, j'étais terrifié : Je restais emmitouflé dans ma couette, n'osant plus bouger d'un pouce. Ca n'entra pas : Progressivement les cris redevinrent grognements, à cause de la lumière des bougies ça ne pouvait pas entrer. Même si j'avais toujours peur, je me sentais mieux, plus en sécurité.

    Au bout d'une demi-heure j'avais sombré dans un demi-sommeil, je poussais un petit cri de surprise quand je vis la porte de ma chambre s'entrebâiller doucement. Je vis alors passer le dossier d'une des chaises de la cuisine qui balaya les bougies près de la porte, puis le dossier battit en vain dans le vide pendant une bonne minute. Les grognements firent de nouveaux place aux longs cris graves et sifflants, j'étais encore blotti dans ma couette, d'où ne dépassaient que mes yeux, j'attendis comme cela jusqu'à six heures du matin. Ca avait encore essayé plusieurs fois de renverser d'autres bougies avec la chaise, mais toujours en vain. A six heures je m'endormais malgré sa présence derrière la porte de ma chambre : je l'entendais toujours grogner.

    Je me réveillais encore une fois vers midi, je mis bien une heure pour me préparer à sortir : Même si j'avais trouvé la parade, je m'alarmais déjà à l'idée de devoir dormir bougies allumées pour toutes les nuits à venir. Je fis quelques courses, j'achetais cette fois-ci un plus grand nombre de bougies, car elles avaient toutes fini de se consumer. Puis je suis allé à reculons dans une cabine téléphonique pour appeler à mon travail : J'eus droit à de sérieuses remontrances, je me confondis en excuses pour ce deuxième jour d'absence, mais je n'avais pas le choix, il fallait que je retourne au travail le lendemain. Je rentrais chez moi, une bougie allumée à la main, la peur au ventre, tourmenté par mes absences au travail, par notre rupture, complètement apeuré et fatigué. Tu sais Marie, je crois que c'est quand ça ne va pas comme ça que la solitude est la plus pesante.

    Même si ce ne fut pas de sommeil profond, je passais une nuit de repos presque complète. Au réveil, les bougies étaient toujours allumées, je n'avais pas entendu de grognements. Je suis allé manger un morceau de brioche et me fis un café, puis je suis allé prendre une douche : Je ne voulais pas être en retard pour reprendre mon travail, surtout que j'allais devoir subir les reproches de mes absences, rien que d'y penser cela me tracassait, mais de toute façon je ne pouvais pas y couper.

    Je suis allé prendre une chemise dans le placard mural de la chambre après ma douche. A peine j'avais entrebâillé la porte de la penderie qu'une main osseuse, grise et griffue surgit de l'entrebâillement et me saisis au poignet. Je n'ai pas eu le temps de comprendre ce qui m'arrivait, elle me tira avec une telle force et une telle violence vers le placard que je fus comme projeté contre la porte. Le choc m'étourdit, je n'avais plus la force ni la volonté de m'échapper, et de toute façon ça ne m'a pas laissé le temps de reprendre mes esprits. La main me tira pour me projeter une seconde fois sur la porte du placard et ma tête cogna cette fois-ci sur le coin de la porte. Je ressentis une décharge de douleur au crâne, tout devint sombre, j'entendis un bourdonnement dans mes oreilles, puis ce fut les ténèbres.

    Je ne pense pas être resté sans connaissance bien longtemps, tout au plus quelques secondes. Je suppose que je me suis réveillé à cause de la douleur : Je sentais ses coups de griffes me déchirer du haut du visage jusqu'au nombril, elle me labourait les chairs, la douleur était atroce, il faisait complètement noir autour de moi. Je voulus m'enfuir, je sentis la porte bouger, mais elle devait être fermée à clef car malgré mon insistance elle ne s'ouvrait pas. Sa patte fit un nouveau un passage complet de mon épaule gauche jusqu'au bas des mes côtes : je hurlais de douleur. Poussé par l'effroi je me projetais contre la porte, elle s'ouvrit en me laissant tomber sur le sol, je relevais la tête, les bougies étaient toujours là, allumées. J'avais du mal à garder les yeux ouverts car j'avais de la transpiration qui me coulait dans les yeux, je me passais alors la main sur le visage, puis l'examinai, elle était recouverte de mon sang. La douleur était atroce, je n'arrivais pas à dire où j'avais mal : tout le haut de mon corps n'était plus que douleur. Péniblement je me relevais, puis décidé à demander à l'aide je me dirigeais au dehors de mon appartement, j'avais du mal à marcher, je jetais un coup d'œil à mon ventre, il était couvert de sang, je réalisais que j'étais nu, mais je n'avais plus de forces, il fallait que je sorte. J'ouvris la porte d'entrée, je sortis en m'appuyant sur la poignée, je fis encore quelques pas en titubant dans le couloir avant de m'écrouler sur le sol. J'entendis une voix de femme dire « Oh, mon dieu », puis plus rien.

    Je me suis réveillé il y a quelques heures dans cette chambre, au début je ne sentais rien à cause des anti-douleurs, mais je pense que je vais maintenant en demander en plus pour passer la nuit car je commence à avoir mal. Je me suis regardé tout à l'heure dans une glace, ils m'ont bandé une bonne partie du visage : j'ai soulevé un peu les bandes pour regarder au-dessous, et ça n'était pas beau à voir : la peau est labourée. J'ai fini par pleurer tout en éclatant de rire en me disant que mon visage devait plus tenir du steackaché que de celui d'un homme ! Mon bras gauche, mon torse, et mon ventre sont bandés, je n'ai même pas regardé, de toute façon je sais dans quel état ils sont.

    Voilà donc où j'en suis depuis qu'on s'est quittés. j'ai besoin que tu viennes me tirer d'ici. Je ne vais pas...



    « Monsieur Le Bail ? »



    ... passer ma vie ici à bouffer leurs médic...



    « Monsieur Le Bail ?

    - Hmmm, heu, oui... heu... excusez-moi.

    - Monsieur le Bail, il est vingt et une heure, c'est l'heure de dormir.

    - Déjà ? Mais je n'ai pas fi...

    - Il faut aller dormir, c'est comme ça ici, c'est pareil pour tout le monde.

    - Mais ma lettre ?

    - Vous la finirez demain matin, vous pouvez la laisser sur la table, il ne lui arrivera rien vous savez !

    - Mais...

    - Allez Monsieur Le Bail ! Et vous devez prendre vos médicaments avant.

    - Mes médicaments ? j'ai juste mal...

    - Ca vous calmera aussi vos douleurs, et vous dormirez mieux »

    Il allait répondre, puis se ravisa, ça ne servait trop à rien de discuter avec l'infirmière, de toute évidence elle se bornait au règlement. Il se glissa dans le lit, habillé d'une de leur « robe de chambre » : un tablier en tissus, fermé à l'arrière par un nœud sur un petit cordon. Il se demanda si ça les excitait de voir ainsi les fesses des patients à nu toute la journée.

    « Voilà, maintenant prenez vos médicaments »

    L'infirmière tendit un gobelet au fond rempli de gélules, puis un autre repli d'eau. Il regarda l'infirmière pour lui demander s'il devait tout prendre. En voyant son regard fixé droit sur lui, il se ravisa et goba toutes les gélules puis les avala d'une rasade d'eau. Le visage de l'infirmière passa de l'agacement au sourire.

    « Eh bien voilà, quand vous voulez, vous y arrivez ! »

    Sans répondre, il tendit les deux gobelet vides à l'infirmière. Celle-ci les rangea sur son chariot puis le poussa jusqu'à la sortie de la chambre.

    « Non ! s'il vous plait ! J'ai besoin de la lumière. »

    L' infirmière gardait son doigt sur l'interrupteur.

    « Vous avez la veilleuse dans le couloir.

    - Oui, mais elle ne fera pas assez de lumière dans la chambre.

    - Bon, Monsieur Le Bail, vous allez dormir. Pour la lumière ce soir c'est non, vous demanderez demain matin au médecin.

    - Mais...

    - Allez dormez, demain vous en parlerez avec le docteur, en attendant j'éteins.

    - Mais...

    Elle éteignit la lumière puis sortit de la chambre sans même le regarder.



    La veilleuse du couloir produisait un peu de lumière, mais une bonne partie de la chambre restait plongée dans le noir. Il s'enfouit sous les couvertures, apeuré, à l'écoute de chaque son.

    Le sommeil commençait à le gagner, il luttait pour garder les yeux ouverts, il avait chaud sous les couvertures, il se sentait bien, détendu, comme dans du coton, il avait du mal à garder les yeux ouverts. Il avait chaud... il se sentait bien... il avait du mal à garder... comme dans du coton... il avait chaud... les yeux ouverts.

    « Hein ! »

    Il entendait distinctement le grognement juste à côté de lui. Complètement pris de panique il sauta du lit du côté opposé et se rua vers la porte, il déboula dans le couloir en hurlant :

    « AU SEECCCOOOUUUURRRS ! AAAUUUU SECCCCOOOUURRRS ! IL Y A QUELQUE CHOSE DANS MA CHAMBRE ! A L'AAAAIIIDDE ! »

    L'infirmière qui était passé lui donner les gélules ressortit d'une des chambres d'à côté. Une autre infirmière arriva aussi, elles accoururent vers lui.

    « On se calme monsieur !

    - AAA LLL'AAAAIIIIIDDE.

    - MONSIEUR CALMEZ VOUS !

    - JE NE VEUX PAS Y RETOURNEEEEEERRRRRR »

    Les deux infirmières se regardèrent d'un air interrogateur.

    « Bon, ben tu lui dis de venir ?

    - D'accord.

    - Je reste ici pour le surveiller en attendant. »

    Il s'adossa contre un mur, épuisé.

    « Ne me laissez pas dans le noir... je ne veux pas retourner dans la chambre.

    - Oui oui monsieur Le Bail, calmez vous, ça va aller.

    - Qui va venir ?

    - Un médecin.

    - Le psy de garde ? hein, c'est ça ?

    - Oui, mais... heu, non... il va juste vous aider à rester cal...

    - JE NE VEUX PAS RETOURNNNEEERRR DANS LA CHAAAAMMMBRRE »

    Le médecin déboula par la porte battante au bout du couloir.

    « ALORS ON N'ARRIVE PAS A DORMIR ?

    - C'EST DANS MA CHAMBRE ! IL Y A QUELQUECHOSE ! C'EST PARCE QUE J'ETAIS DANS LE NOIR. PARCE QU...

    - Monsieur calmez-vous, s'il vous pl...

    - PUISQUE JE VOUS DIT QUE C'EST DANS LE NOIR, DES QU'IL Y A UN COIN SOMBRE C'EST LAAA.

    - Bon allez ! on l'attache et une piqûre, il va comprendre comme ça. »

    Un homme costaud qui était arrivé entre temps lui pris les bras par derrière et le maintint.

    « CA VOUS ATTEND DERRIERE LA PORTE DE VOTRE CHABRE, LA OU VOUS N'AVEZ PAS DE LUMIERE ALLUMEE ! CA SE JETTERA SUR VOUS PAR SURPRISE ! VOUS VERREZ ! ... JE NE VEUX PAS RETOURNER LA DEDAAAAAANNNS !

    - ALLEZ ATTACHEZ LE MOI ! »

    Le psychiatre de garde, visiblement fatigué et énervé prêta main forte au gros bras qui le tenait toujours fermement. A eux deux, ils le traînèrent jusqu'à sa chambre. Ils le plaquèrent sur le lit pendant que les infirmières scellaient les attaches métalliques aux poignets et aux chevilles.

    « Allez ! maintenant on dort !

    - NOOOOONNNNN, NE ME LAISSEZ PAS LAAAAAAA ! »

    l'infirmière sans prêter attention à ses cris et sans un regard lui fit l'injection dans son bras.

    « Avec cette dose au moins il va dormir, c'est sûr. »

    Ils éteignirent la lumière puis sortirent sans un regard dans sa direction.

    « A L'AAAAAAIIIIIIIIIIIDDDDDEEEEE ! LAISSEZ-MOI SORTIR D'ICIIIIIIIIII ! AAAAUUUU SSSSSEEEEEECCCCCCooooooooOOUuuUrrrs, Aaiiiddeeez mm mm mmoi à sort... à sort... à sortiiir d'iciii... A l'aiddde... au... au secours... sss... sss... sss'il vous.... ppp... pplaaaiiitt... j... Je... vous... en... en... sup... p... ppp... llll... plll... ... pl... ... ... pl... ... ... ... »






    labourait les chairs, la douleur était atroce, il faisait complètement noir autour de moi. Je voulus m'enfuir, je sentis la porte bouger, mais elle devait être fermée à clef car malgré mon insistance elle ne s'ouvrait pas. Sa patte fit un nouveau un passage complet de mon épaule gauche jusqu'au bas des mes côtes : je hurlais de douleur. Poussé par l'effroi je me projetais contre la porte, elle s'ouvrit en me laissant tomber sur le sol, je relevais la tête, les bougies étaient toujours là, allumées. J'avais du mal à garder les yeux ouverts car j'avais de la transpiration qui me coulait dans les yeux, je me passais alors la main sur le visage, puis l'examinai, elle était recouverte de mon sang. La douleur était atroce, je n'arrivais pas à dire où j'avais mal : tout le haut de mon corps n'était plus que douleur. Péniblement je me relevais, puis décidé à demander à l'aide je me dirigeais au dehors de mon appartement, j'avais du mal à marcher, je jetais un coup d'œil à mon ventre, il était couvert de sang, je réalisais que j'étais nu, mais je n'avais plus de forces, il fallait que je sorte. J'ouvris la porte d'entrée, je sortis en m'appuyant sur la poignée, je fis encore quelques pas en titubant dans le couloir avant de m'écrouler sur le sol. J'entendis une voix de femme dire « Oh, mon dieu », puis plus rien.

    Je me suis réveillé il y a quelques heures dans cette chambre, au début je ne sentais rien à cause des anti-douleurs, mais je pense que je vais maintenant en demander en plus pour passer la nuit car je commence à avoir mal. Je me suis regardé tout à l'heure dans une glace, ils m'ont bandé une bonne partie du visage : j'ai soulevé un peu les bandes pour regarder au-dessous, et ça n'était pas beau à voir : la peau est labourée. J'ai fini par pleurer tout en éclatant de rire en me disant que mon visage devait plus tenir du steackaché que de celui d'un homme ! Mon bras gauche, mon torse, et mon ventre sont bandés, je n'ai même pas regardé, de toute façon je sais dans quel état ils sont.

    Voilà donc où j'en suis depuis qu'on s'est quittés. j'ai besoin que tu viennes me tirer d'ici. Je ne vais pas...



    « Monsieur Le Bail ? »



    ... passer ma vie ici à bouffer leurs médic...



    « Monsieur Le Bail ?

    - Hmmm, heu, oui... heu... excusez-moi.

    - Monsieur le Bail, il est vingt et une heure, c'est l'heure de dormir.

    - Déjà ? Mais je n'ai pas fi...

    - Il faut aller dormir, c'est comme ça ici, c'est pareil pour tout le monde.

    - Mais ma lettre ?

    - Vous la finirez demain matin, vous pouvez la laisser sur la table, il ne lui arrivera rien vous savez !

    - Mais...

    - Allez Monsieur Le Bail ! Et vous devez prendre vos médicaments avant.

    - Mes médicaments ? j'ai juste mal...

    - Ca vous calmera aussi vos douleurs, et vous dormirez mieux »

    Il allait répondre, puis se ravisa, ça ne servait trop à rien de discuter avec l'infirmière, de toute évidence elle se bornait au règlement. Il se glissa dans le lit, habillé d'une de leur « robe de chambre » : un tablier en tissus, fermé à l'arrière par un nœud sur un petit cordon. Il se demanda si ça les excitait de voir ainsi les fesses des patients à nu toute la journée.

    « Voilà, maintenant prenez vos médicaments »

    L'infirmière tendit un gobelet au fond rempli de gélules, puis un autre repli d'eau. Il regarda l'infirmière pour lui demander s'il devait tout prendre. En voyant son regard fixé droit sur lui, il se ravisa et goba toutes les gélules puis les avala d'une rasade d'eau. Le visage de l'infirmière passa de l'agacement au sourire.

    « Eh bien voilà, quand vous voulez, vous y arrivez ! »

    Sans répondre, il tendit les deux gobelet vides à l'infirmière. Celle-ci les rangea sur son chariot puis le poussa jusqu'à la sortie de la chambre.

    « Non ! s'il vous plait ! J'ai besoin de la lumière. »

    L' infirmière gardait son doigt sur l'interrupteur.

    « Vous avez la veilleuse dans le couloir.

    - Oui, mais elle ne fera pas assez de lumière dans la chambre.

    - Bon, Monsieur Le Bail, vous allez dormir. Pour la lumière ce soir c'est non, vous demanderez demain matin au médecin.

    - Mais...

    - Allez dormez, demain vous en parlerez avec le docteur, en attendant j'éteins.

    - Mais...

    Elle éteignit la lumière puis sortit de la chambre sans même le regarder.



    La veilleuse du couloir produisait un peu de lumière, mais une bonne partie de la chambre restait plongée dans le noir. Il s'enfouit sous les couvertures, apeuré, à l'écoute de chaque son.

    Le sommeil commençait à le gagner, il luttait pour garder les yeux ouverts, il avait chaud sous les couvertures, il se sentait bien, détendu, comme dans du coton, il avait du mal à garder les yeux ouverts. Il avait chaud... il se sentait bien... il avait du mal à garder... comme dans du coton... il avait chaud... les yeux ouverts.

    « Hein ! »

    Il entendait distinctement le grognement juste à côté de lui. Complètement pris de panique il sauta du lit du côté opposé et se rua vers la porte, il déboula dans le couloir en hurlant :

    « AU SEECCCOOOUUUURRRS ! AAAUUUU SECCCCOOOUURRRS ! IL Y A QUELQUE CHOSE DANS MA CHAMBRE ! A L'AAAAIIIDDE ! »

    L'infirmière qui était passé lui donner les gélules ressortit d'une des chambres d'à côté. Une autre infirmière arriva aussi, elles accoururent vers lui.

    « On se calme monsieur !

    - AAA LLL'AAAAIIIIIDDE.

    - MONSIEUR CALMEZ VOUS !

    - JE NE VEUX PAS Y RETOURNEEEEEERRRRRR »

    Les deux infirmières se regardèrent d'un air interrogateur.

    « Bon, ben tu lui dis de venir ?

    - D'accord.

    - Je reste ici pour le surveiller en attendant. »

    Il s'adossa contre un mur, épuisé.

    « Ne me laissez pas dans le noir... je ne veux pas retourner dans la chambre.

    - Oui oui monsieur Le Bail, calmez vous, ça va aller.

    - Qui va venir ?

    - Un médecin.

    - Le psy de garde ? hein, c'est ça ?

    - Oui, mais... heu, non... il va juste vous aider à rester cal...

    - JE NE VEUX PAS RETOURNNNEEERRR DANS LA CHAAAAMMMBRRE »

    Le médecin déboula par la porte battante au bout du couloir.

    « ALORS ON N'ARRIVE PAS A DORMIR ?

    - C'EST DANS MA CHAMBRE ! IL Y A QUELQUECHOSE ! C'EST PARCE QUE J'ETAIS DANS LE NOIR. PARCE QU...

    - Monsieur calmez-vous, s'il vous pl...

    - PUISQUE JE VOUS DIT QUE C'EST DANS LE NOIR, DES QU'IL Y A UN COIN SOMBRE C'EST LAAA.

    - Bon allez ! on l'attache et une piqûre, il va comprendre comme ça. »

    Un homme costaud qui était arrivé entre temps lui pris les bras par derrière et le maintint.

    « CA VOUS ATTEND DERRIERE LA PORTE DE VOTRE CHABRE, LA OU VOUS N'AVEZ PAS DE LUMIERE ALLUMEE ! CA SE JETTERA SUR VOUS PAR SURPRISE ! VOUS VERREZ ! ... JE NE VEUX PAS RETOURNER LA DEDAAAAAANNNS !

    - ALLEZ ATTACHEZ LE MOI ! »

    Le psychiatre de garde, visiblement fatigué et énervé prêta main forte au gros bras qui le tenait toujours fermement. A eux deux, ils le traînèrent jusqu'à sa chambre. Ils le plaquèrent sur le lit pendant que les infirmières scellaient les attaches métalliques aux poignets et aux chevilles.

    « Allez ! maintenant on dort !

    - NOOOOONNNNN, NE ME LAISSEZ PAS LAAAAAAA ! »

    l'infirmière sans prêter attention à ses cris et sans un regard lui fit l'injection dans son bras.

    « Avec cette dose au moins il va dormir, c'est sûr. »

    Ils éteignirent la lumière puis sortirent sans un regard dans sa direction.

    « A L'AAAAAAIIIIIIIIIIIDDDDDEEEEE ! LAISSEZ-MOI SORTIR D'ICIIIIIIIIII ! AAAAUUUU SSSSSEEEEEECCCCCCooooooooOOUuuUrrrs, Aaiiiddeeez mm mm mmoi à sort... à sort... à sortiiir d'iciii... A l'aiddde... au... au secours... sss... sss... sss'il vous.... ppp... pplaaaiiitt... j... Je... vous... en... en... sup... p... ppp... llll... plll... ... pl... ... ... pl... ... ... ... »






    usqu'au bas des mes côtes : je hurlais de douleur. Poussé par l'effroi je me projetais contre la porte, elle s'ouvrit en me laissant tomber sur le sol, je relevais la tête, les bougies étaient toujours là, allumées. J'avais du mal à garder les yeux ouverts car j'avais de la transpiration qui me coulait dans les yeux, je me passais alors la main sur le visage, puis l'examinai, elle était recouverte de mon sang. La douleur était atroce, je n'arrivais pas à dire où j'avais mal : tout le haut de mon corps n'était plus que douleur. Péniblement je me relevais, puis décidé à demander à l'aide je me dirigeais au dehors de mon appartement, j'avais du mal à marcher, je jetais un coup d'œil à mon ventre, il était couvert de sang, je réalisais que j'étais nu, mais je n'avais plus de forces, il fallait que je sorte. J'ouvris la porte d'entrée, je sortis en m'appuyant sur la poignée, je fis encore quelques pas en titubant dans le couloir avant de m'écrouler sur le sol. J'entendis une voix de femme dire « Oh, mon dieu », puis plus rien.

    Je me suis réveillé il y a quelques heures dans cette chambre, au début je ne sentais rien à cause des anti-douleurs, mais je pense que je vais maintenant en demander en plus pour passer la nuit car je commence à avoir mal. Je me suis regardé tout à l'heure dans une glace, ils m'ont bandé une bonne partie du visage : j'ai soulevé un peu les bandes pour regarder au-dessous, et ça n'était pas beau à voir : la peau est labourée. J'ai fini par pleurer tout en éclatant de rire en me disant que mon visage devait plus tenir du steackaché que de celui d'un homme ! Mon bras gauche, mon torse, et mon ventre sont bandés, je n'ai même pas regardé, de toute façon je sais dans quel état ils sont.

    Voilà donc où j'en suis depuis qu'on s'est quittés. j'ai besoin que tu viennes me tirer d'ici. Je ne vais pas...



    « Monsieur Le Bail ? »



    ... passer ma vie ici à bouffer leurs médic...



    « Monsieur Le Bail ?

    - Hmmm, heu, oui... heu... excusez-moi.

    - Monsieur le Bail, il est vingt et une heure, c'est l'heure de dormir.

    - Déjà ? Mais je n'ai pas fi...

    - Il faut aller dormir, c'est comme ça ici, c'est pareil pour tout le monde.

    - Mais ma lettre ?

    - Vous la finirez demain matin, vous pouvez la laisser sur la table, il ne lui arrivera rien vous savez !

    - Mais...

    - Allez Monsieur Le Bail ! Et vous devez prendre vos médicaments avant.

    - Mes médicaments ? j'ai juste mal...

    - Ca vous calmera aussi vos douleurs, et vous dormirez mieux »

    Il allait répondre, puis se ravisa, ça ne servait trop à rien de discuter avec l'infirmière, de toute évidence elle se bornait au règlement. Il se glissa dans le lit, habillé d'une de leur « robe de chambre » : un tablier en tissus, fermé à l'arrière par un nœud sur un petit cordon. Il se demanda si ça les excitait de voir ainsi les fesses des patients à nu toute la journée.

    « Voilà, maintenant prenez vos médicaments »

    L'infirmière tendit un gobelet au fond rempli de gélules, puis un autre repli d'eau. Il regarda l'infirmière pour lui demander s'il devait tout prendre. En voyant son regard fixé droit sur lui, il se ravisa et goba toutes les gélules puis les avala d'une rasade d'eau. Le visage de l'infirmière passa de l'agacement au sourire.

    « Eh bien voilà, quand vous voulez, vous y arrivez ! »

    Sans répondre, il tendit les deux gobelet vides à l'infirmière. Celle-ci les rangea sur son chariot puis le poussa jusqu'à la sortie de la chambre.

    « Non ! s'il vous plait ! J'ai besoin de la lumière. »

    L' infirmière gardait son doigt sur l'interrupteur.

    « Vous avez la veilleuse dans le couloir.

    - Oui, mais elle ne fera pas assez de lumière dans la chambre.

    - Bon, Monsieur Le Bail, vous allez dormir. Pour la lumière ce soir c'est non, vous demanderez demain matin au médecin.

    - Mais...

    - Allez dormez, demain vous en parlerez avec le docteur, en attendant j'éteins.

    - Mais...

    Elle éteignit la lumière puis sortit de la chambre sans même le regarder.



    La veilleuse du couloir produisait un peu de lumière, mais une bonne partie de la chambre restait plongée dans le noir. Il s'enfouit sous les couvertures, apeuré, à l'écoute de chaque son.

    Le sommeil commençait à le gagner, il luttait pour garder les yeux ouverts, il avait chaud sous les couvertures, il se sentait bien, détendu, comme dans du coton, il avait du mal à garder les yeux ouverts. Il avait chaud... il se sentait bien... il avait du mal à garder... comme dans du coton... il avait chaud... les yeux ouverts.

    « Hein ! »

    Il entendait distinctement le grognement juste à côté de lui. Complètement pris de panique il sauta du lit du côté opposé et se rua vers la porte, il déboula dans le couloir en hurlant :

    « AU SEECCCOOOUUUURRRS ! AAAUUUU SECCCCOOOUURRRS ! IL Y A QUELQUE CHOSE DANS MA CHAMBRE ! A L'AAAAIIIDDE ! »

    L'infirmière qui était passé lui donner les gélules ressortit d'une des chambres d'à côté. Une autre infirmière arriva aussi, elles accoururent vers lui.

    « On se calme monsieur !

    - AAA LLL'AAAAIIIIIDDE.

    - MONSIEUR CALMEZ VOUS !

    - JE NE VEUX PAS Y RETOURNEEEEEERRRRRR »

    Les deux infirmières se regardèrent d'un air interrogateur.

    « Bon, ben tu lui dis de venir ?

    - D'accord.

    - Je reste ici pour le surveiller en attendant. »

    Il s'adossa contre un mur, épuisé.

    « Ne me laissez pas dans le noir... je ne veux pas retourner dans la chambre.

    - Oui oui monsieur Le Bail, calmez vous, ça va aller.

    - Qui va venir ?

    - Un médecin.

    - Le psy de garde ? hein, c'est ça ?

    - Oui, mais... heu, non... il va juste vous aider à rester cal...

    - JE NE VEUX PAS RETOURNNNEEERRR DANS LA CHAAAAMMMBRRE »

    Le médecin déboula par la porte battante au bout du couloir.

    « ALORS ON N'ARRIVE PAS A DORMIR ?

    - C'EST DANS MA CHAMBRE ! IL Y A QUELQUECHOSE ! C'EST PARCE QUE J'ETAIS DANS LE NOIR. PARCE QU...

    - Monsieur calmez-vous, s'il vous pl...

    - PUISQUE JE VOUS DIT QUE C'EST DANS LE NOIR, DES QU'IL Y A UN COIN SOMBRE C'EST LAAA.

    - Bon allez ! on l'attache et une piqûre, il va comprendre comme ça. »

    Un homme costaud qui était arrivé entre temps lui pris les bras par derrière et le maintint.

    « CA VOUS ATTEND DERRIERE LA PORTE DE VOTRE CHABRE, LA OU VOUS N'AVEZ PAS DE LUMIERE ALLUMEE ! CA SE JETTERA SUR VOUS PAR SURPRISE ! VOUS VERREZ ! ... JE NE VEUX PAS RETOURNER LA DEDAAAAAANNNS !

    - ALLEZ ATTACHEZ LE MOI ! »

    Le psychiatre de garde, visiblement fatigué et énervé prêta main forte au gros bras qui le tenait toujours fermement. A eux deux, ils le traînèrent jusqu'à sa chambre. Ils le plaquèrent sur le lit pendant que les infirmières scellaient les attaches métalliques aux poignets et aux chevilles.

    « Allez ! maintenant on dort !

    - NOOOOONNNNN, NE ME LAISSEZ PAS LAAAAAAA ! »

    l'infirmière sans prêter attention à ses cris et sans un regard lui fit l'injection dans son bras.

    « Avec cette dose au moins il va dormir, c'est sûr. »

    Ils éteignirent la lumière puis sortirent sans un regard dans sa direction.

    « A L'AAAAAAIIIIIIIIIIIDDDDDEEEEE ! LAISSEZ-MOI SORTIR D'ICIIIIIIIIII ! AAAAUUUU SSSSSEEEEEECCCCCCooooooooOOUuuUrrrs, Aaiiiddeeez mm mm mmoi à sort... à sort... à sortiiir d'iciii... A l'aiddde... au... au secours... sss... sss... sss'il vous.... ppp... pplaaaiiitt... j... Je... vous... en... en... sup... p... ppp... llll... plll... ... pl... ... ... pl... ... ... ... ».
     
     
     
     
     
     
     

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    Le numéro privé

     

    Le numéro privé

     

     
     
     
    Stéphanie ferma la porte d'entrée et remit ses clefs dans sa poche. Elle se retourna et observa quelques instants le couloir vide devant elle : Ils n'étaient pas rentrés. Ses parents avaient voulu passer le samedi soir « entre eux » à l'extérieur, et l'avaient prévenu qu'ils rentreraient tard. Elle en déduit qu'ils ne devraient pas revenir de si tôt : Il n'était que vingt-deux heures trente.

    Stéphanie regardait avec regret cette maison vide, elle s'était imaginé que sa soirée durerait un peu longtemps : Le cinéma avec Cédric c'était bien... mais elle aurait voulu passer plus de temps avec lui. Elle l'avait rencontré deux semaines auparavant lors de la fête qu'elle avait organisée pour ses dix-sept ans : Il lui avait bien tapé dans l'œil, et visiblement cela était réciproque... même si ce soir il n'avait pas insisté pour rester un peu plus avec elle.



    Ne sachant trop quoi faire, elle monta clopin-clopant l'escalier : De toute façon j'en passerai d'autres soirées avec lui... la prochaine fois je lui demanderai d'aller boire un verre... rrahhh ! c'est dommage, pour une fois que je n'avais pas les parents sur le dos !

    Arrivée dans sa chambre, elle repoussa la porte de la main, pendant qu'elle se refermait, elle envoya sa veste sur le dossier de sa chaise, et se laissa tomber sur son lit, allongée sur le dos. Le claquement de porte fit alors place au silence : Elle regardait le plafond, occupée à se remémorer la soirée, à se demander ce qu'elle ferait demain, à penser à ses prochains rendez-vous avec Cédric ou ses copines... sûrement qu'on l'appellerait demain pour passer le dimanche après midi à quelque chose de mieux que de rester enfermé à la maison... Au fait, on l'avait appelée ce soir ? Elle s'assit sur son lit, saisit le bas de son blouson, fouilla dans une des poches et en sortit son téléphone portable.



    Ah oui ! il est éteint. Je l'avais coupé au début de la séance de cinéma... j'ai oublié de le rallumer tout à l'heure. Bah ! c'est pas important, de toute façon personne n'a dû m'appeler ce soir... elles doivent être toutes à s'amuser... elles... et moi qui suis là toute seule... pfff... Ah, si ! J'ai eu des messages sur mon répondeur... hein ? huit ? Ben ça fait beaucoup quand même ! On cherche sûrement à m'appeler depuis tout à l'heure... hé, peut-être que je ne vais pas croupir ici ce soir finalement ! Fébrile à l'idée d'aller retrouver ce soir ses amies, elle appela sans attendre sa boîte vocale.



    « Veuillez composer votre code secret puis tapez dièse.

    ...

    Vous avez... HUIT... nouveaux messages »

    Elle avait donc bien eu huit messages, au moins là elle en était sûre, mais qui donc aurait bien pu l'appeler huit fois ce soir ?

    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... VINGT CINQ... MINUTES...

    - Quoi ! » s'étonna Stéphanie, stupéfaite. Elle regarda sans attendre sa montre pour s'assurer qu'elle ne se trompait pas sur l'heure : Il était vingt-deux heures trente-quatre.

    Bon dieu, huit appels en neuf minutes ! C'est insensé, pourquoi on chercherait autant à me joindre... à moins que... j'espère qu'il n'est rien arrivé de grave... Ce serait terrible si...

    Elle fut interrompue dans sa réflexion par le message qui commençait.



    Au début elle se demanda si son téléphone fonctionnait correctement, mais il marchait puisqu'elle venait d'entendre distinctement la voix de la boîte vocale. Le son était étrange, comme un froissement de linge au vent suivit d'un bruit sourd, le son se répétait, régulier... comme le bruit d'une machine à laver, comme un tourne disque arrivé à la fin du quarante cinq tour. Le son paraissait si froid, si répétitif « schrrr frrr chrrr BOUM... schrrr frrr chrrr BOUM... schrrr frrr chrrr BOUM ». Pendant les premières secondes, elle ne trouvait pas de quel son il pouvait s'agir, puis le bruit d'une voiture lui fit comprendre qu'on l'appelait de la rue. Du même coup tout lui parut évident : On l'appelait par erreur ! Le portable devait être dans la poche, le clavier n'était pas verrouillé, et l'appui des touches avait finit par appeler un numéro du répertoire du téléphone... et c'était tombé sur elle.

    Amusée, elle se prit à écouter le message : toujours ce bruit mécanique, répétitif, le son des voitures, et aussi celui du vent : C'est vrai qu'il ne faisait pas très beau en ce soir d'octobre, et en sortant du cinéma le vent commençait déjà à souffler. Le son en était ici assez angoissant, comme une longue plainte fantomatique, un « oooooouuuuuuuhhhhhhh » qui lui rappelait les soirs de grand vent pendant lesquels ce dernier émettait sa complainte par le foyer de la cheminée du salon.



    « Fin du message »

    Le brusque retour à la voix de la boîte vocale la surprit. Le message s'était coupé d'un coup, sûrement dû à un nouvel appui accidentel sur la touche d'appel. Ce ne fut pas la brutalité du passage qui la surpris, mais plutôt le fait d'entendre cette voix féminine, calme et posée, qui contrastait tellement avec le bruit mécanique de la marche, mêlé à celui des voitures, et du souffle du vent sur le micro du téléphone. Elle ne s'en était pas rendu compte lors de l'écoute du message, mais ce son était au fond assez sinistre.

    « Tapez 2 pour effacer, 3 pour réécouter.

    ...

    Effacer ».



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... VINGT SEPT... MINUTES... »

    Le message était quasi identique au premier : Toujours ce bruit, répétitif, monotone, qui devenait pour elle un peu angoissant, plus pesant que précédemment.

    Et puis il va y en avoir encore six comme ça ?... Eh bien... Super ! Mais de qui ça provient ? Qui c'est qui m'appèle à la fin ? Voulant passer au prochain message pour que la boîte vocale lui fournisse le numéro de l'appelant, et ayant assez entendu ce bruit, elle coupa le message sans attendre.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... VINGT HUIT... MINUTES... »

    Mais la boîte ne donnait pas de numéro, elle aurait dû formuler normalement un « message provenant du ... ». Elle se rappela que sur les deux premier messages on ne lui avait pas signalé le numéro. Elle en déduisit que l'appelant avait sûrement choisi que son numéro soit masqué aux personnes qu'il appelait : Sur le portable de Stéphanie le message « numéro privé » s'affichait quand une personne ayant cette option lui téléphonait. Elle fouilla dans sa mémoire pour trouver qui elle connaissait dans ce cas-là. A peine elle avait commencé à réfléchir que le message débutait, et le son lancinant reprenait. Un peu plus à chaque fois, il intensifiait en elle un certain malaise.

    Le son répétitif s'arrêta. Le hululement du vent prenait plus d'importance en l'absence du bruit assommant produit par la marche, elle entendait toujours les voitures passer. La personne était toujours dans la rue et venait de s'arrêter, elle n'entendait plus rien d'autre que le vent et les voitures. Que fait-il ? Ou bien que fait-elle ? pensait Stéphanie. Il est peut être en train de regarder quelque chose ? de s'arrêter pour allumer une cigarette ? ou alors juste pour prendre un peu le temps de flâner ? Tout cela la rendait de plus en plus curieuse... en même temps elle ne se sentait pas très bien, gênée d'entendre une autre personne à son insu, et aussi tout simplement parce que le bruit de la marche à travers le micro du téléphone dans la poche était sinistre !

    Puis le désagréable son de marche reprit et commençait franchement à l'apeurer : « schrrr frrr chrrr BOUM... schrrr frrr chrrr BOUM... ». Elle continuait d'écouter le message, le bruit des voitures semblait diminuer : Est ce qu'il rentrait dans un lotissement ? est ce qu'il allait dans une plus petite rue ? Finalement tracassée par ce côté « voyeur malgré elle », elle coupa le message et passa au suivant.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... TRENTE... MINUTES... »

    Le message était toujours le même : toujours ce bruit répétitif et morne. Mais elle n'entendait plus le bruit des voitures, la personne devait sûrement s'être engagée dans une petite rue. Agacée par le son, elle coupa le message.

    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEUR...

    BIP BIP... BIP BIP»

    Surprise par le son elle mis le téléphone face à elle : Comme le signal sonore l'avait indiqué, elle venait de recevoir un message... La personne continuait à l'appeler par erreur.



    Elle remit le téléphone à son oreille, et fut surprise d'entendre assez distinctement le miaulement d'un chat. Elle n'entendait toujours aucun bruit de voiture, juste le bruit et le vent. Puis, le son se transforma quelque peu, elle percevait comme un écho, la personne était peut-être dans une cour, ou dans une petite ruelle étriquée. Le bruit répétitif se fit de plus en plus lent, puis s'arrêta, c'est alors qu'à sa grande surprise elle entendit des gémissements. Ces derniers étaient plutôt faibles, mais elle en était sûre, elle entendait quelqu'un gémir au loin, c'était une voix féminine, mais elle avait du mal à l'entendre. Encore plus que les pas, ces gémissements la mettaient mal à l'aise.

    Le bruit de la marche reprit, mais lentement. Le volume des gémissements augmentait : Il ou elle s'approche d'elle... est ce qu'elle est malade ? pourquoi elle gémit comme ça ? peut-être il ou elle est de sa famille ? Stéphanie s'embrouillait dans toutes ces interrogations... Elle avait peur, de plus en plus peur de ce qu'elle entendait, mais tout cela l'hypnotisait, elle voulait suffisamment savoir ce qui allait se passer pour ne pas raccrocher.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... TRENTE ET UNE... MINUTES... »

    Le vent soufflait toujours, les pas avaient cessé, les gémissements continuaient, ils étaient très forts maintenant : Stéphanie en déduit qu'il ou elle devait se tenir devant la femme. Etait-ce sa mère ? peut-être que oui... ou peut être que non, elle ne savait plus très bien. Elle se sentait fébrile et à la fois mal à l'aise d'écouter tout cela à leur insu.

    Elle fut vraiment inquiète quand les gémissements firent place à des pleurs : Elle entendait distinctement la femme pleurer, à l'oreille elle aurait dit que la femme devait être assez âgée, dans la cinquantaine peut être. Mais pourquoi se mettait elle à pleurer ? Stéphanie serrait le téléphone à son oreille en tremblant : son bras, son corps frémissait, elle se sentait mal... elle avait peur de ce quelle entendait : Le son du vent, les pleurs, et auparavant le son des pas l'avait fait plonger petit à petit du trouble vers l'effroi. Mais elle ne voulait pas raccrocher, elle voulait savoir, elle voulait entendre la suite.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... TRENTE TROIS... MINUTES... »

    Les pleurs redoublaient, elle avait de plus en plus de mal à continuer d'entendre cela. Brusquement un bruit effréné de frottements se fit entendre avec force, ils furent très vite accompagnés de bruits secs et sourds. Ce fut surtout les cris de la femme qui terrorisèrent Stéphanie. Elle hurlait, elle souffrait... le bruit sourd qu'elle entendait maintenant, elle le compris vite, était assurément le bruit des coups qu'il ou elle infligeait à la vieille femme.

    Stéphanie était pétrifiée par ce quelle écoutait et ce qu'elle pouvait en conclure. Elle restait assise sur son lit, ne sachant que faire, tout se mélangeait dans sa tête, tout cela était tellement inconcevable : Elle était en train d'entendre, avec une poignée de minutes de retard, quelqu'un battre furieusement une vieille femme. Complètement paniquée, elle coupa le message.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... TRENTE QUATRE... MINUTES... »

    Ca n'en finira jamais ! se disait elle en entendant l'annonce du prochain message. Elle faillit éteindre son téléphone, mais elle ne le fit pas... peut-être pouvait-elle en apprendre plus ? peut-être qu'elle pourrait intervenir ? ... elle ne pouvait se résoudre à raccrocher, elle ne le pouvait pas... elle ne le voulait pas.

    Rien que le début du message la pétrifia de nouveau : les frottements bruissaient toujours autant, les cris de la femme avaient fait place à des gémissements, le son des coups continuait à retentir... Elle entendait l'agresseur émettre de petits geignements, sûrement dus à l'effort monstrueux et infâme qu'il déployait : C'était la voix d'un homme... mais elle entendait encore mal le son. Ce fut progressivement que le sombre nuage de la terreur envahi Stéphanie à mesure que les bruits de la femme s'estompaient, et que les geignements de l'agresseur faisaient place à des mugissements de plus en plus forts... Progressivement elle reconnut avec effroi la voix de Cédric. Elle se rappela avoir eu des appels de lui : son numéro ne s'affichait pas sur son téléphone. Elle s'en souvenait bien car elle s'était dit qu'elle ne pourrait pas savoir quand il l'appellerai avant de décrocher. Son petit ami était donc assurément en train de battre une femme quelque part, peut-être qu'il la battait à mort... il la battait à mort : On entendait plus la voix de la femme, plus que les beuglements de Cédric et le bruit de ses coups sur le corps de la femme. Terrifiée, Stéphanie raccrocha, elle ne voulait plus entendre tous ces messages, tout cela était trop horrible, trop abominable, tout cela n'était pas possible, elle avait dû mal comprendre.



    La sonnerie de son téléphone, pourtant guillerette, la terrifia quand elle se déclencha. Elle était plongée dans ses tourments, ne sachant ni que penser ni que faire. La sonnerie de son téléphone lui fit l'effet d'une décharge électrique à travers le corps. Lentement elle ramena son portable devant ses yeux, sur l'écran, elle n'en était pas surprise, était indiqué « numéro privé ». Elle attendit une sonnerie, puis deux, elle était épouvantée. Puis presque impulsivement elle appuya sur la touche pour décrocher et colla promptement le téléphone à son oreille : Elle n'entendait plus de coups, elle entendait juste un bruit régulier de frottement, c'était tout... Stéphanie pleurait, elle imaginait la pauvre femme à moitié morte, Cédric la traînant par les pieds... Cette image dans sa tête lui était insoutenable, surtout accompagnée de ce sinistre son de frottement.

    Soudain, un grand choc se fit entendre, le volume en était si fort qu'il lui fit mal à l'oreille, et ajouté à l'effet de surprise, elle en décolla quelque temps l'appareil. Quand elle le rapprocha de nouveau, le seul son qu'elle entendit était celui du vent, bien plus fort que précédemment.

    Subitement elle entendit comme un grondement sourd mêlé de fracas. Puis d'un coup, elle entendit très distinctement de la voix de Cédric :

    « Stéphanie ? ».

    Prise par surprise, elle ne put réprimer un petit cri d'étonnement.

    « Putain Stéphanie ? Bon Dieu, qu'est ce que tu fais en ligne, merde ! MERDE ! MER ».

    Complètement abasourdie et terrorisée elle raccrocha aussitôt et éteignit son téléphone.



    Il m'a entendu crier ! mon dieu, il sait que j'ai entendu... A l'aide, pitié ! Qu'est ce que je peux faire ? Il va peut-être venir ici me chercher... me tuer ! Je ne peux pas rester ici, je dois m'en aller tout de suite, peut-être était-il tout près de la maison ? Oh putain, c'est horrible, je... je dois aller à la police... je dois partir d'ici... il faut que je prévienne la police !

    Sur ce, Stéphanie bondit de sur son lit, et se précipita à toute allure hors de la maison. Elle courrait vers le commissariat de la ville, qui n'était qu'à cinq minutes de sa maison.



    Mais elle n'arriva jamais au commissariat.

    On l'enterra une semaine plus tard, deux jours après avoir retrouvé son corps, ainsi que celui de la mendiante que Cédric avait battu à mort.
     
     
     
     
     
     
     

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    Le dangereux cinéphile

     

    Le dangereux cinéphile

     

     
     
     
     
    « Salle deux : Premier étage à droite de l'escalator.

    - Merci. »

    Ouf ! Ca y est ! C'était interminable cette file d'attente !



    Excellent ! La salle deux ! Une grande salle... hmm, ça promet une bonne projection tout ça ! Hé hé, le week-end commence bien... après cette semaine de merde ça ne va pas me faire de mal !



    Alors, alors, alors... ? parfait ! La salle n'est pas encore trop pleine... Ben j'ai bien fait de venir un peu en avance.



    Bon, ça va me faire du bien une petite séance de ciné, ça va me détendre du taf... Purée ! ... et lundi ça va reprendre... Oh la laaa... pas hâte... Bon en même temps ça n'est pas toutes les semaines comme ça au boulot... heureusement... Mais bon lundi ça repart, et vu comment j'ai été cette semai... BON ! allez... JE M'EN FOUS ! Purée, faut que j'arrive à penser à autre chose ! Bon alors après le ciné je vais me faire une petite ballade tout seul, loin de la foule, tout au calme... Et puis demain j'appelle Stéphane pour qu'on aille passer le samedi soir dans les bars... ouais... pas mal... pas mal du tout !



    Ah ça y est ! en voilà un qui se met à côté de moi... pfff ça va être la bataille pour les accoudoirs... ils sont cons quand même dans les cinés, pour peu qu'on ai quelqu'un d'assis à côté on a plus qu'un demi accoudoir pour poser son bras... mouarf !

    Eh bé, j'ai bien fait de venir tôt moi, ça se rempli : il commence à y avoir du monde sur les premiers rangs, ça c'est signe que la salle commence à être bien pleine... Sinon les gens, ils ne vont pas trop devant d'habitude... Ah et derrière ?... hmmm... ouais il y a du monde aussi... Bon et puis ce qui serait sympa quand même, c'est qu'ils arrêtent un peu tous de jacter quand ça va commencer, on se croirait dans un hall de gare là.

    Bon ben tiens ! me voilà cerné... en v'la un qui se pose de l'autre côté maintenant... bon ça me fera un demi accoudoir de chaque côté, au moins ce sera équilibré !



    Aaah ! les lumières s'éteignent un peu... C'est parti... pour les bandes-annonces... Bon au moins ça n'est pas complètement inintéressant...

    ...

    ...

    Ouais... j'ai l'impression qu'il y en a quand même pas mal qui s'en foutent des bandes-annonces... et ça piaille, et ça piaille... enfin bon, allez je vais pas me plaindre, ça jacte déjà moins que tout à l'heure. J'espère que ça ne va pas être le souk même pendant le film... purée... ah non ! pas ça ! j'ai déjà eu ma dose cette semaine... Enfin bon allez, on se calme, ça ne sert à rien de s'énerver : Ce soir je suis tout seul, je me fais une petite soirée tranquillou... alors je ne vais pas commencer à m'énerver pour un rien.

    Bon allez ! maintenant les pubs... Pfff ! En plus assis là comme ça, on risque pas d'y échapper... Quand même on paye déjà cher pour voir un film et ils trouvent le moyen de nous passer des pubs... quand même...

    Ah ça y est, ça va commencer ! Les méchantes pubs sont finies... aaah, toutes les lumières s'éteignent.... et ?... Ouf ! les gens se taisent... Allez... C'est parti pour deux heures...



    ... ... ....



    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Purée c'est pas vrai.

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Putain !... un bouffeur de pop-corn juste derrière... oh la laaa...

    ...

    ...

    Bon on l'entend plus... tant mieux...

    ...

    ...

    Mouais... enfin c'est bizarre quand même qu'il ai déjà fini ses saletés de pop-corn.

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Tiens j'ai vu juste... putain qu'est ce que je vais foutre !

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Bordel de merde ! Bon.... Je change de place ?... mouais... moyen... il y a plus que les places sur le côté... et puis je vais devoir emmerder tous les gens assis à ma rangée pour bouger... oh la laaa... c'te prise de choux... bon allez, je bouge pas... je vais bien réussir à oublier son boucan.

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Rrrrrr... ça me gave !

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Allez... je l'oublie ! je pense au film et c'est tout.

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    De toute façon je ne peux pas aller lui dire d'arrêter de bouffer sa cochonnerie...

    Bon allez, je n'ai qu'à me laisser glisser dans le film... je finirai bien par ne plus y faire attention.



    ... ... ....



    « Florent ?

    - hmm hmm.

    - Qu'est ce qu'on fait après le film ?

    - Heu, je sais pas trop... On pourrait aller boire un petit verre, non ?

    - Hein ?

    - Aller boi... heu... aller boire un petit verre, il y a un bar pas mal que je connais et c'est pas loin d'ici.

    - Ouais pourquoi pas... sinon on pourrait aller en boîte aussi après.

    - Heu, j'sais pas trop, faut voir, j'aurais pensé qu'on ne serait pas sorti trop tard... plutôt demain soir ?

    - Pfff... ouais... pourquoi on sortirait pas deux soirs de suite ? »

    - Parce q... hum ! Parce que je suis crevé, voilà aussi.

    - Booo... alleeezzz !

    - Bah, faut que j'y réfléchisse.

    - Ok ! »

    Purée, et ils parlent en plus derrière... bon, ils ne vont pas continuer longtemps non plus ! Allez... calme...



    ... ... ....



    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Oooh, noon, voilà que ça reprend. Purée, ça me fatigue... bon si ça continue, je leur dis de se calmer... bon d'un autre côté je ne peux pas lui dire d'arrêter de bouffer, mais bon s'il pouvait au moins ne pas se mettre à parler...

    « Christelle ? T'en veux toujours pas ?

    Bah si ! allez un peu alors, mais pas trop, on a déjà mangé avant quand même. »

    « CROUNCH ! ... crounch... CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... »
    Pfff... et en plus maintenant ils s'y mettent à deux ! Bon je me retourne !... Allez ! je leur dis de se taire un peu... Mouais... je vais avoir l'air d'un con, ils ne sont plus vraiment en train de parler là... plutôt en train de bouffer leur saloperie... Pfff... ouais, je vais avoir l'air d'un con... Bon d'un autre côté, à deux, ils finiront plus vite leur dose de maïs brûlé... tsss...



    ... ...



    « CROUNCH ! ... crounch... CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    ffffooouuuuu.....

    ...



    ... ...



    « Dis Flo ?

    - ...

    - il est nul ton film.

    - Heu ! ... Ben attends, c'est commencé que depuis un quart d'heure.

    - Ben le premier quart d'heure je le trouve déjà naze.

    - Ouais... c'est vrai, c'est pas génial pour l'instant.

    - ...

    - Mais bon sur la bande-annonce ça avait l'air vraiment bien.

    - Ouais ben finalement il vaut mieux ne pas... »

    « Vous pourriez faire moins de bruit s'il vous plait ?! »

    ...

    Bien entendu, ils ne vont pas aller s'excuser tiens ! C'est sûr, c'est plus facile de ne rien répondre... Pfff... couple à la con !... Bon, au moins j'ai craché le morceau, j'espère qu'ils ont compris... purée, je vais peut-être pouvoir avoir un peu la paix à la fin !



    ... ...



    Bon ben, ça a dû marcher finalement, je les entends plus... Il y a peut-être moyen que les gens arrêtent de me faire chier cinq minutes finalement !



    ... ...



    « crounch... crounch... crounch... »

    Putain ! ils remettent ça... Pfff ! ... bon, ils font moins de bruits aussi, ça les à calmés quand même un peu. Je ne vais pas non plus les persécuter...

    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    Ouais... mais en attendant je ne profite même pas du film... Bon dieu ! mais il n'y a pas moyen d'avoir la paix ? Oh, allez, on respire, on regarde le film... et on oublie ces deux cons !



    ...crounch... ...crounch ... ...crounch...

    ... crounch... ...Crounch... ...crounch ...  

    ...crounch... ...crounch... ...crounch ... ...CROUNCH !

    Putain, mais c'est pas vrai ! Ils ont inventé le pop-corn pour emmerder les gens au ciné ou quoi !

    Je profite même plus du film... Je me demande si je ne reviendrais pas le voir finalement. Je n'aurais qu'à venir le dimanche matin... les cons dorment à cette heure-là normalement...

    « Pfff Flo ! Il est vraiment chiant ce film !

    - Ouais, c'est vrai qu'il est bof bof... Du pop-corn ?

    - Ouais ! »

    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    « crounch... crounch... crounch... »

    « Sinon, elle va comment Christine depuis sa rupture ?

    - Bah, un peu mieux, je crois qu'elle a... »

    « S'IL ! VOUS ! PLAIT ! TAISEZ-VOUS ! »

    Saloperie de couple de merde ! Deuxième fois qu'il faut que je leur dise de se taire ! ... Putain ! je parie qu'ils vont faire comme tout à l'heure ! Ils vont s'arrêter dix minutes et après ils vont reprendre !... Mais c'est dingue ça quand même ! s'ils voulaient parler et grignoter, ils n'avaient qu'à aller dans un bar ! pas dans un cinéma ! ... Raaaaalaaalaaaaa, et moi qui pensais me DETENDRE ce soir, et bien à cause de ces deux cons, je suis énervé maintenant... GrrrrrrRRRRRR... P'tain ! ce que j'aimerais pouvoir lui défoncer sa sale gueule à ce connard !



    ... ...



    Tiens, j'ai droit à une accalmie... encore... mais ça va pas tenir c'est sûr... C'est sûr aussi que si cette fois-ci ils se remettent à parler, je ne mettrais pas de gants.



    ... ...



    « Tiens Chris, tu vois, là je crois qu'il va tout péter : je l'ai vu dans la bande-annonce.

    - Mouais...

    ...

    - Ben ça rendait bien dans la bande-annonce.

    - Bof ! moyen comme film, j'aime pas. »

    RAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHH ! Une phrase de plus et je les engueule comme du poisson pourri ! J'EN AI MARRE !



    ... ...



    Purée ! ben voilà, ils disent plus rien maintenant, pfff... je ne sais plus sur quel pied danser moi... Ooooh, j'en ai ras le cul !



    ... ...



    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    « crounch... crounch... crounch... »

    Putain... il va leur en rester pendant combien de temps de leur sale truc de merde à bouffer.

    « Pas très trépident comme film

    - Ca ne te plaît vraiment pas, hein ?

    - Bof !

    - Tu veux encore du pop ? »

    ...

    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    « Bon c'est vrai qu'il est pas génial comme film, mais bon on a vu pi... »

    « VOS GUEULES DERRIERE ! »

    « Heu ! Pourriez rester poli au moins ! »

    Je réponds pas... je réponds pas... JE REPONDS PAS ! Sinon je vais le massacrer ce connard : « Pourriez rester poli », mais merde quoi : « POURRIEZ RESTER POLI » ! Mais il se fout de moi ou quoi, c'est QUI qui est mal poli dans l'affaire ? C'est lui et sa greluche qui dérangent tout le monde, pas moi ! Merde à la fin ! et il est en plus assez sans gêne pour aller me dire de rester poli ?!

    « heu, Chris, je vais pisser un coup, je reviens.

    - Dac ! »

    Bon au moins j'aurais la paix cinq minutes... Mouais... de toute manière mon film est gâché... Quel con... quelle conne aussi ! ... mais bon... J'irai bien lui parler à ce gars quand même. Ca me ferait du bien... sinon je vais sortir du ciné complètement en pétard. Si je m'explique avec lui... j'aurais de toute façon raté le film, mais au moins je serais plus calme après lui avoir dit ces quatre vérités à celui-là.

    ...

    Allez...

    ....

    J'y vais.



    ... ...



    Bon ! où ils sont ces toilettes ? Ah ! ici...

    ...

    Tiens c'est lui, il est tout seul... Bon il se lave les mains... tant mieux, je peux y aller.

    « Hum ! hmm, j'avais envie de vous dire deux mots.

    - Hein ? heu, c'est vous qui êtes devant nous dans la salle ?

    - Oui.

    - Ben faut se calmer mon gars ! pourriez nous foutre la paix quand même, on vous à rien fait !

    - Attendez, c'est vous qui ne me foutez pas la paix avec tout le boucan que vous faites !

    - Hé ! c'est un lieu publique une salle de ciné ! Je vois pas pourquoi on aurait même pas le droit de respirer.

    - Putain, mais si vous voulez parler, regardez la télé dans votre salon, mais faites pas chier les gens qui vont au ciné !

    - J'fais ce que j'veux, t'as pas à me dire ce que je dois faire, t'es pas mon père. Espèce de dingo, tiens !

    - Quoi dingo ? DINGO ! QUOI ?! parce que je suis énervé ?!

    - Ben faudrait que t'apprenne à te calmer ouais !

    - MAIS C'EST A CAUSE DE TOI ET DE TA GRELUCHE QUE JE SUIS ENERVE !

    - HE ! c'est pas la peine de gueuler. T'es malade toi !

    - JE NE SUIS PAS UN MALADE !

    - HE, ME TOUCHE PAS !

    - SALE PETIT CON, POURQUOI TU NE VEUX PAS ME FOUTRE LA PAIX ?

    - HE, MAIS ARRETEZ... AAAAAHHHHHHH... AU SECOURS !!!... AU SEC...

    - Raaaa, ARRETE DE TE DEBATTRE COMME CA ! ... Là tu fais moins le fier maintenant, hein ?

    - BBBBBBOOOOOOUUUUUUURRRRRRGGGGLGLGLGLGLGLGLGL....

    - SALE PETIT CON ! TIENS TU VA LE REBOUFFER TON POP-CORN DE MERDE !

    - BBBBBBOOOOOOUUUUUUURRRRRRGGGGLGLGLGLGLGLGLGL....

    - Lààààà ! vomis... gerbe tout ce que tu peux, et étouffe-toi avec !

    - bourgllll... bourgllll... bourgllll... bourgllll...

    - ...



    ... ...



    ... Très bien...

    ... Personne ne m'a trop vu sortir du ciné...

    ... C'est pas vrai... j'ai pas fait ça quand même...

    ... Il l'a cherché... c'est vrai, pourquoi on ne me fout pas la paix cinq minutes !... bordel IL N'AVAIT QU'A NE PAS ME FAIRE CHIER COMME CA, C'EST DE SA FAUTE ! PUTAIN, C'EST DE SA FAUTE ! ...

    ...

    ... Faudra que je retourne le voir ce film... demain après midi j'irai... vaudrait mieux que j'aille dans un autre ciné quand même...
     
     
     
     
     
     
     

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    Le lendemain de cuite

     

    Le lendemain de cuite

     

    Histoires d'horreur > Le lendemain de cuite

     

     

     

     

    C'est tout d'abord une espèce de sensation désagréable qui m'arrache au sommeil. Le néant se dissout lentement, et ma pensée renaît petit à petit. La sensation désagréable se précise, se mue en un faible mal au ventre qui va grandissant : Déjà, je voudrais que ça s'arrête, retourner à la douceur du sommeil. Mais la gêne se fait plus insistante encore et ne me laisse pas l'espoir de revenir en arrière. Une douleur à la tête commence aussi à se faire sentir : elle gagne progressivement tout l'avant de mon crâne et reste encore faible, mais je sais bien que bientôt elle ne me laissera pas de répit... Il me semble aussi entendre un léger bruissement de vagues pas très loin de moi : de petites vagues d'une mer qui me semble calme. Le bruit est vraiment agréable, je me laisserai bien bercer par le son, mais je me sens trop nauséeux, trop fatigué, trop meurtri pour l'apprécier... Je suis allongé, j'ai mal un peu partout, ma tête me lance encore un peu plus maintenant, et toujours ce mal au ventre qui enfle, toujours cette nausée... Je me sens impuissant face au mal qui m'envahit, et je sais pertinemment que je n'y pourrai rien. Alors, finalement résigné, péniblement, j'ouvre les paupières :

     

    La lumière me fait mal aux yeux, ou peut être à la tête, je ne sais plus très bien. Il fait jour, il ne me semble pas apercevoir de nuages dans le ciel, mais il demeure d'un bleu cendré : ce doit être le matin. Je tourne alors la tête sur le côté, et bien que les rochers autour de moi me barrent encore la vue du soleil, je peux néanmoins admirer la voûte rougeâtre se mêler somptueusement au bleu qui la recouvre. Je me rappelle qu'on est en juin, et avec le jour qui vient de se lever l'air est encore frais. Je suis alors curieux de connaître l'heure avec plus de précision : Je sens ma montre à mon poignet, et tout en restant allongé sur le dos, je tente de lever mon bras droit vers mon visage : J'essaie de le bouger, mais il me fait mal et m'incite à stopper mon geste. Finalement, malgré la douleur, je parviens péniblement à placer mon poignet devant mon visage : Il est cinq heures et quart du matin.

     

    Je délaisse alors ma montre pour mieux regarder mon avant bras : Celui-ci est meurtri, déjà quelques ecchymoses ont bleui ma peau. J'essaie de comprendre pourquoi, mais tout demeure embrouillé dans ma tête... ma tête qui me fait toujours aussi mal. J'aimerais que toutes ces douleurs s'arrêtent, mais plus j'ai l'impression de recouvrer mes esprits, moins bien je me sens : Hier soir j'ai trop bu, j'ai vraiment trop bu, c'est sûr. J'ai mal au dos aussi : les rochers sur lesquels je suis allongé ne doivent pas être plats, car ils me font bien mal. Et puis j'ai aussi la gorge en feu, sûrement parce que j'ai bien trop fumé hier soir.

     

    Hier soir... hier soir... je me rappelle qu'on fêtait les résultats du bac... Enfin, eux surtout, parce que moi c'est vrai que je ne l'ai pas eu. On a bien bu, mais je ne me souviens pas de tout, enfin pas de grand-chose même. J'avais fumé, et pas seulement du tabac, et je m'étais aussi bien marré avec Marion... enfin c'était une bonne soirée ! ... Alors, pourquoi je suis encore là ? Et où sont les autres ? quelque part près d'ici ? partis sans moi ?

     

    Je commence un peu à paniquer, je ferme les yeux, j'essaie de me calmer, mais tout se bouscule dans ma tête : je veux comprendre.

     

    Je me décide alors à essayer de me lever et d'aller voir s'ils sont toujours là, quelque part.

     

     

     

    *

     

     

     

    Laurent avançait dans la cour du lycée, au beau milieu du fourmillement incessant des autres élèves venus aussi voir leurs résultats. Devant lui se tenait tout un attroupement compact, duquel il en voyait beaucoup sortir à toute allure, le sourire aux lèvres, ou encore poussant de petits cris pour exprimer leur joie. Et puis il y en avait d'autres, moins nombreux, qui ressortaient de l'attroupement l'air penaud, tête basse... Il serait sûrement comme eux, tout à l'heure, quand il aurait vu ses résultats du bac sur les panneaux d'affichage : Il ne se faisait pas de faux espoirs, il n'avait presque pas travaillé pour. Il ne se faisait vraiment pas d'illusion, même si au fond de lui il espérait quand même se tromper.

     

    - Eh Laurent ! T'as été voir tes résultats, hein ?

     

    - Salut Cédric... ben non je viens juste d'arriver... J'y vais, là.

     

    - Ah... Tu sais ?... non ?... Purée ! Moi, je suis content ! je l'ai eu ! Je suis...

     

    - Super, je suis content pour toi aussi... mais faut que j'aille voir pour moi.

     

    Cédric continuait de le fixer bêtement, un sourire béat jusqu'aux oreilles, les mains dans les poches, se dandinant d'un côté puis de l'autre, absolument noyé dans son bonheur. Laurent avait du mal à supporter cette vision, il avait coupé court au dialogue et s'engouffrait déjà au sein de la foule qui s'entassait devant les panneaux d'affichage des résultats.

     

    Il se faufila péniblement sur la gauche, pour atteindre les premiers panneaux. Abgral, Laurent Abgral : son nom serait sans doute sur les premières feuilles. La foule était dense, les élèves étaient tous tendus et ne faisaient absolument pas attention à laisser passer les autres. En forçant un peu le passage, Laurent finit par atteindre le tableau : Il disait qu'il s'en foutait de son bac, mais là son cœur battait fort. Peinant pour garder sa place, il parcourut la liste des noms jusqu'à arriver au sien...

     

    7,85 sur 20 de moyenne... Le chiffre s'abattit violemment sur les faibles espoirs qu'il cultivait encore. Il baissa la tête, essaya de se réconforter, de se dire que ce n'était pas si terrible que ça, que de toute façon il l'avait un peu cherché... non ? Mais ce qui le démoralisait assurément était de devoir annoncer la nouvelle tout à l'heure aux parents, ainsi qu'aux amis qui, eux, l'auront sûrement eu...

     

    - Eh !... Heu... s'il te plait, tu peux te pousser, j'arrive pas à lire.

     

    - Ah... Désolé.

     

    Laurent, lentement, se tournant de côté, traversa la foule, puis mollement se dirigea vers la sortie de la cour, tête basse, l'air penaud, comme certains des élèves qu'il avait vus en arrivant.

     

    Il remarqua un petit groupe au milieu de la cour. Il reconnut Cédric, mais celui-ci était maintenant accompagné par Philippe et aussi Marion. Une envie de partir sans même aller les voir lui traversa l'esprit : il aurait voulu être un peu seul, ou du moins ne pas avoir à affronter tout de suite ses amis. Mais après tout, rester seul n'allait rien changer à son sort, et puis il avait envie de parler un peu aussi. Alors, d'un pas un peu plus décidé, tête relevée, il rejoignit le groupe.

     

    - Salut Philippe, Salut Marion...

     

    - Heu... Salut.

     

    - Hhhhmph... Salut. 

     

    Aucun des deux n'avait l'air dans leur assiette.

     

    A la recherche du regard d'un être moins déprimé que lui, Laurent se retourna finalement vers Cédric, qui lui avait toujours l'air de se sentir heureux... c'était bien le seul des trois à se sentir bien !

     

    - Ca ne va pas ?

     

    - Moi si, répondit Cédric en levant les épaules en signe d'impuissance.

     

    - Vous ne l'avez pas eu ? Demanda finalement Laurent en observant alternativement Philippe et Marion. Alors ce fut elle qui, l'air accablée et d'une voix vibrante, lui répondit :

     

    - Heu... non... pas eu... J'ai essayé de bûcher pourtant... mais c'était trop dur, j'arrivais pas... purée... pfff... j'y crois pas que je l'ai pas.

     

    - Tu sais moi non plus je ne l'ai pas eu, annonça-t-il à Marion en la regardant d'un air amusé, cherchant un peu à dédramatiser la situation pour lui remonter le moral.

     

    - Oh ! Ben... on est deux alors ! c'est super, on va pouvoir déprimer ensemble comme ça...

     

    - On est deux ? répéta Laurent. Mais alors Philippe tu...

     

    - Il l'a eu, l'interrompit Cédric. Mais il vient de croiser Marie, elle était avec un autre gars.

     

    Philippe leva la tête, fixa Laurent d'un regard humide, et d'une voix chevrotante, il commença :

     

    - Elle... quand je l'ai vue... elle revenait d'être allé voir ses résultats... Elle avait l'air heureuse... Et puis un autre gars est sorti de la foule... je ne le connaissais pas, mais lui il la connaissait : Il s'est approché d'elle... et puis... il... il lui a dit quelques mots... elle aussi... et puis... et puis... Elle l'a embrassé ! Ca a duré long ! ils sont restés comme ça enlacés dans la cour un sacré moment... et puis ils sont partis... Moi, je vais pas bien depuis... tu comprends ? c'est pas tenable ! j'arrive pas à l'oublier, et puis...

     

    - Allez calme-toi. T'y est pour rien si elle t'a quittée, et puis tu vas pas en rester là ! Tu en rencontreras une autre ! La vie contin...

     

    - Non ! Elle continue pas ! je l'aimais !

     

    - Mais t'as eu ton bac, non ?

     

    - Oui, mais...

     

    - Bon tu vas partir d'ici... tu vas à Rennes, c'est ça ? C'est bien plus grand que ce trou perdu ? Et là-bas tu rencontreras pleins de filles belles et sympas !

     

    Les mots de réconfort de Laurent ne l'apaisaient pas, et lassé d'expliquer son chagrin à tout le monde, Philippe scruta discrètement autour de lui, l'oeil à la recherche d'une diversion afin de changer de sujet.

     

    Indiquant alors du menton une direction, il annonça d'un air un peu moins éploré :

     

    - Tiens, voilà Céline qui arrive avec Michaël.

     

    Céline, toujours bien coiffée, propre sur elle, était accompagnée par Michaël, son copain depuis maintenant presque un an. Lui, présentait franchement moins bien qu'elle : il était habillé, comme à son habitude, en survêtement... Cela contrastait quelque peu avec la jupe et le beau chemisier que portait Céline. Elle faisait partie de leur groupe d'amis quand elle avait rencontré Michaël, ils n'avaient donc pas fait d'histoires pour intégrer son copain à leur groupe.

     

    Cédric demanda en premier :

     

    - Alors, vous l'avez eu ?

     

    - Oui, répondit Céline avec un grand sourire.

     

    - Tout juste pour moi, ajouta Michaël, mais bon je l'ai.

     

    Céline, voyant que tout n'allait pas pour le mieux, demanda :

     

    - Vous, ça ne va pas ?

     

    - Moi je l'ai eu aussi, répondit sans attendre Cédric. Philippe aussi, mais il est triste parce qu'il a croisé Marie, son ex, avec un autre.

     

    - Ah, heu... je comprends... je suis sincèrement désolé pour toi Philippe.

     

    - Pour moi et Marion, renchérit Laurent sans attendre, eh bien, on ne l'a pas eu.

     

    - Ah bon, même pas de repêche ?

     

    - Non... même pas, répondit timidement Marion en relevant un peu la tête.

     

    - Tout ça est bien triste, conclu Céline.

     

    Tout le groupe resta ainsi quelques secondes, gênés, sans mot dire, avant que Michaël ne brise la glace :

     

    - Je sais pas moi... qu'est ce qu'on fait maintenant ?

     

    S'adressant aux trois corps amorphes devant lui, Cédric demanda :

     

    - Vous, vous n'aurez peut-être pas trop envie de faire la fête non ?

     

    Tous trois se regardèrent alors, Marion se mit soudait à rire :

     

    - Ca nous ferait peut-être du bien de noyer notre chagrin dans l'alcool, non ?

     

    - Heu... pfff... au point où j'en suis, pourquoi pas ! Répondit Philippe.

     

    - Je sais pas trop moi...

     

    - Allez, Laurent tu vas pas te faire prier ! Lança Philippe qui semblait subitement un peu plus jovial.

     

    - Bon... allez, d'accord ! ça me va !

     

    - Comment on fait alors, on se rejoint sur la plage ce soir ?

     

    - A la crique, dans les rochers, comme d'hab ?

     

    - La crique de Porgoarret ? Ben... ouais, pourquoi pas.

     

    - Bon alors, il faut qu'on aille acheter les bouteilles maintenant.

     

    - T'as raison... ben, on y va alors !

     

    Ils quittèrent la cour du lycée, et se rendirent au premier super marché venu. Ils achetèrent beaucoup de bière, et aussi quelques bouteilles d'alcool fort « pour bien finir la soirée ». Puis ils transportèrent le tout jusque dans les rochers de la crique : Dans les fourrés, en haut des galets, près de l'endroit où ils comptaient passer la soirée, ils cachèrent toutes les bouteilles et les packs de bières. Ils se donnèrent ensuite rendez-vous au même endroit, à vingt et une heures.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je me tourne douloureusement sur le côté, et lentement, la tête pendante, je me mets à quatre pattes. J'ai l'impression qu'on me serre l'abdomen dans un étau et ma tête tourne horriblement. Tout s'accélère, je suis pris d'un atroce haut-le-cœur. Un soubresaut me fait tressaillir, puis une convulsion me parcourt du ventre à la bouche, et sans pouvoir me contrôler, je vomis : Impuissant, je regarde le liquide brunâtre se déverser par saccade et le goût acide envahit ma bouche. L'odeur, le son, s'y ajoute, me dégoûte... et me fait vomir encore... Puis cela s'estompe. Je reste immobile, à regarder, hébété, la marre brunâtre et grumeleuse sous mes yeux... Puis la convulsion revient, et tout le reste avec... puis ça s'arrête à nouveau. Alors j'attends pour voir si ça ne va reprendre encore une fois... mais plus rien. Soulagé, toujours à quatre pattes, les bras écartés, je tousse plusieurs fois, puis je m'appuie sur une main et m'essuie vaguement la bouche.

     

    Je relève la tête, je me sens un peu mieux.

     

    Je regarde autour de moi, je reconnais la crique de Porgoarret : Cette petite crique où quelques bateaux viennent y déposer amarres. Je regarde un peu plus vers le bord de l'eau, et distingue sur le sable une forme humaine allongée. Je m'en trouve à plus d'une centaine de mètres, bien trop loin pour distinguer mieux les choses. La personne reste allongée, et ne bouge pas, je m'interroge, je m'inquiète : je me doute que ce doit être un de nous six présents hier soir.

     

    Sans réfléchir plus longtemps, je me lève pour aller voir. En appuyant sur ma jambe droite, un élan de douleur me fait plisser les yeux, je force un peu dessus, mais même une fois debout là douleur est toujours là : J'essaie de faire un pas, j'ai mal, mais cela m'est supportable, et en relevant ma jambe de pantalon, je n'y vois rien d'apparent. Sans m'éterniser alors plus longtemps sur ma douleur, de plus en plus inquiet par celui étendu là-bas sur le sable, je me remets à cheminer dans les rochers en boitant fortement.

     

    Tout en progressant péniblement, je ne peux quitter du regard la personne vers laquelle je me dirige, et petit à petit le trouble m'envahit : Je le reconnais, c'est Michaël qui est étendu là-bas. J'arrive sur le sable, je presse de plus en plus le pas, et mon trouble fait place à l'inquiétude. Il est allongé sur le dos, et son visage me semble amoché. Plus j'avance vers lui et plus je discerne les ecchymoses, les coupures et les griffures qui le recouvrent. Je ne vois plus que son visage, j'avance en courant presque, traînant maintenant ma jambe comme je le peux. Arrivé à sa hauteur, je m'écroule à genoux sur le sable. Il ne se réveille pas : à le voir, on dirait qu'il sort d'un combat de boxe. D'une voix faible et chevrotante je commence à lui parler pour le réveiller.

     

    - Michaël ? eh oh, Michaël ? Dis, réveille-toi, allez !

     

    Mais, il ne se réveille pas, alors je panique, je ne comprends pas pourquoi il est dans un tel état. Dans ma tête, il y a un grand vide, je ne me rappelle pas de ce que j'ai pu faire hier après avoir bu, et j'en ai peur, j'ai envie de pleurer. Tout mon corps se crispe, je ferme les yeux avec force... Et là j'explose, les larmes sortent, je balbutie, puis je commence à brailler « Michaël, eh ! debout ! Oh, Michaël, allez ! réveille-toi ! ». Sans attendre de réponse, je le prends par les épaules et le secoue comme un prunier. Il émet une plainte, et je le relâche, une vague de soulagement m'envahit : il revient à lui. Il gémit encore un peu, et sûrement sous la douleur, son visage se crispe, puis il cligne et finit par ouvrir les yeux. Il m'aperçoit à côté de lui, tourne son visage meurtri vers moi et me regarde fixement.

     

     

     

    *

     

     

     

    Vingt heures cinquante, Laurent était déjà sur place.

     

    En avance, et voyant que personne n'était encore là, il s'était calmement assis en tailleur, contemplant le paysage : Cette crique, il y venait beaucoup étant enfant avec son père. Il passait son temps dans l'eau, souvent à jouer dans un petit bateau pneumatique que son père attachait à un rocher à l'aide d'une grande corde. Ainsi il pouvait s'amuser dans le bateau pendant que son père somnolait, tranquillement allongé sous la chaleur du soleil.

     

    Maintenant, pour lui, ce lieu se retrouvait chargé d'une certaine mélancolie : le temps avait passé, le bateau pneumatique était dégonflé et rangé dans un coin du garage, et il n'allait plus avec son père ici pendant les après-midi d'été : Le temps fuyait, les choses qui avaient été n'étaient plus, et il s'en rendait compte.

     

    Laurent soupira, souleva le pan de sa veste, plongea la main dans la poche intérieure et en sortit un paquet de cigarettes. Las, plongé dans ses souvenirs, il s'en alluma une, puis nerveusement en aspira une grande bouffée... la tête lui tourna un peu et il se sentit un peu plus calme. Le silence berçait ses pensées, même le bruit des vagues était à peine audible, le bord de l'eau se trouvant loin de lui. En effet, c'était presque marrée basse, et la mer, qui continuait de se retirer, avait déjà délaissé quelques petits bateaux de pécheur sur le sable, tandis que les plus gros, plus au large, mouillaient encore...

     

    - Alors on rêve ?

     

    - Hein ! heu... Céline ! Tu m'as surpris, je ne t'ai pas entendu venir.

     

    - Tu avais l'air absorbé dans la contemplation du paysage, en effet.

     

    - Oui, j'aime bien cet endroit.

     

    - C'est calme c'est vrai... Dis-moi, personne d'autre n'est arrivé à ce que je vois ?

     

    - Non non, pas encore. Mais bon, on est en avance, alors ça ne m'étonne pas.

     

    Céline jaugea rapidement Laurent, puis lui demanda :

     

    - Tu n'as pas l'air bien ?

     

    - Oh, ben j'étais plongé dans mes pensées, voilà tout.

     

    - Et pour ton bac, t'es pas trop cassé ? ça va ?

     

    - Heu... couci-couça... Enfin, je l'ai annoncé aux parents tout à l'heure, donc le plus dur est fait.

     

    - Ils ne l'ont pas trop mal pris ?

     

    - Oh... Ils n'étaient pas ravis, c'est sûr. Mais leur réaction a été bien moins mauvaise que ce que je ne pensais.

     

    Il haussa les épaules et reprit :

     

    - Bah j'essaie d'y voir le positif. Tu vois, au moins je resterai ici un an de plus.

     

    - C'est sûr, de toute manière tu ne peux plus rien y faire, alors...

     

    - Oh et puis tu sais, je n'ai pas non plus fait grand-chose pour l'avoir !

     

    Ils se regardèrent tous deux en rigolant. Puis Laurent, plus calme, reprit :

     

    - Et toi alors, tu ne vas pas rester ici, non ?

     

    - Oui... je ne vais pas rester.

     

    - Alors, tu vas aller ou ? demanda Laurent, impatient.

     

    - A Rennes, normalement, admit-elle d'un air enjoué.

     

    - Ah ben il y a Philippe qui y va aussi ! Il faudra lui faire connaître d'autres filles à celui-là ! Tu as vu comment il était déprimé tout à l'heure ?

     

    - Oui, c'est pas évident pour lui, le pauvre.

     

    - Alors au fait, continua Laurent, tu hésitais sur ce que tu voulais faire, non ?

     

    - Oui... mais c'est bon, ça y est je me suis décidée, je me sens d'ailleurs mieux maintenant, bien contente d'avoir fait mon choix.

     

    - Allez... dis ? C'était institutrice ou sage femme, c'est bien entre ces deux-là que tu hésitais ?

     

    - Oui, je m'étais pré-inscrite pour les deux filières, et ça faisait longtemps que j'hésitais, mais là c'est bon ! Finalement il fallait juste que j'ai mon bac pour que ça me décide...

     

    - Juste... juste, insista Laurent d'un air bougon. Moi, je l'ai pas eu, c'est pas non plus une formalité le bac.

     

    - Excuse moi Laurent, admis sincèrement Céline. Mais tu sais, je suis vraiment contente ! Tu comprends, ça y est ! j'en suis sûre ! je veux devenir sage femme.

     

    - Wow ! Et c'est vraiment un beau métier ça !

     

    - Oui,

     

    - Donc c'est sûr ? Pas institutrice alors ?

     

    - Non, pas institutrice... Mais je pense que si j'hésitais, c'était à cause des études qu'il faut faire pour devenir sage femme... Mais je veux au moins essayer.

     

    - Ah bon, c'est si dur que ça les études de sage femme ?

     

    - Eh bien, il faut faire la première année de médecine pour entrer ensuite en école de sage femme.

     

    - Hein ? ah bon ? Purée, mais c'est une année de dingo la première année de médecine ! renchérit Laurent, décidément intéressé par le sujet.

     

    - Oui... et ça me faisait beaucoup hésiter, c'est une année vraiment très sélective.

     

    - Mais c'était aussi peut être à cause de Michaël ? devina-t-il.

     

    - Oui, pendant la première année j'aurais vraiment très peu de temps libre.

     

    - Et qu'est ce qu'il en pense ?

     

    - Ben... je ne lui ai encore rien dit.

     

    - Ah, oh eh ben... pas évident.

     

    - Oui, mais je veux devenir sage femme ! J'ai hésité comme ça assez longtemps.

     

    - Ben dit donc, t'as l'air décidée... Ah tiens attends, je crois qu'il y a du monde qui arrive.

     

    Laurent plissa les yeux pour mieux voir. Il discerna deux personnes sortir de sous les arbres couvrant le chemin descendant à la crique. Il devina Cédric et Michaël.

     

    - Ils sont deux, non ? s'interrogea Laurent.

     

    - Il y a mon Michaël et Cédric si je vois bien.

     

    - Oui oui, c'est bien ça.

     

    Contemplant encore une fois cette crique qui n'avait décidément pas changé depuis toutes ces années, Laurent oublia quelques secondes tout son monde, pour replonger un instant dans celui de son enfance... Il entendit de nouveau Cédric et Michaël les appeler : ils se trouvaient maintenant sur le banc de sable et allaient commencer à grimper sur les rochers.

     

    - Tu appréhendes d'en parler avec lui, hein ? L'interrogea Laurent.

     

    - Oui, un peu, répondit assez nerveusement Céline. Mais bon, j'y ai vraiment réfléchi et je veux le faire.

     

    - Je comprends, répondit-il simplement, ne sachant trop qu'ajouter d'autre.

     

    Ils se turent, regardant calmement les deux autres arriver, et qui avançaient maintenant quelque peu difficilement dans les rochers.

     

    - Salut ! Ben vous êtes à l'heure, il est neuf heures pile ! Leur lança amicalement Laurent une fois qu'ils étaient parvenus suffisamment près d'eux.

     

    - Salut ! Répondit Cédric, vous allez bien ?

     

    - Ouais, tranquille, Céline et moi on se racontait notre vie ! s'exclama Laurent tout en se levant. Vous allez bien tous les deux ?

     

    Michaël, qui embrassait déjà Céline, répondit :

     

    - Oh... eh ben oui, on discutait un peu... Vous saviez que Cédric part sur Paris ?

     

    - En septembre j'attaque là-bas, en prépa d'ingénieur, précisa sans attendre Cédric, visiblement heureux. J'ai reçu mon acceptation cette après-midi.

     

    - Ben dit donc, t'as du bol ! s'exclama Laurent.

     

    - Oui, et puis, je vais partir à Paris ! Déjà je suis trop content d'aller vivre en ville, mais en plus à Paris, là c'est vraiment le pied !

     

    - Tu vois, ajouta sans attendre Michaël, il est pas attaché à sa terre... Mais je sais pas moi, la Bretagne, ça ne va pas te manquer quand même ?

     

    - Mais non, là-bas c'est autre chose, ici je connais déjà.

     

    - Ouais peut être, mais par exemple ici je me sens chez moi, rajouta Michaël, alors je n'aimerai pas vivre là-bas, parce que je connais pas, c'est la proie pour l'ombre... et puis ici c'est bien plus beau... et il y a la mer.

     

    - Quel extrémiste de la promotion de la Bretagne tu fais, Michaël ! s'esclaffa Laurent, puis s'adressant à Cédric, il rajouta : Mais c'est vrai ça, la mer ne va pas te manquer ?

     

    - Heu... non, répondit Cédric en haussant les épaules.

     

    Finalement Laurent, ne sachant trop quoi rajouter, se frotta les mains d'impatience, balaya du regard les trois autres, et le sourire aux lèvres, leur demanda :

     

    - Alors, on va prendre les bouteilles? 

     

    - On n'attend pas les autres ? intervint Céline.

     

    - Oh... Heu, ben on peut déjà aller prendre les bouteilles et commencer à boire un peu, non ? On ne sait pas quand ils vont arriver, et puis il faut préparer le feu.

     

    Devant une telle avalanche d'arguments, tous se laissèrent convaincre.

     

    Ils remontèrent tous vers le haut des rochers, là où la roche laissait place à une terre très en pente et qui montait quasiment verticalement. Il y avait plein de petits buissons qui s'étaient formés dessus, et sous ceux qui étaient au niveau du sol, ils avaient caché leurs bouteilles.

     

    Tous les quatre s'activèrent pour ramener sur leur rocher les packs de bières et les diverses bouteilles de vodka et de whisky. Certains qui n'aimaient pas boire des alcools forts purs, avaient aussi acheté du jus d'orange et du Coca.

     

    Ils ramassèrent aussi tous les vieux petits bouts de branches mortes qui se trouvaient un peu partout disséminés près des buissons. Ainsi ils rapportèrent assez de petit bois pour faire le feu. Laurent accumula un tas et mit le reste de côté pour plus tard. Il plaça une poignée d'herbes sèches sous le bois, sortit son briquet, le plaça sous les herbes, et consciencieusement fit lécher les flammes sous toute leur surface.

     

    - Wooch ! putain ça brûle, s'exclama-t-il en retirant violemment sa main de sous le feu. Bon, je pense qu'il devrait prendre là, on va bien voir.

     

    Tous les quatre contemplaient religieusement le feu. Une voix lointaine les sortit de leur méditation.

     

    - Ooouuuhhh ooouuuuh ! C'est nous !

     

    C'était Marion, accompagnée de Philippe, qui arrivait.

     

    - SALUT VOUS DEUX, s'écria Laurent en réponse.

     

    - Salut ! Répondirent en cœur les deux retardataires.

     

    Deux minutes plus tard, ils étaient tous les six réunis sur le rocher. Marion tout de suite expliqua la raison de son retard :

     

    - Houlala, je suis un peu en retard c'est vrai. Mais bon, j'hésitais à acheter des clopes. Et puis finalement j'y suis allé au dernier moment, et j'ai dû faire un détour, et à pied ça m'a pris du temps.

     

    - Ah, t'as craqué alors ! commenta ironiquement Laurent.

     

    - Bah ! juste pour ce soir... Je ne me sens vraiment pas bien d'avoir raté mon bac. Alors un petit paquet de clopes... ça me détendra, non ?

     

    - Les fumeurs trouvent toujours toutes sortes d'excuses pour fumer ! Maugréa Michaël en retour.

     

    - Oh ! eh ! pour une fois, hein ! rétorqua Marion un peu énervée.

     

    Elle se tourna vers Philippe, et vit qu'il ne disait rien, toujours l'air penaud. Alors elle continua :

     

    - Et j'ai croisé Philippe en arrivant : il était en haut du chemin à regarder au loin, perdu dans ses pensées.

     

    - Oui, poursuivit Philippe, je me sentais pas bien à cause de cette aprèm, et je me demandais si j'allais venir et descendre avec vous faire la fête ou pas.

     

    - Ben finalement t'es venu ! c'est cool ! Et puis on va passer une bonne nuit et se détendre, compléta Cédric.

     

    - Au fait, pourquoi on s'installerait pas sur le vivier ? suggéra Marion. Ca pourrait être sympa, non ?

     

    Le vivier était un bâtiment rectangulaire en béton, installé sur les rochers. Il servait aux pécheurs pour y stocker hors de la mer le contenu de leur pèche tout en les laissant dans l'eau et évitant donc l'asphyxie de leurs prises. Le bâtiment faisait bien quatre mètres de haut, et il n'y avait aucune fenêtre, tout simplement pour que l'eau apportée par la mer ne s'échappe pas lorsqu'elle baisse. Pour pouvoir y déposer et reprendre le contenu des pêches, il y avait juste une grille en barreaux métalliques sur le toit, et un gros escalier en béton sur un des côtés pour pouvoir y grimper à marée basse.

     

    - Heu non, ça vaudrait mieux pas, expliqua Laurent. Déjà on pourrait tomber du toit, et comme ce sont les rochers qui sont en dessous... En plus, vu la charge qu'on risque de se prendre ce soir, ça ne serait pas très prudent... Et puis surtout, quand la mer est haute, le vivier est la plupart du temps recouvert par la mer... alors bon, si on veut passer la nuit à boire, on sera mieux ici que là-dessus.

     

    Marion, tournée vers la mer, considérait le vivier, enraciné sur les rochers proches du banc de sable, il se trouvait à mi-chemin entre eux et les bateaux, et gâchait quand même un peu la beauté du paysage, même si avec le temps, on finissait par ne plus y faire attention.

     

    - D'accord ! admis t'elle finalement, l'air un peu triste. C'est vrai, t'as raison. C'est con, je trouvais ça bien... Mais bon, ok.

     

    Cédric se pencha, éventra un pack de canettes de bières, s'en saisis d'une, et la mettant en évidence devant lui, demanda :

     

    - Bon ! allez, on attaque ?

     

    - Ouais t'as raison, lui répondit Marion avec joie.

     

    Ils se saisirent tous d'une bière, Laurent ouvrit la sienne et la leva haut en l'air.

     

    - Eh bien, comme je ne peux pas dire qu'on peut tous trinquer pour l'obtention du bac, eh bien... TRINQUONS AUX VACANCES !

     

    - Ouais, t'as raison, rajouta Cédric, AUX VACANCES !

     

     

     

    *

     

     

     

    - Ca va Michaël ?

     

    Pas de réponse, il demeure sans expression, le regard figé sur moi.

     

    - Michaël, eh ! Ca va ? T'es pas beau à voir... Qu'est ce qui s'est passé ? Hein, dis ?

     

    Il me fixe, toujours sans rien dire ni bouger. Je me sens mal, je prends un peu peur.

     

    - Hein dis ! Qu'est ce qui s'est passé ? Pourquoi t'es comme ça ? Où sont les autres ?... Qu'est ce que j'ai fait hier soir ?

     

    La panique monte en moi, je veux le secouer pour qu'il me réponde, mais au moment où je le touche, il tressaute et se lève d'un bond. Il ne tient pas très bien debout, titube un peu, manque de tomber, et tout en me fusillant d'un regard, épouvanté, il commence à me dire :

     

    - Laurent... tu... ne... tu... tu ne va pas me faire de mal hein ?

     

    - Hein ? Mais non ! voyons, je ne vais...

     

    - T'as dessaoulé hein ?

     

    - Heu, oui, mais qu'est ce qu'il y a ?... Mais dis-moi !

     

    La panique me gagne de plus belle, je me sens mal, toujours accroupi, avec lui debout devant moi... alors je me lève, et immédiatement, l'air terrifié, Michaël recule de quelques pas.

     

    - AH NON, NE ME TOUCHE PAS !

     

    - Mais qu'est ce qu'il y a, qu'est ce que j'ai fait ? je lui demande, complètement désespéré.

     

    - MAIS C'EST DINGUE CA, TU NE TE SOUVIENS PAS ! me crie Michaël, l'air complètement affolé.

     

    - Mais... heu, non, je... Non, je ne me souviens pas, j'avoue d'une vois faible. J'ai trop bu, bordel ! je ne me souviens pas !

     

    - Heu... écoute (Michaël me semble un peu plus calme). Tu ne t'approches pas de moi d'accord ? Peut-être que là t'as l'air mieux, mais hier soir t'as bien faillit me battre à mort ! Et les autres, je ne sais même pas ce qu'ils sont devenus ! ... ou ce que t'en à fait : t'étais comme fou furieux !

     

    - Te cogner ! Mais pourquoi ? je demande, totalement médusé.

     

    - Ben je sais pas moi ! T'as pas eu ton bac, t'as trop bu, tu t'es énervé, et puis t'es parti en couille, voilà ce qu'il y a !

     

    Je reste bouche bée, sans réponse. Michaël reprend.

     

    - Bon écoute, quoi qu'il en soit, je préférerais te savoir loin de moi, et t'as assez fait de conneries comme ça.

     

    Il s'interrompt pour réfléchir, puis reprend :

     

    - Tu ferais mieux de partir, de rentrer chez toi... Je sais pas moi ! Mais vas-t'en ! Moi j'ai une gueule de bois d'enfer, mais je vais rester ici pour voir si les autres sont encore là.

     

    - Mais je...

     

    - Non, tu ne pourrais pas m'aider, m'interrompt Michaël. Je n'ai franchement pas très envie de te savoir à côté de moi après ce que tu m'as fait hier... Alors fout le camp !

     

    Je veux lui dire que je vais mieux, que je ne suis plus saoul, que je veux l'aider, mais à peine ai-je balbutié quelques mots, que sans me quitter du regard, il insiste.

     

    - Barre toi ! j'te dis !... Ça vaut mieux.

     

    Je le regarde, désespéré, mais il reste de marbre, son regard dur et froid tend à me dire de ne pas insister. Je me sens noyé sous la culpabilité. J'ai peur de ce qu'il va découvrir en fouillant le coin. Néanmoins, ne voyant pas d'autre choix possible, sans plus rien dire, je me retourne vers la petite route qui quitte la crique, et m'en vais lentement en boitant.

     

     

     

    *

     

     

     

    La première bière fit place à une seconde, puis à une troisième... Déjà une heure était passée, les discussions allaient bon train. Le jour s'en était allé, faisant progressivement place à la chaude lumière du feu de bois. Tous les visages se muaient depuis dans un océan de douces nuances jaune-orangé qui se mêlaient à l'obscurité de la nuit. Les yeux brillaient, chacun se sentait heureux, se narguant de ses soucis, oubliant le temps qui passe.

     

    Laurent sans mot dire sortit une cigarette de son paquet, l'éventra à l'aide d'une clé de son trousseau. Disposa le tabac sur plusieurs feuilles de papier à rouler qu'il avait collées entre elles, émietta une petite boulette qu'il sortit de sa poche... et roula le tout. Puis, le sourire aux lèvres, il parcourut du regard ses amis, et demanda :

     

    - Quelqu'un veut fumer un peu ?

     

    - Ah ouais ! moi ça me dit ! s'exclama Marion d'une voix vigoureuse.

     

    - Ouh là ! toi t'es déjà amochée ! Lui fit remarquer Laurent tout en rigolant. Fait gaffe, l'alcool et le shit, ça fait parfois un mauvais mélange, tu pourrais être malade.

     

    - Raaaah ! J'm'en fou ! Et puis toi t'as bu aussi, non ?

     

    - Ouais, sûr, mais je fume depuis longtemps déjà... Bah ! allez, tiens !

     

    Marion se saisit du joint que lui tendait Laurent, elle inspira longuement : La fumée âpre envahissant la bouche ainsi que la gorge lui donna un peu envie de tousser, mais elle se retint... Elle prit trois ou quatre bouffées puis rendit le joint à Laurent, celui-ci le porta à sa bouche et aspira longuement.

     

    - On est bien là quand même ! soupira Laurent de plaisir.

     

    - Ouais, c'est vrai, c'est vraiment reposant, rajouta Cédric.

     

    - Ben tu vois Cédric, t'arrives quand même à aimer d'être ici, non ? ne put s'empêcher de faire remarquer Laurent.

     

    - C'est vrai qu'une soirée au coin d'un feu, au bord de la mer... j'aurais du mal à dire que ça me déplaise, c'est sûr ! Mais je suis quand même trop content d'aller à Paris en septembre...

     

    - C'est parfois en quittant ce qu'on aime, qu'on se rend compte... qu'on l'aime ! justement ! rajouta Céline à l'intention de Cédric.

     

    - C'est peut-être vrai... bah ! Je verrai bien !... Mais dis Céline, et toi tu pars où ?

     

    Céline parut gênée par la question : avec Michaël, son copain, à côté d'elle, elle allait devoir aborder le sujet avec lui, alors qu'elle aurait préféré attendre un moment plus propice. Elle baissa la tête, cherchant quoi dire...

     

    Cédric, impatient d'obtenir une réponse, reprit :

     

    - Ben, heu, qu'est ce qu'il y a ? Tu vas aller où ? la pressa-t-il.

     

    - A Rennes, répondit-elle sans plus réfléchir davantage.

     

    - A Rennes ! répéta Cédric, visiblement content pour elle. Ben c'est cool ! Tu hésitais avant, non ? Donc maintenant, tu sais ce que tu vas faire alors ?

     

    - Oui, répondit-elle, gênée. Je me suis décidée, et...

     

    Inquiète du silence de son ami, elle se retourna vers Michaël : il restait prostré, sans bouger. Elle se dit, avec une certaine crainte mêlée de lassitude, qu'il fallait qu'ils en parlent tous les deux... et maintenant.

     

    - Heu... tu veux qu'on parle Michaël ?

     

    - J'aimerais bien... ouais.

     

    - Tu nous excuses Cédric ? demanda poliment Céline, se tournant vers lui.

     

    - Ah !... ok, je m'en vais, je...

     

    - Non reste là ! le corrigea-t-elle, je voulais juste te dire par là que j'allais te laisser pour aller parler avec Michaël.

     

    - Oh, heu... d'accord, pas de problèmes.

     

    Céline se leva gracieusement, Michaël fit de même et la suivit...

     

    Cette fille, toujours bien habillée, avait toujours eu l'admiration de Cédric pour son flegme et sa bonne tenue. Il la regardait s'en aller, elle se confondait progressivement avec la pénombre tandis qu'elle quittait la chaude lumière du feu pour s'avancer avec Michaël dans l'obscurité nocturne.

     

     

     

    *

     

     

     

    Ma tête me tourne tellement je me sens troublé, tout se mélange dans mon esprit. Je suis terrifié à l'idée de ce que j'ai pu faire : Ce n'est pas la première fois que je bois à ne plus me rappeler ce que j'ai fait, mais cette fois-ci, je sens que j'ai dépassé les bornes... pire ! que j'ai fait du mal... au moins à Michaël... et peut-être plus... : Peut-être que les autres étaient encore là-bas.

     

    Je commence à gravir le chemin vaguement bitumé qui part de la crique pour monter vers la route. Alors, peut-être dans un dernier espoir d'apercevoir les quatre autres, je me retourne... Mais, je ne vois que Michaël, qui ne bouge pas, toujours debout, me regardant fixement partir. Il n'y a avec lui ni Cédric, ni Marion, ni Philippe ou Céline.

     

    L'angoisse m'étreint tellement que j'en ai mal au ventre, je baisse la tête, honteux et malheureux. Je refais face au chemin et commence à grimper lentement, péniblement. Le poids de la culpabilité se fait de plus en plus lourd sur moi, et je ressasse les paroles de Michaël sans cesse. J'aimerais ne pas être moi, mais quelqu'un d'autre, pas celui écrasé sous les problèmes, le doute et la honte... En prime, mon échec au bac vient se mêler au flot de mes troubles, et me fait sentir plus encore accablé par les remords. Finalement, parvenu à la moitié du chemin qui monte vers la route, je n'en peux plus d'être dans cet état, et je décide de m'asseoir au bord du chemin pour me calmer un peu.

     

    Assis sur une vieille souche d'arbre coupée depuis longtemps, je me sens encore plus seul : Pas un bruit à part celui de quelques voitures au loin. Je me sens désœuvré, j'ai peur de ce qui va m'arriver, je ne sais même pas quoi faire une fois rentré. A cette idée, face à cette vision de mon impuissance, je suis pris d'un élan de panique mêlé de détresse... Je plonge alors ma tête dans mes mains, et pleure en silence, gémissant piteusement de temps à autre.

     

    L'angoisse me tord l'estomac, mon esprit désemparé cherche une solution, cherche à comprendre... mais rien ne vient. Je finis par être complètement paniqué à l'idée de rentrer chez moi. Et progressivement l'idée de revenir sur mes pas se dessine petit à petit dans ma tête : Finalement je me dis que redescendre à la crique et de retrouver Michaël me fait moins peur que de rentrer chez moi... Et au moins si les quatres autres sont encore en bas, ce serait quand même sûrement utile que j'aide à les rechercher.

     

    J'évite de penser au pire (à eux quatre dans le même état que Michaël ou pis encore) et je me lève, sèche mes larmes, puis redescends timidement vers la crique.

     

     

     

    *

     

     

     

    - Et tu comptais me le dire quand ? lâcha subitement Michaël.

     

    Céline s'arrêta de marcher et se retourna face à lui :

     

    - Je me suis vraiment décidée qu'aujourd'hui !

     

    - Alors t'aurais pu me le dire tout à l'heure !

     

    - Oui, mais j'attendais un peu, tu...

     

    - C'est à Rennes hein ? l'interrompit Michaël, qui visiblement ne voulait pas entendre plus d'explications.

     

    - Heu... oui.

     

    - Mais c'est à plus de deux cents bornes d'ici ! Tu n'aurais pas pu trouver plus près ?

     

    Céline ne répondit rien.

     

    - Et c'est pour faire quoi ?

     

    - Sage femme, répondit-elle sans attendre plus longtemps, ainsi libérée de ce qu'elle voulait lui dévoiler.

     

    A ces mots, Michaël se raidit... puis se mit à tourner en rond d'un pas pressé, l'air excédé :

     

    - Hein ? Mais, et pour la première année ?

     

    Céline hésita.

     

    - J'aurais très peu de temps libre pendant un an, finit-elle par répondre.

     

    - Mais... enfin, t'imagines ? On se verra quand ?

     

    - Oui... je sais...

     

    - Mais... t'as pensé à moi ?

     

    - Oui, mais je veux vraiment tenter ma chance ! Et peut-être que je pourrai rentrer de temps en temps ici.

     

    - De temps en temps ? Mais pas tous les week-ends, hein ? s'enquit immédiatement Michaël.

     

    - Heu, non, je n'aurais pas le temps, il y a trop de choses à étudier en première année de médecine pour que je me le permette.

     

    - Donc on ne se verra quasiment jamais ! conclut-il d'un ton aigri.

     

    - Mais toi, tu ne pourrais pas venir de temps en temps m'y voir ? proposa Céline, qui cherchait désespérément une solution palliative.

     

    - Heu... bof...

     

    - Ecoute, moi je n'y suis pour rien si tu ne veux pas bouger d'ici ne serait ce que de temps en temps, l'accusa-t-elle, en désespoir de cause.

     

    - Mais tu m'aimes à la fin pour me laisser tout seul comme ça ici, hein ?

     

    - Ben je te retourne la question : Tu sais maintenant que je veux devenir sage-femme, et tu ne veux pas faire un effort pendant une année scolaire ?

     

    - Mais quasi sans se voir ! l'interrompit Michaël.

     

    - Je n'aurais pas le temps de venir souvent ici, c'est sûr. Mais si toi tu passais me voir pendant une journée de temps en temps, on se verrait un peu plus, non ?

     

    Michaël resta tête basse et sans bouger, quelques secondes, puis relevant la tête, lança :

     

    - Tu te crois maligne hein ?

     

    - Heu... pardon ? répondit Céline, fronçant les sourcils, étonnée.

     

    - Ouais, parce que pendant tout ce temps tu ne feras peut-être rien d'autre que d'étudier ?

     

    - Heu, mais oui, je...

     

    - Non mais tu me prends pour un abruti ? Tu vas aller avec d'autres mecs, hein ? j'en suis sûr !... Ben c'est clair ! si t'es aussi loin... ne va pas me faire croire que tu vas bosser nuit et jour, sept jours sur sept...

     

    - Mais si ! il le faudra bien si je veux y arriver ! Mais Michaël, qu'est ce que...

     

    - Tu ne m'aimes pas vraiment, hein ?

     

    Les larmes commençaient à gagner les yeux de Céline, ce qu'elle craignait se déroulait...

     

    - Mais si !

     

    - Mais non ! Arrête de mentir ! autant se séparer tout de suite, ça vaudrait mieux !

     

    - Oh non... je ne veux pas ! fit-elle, la voix chevrotante.

     

    - Et toi, ça t'arrive de penser à ce que je veux ? répondit-il d'un ton grave, même si intérieurement il se sentait satisfait de l'avoir ébranlée.

     

    Céline s'était assise, maintenant en pleurs. Ceux-ci redoublèrent quand elle releva la tête et s'aperçut que Michaël était déjà reparti et l'avait laissée seule, noyée dans ses tourments.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je compte retrouver Michaël à la crique, pourtant, arrivé en bas du chemin, je ne l'y vois pas. J'imagine qu'il est peut-être parti dans les rochers, je l'appelle alors d'une voix un peu timide : mais rien, pas de réponse. L'idée me vient de crier plus fort, mais je la rejette : Finalement je pense que je serai plus à l'aise, seul, pour chercher dans les rochers... et aussi parce que Michaël ne voudra sûrement toujours pas que je l'approche.

     

    Je descends les galets avec difficulté, et arrivé sur le sable, je ne sais trop où aller chercher. Des deux côtés, le banc de sable est entouré par les rochers, mais comme hier soir nous étions sur la gauche, du côté ou se trouve le vivier, je décide d'aller chercher par là. Puis l'idée se précise dans ma tête : autant aller voir vers le feu de bois qu'on avait établi la veille, il y en sera peut-être encore resté là, à cuver leur alcool !

     

    Cette pensée me rassure un peu, je persiste à me dire que je vais les retrouver là où nous avions établi le feu, et j'y vais sans attendre. Sur le sable, je marche en boitant, mais sur les rochers, ma cheville me fait trop souffrir alors je m'appuie souvent sur les mains et progresse quasiment à quatre pattes. Je repère non loin de moi un rocher relativement plat et décide de passer par là. Arrivé dessus, je me remets debout pour avancer un peu plus vite... et je me fige : Céline est étendue un peu plus loin, face tournée vers les rochers : je l'ai tout de suite reconnue par sa jupe verte qui lui va si bien. Elle la porte toujours, mais elle n'a plus de chemisier et je ne vois sur son dos que l'attache de son soutien-gorge. Autour de sa tête, il y a une grande tache sombre sur le rocher. Je frémis, je comprends qu'elle ne doit pas être en train de dormir : Il y a cette tache... et sa peau me semble bien trop blanche.

     

     

     

    *

     

     

     

    Michaël réapparut à la clarté du feu. Ce fut Laurent qui l'aperçut en premier :

     

    - Alors, vous avez discuté ?

     

    - Ouais ouais...

     

    Laurent, remarquant qu'il était revenu seul, continua :

     

    - Elle n'est pas avec toi Céline ?

     

    - Heu... non, répondit-il un peu gêné.

     

    - Ben... heu... qu'est ce qui s'est passé alors ? l'interrogea Marion, qui avait de plus en plus de mal à parler correctement, son esprit envahi par le chanvre et l'alcool.

     

    - ... On s'est disputé, admit-il, l'air contraint.

     

    - Mais... j'veux t'dire Michaël... elle va revenir ou quoi ? s'inquiéta Marion.

     

    - Raaah, tu m'énerves ! Oui, elle va revenir, elle a mal pris ce que je lui ai dit et elle est restée dans son coin, à pleurer... c'est tout !

     

    - Michaël, t'es pas sympa là... Tu devrais retourner la voir.

     

    - J'suis pas sympa... j'suis pas sympa ! repris Michaël, visiblement énervé. Mais vous me faites chier à la fin ! vous vous êtes vu ? vous êtes complètement shootés ! Et ça veut donner des conseils, hein ?

     

    - Putain t'es con toi ! rétorqua calmement Laurent.

     

    - Quoi, je suis con ! Je suis con parce que je fume pas, hein ?

     

    - T'es con parce que t'essaie de changer de sujet, voilà pourquoi...

     

    - Putain, tu me fais chier, Laurent !

     

    - Hé ! on te force pas à rester.

     

    Là-dessus, Michaël ne répondit rien. Il demeura debout, fusillant Laurent du regard pendant de longues secondes. Puis il ramassa une bouteille de vin, et alla s'asseoir le plus loin possible du groupe, tout juste encore éclairé par la lumière du feu.

     

    Cédric et Philippe, eux, étaient restés silencieux. Finalement, Cédric se tourna vers Laurent et à voix basse lui avoua :

     

    - Quel con !

     

    - Ouais... il commence à me traîner sur les nerfs lui.

     

    Puis se tournant vers Philippe, Cédric continua :

     

    - Ben dis, Philippe, tu as l'air bien calme depuis tout à l'heure.

     

    Celui-ci, en retour releva la tête, l'air penaud.

     

    - Ben t'as vraiment pas l'air en forme, renchérit-il encore.

     

    - Ben, pfff... commença péniblement Philippe. Ça m'a fait vraiment mal de l'avoir vu cette après-midi dans la cour, et là avec l'alcool, ça a tendance à augmenter mon mal-être... Je ne devrais peut-être pas boire quand je ne me sens pas bien comme ça... j'aurais pas dû venir ce soir...

     

    - Bah ! mais si ! ... Allez... tiens, tu veux une clope ? lui proposa Cédric, tout en lui tendant son paquet.

     

    - Heu, oui tiens, pourquoi pas, répondit-il avec le sourire, tout en prenant celle que Cédric avait déjà un peu sorti du paquet.

     

    Il lui tendit son briquet allumé, Philippe se pencha vers la flamme et inspira longuement. Cédric reprit :

     

    - Tu te sens vraiment mal à cause d'elle, hein ? Et tu ne vois pas comment tu pourrais faire pour te sentir un peu mieux ?

     

    - Oh oui, je souffre et ça ne me lâche pas, j'ai l'impression que ça ne s'arrêtera jamais.

     

    - Heu... On peut en parler si tu veux ? lui demanda Cédric avec un peu d'hésitation.

     

    - Bah, pourquoi pas !

     

    - Alors si ça te dit on pourrait se mettre un peu à l'écart, au calme, pour discuter...

     

    - Heu, ouais, après tout, on sera peut-être mieux, c'est vrai, t'as raison.

     

    Ils se levèrent tous deux, et quittèrent la lumière du feu.

     

    Après avoir un peu marché, s'assurant qu'ils étaient hors de portée d'être entendu par les autres, Cédric proposa à Philippe de s'asseoir. Ils s'installèrent côte à côte au bord d'un rocher.

     

    Cédric, à son tour, s'alluma une cigarette :

     

    - Alors, elle va aller dans la même ville que toi à la rentrée ?

     

    - Marie ?... non... elle sera loin, balbutia-t-il : La simple idée d'être éloignée d'elle le terrifiait et le rongeait au plus profond de lui.

     

    - Tu vois Philippe, repris calmement Cédric, ce qui ne va peut-être pas, c'est que tu regardes tout du mauvais côté. Tu penses tout par rapport à Marie qui t'a quitté, tout te ramène à elle, tout te ramène à ta peine.

     

    - Mais je n'arrive pas à ne pas penser à elle ! s'offusqua-t-il, excédé.

     

    - Oui, tu ne fais que penser à elle, c'est normal parce que tu l'aimes, c'est sûr, mais elle t'a quitté, et tout ce que tu gagnes à continuer à l'aimer comme ça, c'est de souffrir.

     

    - Mais qu'est ce que tu veux que je fasse d'autre ? hein ?

     

    - Comme je viens de te le dire : si tu voyais les choses de l'autre côté ?

     

    - Qu'est ce que tu veux dire par là ? s'enquit Philippe, un peu plus calme.

     

    - Ben tu devrais peut-être voir les choses de l'autre côté... d'une manière différente quoi ! Tu me dis qu'elle sera loin de toi, et ça te fait souffrir... Eh bien pense-le d'une manière différente : Dis-toi que tu ne craindras pas de la croiser dans les rues, par exemple !

     

    - Hmmm hmmm... acquiesça-t-il, l'air dubitatif.

     

    Emporté sur sa lancée, Cédric continua :

     

    - Et tu vois aussi, cette après-midi tu l'as croisée dans la cour, elle était avec un autre et ça t'a fait du mal, non ?

     

    - Oui... beaucoup, gémit-il, les yeux un peu trop humides.

     

    - Eh bien là tu vois, tu te sens vraiment mal. Alors que tu pourrais penser différemment : Par exemple qu'elle n'est même pas triste de n'être plus avec toi puisqu'elle est avec un autre... alors pourquoi t'irais t'en faire pour une fille qui ne t'aime pas... Je ne sais pas... essaie de ne plus la mettre sur un piédestal... tu vois ? fais-en la tomber !

     

    - Mais tu crois que c'est si facile ? brailla Philippe.

     

    - Je ne te dis pas que c'est facile, je te dis que ce peut être un moyen pour que tu ailles mieux ! Ouais... pas facile c'est certain, mais peut être aussi nécessaire à faire pour que t'arrives, au fur et à mesure, à penser à autre chose qu'à elle.

     

    - Je sais plus trop... penser à elle... en mal !... heu... dur, tu sais.

     

    - Oh, je sais que c'est dur ! tout n'est pas toujours facile, affirma Cédric d'un air consentit, ne laissant paraître qu'il avait prémédité cette réponse depuis l'après-midi.

     

    - Pourquoi dis-tu ça ? On dirait que pour toi non plus ça n'a pas toujours été la joie ? l'interrogea Philippe.

     

    Cédric porta sa cigarette à la bouche et en tira une grande et longue bouffée. Il se sentait nerveux : le moment qu'il s'était imaginé avant de venir à la soirée arrivait. Comme il l'avait prévu, Philippe demandait à en savoir plus sur lui. Alors maintenant il avait la voie libre... la voie libre pour le lui dire :

     

    - Non... ça n'a pas toujours été évident pour moi non plus, annonça Cédric.

     

    - Ah bon ? Ben si tu veux tu peux en parler, comme ça ce ne sera pas toujours de moi qu'on parlera.

     

    - Eh bien comment dire...

     

    Il s'interrompit et de nouveau tira profondément sur sa cigarette, dans sa poitrine, son cœur battait la chamade, la tête commençait à lui tourner.

     

    - Bon... ben voilà, pour moi pour l'instant ma vie n'a pas été toujours une partie de plaisir non plus... Heu... comment dire...

     

    - Oui... dis-moi... qu'est ce qu'il y a ? s'inquiéta Philippe, voyant son ami hésiter de plus en plus.

     

    - Bon... ben... Je ne sais pas trop comment dire... mais voilà... je suis homo.

     

    - Hein ? Philippe ne put cacher son étonnement tellement sa surprise fut grande.

     

    - Ben oui...

     

    Philippe ne savait plus trop que dire, un peu décontenancé par la nouvelle. Le silence régna pendant de longues secondes. Cédric attendait une réponse, une réaction de son ami. Alors, face à son mutisme, il renchérit :

     

    - Tu m'as déjà vu sortir avec une fille ?

     

    - Heu... à bien y réfléchir... non, c'est vrai.

     

    - Alors tu vois !

     

    Le calme domina de nouveau. Philippe, gêné, ne savait trop que penser, l'idée que son ami voulait peut-être lui faire des avances vint le secouer.

     

    - Tu sais, repris Cédric, je l'ai pas trop choisi, voire pas du tout... au début, je n'y ai pas trop fait attention quand mon regard s'attardait sur des gars dans la rue... ou à l'école aussi... et puis ça ne m'a pas lâché. Alors, tu vois, aujourd'hui je n'ai plus un doute sur cela, même si ici, je ne peux pas vraiment vivre ma vie...

     

    - Alors tu dois être heureux de partir à Paris, non ? finit par lâcher Philippe.

     

    - Oh oui je le suis ! c'est clair ! ... Bon j'aurais beaucoup de boulot en prépa, c'est sûr, mais je pourrai quand même sortir un peu et vivre ma vie ! Parce qu'ici je me sens seul... d'ailleurs si je n'avais pas eu mon bac et qu'il m'aurait fallu rester ici un an de plus, je crois que j'aurais vraiment pété les plombs.

     

    - Ah ouais, à ce point ?... je vois... Au fait, tu disais que tu regardais des gars à l'école aussi ? Héhé ! heu... qui tu trouvais pas mal par exemple ? Demanda Philippe d'un air faussement détendu.

     

    - Heu... ben... heu..., balbutia-t-il en se reprenant une cigarette.

     

    Ses mains tremblaient, Cédric transpirait la nervosité, Philippe comprit alors assurément ce qu'il voulait encore lui dévoiler.

     

    - Qu'est ce qu'il y a Cédric ?

     

    Celui-ci resta figé pendant un temps, visiblement concentré, fixant le sol... pour diriger subitement son regard vers Philippe :

     

    - Ben comment dire... toi par exemple.

     

    - Tu veux dire que... que... que je te plais ? prononça-t-il finalement, gêné.

     

    - Heu... oui.

     

    Le silence revint. Cédric trépignait intérieurement dans l'attente d'une réaction. Il attendait les mots, cette réponse de Philippe, celle qu'il avait tant espérée et fantasmée.

     

    - Ecoute Cédric...

     

    - Oui, répondit-il la gorge nouée par l'anxiété.

     

    - Ben, je ne sais pas comment te dire...

     

    - T'es pas intéressé, le coupa Cédric, soudain désespéré.

     

    - Oui, Voilà, répondit Philippe, soulagé.

     

    Le silence reprit encore sa place, insidieux.

     

    - Heu... ça va ? s'inquiéta Philippe.

     

    Cédric, les lèvres fermement serrées et les yeux grand ouverts fixait de nouveau le sol. Il était encore un peu plongé dans son océan de tension, et déjà submergé par la désillusion : Qu'est ce qu'il s'imaginait ? que Philippe allait lui sauter au cou ? Que toutes les fois où il avait fantasmé son ami cachant une deuxième personnalité était vraiment réalité ?

     

    - Allez, t'en fais pas, reprit Philippe d'un ton apaisant. Tu sais, ça va, je ne vais pas le prendre mal.

     

    - Ah bon... répondit-il, l'air penaud.

     

    - Oui, je ne suis pas intéressé, mais je n'ai rien contre toi. On peut rester amis si tu veux, il n'y a pas de soucis !... Et puis tu sais (mentit-il pour le réconforter), ça me fait du bien qu'on ait parlé. Là tu vois, pendant quelques temps tu m'as fait sortir de ma tourmente par rapport à Marie. Si je peux t'aider à mon tour... Non mais ce que tu m'as dit c'est pas con tu sais, il faut pas que je la mette sur piédestal comme ça...

     

    Cédric ne l'écoutait pas. Il était complètement sonné par la discussion, découragé que Philippe n'ait pas sauté dans ses bras comme il le rêvait depuis de longs mois.

     

    - On retourne voir le groupe ? finit par lancer Philippe, qui s'était rendu compte qu'il parlait dans le vide.

     

    - Heu, oui d'accord, répondit Cédric péniblement.

     

    En revenant vers le feu, marchant un peu à tâtons dans les rochers que la clarté de la nuit ne laissait que deviner, Philippe ne put s'empêcher de demander.

     

    - Si tu m'as pris à part pour discuter, c'était pour me dire cela ?

     

    - Ben pour parler de ta copine aussi, mais oui, je voulais principalement te dire pour moi. Tu vois, après ce soir, on ne se verra que rarement, on sera chacun dans une ville différente pour nos études... Alors je voulais tenter ma chance avant qu'on ne se voit plus.

     

    - Je comprends, répondit Philippe, ne sachant qu'ajouter.

     

    Constatant la décrépitude de son ami, il finit par reprendre :

     

    - Mais tu sais Cédric, on reste ami, hein ? ok ?

     

    Son visage s'illumina, il s'arrêta et fixa Philippe d'un regard humide.

     

    - Merci, dit-il simplement.

     

    Déjà ils étaient tout proches du feu de bois.

     

    Céline était revenue.

     

     

     

    *

     

     

     

    J'avance vers elle, la quittant seulement furtivement des yeux pour voir où je mets les pieds dans toute cette rocaille. Je fouille dans mes souvenirs de la soirée, mais à part tout ce qui s'est passé au début, je ne me souviens de rien. L'idée que j'ai pu la tuer hier soir me terrorise, et arrivé tout près de son corps étendu là, tout se bouscule dans la tête : Peut-être qu'elle n'est pas morte ? Peut-être dois-je la secouer pour la réveiller ? Peut-être que je ferais mieux d'appeler au secours ? Ou alors m'enfuir de là sans plus attendre ?

     

    Je reprends progressivement mon calme, et inspirant une grande bouffée d'air, je m'accroupis et tends une main vers son épaule : hésitant, je finis quand même par la toucher, toucher sa peau nue... et froide, atrocement froide. Un frisson me parcourt, j'ai alors envie de partir, de m'enfuir d'ici tout de suite. Puis, je me sens soudain pris du besoin de vérifier qu'elle est bien morte : je cherche à lui soulever la tête, pour écouter si elle respire encore ou non. Je passe alors ma main sous son front, mais je la retire immédiatement : Elle est rougie de son sang ! le contact poisseux de son sang froid ! Pris de dégoût, je cherche une petite marre d'eau pour me laver la main, et en trouve une derrière moi. Je constate alors avec horreur que la mer est toute proche : Hier soir, quand nous étions arrivés, elle était assez basse et continuait de baisser, alors que maintenant elle se trouvait tout près de moi... et surtout du corps sans vie de Céline.

     

    Je ne veux pas la laisser là, je ne veux pas que son corps se fasse emporter par les eaux. Je me retourne vers elle, pense à appeler Michaël au secours pour qu'il vienne m'aider, puis rejette cette idée, craignant trop sa réaction. La pensée de devoir à un moment appeler quelqu'un pour s'occuper de la dépouille de Céline me semble soudainement inéluctable : je me sens pris au piège, terrifié.

     

    Je tremble, je retourne doucement sur le dos son corps froid et raidi pour pouvoir la traîner plus facilement. Tout son front est maculé de sang, mais c'est surtout la couleur de son visage, cette pâleur mortuaire : J'ai l'impression qu'elle s'est barbouillée la tête de farine. Ses lèvres sont presque grises et toutes gercées, comme des fruits desséchés. Je me dis juste que c'est la première fois que je vois une morte, mais rien d'autre ne se produit dans ma tête... Je constate avec un amusement soulagé que mon cerveau en a assez eu comme ça pour continuer à réagir. Et sans ne plus penser à rien, je saisis le corps de Céline sous les bras et le soulève péniblement. Je cherche un chemin relativement plat dans tous les rochers, puis je commence à reculer, mais ma progression reste très difficile : Je n'arrête pas de trébucher, ma jambe me fait mal, et je comprends mieux ce que signifie « un poids mort » en sentant la douleur naître dans mes bras à force de la traîner.

     

    Une fois un peu plus éloignée de la mer montante, épuisé par l'effort, je la repose au sol, ne sachant trop si je dois la déplacer davantage. Je reste à regarder la mer, la tête vide, noyé par l'angoisse, quand des gémissements, non loin de moi, vers ma gauche, me font sortir de la torpeur dans laquelle je m'enfermais depuis tout à l'heure. Je crois d'abord, un peu stupidement, que c'est Céline, mais elle demeure toujours aussi pale et immobile. Je secoue la tête pour recouvrer un peu mes esprits, et écoute : Je pense finalement reconnaître la voix.

     

    C'est Marion que j'entends gémir là-bas.

     

     

     

    *

     

     

     

    - Tu fais chier à la fin !

     

    - Mais Michaël...

     

    - Mais t'as pas encore compris ou quoi ?

     

    - Mais... tu ne peux pas me faire ça !

     

    - Et toi ? ça te gêne peut-être d'aller faire ce que tu veux là-bas ?

     

    Face à Michaël qui n'avait même pas daigné se lever, Céline, debout et en pleurs, s'effondrait littéralement. Chaque mot de son ami résonnait dans sa tête et lui torturait l'esprit. Plus elle voulait faire entendre raison à son Michaël, plus elle se noyait seule dans son chagrin. Malgré tout, suffoquant à demi, les joues trempées de larmes et la gorge serrée, elle reprit :

     

    - Mais je veux faire ce métier lààààà... Pourquoi tu ne veux pas faire un effort !

     

    - Ce sont tes études ou moi, t'as le choix !

     

    La réponse de Michaël ne s'était pas faite attendre, tellement sèche et dénuée de tout sentiment que Céline en restait bouche bée devant celui qu'elle avait aimé et qui maintenant la fixait d'un air triomphateur.

     

    Atterré par la scène qui se déroulait devant lui, Laurent se leva et prit la parole.

     

    - Mais t'es qu'un connard Michaël ! ne trouva-t-il qu'à dire.

     

    Michaël, lèvres serrées, obliqua le visage vers lui, et le regard menaçant, lui lança :

     

    - Toi, mêles toi de t'es affaires !

     

    - NON ! TOI TU M'ECOUTES ! lui cria Laurent, visiblement hors de lui.

     

    Michaël, surpris, ne répondit rien. Le silence, de nouveau, figeait les êtres. Laurent haletait, l'envie de coller son poing sur Michaël le rongeait au plus profond. La haine fit péniblement place à la réflexion, et plutôt que les coups, il se ravisa et choisit les mots afin de blesser :

     

    - Bon si t'es avec nous Michaël, ce n'est pas parce qu'on t'aime bien, mais parce que t'es avec Céline, et que Céline est notre amie depuis déjà longtemps ! Alors si tu veux la rendre triste, mon gars, tu dégages !

     

    - MAIS C'EST DE MA FAUTE SI CETTE CONNASSE VEUT PASSER TOUT SON TEMPS A BOSSER ET ME LAISSER SEUL COMME UN CON ? Hurla-t-il, excédé.

     

    C'en était trop pour elle : Céline se couvrit le visage de ses mains et s'enfuit en pleurs dans les rochers.

     

    - MAIS T'ES VRAIMENT QU'UN SALE CONNARD ! Beugla Laurent.

     

    Michaël ne répondit rien.

     

    Marion se leva et s'avança, en titubant, pour aller rechercher Céline. En passant devant Michaël, elle se figea un instant et le fusilla d'un regard assassin. « T'ES VRAIMENT QU'UN GROS CON ! » finit-elle par s'écrier avant de plonger à son tour dans la pénombre.

     

    - T'es content ? continua Laurent.

     

    Michaël restait irrévocablement stoïque et muet.

     

    Laurent, dont l'envie de lui en coller une devenait trop forte, finit par se détourner de lui. S'apercevant alors de la présence de Cédric et Philippe, il s'empressa de leur parler, n'était ce que pour briser ce silence qui lui pesait :

     

    - Ah, vous êtes revenus !

     

    - Heu... ouais... répondit timidement Cédric.

     

    - Nan mais Michaël, t'as vu dans quel état t'as mis Céline, mais t'es con ou quoi ? s'exclama Philippe.

     

    - Bah ! si ça vous fait plaisir, alors je suis un con... se contenta-t-il de répondre, l'air désabusé, avant de reprendre une lampée de vin au goulot de sa bouteille.

     

    Laurent, blasé par la réaction de Michaël, poursuivit la conversation avec Philippe.

     

    - Alors vous êtes allé discuter ? Ca va un peu mieux pour toi maintenant ?

     

    - Ben... bof... toujours mon ex... J'ai l'impression que ça ne me lâchera pas de sitôt.

     

    Cédric, soudain désireux de se dévoiler à tous, voulu engager sur sa voie :

     

    - Bah, on est tous un peu mal de toute façon, non ?

     

    - Ah bon, parce que toi aussi tu ne vas pas bien ?

     

    - Oh ! ben pour moi, disons que ça ira mieux quand je serais à Paris !

     

    - Ah bon pourquoi ? questionna Laurent dont la curiosité était accrochée.

     

    - Ben... dans ce bled... comment dire... je ne me sens pas à ma place...

     

    - Hmmm, hmmm... se contenta-t-il de répondre pour l'encourager à continuer.

     

    - Ben tu vois, je suis homo, alors...

     

    - Ah bon ? s'exclama Laurent, visiblement étonné.

     

    Michaël, lui, n'avait rien dit. Il avait juste levé la tête et le fixait d'un regard noir.

     

    - Ben oui ! fit simplement Cédric en retour.

     

    - Ben s'est marrant ça ! poursuivit Laurent d'un air enjoué. Parfois je m'étais demandé si tu l'étais... ben voilà la réponse.

     

    - Ah ouais, tu te l'étais demandé parfois ? Qu'est ce qui te l'a fait te le demander ? s'enquit Cédric, intrigué.

     

    - Oh, ben rien de précis, je m'en doutais un peu... c'est tout, convint Laurent.

     

    - Alors de quoi parliez-vous ? les surprit Marion, qui revenait accompagnée de Céline, s'essuyant encore ses larmes.

     

    - Oh... heu... rien de précis mentit Cédric.

     

    - Alors, comment vas-tu, Céline ? ne put s'empêcher de demander Laurent.

     

    Tout d'abord reniflant un peu, elle passa le mouchoir sur son nez et ses yeux, puis l'air faussement assuré, les apaisa :

     

    - Bah... on fait aller malgré tout, mentit-elle tout en jetant un rapide coup d'œil vers Michaël, qui d'ailleurs, pour ne pas la regarder, fixait ses chaussures depuis son retour.

     

    Cherchant à oublier quelque peu sa tristesse, d'une voix encore légèrement chevrotante, elle demanda, afin d'enchaîner sur autre chose :

     

    - Au fait, c'est vrai ça ! De quoi étiez-vous en train de parler ? hein ? de moi ?

     

    - Heu... Non, non, répondit Cédric.

     

    - Ben de qui alors ?

     

    - On parlait plutôt de moi.

     

    - Ah bon ?

     

    - Ouais... bon allez, quitte à le faire, autant y aller jusqu'au bout ! J'étais en train de dire que j'étais homo !

     

    - Oh sérieux ! Ben dis ! s'étonna Marion. Ca doit te faire du bien d'en parler, non ?

     

    - Heu... ouais, c'est vrai... j'suis content de le dire, au final. Même si ça n'est quand même pas très évident !

     

    - Je me disais aussi... on t'a jamais vu avec une fille, observa Céline

     

    - Ben ça aurait pu être parce qu'il avait trop de travail ? suggéra Philippe en réponse.

     

    - Ouais à d'autres ! s'exclama Laurent.

     

    Et ils se mirent tous les cinq à rire de bon cœur, Michaël restant toujours dans son coin. Les heures suivantes se poursuivirent dans la bonne humeur retrouvée : Tout le monde buvait plus que de raison, et l'alcool, petit à petit envahissait les esprits de chacun. D'ailleurs, Marion, qui était déjà bien amoché, commençait à atteindre des limites d'ébriétés. L'alcool gommait petit à petit leurs soucis, les prenait dans ses bras et les berçait mollement. Et le sourire régnait sur tous les visages... Sauf peut être celui de Michaël qui n'avait pas bougé de son coin et avait troqué sa bouteille de vin contre celle de Whisky. Il restait assis, immobile, s'envoyant une lampée de breuvage de temps en temps... Et la berceuse de l'alcool continuait :

     

    Les sourires devinrent rires... puis hilarités incontrôlées.

     

    Les fumées de toutes sortes s'engouffraient dans les poumons de certains.

     

    La berceuse se mut en farandole... puis en un vacarme endiablé.

     

    Le temps s'accélérait... la notion du temps s'estompait.

     

    La fête battait son plein...

     

    ... comme la vessie de Laurent : toute aussi pleine !

     

    Ainsi, après avoir braillé qu'il allait pisser à un auditoire qui ne l'écoutait pas. Il s'écarta de la lumière du feu en titubant maladroitement, et s'avança vers la pénombre dans les rochers.

     

    Finissant par trouver un endroit lui convenant, il urina longuement.

     

    Reprenant le chemin du retour tout en remontant sa braguette, il trébucha, n'arriva pas à se récupérer et dégringola dans une fosse formée par les rochers.

     

    Ce ne fut qu'une vingtaine de minutes après, que Philippe, peut être un peu moins ivre que les autres, ou le cherchant pour lui dire quelque chose, finit par demander :

     

    - Mais où est ce qu'il est passé Laurent, au fait ?

     

     

     

    *

     

     

     

    Sans réfléchir plus longtemps, je laisse là le corps sans vie de Céline et me dirige avec difficulté vers la source des gémissements. Je me rends compte qu'ils proviennent de l'endroit où nous avions établi notre feu hier soir. Je respire fort et mon cœur bat vite, je ne peux m'empêcher de me sentir mieux à l'idée de revoir Marion et de pouvoir lui demander ce qui s'est passé. Je me sens léger, heureux, l'espoir me dope, et j'avance vite.

     

    Nous avions passé la soirée sur des rochers un peu en hauteur. Et quoique je sois tout proche de l'endroit, je reste en contrebas et je ne la vois toujours pas. Cédant alors sous l'impatience, je commence à l'appeler tout en grimpant.

     

    - Marion ? Eh, Marion ? c'est toi ? fais-je d'une voix mal assurée, craignant toujours un peu que ce ne soit pas elle.

     

    - Marion ? C'est moi, c'est...

     

    Je m'interromps : près de notre feu de bois, ou plutôt des cendres qui en restent, se trouve Marion, dont je ne vois dépasser que les jambes, le reste du corps étant caché derrière le dos de Michaël, accroupi auprès d'elle.

     

    J'hésite à avancer, je crains encore la réaction de Michaël, mais l'envie de revoir Marion est plus grande et pour qu'il m'entende bien je lui lance d'une voix forte :

     

    - Michaël ? je suis revenu finalement.

     

    Il sursaute, se retourne brutalement, et me regarde l'air complètement paniqué.

     

    - Laurent ? Heu... ben... qu'est ce que tu fais là ? me demande-t-il d'une voix un peu tremblante.

     

    - Je... heu... je voulais t'aider...

     

    Il ne répond pas, je le regarde : il m'a l'air de ne pas se sentir très bien. Je suis encore à une dizaine de mètres de lui. Désireux de voir Marion, je lui demande :

     

    - Est ce que je pourrais m'approcher ? Je voudrais voir Marion.

     

    - Elle n'est vraiment pas dans un bon état, me rétorque-t-il sèchement.

     

    - Hein ? dis-je, pris par la surprise.

     

    Je reste sans bouger le temps de réfléchir, puis décontenancé j'ajoute :

     

    - Mais c'est bien elle que j'ai entendue gémir ?

     

    - Oui, mais là, de nouveau, elle ne dit plus rien. Elle a eu une sorte de délire, et puis elle a replongé.

     

    - Mais qu'est ce que...

     

    - Elle a trop bu et trop fumé, et elle s'en est rendue gravement malade, m'explique sans attendre Michaël. Ça m'inquiète, il faudrait que quelqu'un aille chercher une ambulance.

     

    - Ah... dis-je stupidement, complétant déjà la fin de sa phrase dans ma tête « et ça serait bien que tu y ailles ».

     

    - Tu devrais aller chercher des secours, Laurent, ajoute-t-il d'un ton condescendant.

     

    - Non, dis-je sèchement.

     

    - Quoi non ? réplique-t-il l'air énervé.

     

    - Ben non ! voilà, c'est tout... allez ! laisse-moi voir Marion.

     

    - T'as assez fait de conneries comme ça.

     

    - Raaaaah, tu me fais chier à la fin ! Je veux voir Marion, POUSSE-TOI !

     

    Mon sang bouillonne, j'en ai plus qu'assez de tout ça, je ressens la chaleur monter à mon visage. Sans laisser Michaël réagir, porté par cette colère soudaine, j'avance vers Marion, au moment où je passe à côté de Michaël, celui-ci me fusille du regard et me demande :

     

    - Tu as vu Céline ?

     

    Sa question me déclenche une décharge électrique à travers le corps. Ma colère retombe aussi vite qu'elle est venue. Dans ma tête, tout change subitement, je ne me retrouve plus devant quelqu'un qui m'énerve, mais devant celui dont j'ai peut-être tué la copine. Je ne sais plus trop quoi dire ou que faire. Apeuré par la réaction qu'il pourrait avoir, je recule de quelques pas, puis je réponds :

     

    - Oui.

     

    - Ah...

     

    Et sans que j'y réfléchisse, ma bouche prononce la vérité, évacue ces mots qui me prenaient à la gorge depuis tout à l'heure :

     

    - Elle est morte.

     

    Michaël se fige, visage fermé... J'imagine tout ce qui peut se passer dans sa tête, et je prends peur de sa réaction. Je le fixe stoïquement, attentif au moindre de ses mouvements. Il finit par écarquiller les yeux et serrer les dents, je perçois la rage envahir tout son visage.

     

    Puis il fonce sur moi.

     

    Je reçois un coup de poing au ventre. Un élan de douleur me fait courber en deux. Dans un éclair de lucidité, je saisis par terre une bouteille de vodka vide, et me redresse tout de suite en la brandissant.

     

    - ARRETE MAINTENANT ! ARRETE OU JE TE L'ENVOIE DANS LA GUEULE !

     

    Michaël me fixe, l'air hébété, moi je ne le quitte pas des yeux. Je souffle comme un bœuf tellement je suis nerveux, car ce n'est pas de la colère qui m'a fait hurler sur lui, mais la peur.

     

    - Mais t'as tué...

     

    - MAIS QU'EST CE QUE J'EN SAIS DE CE QUE J'AI FAIT HIER SOIR ! Puis reprenant un peu d'assurance, j'ajoute : Je ne vais pas me laisser casser la gueule, alors que je ne me souviens de rien ! C'est peut-être moi, et cette idée me terrifie assez comme ça, alors je veux en avoir le cœur net d'abord.

     

    - MAIS PUISQUE JE TE DIS QUE...

     

    - FOU MOI LA PAIX ! T'AS QU'A TE BARRER !

     

    Je serre la bouteille dans ma main, je la brandis toujours, le menaçant de le frapper. Même si j'ai peur qu'il me saute dessus, je ne bouge pas, j'attends qu'il réagisse : La fureur fait lentement place au dégoût sur son visage, il grogne, se détourne de moi, puis s'en va lentement, sans rien dire. Je ne le quitte pas des yeux jusqu'à ce qu'il descende du rocher.

     

     

     

    *

     

     

     

    - Hein ?... Laurent ?...

     

    - Booo... il est parti ?

     

    - Nan... devrait être là ?

     

    - 'tain y fait chier, il est où ce con ?

     

    - Il est pas parti pisser ?

     

    - P'tet... ben... on a qu'à attendre.

     

    - Ouais...

     

    - ...

     

    - ...

     

    - Mais... il est parti depuis longtemps ?

     

    - Assez... j'crois.

     

    - T'es sûr ? 

     

    - Ben ouais... m'semble bien !

     

    Ils se jaugeaient tous sans plus trop rien dire. Philippe finalement se leva péniblement, pivota sur lui-même en scrutant du regard pour essayer de l'apercevoir quelque part... mais rien.

     

    - Laurent ?... HE OH ?... Laurent ! Allez putain répond ! ... T'es où ? LAURENT ! ... BORDEL REPOND !

     

    Mais rien, aucune réponse.

     

    Se tournant alors vers les autres, il poursuivit :

     

    - Pfff... bon, on fait quoi ?

     

    Tous de nouveau se regardèrent sans mot dire... Devant ce silence, un peu agacé, Philippe proposa :

     

    - Allez... on va le chercher !

     

    - Hein ?

     

    - Heu... chais pas...

     

    - Vas-y seul ! finit par lâcher Michaël. Moi... j'irai pas l'chercher... m'a assez fait chier t'à l'heure comme ça.

     

    Voulant éviter d'envenimer la situation, Philippe se ravisa de répondre. S'adressant dès lors aux autres, il redemanda :

     

    - Allez... quelqu'un vient avec moi ?

     

    Devant lui, Cédric qui avait l'air hésitant, Cécile qui semblait inquiète, et Marion tellement ivre qu'elle demeurait allongée et ne disait plus grand-chose.

     

    - Eh !

     

    Philippe se tourna vers Michaël qui venait de l'interpeller.

     

    - T'as qu'à aller avec Cédric !

     

    Ce fut Cédric qui répondit :

     

    - Oula non ! On va pas t'laisser seul avec Céline... Si c'est encore pour qu'vous vous engueuliez...

     

    - Beuh !... y a aussi Marion...

     

    - Mais t'as vu ? Elle est complètement cuite !

     

    Brisant le débat entre Cédric et Michaël, Céline d'une voix lourde d'émotion trancha :

     

    - Non, non... il n'y a pas de soucis... vous voyez... Comme ça... lui et moi, on discutera...

     

    - Mais t'es sûr qu'ça va aller... hein ?

     

    - Oui... ça va... ça va aller...

     

    Sa voix était de plus en plus chevrotante, on la sentait prête à laisser déborder sa peine. Elle se reprit un peu et continua :

     

    - J'veux lui parler... hein, alors, ben allez-y ! dit-elle en fixant tour à tour Philippe et Cédric d'un regard décidé, un sourire forcé aux lèvres.

     

    Philippe voulant briser la glace, se leva brusquement :

     

    - On y va ?

     

    - Ouais... allez.

     

    Se penchant alors vers le corps allongé de Marion, Philippe tendit la main, et la secoua un peu.

     

    - Eh oh ! Marion ?... ça va ? tu veux v'nir avec nous, hein ?

     

    Emergeant de sa somnolence, ouvrant mollement un oeil, voyant le visage de Philippe en l'attente de sa réponse, elle se concentra tant bien que mal pour répondre.

     

    - Hmmm... nan !... chuis bien là...

     

    Philippe la regarda s'éveiller mollement, parler d'une voix lente et pâteuse, puis se refermer de nouveau... Comprenant qu'il était vain d'insister, il se redressa et se tourna vers Cédric :

     

    - Allez... On y go !

     

    Céline regarda ses deux amis s'en aller vers la pénombre, quittant la faible clarté de leur feu qui se mourrait. L'alcool brouillait ses idées et augmentait sa peine. Elle n'aurait peut-être pas du boire autant, car la douleur qu'elle ressentait s'en trouvait exacerbée, démultipliée. Intérieurement tout n'était plus que souffrances, que douleurs à l'idée que Michaël la quitte.

     

    - Alors... tu veux m'dire quelqu'chose ?

     

    Froid comme la mort, même si l'alcool lui rendait l'élocution difficile, le ton de Michaël la sortit de son marasme intérieur : Elle quitta la peine de la séparation pour rencontrer maintenant la peur de lui parler. Effrayée, elle n'osait pas prononcer le moindre mot.

     

    - ... Hummm...

     

    - Ben Allez, accouche ?

     

    - Michaël je... je ne veux pas...

     

    - Qu'est ce que tu ne veux pas ?

     

    - Qu'on se sépare !

     

    - Pfff... c'est la meilleure !... Alors tu te plonges dans tes études, hein ?... et je devrais attendre tranquillement ?

     

    - Mais je t'aime !

     

    - Tu m'aimes ouais, c'est ça... moins que tes bouquins et ton boulot !

     

    - Mas si ! je vais crouler sous le travail en médecine, et ton soutient me sera d'autant plus précieux pour tenir le coup !

     

    - Dans ce cas-là, t'as qu'à demander à tes potes !

     

    - Hein ? ... heu... quoi ?

     

    - Ouais, les autres soûlauds défoncés au shit de ce soir... Ils ont qu'à te soutenir, eux.

     

    - Attends... mais... qu'est ce que tu leur reproches... ils ont droit de faire la fête aussi... Et puis t'as bu aussi.

     

    - Ouais mais ils arrêtent pas de fumer leur shit à la con...

     

    - Et quoi ? ça te rend plus intelligent qu'eux de ne pas fumer !

     

    - Mais prends leur défense aussi pendant que t'y est ! Va d'ailleurs savoir où ce con de Laurent s'est paumé !

     

    - Il est pas con !

     

    - Ben mets-toi avec lui alors.

     

    - Mais... mais... t'es bête ou quoi ? T'es borné comme gars, tu m'agaces parfois !

     

    Michaël, furieux, se leva et se tint debout devant Céline.

     

    - Qu'est ce que tu veux me faire ? S'enquit Céline, Inquiète. Hein, tu veux me...

     

    - TA GUEULE ! TU COMMENCES A ME TAPER SUR LES NERFS !

     

    Céline, maintenant apeurée, se leva, et s'éloigna un peu de Michaël.

     

    - Michaël ! bon sang calme-toi !

     

    - ME CALMER ? ... ME CALMER ? MAIS POURQUOI JE ME CALMERAIS ?

     

    - Moi je t'ai rien fait Michaël, alors calme-toi s'il te plait.

     

    - TU NE M'A RIEN FAIT ? HEIN ? TU TE CASSE BOSSER COMME UNE TAREE... ET EN PLUS A 200 BORNES D'ICI, ET CA NE DEVRAIT RIEN ME FAIRE ?

     

    Paniquée devant la fureur de Michaël, Céline tourna talons et commença à s'éloigner, apeurée. Un frisson d'horreur l'envahit quand elle sentit la main de Michaël serrer son poignet pour la retenir.

     

    - TU M'ECOUTES UN PEU OUI ? ... HEIN ? CE SOIR TU ME REPROCHE DE M'EMPOR...

     

    Céline, prise de panique dégagea vigoureusement son poignet de l'étreinte de Michaël et s'enfuit dans les rochers. Michaël courut derrière elle pour la retenir. La fureur montait en lui : Il voulait s'expliquer, et elle ne lui en laissait même pas l'occasion, il ne la laisserait pas s'en tirer aussi facilement.

     

    - CELIIIIINE ! J'AI PAS FINI !

     

    - NE T'APPROCHE PAS DE MOI !

     

    Elle était terrifiée, et lorsque Michaël, arrivé derrière elle, essaya de la saisir par la cuisse, elle se projeta en avant pour échapper à son étreinte, elle trébucha, se sentit tomber, eut juste le temps de pousser un vague début de cri de peur, avant qu'un éclair de douleur envahisse tout son crâne... et que tout s'arrête.

     

    Le corps de Céline partait à la renverse devant lui, une décharge d'effroi le parcourut. Il vit sa tête se fracasser sur la pierre : le bruit sec l'accompagnant, semblable à celui d'une noix qu'on écrase, finit de le figer sur place.

     

    Céline, au sol, ne bougeait plus.

     

    Il se pencha vers elle, mais ne voyait trop rien dans toute cette obscurité. Complètement apeuré, il se mit à hurler à l'aide.

     

    Marion embourbée dans l'ivresse entendit les hurlements de Michaël au loin, mais elle se rendormit aussitôt, complètement assommé par le chanvre et l'alcool.

     

    Philippe et Cédric, qui étaient partis assez loin à la recherche de Laurent, mirent quelques minutes pour revenir jusqu'à Michaël. Quand ils arrivèrent, celui-ci hurlait toujours, les reflets de ses larmes abondaient sur ses joues... Il n'arrêtait pas de dire qu'il n'avait pas fait exprès, tout en maintenant à demi recourbé le corps de Céline, dont la tête ballottait atrocement dans le vide.

     

    Philippe demanda à Michaël de poser le corps au sol, ce qu'il fit sans trop discuter, tout en sanglotant toujours vigoureusement. Philippe se pencha sur le corps, voulut poser son oreille sur la bouche, mais se ravisa finalement d'approcher son visage de celui de Céline tellement il était maculé de sang. Il posa alors son oreille près de sa poitrine, fit signe aux autres de se taire, puis écouta attentivement. Il espéra de toutes ses forces entendre quelque chose, mais ne perçut aucun battement. Terrifié par la vue de son visage ensanglanté et sans vie, il retourna le corps sur le ventre, puis se leva, le visage clos, les bras ballants. Cédric comprenant la situation demanda :

     

    - Elle est morte ?

     

    Philippe hocha la tête.

     

    Michaël semblait terrorisé.

     

    Voulant éviter la panique, Cédric prit la parole sans attendre.

     

    - Bon... écoutez, on va se calmer, hein... dites... On va aller s'asseoir, hein ?

     

    - OUAIS ! FACILE A DIRE DE SE CALMER ! QU'EST CE QUE JE VAIS DEVENIR MOI ? brailla Michaël, en pleurs, les yeux fermement clos, le front plissé, la tête hochant de gauche à droite, marquant son envie de nier la réalité.

     

    Cédric s'approcha doucement vers Michaël :

     

    - Allez Michaël, on va s'asseoir, hein ? On va discuter, on va trouver une solution, t'es pas seul...

     

    - ...

     

    - Allez vient Michaël.

     

    La tête basse, il obtempéra. Ils s'écartèrent du corps sans vie de Céline pour retourner vers le feu. Marion dormant toujours, ils se mirent un peu à l'écart d'elle et s'essayèrent.

     

    Cédric commença :

     

    - Heu... alors qu'est ce qu'on fait ?

     

    Comme s'il n'écoutait pas, un regard accusateur braqué sur Michaël, Philippe demanda :

     

    - Mais qu'est ce qui s'est passé ?

     

    Michaël ne répondit pas, toujours à moitié en pleurs, fixant le sol devant lui.

     

    Philippe reposa alors différemment sa question :

     

    - Qu'est ce que tu lui as fait alors ?

     

    - MAIS J'AI RIEN VOULU LUI FAIRE, MOI ! beugla Michaël, il avait relevé la tête, découvrant un visage rougit et déformé par les pleurs.

     

    - OK, bon... heu... je sais pas moi... pourquoi vous n'êtes pas restés auprès du feu ?

     

    - ... ON... ON... ON S'EST... DISPUTES...

     

    - Encore ? Pfff... franchement tu trouves que tu t'es bien conduit avec elle ?

     

    - MAIS ELLE EST MORTE MAINTENANT !

     

    - Oui... elle est morte... t'a gagné mon gars... on a plus qu'à aller prévenir les flics maintenant.

     

    - OH NOOONNN !!! OOOHHH NOOONNN !!!

     

    - QUOI ?

     

    - PAS LES FLIIIIIICS !

     

    - MAIS T'ARRETES D'ETRE CON ? TU CROIS PAS QUE T'AS ASSEZ FAIT DE CONNERIES COMME CA ?

     

    - PUTAIN MAIS QU'EST CE QUE JE VAIS DEVENIR MOI ?

     

    - Ben ça je sais pas, continua Philippe un peu plus calme mais non moins agacé. Ils verront bien si t'y es pour quelque chose ou pas... les traces de coups, ça reste.

     

    - MAIS JE NE LUI AI RIEN FAIT !

     

    - Ouais c'est ça... à d'autres... Et elle s'est fracassée la tête toute seule peut être ?

     

    - Elle est tombée...

     

    - Ah bon ? Pourquoi ?

     

    - Elle voulait partir, alors j'ai essayé de la retenir, et puis là... et puis là... elle est tombée.

     

    - Ouais... bon, on verra de toute façon.

     

    - Non, faut pas aller le répéter.

     

    - Oh si !

     

    Philippe soupira, se leva en appuyant ses mains sur ses genoux, prit une profonde inspiration, puis continua :

     

    - Bon, moi je sais pas pour vous, mais je vais aller prévenir les flics.

     

    Michaël avait rebaissé la tête et replongé dans son mutisme.

     

    Cédric, qui n'avait rien dit pendant tout ce temps, finit par remarquer :

     

    - Heu, et Laurent ? On ne l'a pas retrouvé, et puis Marion ne va pas bouger...

     

    - Oui... et je ne préférerais pas la laisser seule ici avec Michaël.

     

    - Je reste ici si tu veux, se proposa Cédric sans hésitation.

     

    - Oui, d'accord, restes ici, et moi je vais aller à la gendarmerie, c'est un peu loin à pied mais bon... Le temps que j'y aille, que je leur explique et qu'on revienne en voiture, il faudra bien une heure et demie.

     

    - Ouais, ça fait du temps à poireauter ici, mais... bon, de toute façon, je ne vois pas ce qu'on peut faire d'autre, non ?

     

    - Bon allez, je vais y aller alors... Heu... au fait... tu pourrais me filer quelques clopes pour la route ?

     

    - Oui, pas de soucis... tiens ! Prends aussi mon briquet, je piquerai celui dans la poche de la veste à Marion.

     

    - Merci, beaucoup.

     

    Philippe s'alluma une des cigarettes que venait de lui donner Cédric.

     

    - Allez, j'y vais, salut !

     

    - A toute, alors !

     

    - A toute.

     

    Et il s'en alla. Cédric le regardait partir, il le matait quelques peu et se rappela qu'il n'aurait jamais sa chance avec lui. Ça l'attrista un peu, mais quand il compara cela à ce qui venait d'arriver ce soir à Céline, sa désillusion par rapport à Philippe lui sembla bien moindre en comparaison. D'ailleurs il remarqua que Philippe aussi avait mis de côté ses soucis depuis tout à l'heure.

     

    Philippe savourait sa cigarette en s'en allant. Il aurait envie de s'asseoir et de penser à son mal de cœur avec son ex petite amie, mais il se devait de mettre de côté tout cela, la soirée avait vraiment mal tourné et ce n'était pas le moment de ne penser qu'à lui. Il se dit aussi que Michaël n'avait pas dit un mot pendant qu'il se préparait à partir. Cela l'inquiéta un peu, il faillit revenir en arrière, puis se ravisa, se disant qu'il ne fallait pas non plus tourner complètement paranoïaque.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je me retourne vers Marion qui gît toujours, inconsciente, près des cendres du feu. Elle me semble trop pâle. Inquiet, je m'avance et m'agenouille auprès d'elle. Sans la quitter du regard, je pose ma bouteille vide par terre pour ensuite lui saisir délicatement la main. Je lui demande doucement :

     

    - Heu, Marion, tu m'entends ? hein ? dis... Marion ? hé !...

     

    Sans réponse, je penche ma tête vers la sienne, et l'oreille proche de sa bouche, j'écoute, immobile. J'ai l'impression d'entendre un très léger bruit de respiration, mais je n'en suis même pas sûr. Gagné de plus en plus par la panique, je relève la tête et considère son corps étendu là, immobile.

     

    Timidement, je pose une main entre ses seins et par à coups j'appuie légèrement... puis de plus en plus fort. Je m'aide des deux mains, commence à lui parler, à répéter son nom sans m'arrêter : elle ne réagit pas. Sans réfléchir, je plaque mes mains sur ses mâchoires, les écarte, colle mes lèvres contre les siennes et lui insuffle de l'air. Je me redresse, la regarde, mais elle reste horriblement immobile. Je sanglote, je ne réfléchis plus, je recommence le massage cardiaque comme je peux. Je ne sais même pas si je m'y prends bien, n'ayant vu cela qu'à la télé, mais je ne vois pas quoi faire d'autre. Puis les lèvres de nouveau collé contre les siennes, lui insufflant l'air, j'entends finalement en réponse un râle caverneux.

     

    Je m'arrête, relève la tête, et le souffle suspendu, immobile, j'attends...

     

    Ses yeux s'entrouvrent lentement.

     

    Je lui reprends la main, je me sens extrêmement soulagé.

     

    - Marion ? Marion ? Ça va ?

     

    Elle ne me répond que par un vague râle.

     

    - Marion ?

     

    Encore un râle en guise de réponse. J'approche l'oreille de sa bouche pour mieux la comprendre. D'une voix chuchotante, elle reprend :

     

    - Il ... eyé... ... de m... trrrrr... lé.

     

    - Quoi, qu'est ce qu'il y a Marion, je ne comprends pas.

     

    - Il... Il aaaaa... ess... rrrrmmm ess... ayé... de... rrrr... m'ét... grrmmm... étrangler.

     

    Je relève la tête et la regarde, stupéfait.

     

    - Qu'est ce que tu me dis là ? Michaël ? Michaël à essayer de t'étrangler ?

     

    Je distingue des larmes naîtrent aux bords de ses yeux.

     

    - Rrrrr... hmmmm... oui.

     

    L'étonnement me submerge et je reste planté là, bouche bée. Tout se bouscule dans ma tête, puis subitement je comprends le danger : de suite je me demande où peut se trouver Michaël. Paniqué, je me retourne, et le vois à une dizaine de mètres de moi, s'approchant, le regard déformé par la haine...

     

    ... et brandissant une grosse pierre au dessus de sa tête.

     

     

     

    *

     

     

     

    Très vite, le silence, lourd et pesant, prit la place du faible bruit des pas de Philippe qui s'éloignait. Puis, ce fut la pénombre qui acheva d'engloutir entièrement sa silhouette, si bien que le regard de Cédric se perdait maintenant dans l'obscurité de la nuit sans ne plus arriver à situer son ami.

     

    Marion n'émergeant maintenant plus du tout, il se retrouvait ainsi quasiment seul avec Michaël... Et progressivement le trouble l'envahissait, il n'osait même pas se tourner vers lui, juste par crainte de subir son regard.

     

    Michaël lui faisait finalement peut-être peur.

     

    Dans son esprit, tout se mélangeait : La soirée bien démarrée, Philippe qui avait repoussé ses avances, la mort de Céline... les disputes entre elle et Michaël... Michaël avec sa manière intolérable de réagir face aux choix des études de son amie et les crises de larmes qui sont alors survenues...

     

    - Mais je ne lui ai rien fait !

     

    Cédric sursauta. La voix de Michaël perça le silence. L'effet de surprise passé, essayant de contenir son affolement, il se tourna lentement vers lui : Michaël n'avait pas bougé, toujours assis, il le regardait maintenant avec un air de chien battu. Devant l'insistance du regard de celui-ci, Cédric se sentit obligé de répondre :

     

    - Heu... ben... je sais pas moi... je...

     

    - Tu penses aussi que je l'ai tuée, hein ?

     

    - Mais... hum... ben j'en sais rien en fait... je...

     

    - Ben tu vois, tu sais pas...

     

    - Ben... elle est morte...

     

    - Oui, mais qu'est ce qui vous dit que je lui ai fait quelque chose, hein ?

     

    - Ben j'en sais rien...

     

    - J'ai voulu la retenir, je l'ai à peine touchée qu'elle est tombée...

     

    - Oui... je sais... mais...

     

    - Et il va m'arriver quoi maintenant ?

     

    - Heu... mais... enfin... il fallait quand même aller prévenir la police !

     

    - ...

     

    - On n'allait pas la laisser ici comme ça de toute façon... non ?

     

    Mais Michaël ne répondait plus, de nouveau refermé sur lui-même, le regard figé vers le sol. Cédric en le voyant comme ça ne savait vraiment plus quoi faire ou que penser.

     

    Plus un bruit, les secondes s'égrainaient péniblement. Cédric fouillait dans sa tête à la recherche de quelque chose, de n'importe quoi à dire ou à faire afin de ne pas rester prisonnier plus longtemps de ce silence...

     

    - Ca serait peut-être bien qu'on cherche Laurent, non ? Finit-il par lâcher.

     

    Michaël réagit mollement, et leva lentement la tête. Son expression indiquant qu'il ne comprenait pas bien, Cédric continua :

     

    - Ben oui, on ne l'a toujours pas revu depuis qu'il est parti pisser... Il faudrait peut-être le chercher, non ?

     

    Michaël rebaissa la tête, l'air profondément pensif. Puis au bout de longues secondes de réflexion, il fixa longuement Cédric pour finalement répondre simplement :

     

    - D'accord.

     

    - Cool... On va le chercher par où par contre ? T'as une idée de par où il est parti ?

     

    - Ben toi et Philippe, vous avez déjà regardé vers le haut de la plage tout à l'heure ? Donc vaudrait mieux aller vers la mer... vers le vivier par exemple.

     

    - Hmmm... Ouais, pas bête, il est peut-être parti par là après tout, c'est vrai.

     

    - Bon ! ben on y va alors.

     

    Cédric se tourna vers Marion, vit qu'elle dormait toujours, allongée sur le sol... Elle pouvait très bien se passer de lui pendant un temps !

     

    - D'accord, répondit-il alors.

     

    Et ils se mirent en chemin...

     

    Ils marchèrent jusqu'au vivier...

     

    En silence...

     

    Dans la faible clarté de la nuit...

     

    Sans savoir que dire...

     

    Regardant leurs pieds...

     

    - Alors t'es homo, comme ça ?

     

    Surpris par la soudaineté de la question, Cédric hésita un peu avant de répondre.

     

    - Heu... ben... oui...

     

    - Et t'es avec quelqu'un ?

     

    - Non, à vrai dire ici je n'ai rencontré personne... Mais je suis vraiment plein d'espoir par rapport à Paris. Dans deux mois, je vivrais là-bas, et je vais alors enfin pouvoir vivre ma vie.

     

    - Ben dis donc... Enfin c'est marrant, je ne me le serais pas imaginé... tu vois...

     

    Cédric se sentait plus détendu, il s'adossa contre la paroi du vivier

     

    - Que je suis homo ? Ben... comment dire... c'est pas marqué dessus !

     

    - Hmmm... hmmm... Et... ça fait longtemps que t'es comme... enfin j'veux dire... que tu le sais ?

     

    - Boh... deux ans environs... Mais tu sais, je m'en suis rendu compte progressivement.

     

    - Ah ouais.

     

    Cédric tranquillement s'alluma une cigarette, ça lui faisait du bien de pouvoir un peu parler de lui, de ce qu'il était vraiment.

     

    - Oui, ben disons que je ne me suis pas levé un matin en me disant « tiens, ah ben je suis homo », je me suis rendu compte de mon attirance petit à petit.

     

    - Ah ouais... Michaël avait l'air pensif. Et... t'as envie de te faire prendre ou de prendre alors ?

     

    La question choqua quelque peu Cédric.

     

    - Ben, heu... je sais pas... heu, il n'y a pas que ça tu sais, loin de là.

     

    - Ouais, mais t'aimes ça hein ?

     

    - Heu, non... heu...

     

    - Arrête de déconner sale pédé ! Si t'es pédé, c'est parce que t'aime te faire enc...

     

    Cédric sentit la fureur monter en lui.

     

    - EH OH ! TA GUEULE MICHA...

     

    - ET POURQUOI JE LA FERMERAIS DEVANT UNE SALOPERIE DE PEDALE !

     

    Là le coup partit tout seul : Cédric, hors de lui, le frappa violemment au ventre. Michaël se plia en deux sous la douleur, il grogna, puis d'un coup se redressa en hurlant et se projeta sur Cédric qui se retrouva ainsi aplati contre le mur du vivier. Sans lui laisser le temps de réagir, Michaël lui plaqua son avant bras au cou, l'étouffant à moitié.

     

    - Alors, saleté de pédale de merde, on fait moins le malin ! lui cracha-t-il dans un râle, essoufflé.

     

    Pour toute réponse Cédric lui envoya un magistral coup de genoux dans les parties. Michaël se plia en deux de nouveau, et sans lui laisser le temps de se remettre, Cédric le prit par le bras et le plaqua face au mur, le collant joue contre la paroi du vivier. Cette fois-ci ce fut Cédric qui prit la parole :

     

    - Espèce de connard, tu me dégoûtes...

     

    - Va te faire foutre, espèce...

     

    Cédric n'était plus que colère et rage, sentant Michaël se débattre, il ne le laissa pas finir sa phrase qu'il le maintint encore plus fort et, de rage, de sa main libre, lui racla le visage contre la surface rugueuse du vivier.

     

    Michaël hurla, la joue déchirée par la rugosité de la paroi.

     

    Et là Michaël répliqua finalement en envoyant un puissant coup de coude qui frappa Cédric au plexus et lui bloqua la respiration.

     

    Sous la surprise, Cédric lâcha prise, cherchant désespérément une bouffée d'air qui ne venait plus.

     

    Il vit Michaël se retourner, le prendre par les épaules, et le projeter tête contre le mur. Un bref éclair de douleur envahit alors son crâne, juste avant qu'il ne perde connaissance.

     

    Michaël le saisit ensuite par les cheveux et lui fracassa encore deux ou trois fois la tête contre le mur. Il sentait le sang commencer à couler sur ses mains, dégoûté il lâcha le corps de Cédric qui s'écroula au sol. Quant à lui, sa joue gauche le brûlait horriblement, il avait atrocement mal, et cela alimentait encore sa colère. Il aurait voulu tout casser, tout démolir pour qu'on arrête de l'emmerder... Et puis il y avait les flics qu'était parti chercher Philippe...

     

    Il se leva alors d'un bond. Saisit le corps de Cédric sous les bras et le monta péniblement sur le toit du vivier en passant par le petit escalier en béton. Il déposa le corps inanimé de Cédric sur les barreaux de la grille qui recouvrait la moitié du toit. Il s'agenouilla près de lui, et nerveusement lui enleva sa ceinture... lui saisit un poignet, le plaqua férocement sur un des barreaux, enroula la ceinture autour, tira de toutes ces forces et boucla le fermoir. Il enleva ensuite sa propre ceinture, et fit de même sur l'autre poignet de Cédric. Celui-ci était toujours inconscient, la tête ensanglantée, les bras en croix maintenus aux poignets par les ceintures démesurément serrées.

     

    - Bordel ! toi, saloperie, tu ne vas pas bouger d'ici ! cracha Michaël au corps toujours inconscient de Cédric.

     

    Puis il se leva, et regardant vers le haut de la plage, reprit :

     

    - Et toi aussi je ne vais pas te laisser aller retrouver les flics, tu me feras pas ça connard, je vais te rattraper avant.

     

    Et sans attendre, il descendit l'escalier et se précipita dans les rochers, trébuchant de nombreuses fois, gêné par le manque de lumière de la nuit. 

     

     

     

    *

     

     

     

    Paniqué, je me redresse d'un coup. Je pense à fuir, mais je me retiens tout de suite, prenant peur pour ce qu'il pourrait faire à Marion. Il continue de s'approcher, impassible. Dans l'espoir insensé de le raisonner, je lui crie :

     

    - MAIS ARRETE ! QU'EST CE QUE TU VEUX FAIRE A LA FIN !

     

    - CONNARD ! TU AS TUE MA COPINE !

     

    - ET C'EST POUR CA QUE TU AS ESSAYE D'ETRANGLER MARION ?

     

    Il s'arrête, l'air surpris par ce que je viens de dire. Me sentant un peu plus sûr de moi, j'ajoute, plus calmement :

     

    - Depuis tout à l'heure, tu essaies de m'embrouiller, Michaël. Qu'est ce que tu cherches à faire à la fin ?

     

    - JE N'AI PAS FAIT EXPRES ! me rétorque-t-il les larmes aux yeux.

     

    Je veux essayer de le raisonner. Je suis angoissé, je sais que je n'ai pas intérêt à sortir un truc de travers. D'une voix douce, je réponds :

     

    - Mais alors arrête tout ça. On va parler, d'accord ? Mais calme-toi, s'il te plait.

     

    Il baisse les bras, portant sa pierre au niveau du ventre, et il explose en sanglot. Impassible, j'attends sans bouger qu'il me réponde.

     

    - Mais... mais comment je vais faire maintenant ?

     

    Je ne sais trop quoi répondre à sa question, je reste debout, incrédule, sans bouger. Finalement il reprend :

     

    - Hein ? Dis-moi ! Qu'est ce que je fais maintenant ?

     

    Poussé par son insistance, je finis par répondre :

     

    - Heu, on va aller chercher de l'aide, et...

     

    - AH NON ! ILS VONT M'EMPRISONNER !

     

    - Mais tu n'as pas fait exprès... il ne va rien...

     

    - MAIS POUR LES AUTRES ?

     

    - QUOI LES AUTRES ? je répète, incrédule, terrifié par ce qu'il me semble comprendre.

     

    - MAIS LES AUTRES ? QU'EST CE QU'ILS VONT DIRE MAINTENANT POUR LES AUTRES ? me cria-t-il totalement excédé, la voix extrêmement chevrotante, pleurant à flot.

     

    - Ils sont où Cédric et Philippe ? Je demande alors, déconcerté.

     

    - ...

     

    - Michaël, réponds-moi s'il te plait.

     

    - ...

     

    - Mais tu es fou Michaël, ne me dis pas que...

     

    Mais je m'interromps : Comme si mes mots avaient déclenché un électrochoc dans sa tête, il se rue de nouveau vers moi, poussant un cri, brandissant de nouveau sa pierre.

     

    Sans réfléchir plus longtemps, ne pensant qu'à défendre Marion, je fonce sur lui.

     

    Il lance sa pierre.

     

    Je la reçois en plein ventre.

     

    Une vague de douleur envahit mon abdomen, et je me courbe... puis m'écroule.

     

     

     

    *

     

     

     

    Michaël, arrivé sur le sable, courut au plus vite qu'il pouvait, il grognait sous l'effort, il savait qu'il allait devoir galoper longtemps s'il voulait le rattraper... et encore s'il arrivait à temps.

     

    Il trébucha sur les premiers galets en haut de la plage, continua sa course péniblement dans tous ces cailloux, et parvenu à l'orée du chemin qui menait à la route, il s'arrêta net : Philippe se tenait devant lui, visiblement aussi surpris que lui de se retrouver face à face.

     

    - Mais qu'est ce que tu fais là ? demanda tout de suite Michaël d'un ton glacial.

     

    - Ben, vous n'entendez pas le boucan que vous foutez ? J'étais arrivé à la route quand je vous ai entendu gueuler au loin... il fallait y aller quand même pour que je vous entende d'en haut ! Enfin bon, du coup je n'ai pas trop hésité et je suis redescendu voir ce qu'il se passait.

     

    Michaël l'écoutait à peine, tout ce qui comptait à ses yeux était qu'il soit resté là.

     

    - Mais alors tu n'es pas allé chercher les flics ?

     

    - Ben non !

     

    - Alors n'y va pas, on va se débrouiller, mais n'y va pas, d'accord ?

     

    Il avait demandé cela d'un air si tendu que Philippe prit un peu peur de répondre par la négative et de l'énerver davantage. Michaël se tenait devant lui, tout essoufflé, et le fixait, les poings serrés... D'ailleurs dans l'obscurité, Philippe put voir que sa joue droite était toute sombre, en y regardant un peu mieux, il s'aperçut qu'elle était bougrement écorchée.

     

    - Heu... mais qu'est ce que tu as à la joue, dis ? ne put-il alors s'empêcher de demander.

     

    Michaël ne répondit pas, il s'appuya d'abord la main sur sa joue pour la retirer immédiatement, l'air dégoûté.

     

    - Heu, je suis tombé dans les rochers, répondit-il en bredouillant.

     

    Philippe voyait bien qu'il mentait, mais il n'osait pas trop répondre par peur de sa réaction.

     

    - Heu... ah... d'accord... Mais, dis, ils sont où, Marion et Cédric ?

     

    - Ils sont restés auprès du feu.

     

    - Bon... d'accord, très bien... donc tout va bien ici.

     

    - Oui oui.

     

    - Bon, ben alors je peux retourner chercher la police alors.

     

    - NON !

     

    - Eh, calme-toi ! S'il te plait. Ecoute, tu as l'air d'oublier que ta copine est morte ! On ne va pas laisser le corps comme ça ici !

     

    - Ne va pas chercher les flics !

     

    - Mais on ne va pas l'enterrer ici, ou la planquer quelque part quand même ?

     

    - Pourquoi pas, j'ai rien f...

     

    - Non mais t'es dingue ou quoi ? Ecoutes, moi je ne la laisserai pas là, je vais chercher les flics et un point c'est tout.

     

    Sur ce, sans attendre de réponse Philippe fit demi-tour pour remonter le chemin.

     

    - RESTE ICI, T'ENTENDS ! TU RESTES ICI !

     

    Mais Philippe s'en allait s'en broncher.

     

    Michaël arrêta de crier, saisit une rame d'une barque qui traînait près de lui. Courut jusque derrière Philippe et lui asséna un grand coup de rame sur la tête.

     

    Philippe entendit Michaël courir jusque derrière lui. Il était encore à se demander s'il allait se retourner ou pas, qu'un grand bruit claqua à sa tempe droite, la violence du coup le déstabilisa tant qu'il se vit tomber au sol. La douleur sur tout le côté de son visage était vive et puissante. Il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte qu'il était encore conscient. Il entendait un sifflement aiguë dans son oreille droite. Il se posa la main sur la joue : elle semblait brûlante. A moitié sonné il leva la tête vers Michaël, celui-ci se tenait debout non loin de lui et brandissait sa rame, présageant de le frapper à nouveau... Alors, paniqué, sans réfléchir, il ramassa un galet et le lança comme il le put sur Michaël.

     

    Celui-ci s'apprêtait à frapper Philippe à nouveau quand il le vit en un éclair saisir un caillou et le lui lancer. Prit de surprise, il n'arriva pas à éviter le coup. Celui-ci le heurta sur la tempe gauche, il entendit un son sourd, comme un « cloc », profond et puissant. La douleur s'enfonça dans son crâne, la tête lui tournait. Cela lui tournait tellement qui ne tint plus debout et posa genoux au sol. Il plaqua la main à sa tempe... et la retira poisseuse de sang. Il trouva d'abord drôle l'idée d'avoir les deux côtés de son visage ensanglantés, puis toutes ses idées se mélangèrent, il se sentait défaillir. En regardant devant lui, il aperçut Philippe qui, toujours allongé, s'appuyait sur les coudes afin de se relever. Terrifié une nouvelle fois par l'idée qu'il prévienne la police, prit à nouveau dans un élan de panique, Michaël se redressa sur ses jambes, saisit la rame à deux mains, et comme on enfonce une fourche dans le foin, planta la tranche de la rame dans le cou de Philippe. Il entendit vaguement un craquement semblable à celui provoqué quand on croque dans un brocoli, puis observa son ami chercher désespérément sa respiration, la bouche grande ouverte, émettant le bruit roque d'une respiration impossible : Philippe avait la trachée complètement écrasée, et mourrait étouffé.

     

    Michaël ne fit rien pour sauver son ami, il commençait d'ailleurs à ne plus bien y voir, tout était trouble, les sons se mêlaient entre eux, la tête lui tournait affreusement. Il réussit malgré tout à tirer une des nombreuses petites barques de pécheur qui étaient posées sur les galets, et la retourna péniblement sur le corps maintenant sans vie de Philippe.

     

    Le corps ainsi dissimulé, une seule chose comptait maintenant pour Michaël : Retourner au vivier pour en finir aussi avec Cédric... de toute façon, maintenant il n'avait plus le choix.

     

    Il avançait péniblement, titubant, zigzagant, la douleur à la tempe devenait atroce, il sentit une chaleur sur son épaule... et se rendit compte que le sang coulait sur son t-shirt. Tout tournait autour de lui, il ne savait plus très bien par où était le vivier, il tourna sur lui-même pour le rechercher, l'aperçu vaguement, il ne voyait plus grand-chose... Il se sentit d'un coup très fatigué, et ne put s'empêcher de se laisser tomber... Il s'écroula sur le sable et ne bougea plus.

     

    Cédric, quant à lui, se réveilla quelques minutes plus tard. Son crâne, mais surtout ses poignets lui faisaient atrocement mal, il se rendit compte qu'il était attaché. Il se mit à appeler au secours, à crier du plus fort qu'il pouvait. Il gémissait, il ne savait plus quoi faire, la douleur était atroce, et il avait peur de la mer qui allait monter : s'il restait attaché sur le toit du vivier, il allait mourir noyé. Il cria alors pendant bien deux bonnes heures, mais n'eut aucune réponse. D'épuisement, il finit par perdre connaissance. Ce ne fut qu'au matin que la mer qui commençait à baigner son corps le réveilla en sursaut : Elle avait bien monté, et la surface de l'eau ne se trouvait maintenant plus qu'à quelques centimètres de sa bouche.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je suis à genoux, une main appuyée au sol et l'autre sur mon ventre. J'ai mal et j'arrive à peine à respirer, j'ai l'impression d'étouffer et j'ai peur que cela n'empire. Ma tête me tourne, je garde mes yeux fermés, crispés sous la douleur. C'est un vacarme de pensées dans ma tête, Michaël me fait peur et je voudrais me défendre, mais je suis à genoux devant lui, encore sous le coup de la pierre qu'il a jetée sur moi...

     

    Je suis d'autant plus surpris de l'entendre subitement s'excuser.

     

    Je fais alors l'effort de relever la tête vers lui : il se tient accroupi devant moi et me regarde, l'air à la fois paniqué et désolé. Il me demande en balbutiant « ça va, hein dis ? ça va ? ». J'ai envie de lui répondre que ça va, oui : que je me retrouve avec un pote complètement taré qui me tabasse à coup de cailloux, alors oui ça va, bien sûr !

     

    Je suis toujours plongé dans mes pensées, à ne savoir trop quoi lui répondre, à chercher mes mots pour éviter de le « froisser », éviter qu'il pète les plombs et veuille me massacrer pour de bon. C'est alors que j'entends vaguement une voix s'élever au loin, une espèce de cri rauque d'une voix jeune mais comme déchirée. Je me crispe en la reconnaissant : c'est celle de Cédric, et ses cris proviennent du vivier... il est d'ailleurs immergé par la marée montante depuis déjà quelque temps.

     

    Sans réfléchir plus longtemps, oubliant Michaël, oubliant la douleur, je me relève et m'élance vers le vivier. Je n'entends plus que les cris éraillés et désespérés de Cédric. En regardant un peu mieux, je vois quelque chose dépasser légèrement de la surface de l'eau, là où devrait se tenir le vivier. Je ne peux m'arrêter d'essayer de discerner ce qu'il y a au-dessus du vivier, je cours maladroitement dans les rochers, et je trébuche plusieurs fois. Je suis presque arrivé à l'eau quand je me retrouve plaqué au sol par Michaël qui vient de me sauter dessus par derrière.

     

    Michaël souffle comme un bœuf, il me serre horriblement fort aux épaules. Je me débats, j'essaie de bouger, je ne regarde qu'au-dessus du vivier, il me semble voir juste un bout de tête émerger de l'eau... J'entends toujours ces cris désespérés, il hurle de plus en plus, ce qui était au début des « au secours » se sont transformés en cris saturés de panique et de désespoir.

     

    Michaël me grogne de ne pas y aller, qu'il faut le laisser crever... Je ne l'écoute pas, et pour toute réponse je crie à l'intention de Cédric que je vais venir le chercher. Michaël me plaque alors la tête contre le rocher, et me hurle de la boucler. Désespéré, je gesticule et j'essaie de le basculer sur le côté. Je lui dis d'aller se faire foutre, d'aller se faire soigner. C'est là qu'il se met à me prendre par les cheveux et à me fracasser la tête contre le rocher. Je suis fou de rage, chaque coup est une explosion de douleur, mais aussi une explosion de haine envers lui... J'entends Cédric qui hurle encore plus fort, je gesticule encore plus, je me cambre de toutes mes forces, mais je n'arrive pas à le faire basculer de mon dos. Je ne compte plus le nombre de fois où il me cogne la tête contre la roche, j'ai du sang dans les yeux, et le rocher en est d'ailleurs maculé. Je pleure de rage, Cédric est en train de se noyer et Michaël est en train de me massacrer. De désespoir, je me mets à crier, à hurler que je vais le tuer, mes mots sont à peine intelligibles, ma voix me fait peur, mais je crie quand même.

     

    Je vois Marion entrer dans l'eau, et nager vers le vivier.

     

    J'entends Michaël crier « merde elle va y aller la conne ! ».

     

    Je sens qu'il me serre encore plus fort les cheveux...

     

    ...Et il me balance la tête de toutes ses forces contre le rocher, et je perds connaissance.

     

     

     

    Quand je reprends vaguement conscience, je ne sais pas combien de temps s'est écoulé, mais je comprends vite en regardant devant moi que je suis resté évanoui que quelques secondes : Marion vient d'arriver sur le vivier, je la vois debout, de l'eau jusqu'au haut de ses chevilles. Michaël nage vite et n'est qu'à une cinquantaine de mètres d'elle.

     

    Comme un fou, je me relève... Mon visage doit être en charpie car je ne sens plus la douleur, j'ai même cette impression qu'il est en plastique : Comme quand la nuit je me réveille avec la main totalement insensible parce que j'ai dormi dessus et que le sang n'y circulait plus. J'ai du mal à garder les yeux ouverts et la tête me tourne, alors, pour ne pas tomber, j'avance sur les rochers en m'aidant des mains, comme le ferait un singe... J'arrive à l'eau, et me laisse tomber dedans, je me sens épuisé par l'effort, mais déjà Michaël est presque à la hauteur de Marion, et j'ai peur de ce qu'il peut lui faire... Péniblement je commence à agiter les bras : Je soulève le droit, le plonge, puis lève le gauche... et commence à crawler mollement. J'ai encore mes habits sur moi et mon corps me semble si lourd que j'ai du mal à garder la tête hors de l'eau, et je bois la tasse sans arrêt... C'est alors que je vois Michaël se mettre debout : Il est arrivé sur le toit du vivier : il prend alors Marion par la taille et la jette sur le côté. Puis sans s'intéresser plus longtemps à elle, il commence à envoyer des coups de pieds dans l'eau... Il me faut un petit temps de réflexion avant de comprendre qu'il est en train de tabasser Cédric. Complètement ahuri par tant d'acharnement, j'avance de plus belle dans l'eau, je ne crie pas, je veux le surprendre, je ne veux pas qu'il s'attende à me voir... Je veux le prendre par surprise, je veux le cogner, je veux qu'il souffre... je voudrais le massacrer.

     

    Je pense à Cédric sous ses coups, il n'arrête pas de hurler, et j'en ai les larmes aux yeux. Marion remonte sur le toit, Michaël se précipite alors vers elle et la frappe à coups de poings avant de la balancer à nouveau dans la mer. J'avance encore plus vite, par chance Michaël n'a pas l'air de me voir. Je passe en brasse pour faire moins de bruits, je ne suis plus qu'à quelques mètres derrière lui. Les hurlements de Cédric sont forts et couvrent le bruit que je produis.

     

    Je me mets debout sur le toit, et sans réfléchir plus longtemps je saute sur le dos de Michaël. Je ne veux pas lui laisser une seule chance de pouvoir se retourner contre moi, alors je m'arroche sur son dos de toutes mes forces... et je plante mes dents dans son épaule et je serre mes mâchoires du plus fort qu'il me soit possible. Michaël hurle et se débat, mais je ne lâche pas, je ne veux pas lâcher. Je vois à ses pieds la tête de Cédric qui émerge encore un peu de la surface de l'eau, il hurle aussi, et je voudrais le détacher, mais je ne lâcherai pas prise sur Michaël.

     

    Je commence aussi à le frapper aux côtes, j'aimerais toutes les lui casser, j'aimerais qu'il souffre, j'aimerais l'attacher et le frapper à coups de pieds comme il vient de le faire à Cédric. J'aimerais lui briser bras et jambes à coup de cailloux, je veux qu'il meure... et je grogne, je hurle de rage sans desserrer les dents de son épaule. Je vois Marion regrimper sur le vivier, elle semble sonnée, mais en me voyant, elle se précipite vers Cédric et continue d'essayer de le détacher. Libéré de ce problème, je me déchaîne encore plus sur Michaël, je me sens comme un animal, je tiens toujours bon, et son sang à depuis longtemps envahit ma bouche. Il hurle comme un débile, mais de toute façon, c'est ce qu'il est... je veux le tuer, je veux qu'il crève.

     

     

     

    Il est complètement paniqué, il a peur, je le sens, et je le frappe encore plus, parce que ça me fait du bien de le voir perdre pieds comme ça. Je le tabasse, et j'enfonce davantage mes dents dans sa chair... Finalement il cherche à fuir et je sens la viande de ce salaud se rompre au bout de mes dents... et comme un con je reste la bouche pleine de son épaule et lui qui s'enfuit sans demander son reste. Je ne veux pas qu'il s'enfuît, je veux qu'il paie, je suis ivre de fureur. Je plonge dans l'eau et nage comme un dératé : il a de l'avance et nage vite, mais je le rattrape petit à petit. Je hurle que je vais le tuer, je ne réfléchis plus, je veux le massacrer. Il arrive au bord de l'eau et court vers le sable, j'y arrive aussi, et je cours plus vite que lui : Je me jette sur lui et atterri sur son dos. Il tombe au sol sans un cri : Il pleure faiblement, et moi je suis content, je l'ai eu et je vais lui faire payer.

     

    Je le retourne sur le dos, et tout en le gardant plaqué au sol, je le regarde trembler. Il me fixe et me semble complètement terrorisé en me voyant. Il faut dire que je ne dois pas être bien beau à voir, vu qu'il m'a fracassé le crâne sur les rochers un très... trop grand nombre de fois... J'ai envie de lui faire pareil, mais sur le sable ça ne devrait pas trop bien marcher, alors accroupit sur lui, je commence à rouer son visage de coups de poings. Il pleure comme un gosse, et ça me remplit de joie de le voir aussi faible, aussi ridicule, aussi implorant.

     

    Je lui crie « CONNARD ! DIS MOI OU EST PHILIPPE, T'ENTENDS ? DIS MOI OU IL EST ! ». Alors complètement en larmes, il m'implore d'arrêter de le frapper, ce que je finis par faire. Il reprend un petit peu son calme, et finit par répondre « sous la barque là-bas ». Il pointe du doigt une barque couchée à l'envers sur les galets, à côté du chemin qui monte vers la route.

     

    Un grand vide m'envahit, je comprends qu'il ne plaisante pas et que s'il me dit qu'il est sous la barque, c'est que c'est sûrement vrai... Je me sens si mal que je ne sais plus quoi faire... je me dis qu'il faut que j'aille vérifier. Marion et Cédric entrent alors dans mon champ de vision : ils sont tous les deux trempées et reviennent du vivier. Cédric est donc vivant et ça me rassure, il pleure abondement ce qui me semble compréhensible. Et puis j'aperçois ses mains, elles sont complètement nécrosées, devenues toutes noires, et je me dis que s'il pleure ce ne doit pas être que de souffrance psychologique. Je me retourne alors vers Michaël, il commence à m'implorer de ne pas le frapper, mais je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase et je lui assène un coup de toutes mes forces.

     

    J'arrive à me calmer un peu, et me lève. Il semble complètement sonné et moi j'ai finalement mal aux mains de l'avoir autant frappé. Je le pointe du doigt, et crie à l'adresse de Marion et Cédric de le surveiller, et que s'il bouge, je reviens et je le tue... Ils acquiescent de la tête sans bouger, ils ont l'air mal à l'aise, peut être à cause de moi, mais je m'en fiche. Je marche jusqu'à la barque, arrivé là, je la soulève lentement, et un grand vide m'envahit : Je mets à jour le cadavre de Philippe qui gît là. Il est déjà tout blanc, et cela fait ressortir cette monstrueuse marque violacée à son cou. Je n'ai pas besoin de m'approcher plus de lui pour comprendre qu'il ne bougera plus jamais, et je repose doucement la barque comme elle était.

     

    Et je me retourne vers Michaël.

     

    Ni lui, ni Cédric ou Marion n'ont bougé, d'ailleurs ces deux-là me regardent l'air effrayé, comme s'ils avaient maintenant peur aussi de moi. D'un pas lent je m'avance vers Michaël. En me voyant arriver, il se met à genoux devant moi, il pleure comme un gosse... Je le frappe une fois, sa tête part violemment sur le côté puis revient mollement. Il continue de pleurer et ça m'énerve, ce n'est qu'un salopard de psychopathe, alors je le frappe encore et encore.

     

    Cédric et Marion ne bougent pas, ils me regardent l'air médusé. Je me rends compte que je dois avoir l'air encore plus fou que celui que je tabasse, et dans un mince éclair de lucidité, je m'entends hurler à Michaël « CASSE-TOI DE LA, CONNARD ! BARRE TOI DE LA OU JE TE TUE ! TU COMPRENDS ? SI TU RESTE LA, JE TE TUE ! ».

     

    Autant dire qu'il n'a pas attendu pour détaler de là à toutes jambes.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je suis resté alors sans rien dire ni bouger pendant un bon moment : je pense que j'attendais que Michaël soit loin pour être sûr que je n'aille pas le poursuivre. J'ai alors fait signe à Marion et Cédric de me suivre, et je me suis dirigé vers la barque, et je l'ai soulevé... pour leur montrer. Ils étaient aussi accablés que moi en voyant Philippe qui gisait là-dessous.

     

    Ce fut un été difficile que nous avons passé. Les gendarmes ont arrêté Michaël, et il est aujourd'hui emprisonné, mais nous étions tous les trois marqués par cette nuit-là. Cédric et moi avons passé plusieurs semaines à l'hôpital : J'ai subit de nombreuses opérations de chirurgie esthétique pour « rattraper les dégâts » sur mon visage, et Cédric a eu beaucoup de soins pour ses mains : Le sang circulait de nouveau dedans, mais les médecins avaient peur que la gangrène s'y soit installée. Ils l'ont assommé d'antibiotiques et il s'en est finalement tiré sans qu'on ait eu besoin de l'amputer. Et moi j'ai à peu près récupéré mon visage même si j'en garde malgré tout quelques marques encore visibles.

     

    Pour passer notre bac, Marion et moi sommes restés encore un an ici, avant de pouvoir partir de ce coin perdu, à jamais remplit pour nous du souvenir de cette nuit. Nous nous sommes rapprochés elle et moi, nous avions besoin d'en parler, de pouvoir laisser échapper le traumatisme de cette soirée avec quelqu'un qui pouvait comprendre.

     

    Cédric, lui, est parti étudier sur Paris, et vit aujourd'hui comme un poisson dans l'eau : Il a trouvé des gens qui lui correspondent et est heureux... Une fois quand je l'ai revu, on parlait encore de cette fameuse nuit et de son agression à cause de son choix de sexualité, et là il m'a dit une phrase qui m'a beaucoup marqué : Il m'a dit qu'il n'avait pas choisi sa sexualité, qu'on ne la choisissait pas, et que la seule chose qu'on choisissait, c'était de l'assumer et de vivre avec... il n'a probablement pas tort.

     

     

    Quant à moi, j'ai eu le temps de me calmer. Disons que maintenant je suis conscient qu'en moi sommeille quelque chose... une brute... un furieux... je ne sais pas... disons, une espèce d'animal féroce prêt à tout bousiller ! Mais parallèlement aussi, je pense que chacun de nous garde cette part animale au fond de lui... Etre Humain ? Oh ! un bien grand mot... disons plutôt un singe avec des clefs de voiture !

     

     

     

     

     

     

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