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    Dans le gouffre du sommeil

     

    Dans le gouffre du sommeil

     

     
     
     
    Dormir...

    ... Maintenant cette idée la terrifiait.

    Malgré la douce chaleur de la couette qui l'invitait au sommeil, elle n'arrivait pas à dormir, elle savait trop ce qui l'y attendait :

    Il y avait ce rêve.

    Cet effroyable rêve, enfermée dans cette boîte sans lumière et trop petite pour la laisser bouger.

    Ce cauchemar, emprisonnée dans ce cercueil, qui finissait toujours par voler en éclats...

    ... et puis cette horrible sensation de chute qui s'en suivait toujours.



    Quand elle avait eu ce rêve pour la première fois, elle s'était réveillée, terrifiée, tellement marquée qu'il lui fallut bien une bonne heure avant de pouvoir se rendormir. Puis la nuit suivante, et encore celle d'après... toutes les nuits, ce rêve revenait, hantait son sommeil... et pendant le jour, ne lui laissait plus que la crainte de la prochaine nuit.

    Elle avait bien essayé d'en parler à ses amis, même à ses parents, mais elle n'avait trouvé aucune oreille attentive à ses problèmes. Alors entre moquerie et inattention, elle finit par se renfermer petit à petit sur elle-même.



    Deux semaines s'étaient écoulées depuis. Il était maintenant une heure du matin... et malgré la peur, elle avait fini par se laisser aller : elle dormait.



    Elle ouvrit les yeux sur le néant, aucune forme ne se détachait dans cette obscurité totale. Elle se retrouvait une énième fois enfermée, debout dans cette boîte tellement étroite qu'elle ne pouvait pas même relever les bras.

    Surtout il fallait qu'elle reste calme : les premières fois, elle avait complètement paniqué, mais cela n'avait rendu l'expérience que plus dure.

    Le manque d'air se faisait maintenant sentir, mais elle se tenait tranquille, elle savait qu'il ne fallait pas lutter, elle attendait, immobile, telle une momie dans son sarcophage, que celui-ci daigne s'ouvrir.



    Et encore une fois ce grand fracas assourdissant qui venait de toutes parts, et les parois de ce cercueil qu'elle sentit propulsées loin d'elle.

    Son corps s'en trouvait ainsi libre...

    ... libre d'être emporté vers cette chute vertigineuse...



    Elle avait déjà désespérément essayé d'éviter cette effroyable chute en s'accrochant aux parois avant que tout ne se disloque. Mais elle n'arrivait à s'agripper d'aucune façon à leur surface lisse... et à chaque fois elle tombait, et instantanément l'horrible sensation de vide et de chute la tirait du sommeil.

    Mais maintenant, elle voulait que tout cela s'arrête.

    Elle voulait percer le secret de ce cauchemar obsédant et récurant.

    Cette fois-ci, elle ferait tout pour savoir ce qui l'attendait au bout du rêve... après la chute.



    Le silence était absolu, même pas le bruit du vent autour d'elle, d'ailleurs elle ne sentait pas d'air contre elle... Elle ne ressentait que ce vertige, cette affreuse sensation de chute qui la terrifiait et lui retournait l'estomac. Elle paniquait, mais résistait, elle gardait ses yeux vigoureusement fermés et cherchait péniblement à se calmer. Elle se sentait de plus en plus envahie par la nausée, le vertige et la peur.

    Puis un son lui perça les tympans : aigu et strident, une espèce de grincement ininterrompu. Elle se tint les oreilles à deux mains, elle essaya de crier, mais sûrement couvert par ce bruit atroce, elle n'entendit rien sortir de sa bouche. Le bruit augmentait, devenait complètement insupportable, elle allait devenir folle si cela continuait. Et subitement, l'insoutenable crissement s'interrompit... le silence revint.

    Puis progressivement, le calme s'installa à nouveau en elle, peu à peu la sensation de chute se dissipa, et lentement tout son corps lui sembla plus reposé, plus détendu, lui donnant finalement l'impression d'être enveloppé dans du coton. Elle se sentait plus calme, presque somnolente, comme à demi endormie, comme si tout s'éloignait petit à petit...

    ... Elle se réveilla, allongée dans son lit.



    La lumière était allumée, sa mère, agenouillée à ses côtés, la regardait tendrement, son doux visage éclairé par la chaude lueur de la lampe de chevet. Elle se sentait en sécurité, calme et reposée. Elle voulu alors dire à sa mère qu'elle était contente de la voir, de la sentir près d'elle après cette expérience terrible... Mais elle n'arrivait pas : ses lèvres ne bougeaient pas ! Elle essaya plusieurs fois, mais elles restaient inexorablement figées. Paniquée, elle tenta de bouger la tête, mais sans résultats. Puis, horrifiée, elle essaya de bouger un bras ou une jambe, pourtant son corps resta invariablement immobile. A part ses yeux, elle demeurait complètement figée, et c'est quand elle les tourna à nouveau vers sa mère que sa terreur fut totale : Elle se décomposait devant elle, sa peau n'était plus qu'une croûte grise qui tombait en lambeaux, laissant apparaître la chair rougeâtre et suintante. D'ailleurs, des centaines de petits vers commencèrent à sortir de toutes ses plaies et rampaient maintenant partout sur son corps. Ses lèvres finirent par pendre, se détachèrent progressivement, et finalement tombèrent, laissant ses mâchoires à nu. Son sourire n'était plus, il avait fait place à deux rangées de dents pourries. Puis les paupières suivirent, et tombèrent à leur tour...



    Elle avait envie de hurler, de pleurer, mais elle ne pouvait rien faire, impuissante, figée dans ce lit, avec le spectacle de ce qui restait de sa mère se décomposant devant elle. Son effroi atteignit des sommets : Ce qui n'était plus qu'un cadavre décomposé se penchait vers elle, et tendait lentement une main vers son visage ! Elle essaya de se débattre, mais toujours figée, elle ne put qu'assister, impuissante, à cette main qui vint lui caresser doucement la joue : Elle était humide et glacée, et sa joue devint de plus en plus froide, puis se fut tout son visage qui s'engourdit. Très vite, elle sentit tout son corps se geler... un immense froid l'envahit, la mordit, la dévora. Et petit à petit elle se sentit partir, s'éloigner de tout cela. Elle percevait de moins en moins le froid... tout s'assombrissait, tout disparaissait...



    Le lendemain, les parents la trouvèrent morte dans son lit : étouffée pendant la nuit : L'analyse révéla qu'elle souffrait d'apnée du sommeil.

    Le réveil causé par la sensation de chute lors de ses cauchemars l'avait empêché de succomber à l'étouffement... Sauf cette nuit où elle avait cherché à savoir ce qui pouvait se cacher derrière cet abîme, au-delà de ce gouffre dans lequel elle tombait chaque nuit.
     
     
     
     
     
     

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    Derrière la porte

     

    Derrière la porte

     

     
     
     
     
     
    Laissez-moi vous conter ce soir funèbre où ma vie a basculé, ce soir où j'ai bien cru que j'allais mourir, ce soir où j'ai perdu la raison : c'était un soir de printemps, j'avais alors 14 ans.

    A cette époque, ma grand-mère maternelle n'allait pas bien du tout. Elle était à l'hôpital depuis déjà deux ou trois semaines, j'étais allé la voir quelques fois avec mes parents, mais elle ne me paraissait pas vraiment bien aller, et je ne pouvais m'empêcher de me dire qu'elle ne rentrerait plus chez elle. Et puis aussi ce jour-là il avait fait beau, et je me sentais bien, ainsi, lorsque mes parents m'ont proposé d'aller la voir, avec eux, en cette fin d'après-midi, j'ai refusé. Mon père a alors suggéré d'aller au restaurant pour se détendre après la visite à l'hôpital, l'idée tentait ma mère, mais moi je voulais rester à la maison. Alors sans attendre je leur ai dit que je pouvais bien passer la soirée tout seul. Ils m'ont alors proposé d'inviter des copains si je le voulais, et je ne me suis pas fait prier pour accepter ! C'est ainsi que je me suis retrouvé ce soir-là avec Arnaud et David : deux amis avec qui je passais la majeure partie de mon temps depuis le début du collège.

    Nous nous trouvions dans ma chambre à écouter de la musique. Sans explications, Arnaud baissa le volume. David et moi le regardions, intrigués, puis finalement d'un air amusé il nous demanda :

    - Dites, ça ne vous dirait pas qu'on se raconte quelques histoires qui font peur, hein ? Ca pourrait être sympa, non ?

    J'hésitais quelques peu, surpris par cette proposition. Finalement David accepta, et je le suivis. Alors Arnaud tout en coupant la musique, nous demanda :

    - Alors ! qui commence ?

    Tout d'abord, aucun de nous ne répondit. Moi j'avais bien une idée d'histoire, mais je n'osais pas trop la raconter... Et mon dieu ! J'aurais vraiment bien fait de me taire ce soir-là, mais je ne l'ai pas fait : En effet, timidement je finis par répondre :

    - Heu... moi... à la limite... j'en ai bien une.

    - Ah ?

    - Ouais mais heu... je sais pas si elle va bien rendre... je...

    - Bah allez, te fait pas prier, vas-y !

    Et je l'ai fait, malheureusement, je l'ai fait : Je me suis assis en tailleur sur le lit, et pendant que d'un air grave je fixais alternativement Arnaud et David, ils se sont assis autour de moi, au bord du matelas. J'ai laissé passer quelques secondes afin de rendre l'atmosphère encore un peu plus lourde, puis j'ai entamé mon récit :

    « C'est une histoire assez terrible dont j'ai entendu parler une fois. Cela se passait il y a quelques années : Un père de famille rentrait chez lui après le travail, il trouva sa maison en train de brûler. Il habitait à la campagne, et il n'y avait pas de voisins pour alerter les pompiers. Il pensa tout de suite à son fils de sept ans qui était peut-être dans la maison, il se précipita alors à l'intérieur, cria pour l'appeler, et... il eut une réponse ! Son fils était bloqué dans sa chambre, le père couru jusqu'à la porte, essaya de l'ouvrir, mais elle restait bloquée : Dans la chambre, une poutre tombée du plafond l'empêchait de s'ouvrir. Il cogna, et cogna encore de toutes ses forces contre la porte, il se ruait contre elle, son fils hurlait, il appelait à l'aide, et lui, il paniquait : la porte ne s'ouvrait pas. Il se rua encore contre elle, il hurlait de rage, pleurait de désespoir, il ne réfléchissait plus, il n'y avait plus que cette porte, et son fils qui hurlait de l'autre côté. Il a appelé à l'aide jusqu'à la fin : Son fils à brûlé dans la maison, et le père aussi. Il n'a jamais réussi à ouvrir la porte, et il est resté à se ruer contre elle jusqu'à sa mort. »

    Arnaud me regarda l'air dégoûté, et me dit :

    - Ben dit donc, c'est glauque !

    - C'est pas joyeux en effet, répondit David avant que je ne réagisse. Il avait aussi l'air assez choqué par l'histoire. 

    C'est alors que, emporté par ce succès, j'ai raconté la suite. J'ai été stupide, elle me faisait aussi peur qu'à eux cette histoire, surtout la suite... et j'ai vraiment été idiot d'avoir continué, je n'aurais jamais dû, jamais.

    « Oui, mais vous ne connaissez pas la suite... Parce que depuis lors, le fantôme du père cherche toujours à ouvrir la porte et à sauver son fils. Et si tu dis... heu... je ne préfère pas le dire vraiment... Mais en gros si tu appeles à l'aide en criant « papa », que tu dis que tout brûle, et que tu lui demandes de venir te chercher, cela attire le fantôme, et il arrive derrière ta porte pour te prendre »

    David, pensif, me regarda l'air intrigué, et calmement me dit :

    - Purée ça fout les boules, c'est sûr... Mais bon toi, tu as déjà essayé de l'appeler ?

    - Non... ça me fait assez peur comme ça ! Je n'ai pas envie d'aller vérifier. »

    Arnaud, une lueur d'excitation dans le regard, observa David, puis moi, et finalement nous demanda :

    - Hé ! ça vous dirait d'essayer ?

    Je me crispai, comprenant que je n'avais pas du tout envie d'essayer une chose pareille, je regrettai déjà d'en avoir parlé. Mais David, lui, semblait y réfléchir, et au bout de quelques secondes il finit par lever la tête et dire « ouais ! Pourquoi pas ! ».

    J'allais leur dire que je ne souhaitais pas du tout faire une telle chose, mais Arnaud n'attendit pas que je manifeste mon opinion : Sans me porter le moindre regard, il commença à parler d'une voix aiguë et chevrotante, cherchant à imiter celle d'un petit garçon :

    - Papa ! ppaaappppaa, à l'aaaaiiiiiide, tooouuut brrrûûûûle autour de moi, j'ai peeeeeuuurrr !

    Il souriait, mais moi pas du tout : j'étais vraiment terrifié. Mais lui il souriait, et David le regardait avec amusement, sans rien dire. Et il reprit encore de plus belle, sa voix était maintenant plus forte, il criait presque :

    - JJEEEEEE BRRRRRUUUUUUULLLE, PPPPAAAAPPPPPAAAAAA, JEEEE BRRRUUUULLLLEEE, AAAAAAAAHHHHHHHH !

    - ARRETE MAINTENANT ARNAUD ! C'EST PAS DROLE.

    C'était sorti comme ça, je le fusillais du regard, je me sentais énervé, mais j'étais surtout terrorisé, j'avais vraiment peur, et je ne voulais pas en entendre plus.

    - Ben... quoi ? T'as peur ? Oh, allez c'est pas grand-chose, non ? C'est une histoire ! c'est tout ! Allez... 

    Et toujours ce stupide sourire aux lèvres il reprit :

    - PAAAAAPPAAAAAA JEEEE T'EEEEENNN SSSUUUUPPPPLLLLLIIEEE, PAPAAAAAA, IL Y A LE FFEEEUU PAAARRRRTTT...

    - TU ! ... ARRETES ! ... MAINTENANT ! ... COMPRIS ? »

    Là il s'était tu, il n'y avait plus un bruit dans la chambre, Arnaud me regardait, l'air étonné, sûrement qu'il avait été surpris par l'agressivité et la colère que je venais de déployer pour lui crier de s'arrêter : J'en étais d'ailleurs essoufflé, et je le fixais du regard le plus réprobateur et colérique que je pouvais.

    On ne parlait plus, Arnaud et moi restions là, immobiles, à se fixer mutuellement. Finalement, David, tout timidement, finit par dire :

    - Bon, allez les gars, on ne va pas se disputer pour ça, hein les...



    « BOUM ! ... BOUM ! ... BOUM ! ... »



    Nous avons sursauté tous les trois, une décharge d'adrénaline m'a envahi. Je me suis braqué ainsi que mes deux amis vers la source du bruit : vers la porte de ma chambre. Le bruit continuait, impassible et terrifiant :



    « ... BOUM ! ... BOUM ! ... BOUM ! ... »



    - C'est quoi ce boucan ! s'écria Arnaud dont la voix couvrait à peine le bruit de coups de plus en plus fort qui provenait de la porte.

    - Si c'est une blague, c'est vraiment pas drôle, rétorqua David qui se tenait maintenant debout, plaqué contre le mur opposé à la porte. Il semblait mort de peur, il fallait dire que moi aussi je l'étais.

    Et puis là, en prime des coups contre la porte, ont commencé les cris, ces horribles cris qui malheureusement resteront je crois bien à jamais gravés dans ma mémoire. Je peux les entendre encore aujourd'hui alors que je vous parle : Cela ressemblait à un monstrueux mélange entre le brame d'un cerf et le cri d'un éléphant, même si cette description ne me semble pas si proche de la réalité, je ne trouve pas trop de comparatifs pour l'exprimer. Ce cri était en tout cas inhumain, aigu et profond, d'une tristesse infinie et d'une agressivité sans nom... Et les coups contre la porte, et ce cri horrible, continuaient, sans relâche... sans la moindre trêve. J'étais terrorisé, je m'étais rabattu vers les oreillers du lit, et je les serrais d'ailleurs très fort. Arnaud lui, plus valeureux, même s'il n'avait pas l'air très fier, avait saisi ma chaise de bureau, et la brandissait, prêt à frapper ce qui pourrait entrer dans la chambre.

    Mais ce fut David qui paniqua le plus, les cris immondes avaient dû finir de ronger les dernières subsistances du courage qui l'empêchait de s'écrouler : Il était maintenant assis contre le mur, recroquevillé sur lui-même, son visage était tout rouge, il pleurait, il gémissait, mais entre ses larmes il finit par parler un peu :

    - ooohhhhh noooonnn, c'est quoi ce truc, j'ai peeeuuur, à l'aide, à l'aaaiiiide.

    Immédiatement, comme pour répondre aux geignements de David, le cri se fit encore plus fort, encore plus déchirant, encore plus terrifiant. Cette fois-ci les coups redoublèrent contre la porte, elle était parcourue de soubresaut, mais bizarrement ou plutôt monstrueusement, elle restait fermée, et ne se brisait pas.

    Puis la panique finit d'envahir David, il se leva, ouvrit la fenêtre, et tout en pleurant nous dit :

    - J'veux pas rester là moi, j'préfère tenter ma chance par dehors.

    - Non, fais pas...

    Mais j'eus à peine le temps de réagir, qu'il était déjà en train de se laisser glisser par l'encadrement de la fenêtre. Et le temps de me lever du lit pour aller le retenir, je l'entendais déjà glisser sur les ardoises du toit... puis, je ne l'entendis plus. Son silence m'a semblé durer très longtemps, et ce fut son cri, déchirant, qui me renvoya à la réalité :

    « AAAAAHHHH, J'AI MMAAAAALLL ! JE SUIS TTTTOOOOMMMBBEEEEE ! MMMOOONNNN DDDDOOOOSSSS, AAAAAHHHH J'AI MMAAAAAALLLL ! »

    Et là l'horreur fut totale : A travers l'encadrement de la fenêtre, je regardais David, qui hurlait, gisant sur la terrasse du jardin, en bas. Et les cris émis par ce qui était derrière la porte devinrent complètement fous et assourdissants. Les coups portés devenaient plus fréquents, à un rythme monstrueux, insoutenable : Je devenais fou, tout cela était un cauchemar implacable, terrifiant, et les cris de David qui agonisait en bas ne faisaient qu'ajouter à l'horreur de la situation. Surtout que ni Arnaud ni moi ne pouvions sortir de la chambre pour lui venir en aide.

    Et l'odeur ! Je ne m'en étais pas rendu compte au début, mais maintenant l'air de la chambre en devenait suffocant tellement la puanteur était atroce. Une odeur de viande pourrie, mêlée à celle de cochon brûlé : et mon dieu c'était insoutenable, abominable. Je me suis détourné de la fenêtre : je vis Arnaud qui restait immobile, debout, sa chaise dans les mains, les yeux écarquillés, il avait l'air ailleurs. Je me demandais comment il faisait pour rester en plein milieu de la pièce, alors qu'elle baignait dans cette puanteur. C'est alors que sans bouger plus que la main, il finit par lâcher sa chaise, puis un soubresaut le parcouru, il se courba en deux, et vomis abondement sur la moquette. La vision que j'avais devant moi d'Arnaud vomissant, le son que cela produisit, ainsi que l'odeur qui se mêlait à celle immonde de viande pourrie et brûlée, en était trop pour moi aussi, et je vomis à mon tour.

    Je me sentais fatigué, je m'appuyai dos au mur, David continuait d'hurler au dehors, et les coups sur la porte n'arrêtaient plus, ils avaient encore redoublé. J'eus alors l'idée que les cris de David au dehors pouvaient stimuler la source de tout cela, et sans réfléchir d'avantage, je me retournai vers la fenêtre et la refermai avec empressement. J'eus du mal à expliquer à Arnaud pourquoi j'avais fermé la fenêtre, pourquoi on allait pas aider David. Mais il fallait arrêter de faire du bruit, des geignements, des plaintes qui pouvaient attirer ce qu'il y avait derrière la porte. Il fallait attendre qu'il s'en aille, avant de descendre au rez-de-chaussée appeler quelqu'un au téléphone pour venir en aide à David. Arnaud finit par comprendre, et nous nous sommes calmement assis, terrifiés malgré tout par cette ambiance cataclysmique de coups ininterrompus contre la porte, par ce cri immonde qui nous perçait les tympans, et par cette odeur insoutenable qui se mélangeait maintenant à l'odeur de nos vomissures.

    Et nous avons attendu que tout cela s'arrête, nous étions assis en tailleur, à même le sol, sans bouger, pales et terrifiés. Progressivement les cris se sont calmés, l'odeur s'est atténuée, et les coups contre la porte ont baissé en fréquence et en intensité... jusqu'à ce que le silence revienne enfin, et que nous pouvions de nouveau entendre, étouffés à travers la fenêtre fermée, les cris de douleur de David qui gisait toujours au dehors.

    Arnaud me regarda alors, et à voix basse me demanda :

    - A ton avis maintenant, qu'est ce qu'on fait ?

    Je réfléchis un peu avant de répondre, puis dit :

    - Il faudrait téléphoner aux pompiers, ou je sais pas... à une ambulance ! Pour venir en aide à David.

    - Il est où le téleph...

    - Le téléphone est en bas.

    - Tu penses que c'est parti ?

    - Ben... on ne l'entend plus...

    - C'est vrai...

    - Va falloir descendre... en bas... Heu... j'ai pas trop envie... de... de... sortir. Je...

    - Bon, je vais y aller... De toute façon, il est plus là, hein ?

    - Heu... t'es sûr ?

    - Mais oui.

    Arnaud se leva alors lentement. D'un pas hésitant, il s'avança jusqu'à la porte. Saisis doucement la poignée, et poussa légèrement la porte qui s'entrebâilla sur le couloir. L'air amusé il se retourna vers moi, et dit à haute voix:

    - C'est dingue, la porte était ouverte, il est con ce fan...

    Mais il n'eut pas le temps de finir sa phrase que comme un éclair, une main surgit de l'encadrement de la porte entrebâillée, se rallongea d'une manière monstrueuse et vint agripper Arnaud à la taille : Celui-ci restait pétrifié, sans même crier, les yeux écarquillés. A première vue, la main, et le bras m'avaient semblé de couleur noire, mais à cause des petites brillances, de ces sortes d'écailles que je discernais dessus, j'eus l'horreur de deviner que toute la peau de ce « bras » qui s'enroulait maintenant autour de la taille d'Arnaud était entièrement brûlée. D'ailleurs l'odeur de porc brûlé et de viande pourrie revint m'assaillir les narines.

    Je n'eus que le temps de me lever avant de voir Arnaud disparaître sous mes yeux, emporté dans le couloir à une vitesse impossible, puis la porte se referma dans un claquement assourdissant. Je courus jusqu'à la porte, mais je ne voulus pas y toucher, je ne voulais pas l'ouvrir. Je criai alors le nom d'Arnaud, j'ai bien dû rester là pendant une éternité à crier son nom, mais rien, aucune réponse.

    Et je n'avais pas osé ouvrir la porte : j'avais peur que cela soit encore derrière. Toujours comme aujourd'hui d'ailleurs : En effet, même maintenant j'ai encore la peur d'ouvrir une porte, mes parents m'ont amené chez le psychiatre après ce soir-là, mais je ne lui ai jamais rien dit, ni à personne d'ailleurs, pas même à mes parents. De toute façon, ils ne me croiraient pas.

    Personne ne revit jamais Arnaud, on m'a demandé si je l'avais vu ce soir-là, mais j'ai dit que non, et David en fit de même... : Lui, il passa un mois à l'hôpital, il s'était cassé le coccyx en tombant du toit... Et aussi bien lui que moi sommes maintenant toujours terrifiés quand nous nous retrouvons face à une porte fermée : Nous avons toujours peur qu'un jour cela vienne nous chercher à notre tour, nous n'osons plus ouvrir la moindre porte de peur qu'il soit de l'autre côté. Oui, nous avons et aurons maintenant toujours peur de ce qu'il peut y avoir... y avoir derrière la porte.
     
     
     
     
     
     
     

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    La cave

     

    La cave

      

     
     
     
    - Nicolas ! Nicolas ? Je vais aller travailler, tu peux descendre ?... Nicolas ?... tu es là ?

    - Hmmm...

    - Nicolas ! dépêches toi ! je dois y aller.

    - Heu... oui maman, j'arrive tout de suite !

    Nicolas était encore plongé dans un demi-sommeil. Il était pourtant onze heures du matin, mais c'était le mercredi, jour où il n'y avait pas école... : La contrepartie était d'y aller le samedi matin, mais il appréciait beaucoup la grasse matinée offerte en plein milieu de semaine ! A huit ans, même s'il aimait bien l'école, il adorait passer ces délicieux moments sous la couette, au chaud, au calme, et rester là, à rêvasser.

    Il dut se faire violence pour quitter la douce chaleur de son lit : Qu'est ce que veut me montrer maman ? se disait-il, d'habitude elle me laisse un petit mot, et ne me réveille pas. Néanmoins, pour ne pas faire attendre sa mère qu'il aimait par-dessus tout, il se leva et descendit vite au rez-de-chaussée... trop vite ! Il dérapa aux premières marches de l'escalier en bois, régulièrement ciré. Il faillit vraiment tomber à la renverse, mais se rattrapa à la rampe in-extremis... à son âge on a toujours de bons réflexes.

    - Oh ! Tu n'as rien ?

    - Non maman, c'est juste qu'en chaussettes cet escalier est une véritable patinoire !

    - Alors fais attention à ne pas descendre si vite, tu m'as fait peur !

    Carole, la mère de Nicolas, était terrifiée pendant le court instant où elle le vit perdre équilibre : Comme toutes les mères, elle imaginait toujours le pire. La petite poussée d'adrénaline qui en résulta lui laissa une sensation agréable et apaisante quand Nicolas, d'un pas modéré, descendait les dernières marches.

    - Pourquoi voulais-tu me voir maman ?

    - J'ai eu un problème avec la machine à laver.

    - Ah bon ?

    - Oui, ce matin, j'ai voulu faire une machine, mais j'ai plutôt obtenu une... inondation.

    Elle affichait un petit sourire tout en disant cela, elle essayait d'en plaisanter, mais cherchait surtout à dédramatiser et à se calmer elle-même.

    - J'ai épongé toute l'eau, et le sol est en train de finir de sécher. J'ai aussi appelé le réparateur, il doit passer cette après-midi.

    - Ah bon ? ah... heu... et quand il viendra, je devrais faire un truc ?

    - Oui, il faudrait que tu l'amènes à la machine à laver. C'est pour cela que je t'ai dit de venir, car maintenant je pense que tu es assez grand et que je peux laisser la porte de la cave ouverte, non ?

    - Heu... oui... bien sûr.

    Nicolas n'était jamais entré tout seul dans la cave de la maison, tout simplement parce que cette dernière était toujours fermée à clef : Marc, le père de Nicolas, disait qu'il « était encore trop jeune » et « que c'était donc trop dangereux pour lui qu'il traîne dans la cave ». En effet, Marc y avait son coin bricolage et craignait que son fils puisse s'y blesser - voire pire - avec ses outils. Du coup, la porte de la cave était maintenue fermée pour éviter un malheur. Nicolas avait eu l'occasion d'aller dans la cave, mais toujours avec ses parents, et il n'aimait pas trop cet endroit : Il le trouvait trop sombre, trop silencieux, triste avec ses murs de béton gris. Son imagination d'enfant y voyait moult dangers... et finalement cela ne l'embêtait pas que la porte en soit tenue fermée.

    - Tu viens ? je vais te montrer.

    - Oui m'man, je te suis.

    Carole et lui descendirent l'escalier en béton de la cave, il formait un « U » comme l'escalier qui monte à l'étage juste au-dessus de leurs têtes. Parvenus en bas, ils tournèrent à gauche et arrivèrent dans la pièce servant de buanderie, là où des fils pour étendre le linge étaient tendus entre les murs, et où se trouvait aussi la fameuse machine à laver ! On distinguait bien que quasiment toute une partie du sol autour de la machine était encore humide, mais à proprement parler il ne restait plus d'eau au sol.

    - Pfff ! Ca n'a pas été évident d'éponger toute cette eau ! Mais bon, apparemment il n'en reste plus... C'est bien pratique les serpillières, mais il faut quand même quelqu'un derrière pour s'en servir... et ça, ça l'est moins !

    - Faudrait inventer un robot qui passe la serpillière !

    - Ah, eh bien tu pourras l'inventer pour ta petite maman quand tu seras grand !

    - Hé-hé, oui !

    Nicolas disait vouloir devenir inventeur, c'est toujours mignon à cet âge-là de les entendre parler de ce qu'ils feront plus tard. Cela faisait maintenant un an que Nicolas disait vouloir devenir inventeur... De quoi ? ça il ne le disait pas ! Mais en même temps Carole et Marc ne voulaient pas briser ses rêves ni nuire à son ambition... : Elle aurait sûrement assez d'occasions pour s'émousser quand il grandirait !

    - Donc quand le réparateur viendra, tu l'amèneras à la machine. Marc a vérifié et ça ne vient pas de la canalisation, c'est la machine à laver qui à un problème d'étanchéité quelque part.

    - Ca n'a pas dû être évident de tout éponger !

    - Oh ça non ! mais bon, il fallait bien le faire... Bon ! je dois aller travailler, je dois y être pour onze heures et demie et je vais être en retard si je ne me dépêche pas.

    - Tu seras de retour quand ?

    - Ce soir, vers huit heures.

    Carole travaillait dans un des supermarchés de la ville en tant que caissière. Ses horaires étaient variables et aujourd'hui elle était d'après-midi.

    - Alors à ce soir mon poussin ! Et fait bien attention à ne pas faire de bêtise dans la cave ! De toute façon je ne pense pas qu'on continuera à la fermer à clef, tu es un grand garçon maintenant ?

    - Ben oui ! dit fièrement Nicolas.

    - Un petit bisou avant de partir ?

    Carole se pencha et tendit son visage tout sourire vers son fils, Nicolas d'un mouvement rapide déposa un petit bisou sur sa joue. Puis ils remontèrent ensembles l'escalier. Il la regarda chercher ses clefs de voiture dans son sac... elle les sortit, puis elle se tourna vers lui, le fixa tendrement quelques secondes, lui sourit, l'embrassa sur le front, se plaignit encore une fois d'être en retard, et sortit.



    Carole partie, Nicolas, toujours en chaussettes, remonta dans sa chambre afin d'aller enfiler un jean et ses chaussures. Au passage il prit son temps pour choisir une de ses bandes dessinées. Ainsi équipé, il descendit dans le salon, s'allongea sur le canapé, et s'afféra à sa lecture.

    Nicolas était toujours content d'avoir la maison pour lui tout seul, il était tranquille sans la surveillance de ses parents. Il faisait bien attention à ne pas y mettre le fouillis pour qu'ils continuent à lui faire confiance et le laissent seul à la maison le mercredi. Les activités ne manquaient pas : lire ses bandes dessinées, aller jouer sur l'ordinateur de papa, regarder la télé, ou aller fouiller un peu partout dans la maison ! Néanmoins, Nicolas faisait toujours en sorte de tout bien remettre en ordre et ne disait rien de ses explorations à ses parents, et il ne dit surtout rien à propos des revues bizarres qu'il avait trouvées dans leur chambre !

    Nicolas n'arrivait pas à se concentrer sur sa lecture, la cave l'obnubilait de plus en plus : La porte n'en était pas fermée à clef, et qui sait ce qui pourrait sortir de là ! Son imagination débordante de petit garçon lui laissait y voir de gros rats, des chauve-souris... ou les monstres qu'il voyait dans les films à la télé : Il y en avait peut-être un, qui, sorti de la cave, était maintenant là : Caché dans l'ombre, au coin d'un mur, respirant lourdement, bavant d'avance en pensant à sa prochaine victime. Et au moment opportun, il sortirait de sa cachette, ferait face à Nicolas en émettant un grognement sourd, en découvrant ses dents pointues encore rougies de sang, la bave coulant par longs filets de sa... gueule... Il s'approcherait lentement de Nicolas, grondant de plus en plus fort, et d'un coup... bondirait sur lui !

    - Hhhhiiiinnm ! maman !

    Nicolas sursauta, émergeant du demi-sommeil dans lequel il avait sombré juste quelques secondes. Il était allongé sur le canapé, en sécurité, sa bande dessinée entre ses mains, regardant devant lui, le regard vide. Il se sentait un peu honteux d'avoir ainsi appelé sa mère, surtout que maintenant c'était un « grand garçon » : il ne devait plus paniquer comme ça au moindre petit cauchemar !

    Il réalisa qu'il ne se rappelait plus si la porte de la cave était bien fermée : rien qu'à l'idée qu'elle puisse être ouverte la panique l'envahit. Il se leva d'un bond, avança dans le couloir et put constater que la porte de la cave était bien fermée : Il poussa un grand ouf de soulagement.

    Rassuré, il revint dans le salon et alluma la télé : Il était midi, et il n'y avait pas grand-chose d'intéressant. Il zappa machinalement pendant plusieurs minutes, puis s'arrêta. Il se trouvait vraiment stupide d'avoir eu peur comme ça : Après tout ce n'est qu'une cave ! pensait-il. Et s'il y avait des monstres dedans, pourquoi ne seraient-ils jamais montés à l'étage quand papa et maman étaient là, puisqu'ils laissent la porte parfois ouverte ? Fort de cette idée, il se sentait un peu idiot d'avoir eu tellement peur de cette cave.



    Il était maintenant midi, et la faim se faisait sentir. Il posa sa télécommande, et arrivé à la cuisine, fouilla dans le réfrigérateur... Il était tout seul, alors il pouvait très bien se faire un gros sandwich ! personne n'irait le gronder ! Il déposa une tranche de pain beurrée sur l'assiette, empila dessus du jambon, du fromage, des cornichons... puis encore du pain, un peu de beurre, du jambon, du fromage... et en fit une tour de trois étages successifs ! Alors muni aussi d'une bouteille de soda, il retourna sur le canapé, devant la télévision. C'était l'heure du journal télévisé et Nicolas le regarda tout en mangeant. Toutes les deux ou trois bouchées il prenait une bonne gorgée de soda tout en continuant à fixer la télévision. Son sandwich terminé, repu, Nicolas s'allongea, le journal télévisé annonçait à la chaîne les drames du monde : tous ses conflits, ses problèmes économiques, ses accidents de la route... Et il se dit qu'il était bien, là, en sécurité, allongé sur son canapé. Cette idée le rassura, et lentement, il ferma les yeux... et s'endormit.



    Une heure plus tard, Nicolas fut réveillé par le son de la télévision : Une publicité plus bruyante qu'une autre l'arracha brusquement de son sommeil. Il sursauta, puis regarda fixement la télé, l'air hébété. Pfff... j'aime pas les publicités ! pensa-t-il en fronçant les sourcils. Agacé, il éteignit la télé.

    Il resta là plusieurs minutes, sans bouger, assis sur le canapé, seul le « tic tac » de la pendule accrochée au mur ponctuait le silence : Il s'était remis à penser à la cave. Je suis idiot d'avoir peur de cette cave, ça n'a pas de sens ! ... Mais bon, j'en ai peur, qu'on me dise grand garçon ou pas ! ... Mais qu'est ce que j'en ai à craindre, il n'y a personne dans cette cave ! Le seul danger, ce sont les outils de papa, et je sais bien qu'il ne faut pas y toucher... C'est quand même la seule partie de la maison que je n'ai pas encore explorée, il doit y avoir plein de choses à découvrir ! Et puis s'il y avait un monstre dans cette cave, il serait venu me chercher depuis longtemps !

    Nicolas se leva en prenant son temps, il commençait juste à se diriger vers la porte de la cave quand il se dit : Hmmm... je jouerai bien aux jeux vidéos avant, finalement. Nicolas, qui avait peur, repartit donc jouer aux jeux vidéos dans le salon... Mais il n'était pas intéressé par sa partie et continuait de penser à la cave et à l'exploration qu'il pourrait y faire, tandis que sa peur continuait de lui dicter de ne pas y aller. Au bout d'un quart d'heure, s'apercevant que sa partie l'intéressait à peine, il éteignit la console et resta là, comme auparavant, assis sur le canapé, accompagné du son de la pendule accrochée au mur.

    Bon allez, j'y vais ! Nicolas se leva d'un bon du canapé, se dirigea d'un pas ferme vers la porte de la cave, et en la voyant, fut paralysé par la peur : La porte qui, au moment où il était allé chercher son sandwich était fermée, était maintenant entrouverte ! Il s'arrêta net, il ne bougea pas d'un millimètre, les muscles tendus, il tremblait légèrement, comme sur le point d'exploser. Son esprit, en dépit de la panique, cherchait à analyser la situation : Comment ça se peut ! Ca n'est pas possible ! QUI a ouvert la porte ? sûrement pas moi ! Et s'il y avait quelqu'un dans la cave au moment où j'ai été prendre mon sandwich... Vu que la porte est maintenant ouverte... alors... il est peut-être ici !. Cette idée le terrifia de nouveau, il avait envie de crier et d'appeler sa mère, mas ce n'était pas le moment de faire du bruit. Il tremblait encore beaucoup, il sentait ses membres ankylosés, mais il se mit à marcher lentement vers la porte. Centimètres après centimètres il découvrait l'intérieur de l'escalier : l'idée que quelqu'un pouvait être là, se tenant debout sur les marches, le terrifiait. Il finit par arriver devant la porte ouverte : il n'y avait personne. Il descendit alors la première marche de l'escalier et se colla le dos au mur pour se rassurer : ainsi on ne lui sauterait pas dessus par derrière. Nicolas avait peur et essayait de se calmer : lentement il ferma les yeux, essayant de retrouver un peu de sérénité.



    « BLAM ! »



    La porte avait claqué en se refermant d'un coup. Nicolas eut une fulgurante montée d'adrénaline, poussa un cri et sursauta. Le seul problème était que son sursaut le fit légèrement décoller des marches, et il ne se réceptionna pas bien dessus. « Oh, noonnn !» gémit-il : Nicolas tombait à la renverse, il essaya de se raccrocher à la rampe... mais il n'y en avait pas dans l'escalier de la cave. Complètement terrifié, il ferma alors les yeux. Il sentit une violente douleur à une jambe, suivit d'un élancement fulgurant à la tête... puis plus rien.



    Quand il ouvrit les yeux à nouveau, il avait très mal à la tête ainsi qu'à la jambe droite. La douleur était forte mais supportable. Il se trouvait en bas de l'escalier, couché sur le sol, en chien de fusil, les yeux ouverts : Quelqu'un a dû claquer la porte de la cave pour me faire peur... Alors, pourquoi je suis là, seul... et encore vivant ? Peut-être est-il juste derrière moi à attendre que je me réveille... et qu'est ce qu'il m'arrivera alors si je bouge ?... Non, il ne faut pas... peut-être que tant que je resterai immobile, rien ne se passera !

    Nicolas ne bougea pas pendant un bon quart d'heure, scrutant la pénombre de l'escalier. J'ai fait une sacrée chute, même le virage dans l'escalier ne m'a pas arrêté, j'ai dévalé tout l'escalier de haut en bas ! Et qu'est ce que j'ai mal ! Nicolas se risqua alors à bouger, lentement, au moins pour savoir s'il était blessé ou non : Il se déplia doucement, puis pivota sur le dos... et rien ne se passa, personne derrière lui qui ne lui sauta dessus. Rassuré, prenant alors appui sur ses coudes, il se redressa un petit peu. Il pouvait maintenant observer toute la cave : La lumière du jour éclairait faiblement à travers les soupiraux. Les murs étaient toujours gris, comme le plafond, comme le sol... Nicolas tourna lentement la tête : à sa droite, l'escalier d'où il venait, plongé dans la pénombre. Il y avait aussi, encore plus à droite, un passage donnant sous l'escalier où étaient entreposées les bouteilles pour les repas. Devant lui, la pièce où se trouvait un frigo, une gazinière et une table, ces derniers servaient comme cuisine d'appoint : Sa mère l'utilisait pour les grands repas, ou les longues cuissons. A sa gauche, le coin où son père bricolait, et aussi un débarras où étaient entreposées les vieilles choses dont on avait plus besoin mais « qui pourraient servir un jour ». Derrière lui, il y avait la buanderie, où se trouvait cette foutue machine à laver qui avait bien choisi son jour pour tomber en panne !

    Nicolas, rassuré de ne voir personne, se retourna en prenant appuis sur ses mains et commença à se relever. Sa cheville droite le faisait souffrir : Il fit un pas en boitant, la douleur était tout juste supportable pour marcher un peu, mais il serrait les dents, il ne voulait pas rester là, il voulait monter à l'étage et appeler sa mère au téléphone. Il voulait aussi ensuite sortir de la maison : il ne voyait pas d'autre moyen de sortir que par le rez-de-chaussée : La cave n'avait pas d'ouverture sur l'extérieur et il y avait des barreaux aux soupiraux... Il ne cessait aussi de se demander où pouvait bien être « l'autre » dans la maison : Peut-être allait-il revenir ? Peut-être était-il tout près de lui, là, dans la cave ? Nicolas voulut allumer la lumière pour se rassurer, appuya sur un interrupteur à portée de main : « clic »... mais rien ne se passa, « clic, clic, clic, clic... » toujours rien. Nicolas se sentait gagner par la panique. En boitant, en prenant appui contre le mur, il se traîna vers les interrupteurs des autres pièces, espérant que ce ne soit qu'une ampoule de grillée... Mais non, il n'y avait plus de courant : rien ailleurs ne s'allumait. Nicolas sanglota, maintenant il avait vraiment très peur et luttait pour ne pas paniquer. Il parvint au bout de quelques minutes à contenir ses larmes et à se calmer un peu. Puis, lentement, marche après marche, il gravit l'escalier. Chaque pas lui provoquait un élancement de douleur à sa cheville droite, et ce foutu mal de tête persistait...

    Comme il formait un « U » et qu'il n'y avait pas de fenêtre, sans électricité le haut de l'escalier ne recevait que peu de lumière de la cave. Parvenu en haut, malgré l'obscurité, il y voyait toujours, ses yeux s'étant accoutumés à la pénombre. Il saisit la poignée de la porte, la tourna, poussa, mais elle ne s'ouvrait pas, elle restait obstinément fermée ! Le sang de Nicolas ne fit qu'un tour, il n'y avait plus un doute, quelqu'un, ou quelque chose, lui voulait du mal. « Mmaaammaaaaannn », cria-t-il du plus fort qu'il pouvait : Il paniquait complètement, il frappait la porte à coups de poings, mais elle restait obstinément fermée... rien à faire. Il pleurait maintenant sans retenue et hurlait à sa mère tout en secouant la porte comme un forcené, mais la porte s'obstinait à rester fermée.



    Les minutes passèrent, Nicolas, résigné, avait progressivement repris son calme. Maintenant assit sur les marches, sanglotant encore, il réfléchissait : Qu'est ce que je peux faire... Je peux toujours crier pour que le réparateur m'entende quand il viendra... si seulement il vient... pfff... je ne peux pas compter là-dessus... il faut que je me débrouille tout seul... je ne vais pas rester là à ne rien faire, il doit bien y avoir moyen d'ouvrir cette porte... peut être avec les outils de papa !... Hmmm... l'arrache-clou ! ça pourrait marcher pour ouvrir la porte ! Et puis aussi je ne serais pas sans rien dans les mains au cas où je viendrais à croiser quelqu'un...

    Décidé à descendre chercher le pied-de-biche qu'il avait déjà vu traîner près de l'établi de son père, Nicolas se releva péniblement. Lentement, il descendit les premières marches, la douleur à sa jambe ne se laissait pas oublier même si elle ne l'empêchait pas de marcher. Aussi, il ne se rappelait pas qu'il faisait si sombre vers le bas de l'escalier. Marche après marche, cette impression se confirmait : la cave semblait plongée dans la pénombre. Tout tremblant, parvenu avec peine en bas de l'escalier, il scruta vers les soupiraux : il devait faire nuit dehors car quasi aucune lumière ne filtrait au travers. Nicolas, terrifié, regarda sa montre pour vérifier, il était deux heures de l'après-midi... Et il y avait aussi ce silence : il n'entendait aucun autre son, pas même les chants des oiseaux au dehors. Alarmé, Nicolas retint son souffle, cherchant à entendre ne serait ce qu'un léger bruit, rien qu'un. Il était seul, enfermé, debout dans l'obscurité d'une cave bien trop sombre et silencieuse pour l'heure. Les larmes affluèrent à ses yeux, de lourds sanglots s'emparèrent de lui, il s'avachit sur le sol, désorienté, désespéré. Il demeura ainsi jusqu'à prendre peur à l'idée de rester comme ça, sans même être caché, en bas des marches. Il se remit debout tout en essuyant ses larmes et se traîna lentement. Il enjamba les rangées de bouteilles et progressa jusqu'au plus profond de sous l'escalier. Au moins ici personne ne me trouvera... A moins de venir regarder sous l'escalier, on ne me verra pas... Et de toute façon avec cette obscurité je suis tranquille ! Ses larmes cessèrent, il s'assit et se recroquevilla sur lui-même, il gardait les yeux grand ouverts, il avait peur et ne voulait pas s'endormir. Puis les minutes passèrent... progressivement son calme revint... : Il se détendait, il se sentait en sécurité, là, lové sous les marches... Alors lentement ses yeux se refermèrent... et doucement, il s'assoupit...



    « frrr... frrr... »

    ...

    « frrr... crrr... »

    ...

    Son nez frémit quelque peu, ses paupières s'entrouvrirent, encore englué dans un demi-sommeil, il tendit l'oreille...

    « crrr... crrr... »

    Il ne le rêvait pas, il entendait bien le son d'un grattement. Nicolas ouvrit mollement les yeux, et s'assis en tailleur...

    « crrrr... ccrrrrr... »

    Quelque chose grattait tout près de lui, il le percevait maintenant bien... et ça venait d'à côté de ses pieds ! Il suffoqua tellement l'effroi l'avait pris par surprise : Non, ce n'est pas possible, qu'est ce qui gratte comme ça sous le béton, ç'est impossible ! Sous le sol il n'y a que de la terre !

    « crrcrrccrrrrr... »

    Comme si le bruit voulait lui donner tort, le grattement, impassible, continuait. Terrifié, Nicolas se releva d'un bond et se cogna violemment la tête contre le dessous de l'escalier. Le coup fut violent : une douleur forte et vive inonda le dessus de son crâne, puis elle fit progressivement place à une douleur plus lancinante et pulsative...

    « crrrrccCrrrrCCCRRrrrr... »

    Nicolas oubliant sa douleur rouvrit brusquement les yeux et regarda devant ses pieds : là d'où venait le son...

    « cccCCCCRRRRRrrrrrr... »

    Le béton se craquela sur une petite surface, puis des petits morceaux s'en détachèrent.

    La partie de béton déjà bien craquelée se brisa. Maintenant il pouvait discerner dans la pénombre un petit trou dans le sol. Nicolas, terrorisé, ne bougeait pas, comme une obsession il se demandait ce qui allait bien pouvoir sortir de ce petit trou.

    Le béton se rompit sur une plus grande surface. Une forme noire, poilue émergea du trou... il lui sembla aussi discerner des griffes !

    Ce coup-ci une espèce de gros bras velu et noir sortit du trou. Immobile quelques secondes, il s'agita subitement dans tous les sens, cherchant visiblement à agripper quelque chose. Nicolas, les yeux grand ouverts, ne bougeait plus, ne pensait plus : la terreur l'envahissait.

    Puis les deux « bras » sortirent. Nicolas, comme devenu fou, se mit à gindre et à frapper du poing contre le mur en brique derrière lui tout en continuant à fixer le trou et ce qui en sortait : Les deux bras, repliés, tâtaient le sol tout autour. Nicolas continuait à battre le mur du poing, d'un rythme régulier, très fort, se blessant la main jusqu'au sang : il ne sentait plus la douleur, son esprit, sa raison, avaient déjà fui.

    D'un coup Nicolas se tut, ce qu'il réalisa le fit subitement émerger de sa torpeur : cette fois-ci, c'est la tête qui va sortir ! c'est la tête de cette chose qui va sortir ! oh non, je veux m'enfuir, je veux partir, à l'aide ! Nicolas n'eut pas le temps de réagir que la tête surgit du trou : une tête poilue, noire, comme le reste du corps qui dépassait. Elle lui paraissait ressembler à une tête de chien, avec une gueule proéminente, bien trois fois plus grosse qu'à la normale. La « chose » se tordit brusquement le cou en direction de Nicolas et le fusilla du regard, ses yeux jaunes sales ressortaient sur son pelage noir. Il se mit à grogner, comme un chien prêt à mordre... « MMMaaaaMMMaaaaAAAANNNN !!! » : Nicolas hurla, et tout à coup, un éclair de lucidité le traversant, il bondit pour sortir de sous l'escalier, puis couru, renversant les bouteilles au passage, il vira tout de suite à droite, gravit à toute allure les marches de l'escalier, se jeta sur la porte, et saisit la poignée à deux mains pour essayer de l'ouvrir... mais malgré son acharnement, elle résistait. Totalement pris de panique, il se plaqua contre la porte, hurla à l'aide, tambourina la porte de ses deux poings, le plus fort qu'il pouvait... mais en vain.



    Finalement épuisé, renonçant à hurler et à cogner plus encore, Nicolas, désespéré et en pleurs, s'avachit sur les marches... Il crut subitement entendre un son, il se tut sur-le-champ, oreilles grandes ouvertes. Dans le silence qui fit place, il espérait entendre la voix de quelqu'un derrière la porte, mais rien, aucun son... à part un bruit de verre brisé dans la cave ! Ce qu'il réalisa immédiatement l'épouvanta : La chose devait maintenant se trouver dans les débris des bouteilles qu'il avait cassées en s'enfuyant... elle était sortie du trou ! Et il était à sa merci, coincé, en haut de l'escalier ! Il n'y avait pas un instant à perdre, et Nicolas dévala l'escalier en trombe.

    Survenu aux dernières marches, il entrevit à sa gauche apparaître une patte de la bête, grosse et velue... : la bête allait l'attraper en bas de l'escalier... Peut-être que s'il virait à droite, il pourrait peut-être passer in-extremis. A la dernière marche, Nicolas saisit le bord du mur à sa droite et effectua un quart de tour extrêmement rapide. Il sentit le souffle fétide de la bête, mais sans s'arrêter il se précipita jusqu'au fond de la pièce où se trouvait la gazinière, et s'arrêta net, ne pouvant aller plus loin : Et maintenant je fais quoi ? j'ai un peu plus de place que dans l'escalier, mais je suis toujours coincé... je ne peux rien faire, je suis perdu... maman... non !

    Nicolas, tout tremblant, les yeux mis clos, se retourna lentement, et recula de quelques pas en apercevant la bête : Elle se tenait debout à l'entrée de la pièce, elle était énorme, grosse, ventre bombé... Elle se tenait recourbée et touchait presque le plafond, sa gueule était entrouverte, monstrueusement démesurée par rapport à sa tête, ses yeux jaunes sales fixaient sans broncher Nicolas. La bête restait là sans bouger, son regard semblait lui dire : « Je vais te bouffer, je vais te dévorer entièrement, lentement, et je vais te savourer. Tu vas souffrir et beugler avant de mourir dans ma gueule, tu vas pisser le sang, et je me ferais un plaisir de tout lécher... je n'aime pas gâcher ».

    Affolé, à la recherche désespérée d'une échappatoire, Nicolas se retourna, faisant face à la gazinière... « wwwWOOOOUUUUFFFF » ! D'énormes flammes bleues d'au moins un mètre de haut jaillirent des brûleurs. Nicolas, désemparé, recula de quelque pas, la chaleur des flammes inondait son visage. N'ayant d'autre choix que de faire face à la bête, il se retourna : celle-ci avait commencé à avancer, mais si lentement que Nicolas pensa que son poids devait l'empêcher de se mouvoir vite, ou alors... qu'elle prenait son temps !

    Nicolas transpirait à grosses gouttes. Désemparé, il regardait, yeux écarquillés, la bête avancer vers lui. A quoi bon bouger ? pour aller où ? pour quoi faire ? où fuir ? qu'est ce que je peux faire contre une chose pareille ! Puis une idée déboula subitement dans son esprit : Pourquoi finalement ne pas se servir du pied-de-biche qui se trouvait dans le coin bricolage de son père ! Il ne pourrait sûrement pas tuer la bête avec, mais tout du moins lui faire mal et peut être la faire fuir... de toute façon, pour l'heure il n'avait pas d'autres idée. Brusquement Nicolas se rua vers la sortie de la pièce. Il plissa les yeux, car l'impulsion que demanda sa course déclencha un éclair de douleur à sa cheville droite. Manquant de place, il frôla le corps massif de la bête et sentit le contact rêche des poils de sa fourrure... mais aussi de ses griffes pointues qui pénétrèrent son cuir chevelu : La douleur fut atroce et s'ajouta en prime à son mal de tête qui persistait. N'arrêtant pas sa course pour autant, la peau de son cuir chevelu se déchira, le libérant du coup de patte que la bête lui avait asséné. La douleur était insupportable, elle pulsait, il la ressentait partout dans le haut de son crâne.

    Il courut jusqu'au coin bricolage de son père, mais ne voyait pas le pied-de-biche. Paniqué, il fouilla partout sur l'établi : mais rien. Il se retourna et l'effroi s'empara de lui quand il vit la bête à quelques mètres de lui. Pensant soudain à chercher sous l'établi, il se baissa et découvrit un carton duquel dépassait l'arrache-clou. Sans hésiter, il empoigna le carton et le tira vers lui, saisit le pied-de-biche, et se retourna de suite : La bête se tenait maintenant à deux mètres de lui, elle s'arrêta net quand Nicolas lui fit de nouveau face. Pris comme d'une rage de désespoir, Nicolas hurla, brandit l'arrache-clou, effectua un mouvement ample et circulaire et le pied-de-biche vint s'écraser sur le côté droit du bassin de la bête. On entendit un grand « CRAC », des petits éclats de bois volèrent en tous sens : Une moitié du pied-de-biche tomba au sol, l'autre restant encore dans les mains de Nicolas qui se tenait debout, pétrifié, ne comprenant plus rien à ce qui se passait. Ces genres de trucs ne sont pas en bois ! j'en suis sûr, ça n'est pas possible ! Après la gazinière, l'arrache-clou... je deviens fou, j'en peux plus ! Il se rendit subitement compte d'un bourdonnement dans ses oreilles, plutôt léger, comme si des abeilles volaient au loin autour de lui. Le mal de tête quant à lui était toujours très fort, quasi insupportable.

    Dans un sursaut désespéré, Nicolas se mit à courir, contourna la bête, et se précipita vers la buanderie, là où il n'avait pas encore été, espérant sans y croire y trouver une échappatoire. Il courut jusqu'au fond de la pièce, en dessous du soupirail si désespérément scellé par les barreaux. Le bourdonnement dans ses oreilles se faisait de plus en plus fort, de plus en plus présent.

    « Bang ! Bang ! » 

    Nicolas sursauta, il se retourna vers l'endroit d'où provenait le son : La machine à laver bougeait ! elle se basculait d'un côté à l'autre et ainsi se déplaçait ! Même si son déplacement semblait grotesque, le bruit métallique que cela produisait était effrayant. Pétrifié, Nicolas regardait, spectateur impuissant, la scène hallucinante et terrifiante qui se déroulait sous ses yeux.

    « Bang ! BANG ! Bang ! BANG ! Bang ! BANG ! »

    La bête se tenait à l'entrée de la pièce, la machine à laver vint se placer derrière elle... bloquant ainsi l'entrée ! Ce coup-ci, Nicolas comprit qu'il ne pourrait pas s'échapper, qu'il ne pouvait plus rien faire pour éviter la fin inéluctable. La bête émit un grognement, comme un chien avant d'attaquer. Elle s'approcha lentement de Nicolas, qui restait figé, désespéré, paralysé par la peur et l'idée de sa propre mort. Le grognement de la bête se fit plus fort, arrivé tout près de Nicolas, elle ouvrit sa gueule et dévoila deux rangées de dents longues d'au moins cinq centimètres... Elle regardait fixement le visage de Nicolas, de sa gueule ouverte coulait un filet de bave, sa langue pendouillait... : le monstre bavait devant son repas.

    Les bourdonnements devenaient insupportables, il n'entendait plus que ça, on aurait dit qu'il avait deux essaims d'abeilles à la place des oreilles. Le mal de tête devenait si fort qu'il avait envie de hurler pour se libérer de la douleur.

    Et la bête se pencha sur lui.

    La dernière image qu'il vit fut l'intérieur de sa gueule, le dernier son qu'il entendit fut le grand « crac » que firent les os de son crâne pris sous les dents de la bête... Il ne sentit aucune douleur supplémentaire, de toute façon elle était déjà insupportable. Le bourdonnement continuait, et tout se mit à tourner, vite, de plus en plus vite, le bourdonnement était maintenant complètement assourdissant... et tout tournait... et tournait encore... et encore...

    Et puis plus rien.



    Carole rentra de son travail le soir, à huit heures, comme prévu.

    - Nicolas ?

    Pas de réponse.

    - Nicolas ?

    Toujours rien.

    Carole monta à l'étage, mais son fils ne s'y trouvant pas, elle décida d'aller voir à la cave. Tiens ! la porte de la cave est entrouverte... C'est vrai qu'elle ferme mal quand elle n'est pas fermée à clef... J'espère que Nicolas n'a pas pris peur... En plus comme par-dessus le marché elle claque à cause des courants d'air de la maison...

    Elle alluma la lumière de l'escalier, et descendit. Arrivée à mi-parcours, elle hurla, elle hurla si fort qu'on l'entendit dans tout le pâté de maison : Nicolas gisait, étendu en bas de l'escalier, bras et jambes écartés, yeux écarquillés, sa langue pendant grotesquement hors de sa bouche. De son petit nez coulaient deux filets de sang qui avaient coagulé et formaient deux petites flaques sur le sol de chaque côté de sa tête.

    L'analyse du corps révéla que Nicolas était tombé dans l'escalier : il s'était cassé la cheville droite, mais avait surtout écopé d'une hémorragie cérébrale, il ne s'était donc jamais relevé après sa chute dans l'escalier et était resté dans le coma... jusqu'à sa mort qui survint peu après.



    Sans hésiter, il empoigna le carton et le tira vers lui, saisit le pied-de-biche, et se retourna de suite : La bête se tenait maintenant à deux mètres de lui, elle s'arrêta net quand Nicolas lui fit de nouveau face. Pris comme d'une rage de désespoir, Nicolas hurla, brandit l'arrache-clou, effectua un mouvement ample et circulaire et le pied-de-biche vint s'écraser sur le côté droit du bassin de la bête. On entendit un grand « CRAC », des petits éclats de bois volèrent en tous sens : Une moitié du pied-de-biche tomba au sol, l'autre restant encore dans les mains de Nicolas qui se tenait debout, pétrifié, ne comprenant plus rien à ce qui se passait. Ces genres de trucs ne sont pas en bois ! j'en suis sûr, ça n'est pas possible ! Après la gazinière, l'arrache-clou... je deviens fou, j'en peux plus ! Il se rendit subitement compte d'un bourdonnement dans ses oreilles, plutôt léger, comme si des abeilles volaient au loin autour de lui. Le mal de tête quant à lui était toujours très fort, quasi insupportable.

    Dans un sursaut désespéré, Nicolas se mit à courir, contourna la bête, et se précipita vers la buanderie, là où il n'avait pas encore été, espérant sans y croire y trouver une échappatoire. Il courut jusqu'au fond de la pièce, en dessous du soupirail si désespérément scellé par les barreaux. Le bourdonnement dans ses oreilles se faisait de plus en plus fort, de plus en plus présent.

    « Bang ! Bang ! » 

    Nicolas sursauta, il se retourna vers l'endroit d'où provenait le son : La machine à laver bougeait ! elle se basculait d'un côté à l'autre et ainsi se déplaçait ! Même si son déplacement semblait grotesque, le bruit métallique que cela produisait était effrayant. Pétrifié, Nicolas regardait, spectateur impuissant, la scène hallucinante et terrifiante qui se déroulait sous ses yeux.

    « Bang ! BANG ! Bang ! BANG ! Bang ! BANG ! »

    La bête se tenait à l'entrée de la pièce, la machine à laver vint se placer derrière elle... bloquant ainsi l'entrée ! Ce coup-ci, Nicolas comprit qu'il ne pourrait pas s'échapper, qu'il ne pouvait plus rien faire pour éviter la fin inéluctable. La bête émit un grognement, comme un chien avant d'attaquer. Elle s'approcha lentement de Nicolas, qui restait figé, désespéré, paralysé par la peur et l'idée de sa propre mort. Le grognement de la bête se fit plus fort, arrivé tout près de Nicolas, elle ouvrit sa gueule et dévoila deux rangées de dents longues d'au moins cinq centimètres... Elle regardait fixement le visage de Nicolas, de sa gueule ouverte coulait un filet de bave, sa langue pendouillait... : le monstre bavait devant son repas.

    Les bourdonnements devenaient insupportables, il n'entendait plus que ça, on aurait dit qu'il avait deux essaims d'abeilles à la place des oreilles. Le mal de tête devenait si fort qu'il avait envie de hurler pour se libérer de la douleur.

    Et la bête se pencha sur lui.

    La dernière image qu'il vit fut l'intérieur de sa gueule, le dernier son qu'il entendit fut le grand « crac » que firent les os de son crâne pris sous les dents de la bête... Il ne sentit aucune douleur supplémentaire, de toute façon elle était déjà insupportable. Le bourdonnement continuait, et tout se mit à tourner, vite, de plus en plus vite, le bourdonnement était maintenant complètement assourdissant... et tout tournait... et tournait encore... et encore...

    Et puis plus rien.



    Carole rentra de son travail le soir, à huit heures, comme prévu.

    - Nicolas ?

    Pas de réponse.

    - Nicolas ?

    Toujours rien.

    Carole monta à l'étage, mais son fils ne s'y trouvant pas, elle décida d'aller voir à la cave. Tiens ! la porte de la cave est entrouverte... C'est vrai qu'elle ferme mal quand elle n'est pas fermée à clef... J'espère que Nicolas n'a pas pris peur... En plus comme par-dessus le marché elle claque à cause des courants d'air de la maison...

    Elle alluma la lumière de l'escalier, et descendit. Arrivée à mi-parcours, elle hurla, elle hurla si fort qu'on l'entendit dans tout le pâté de maison : Nicolas gisait, étendu en bas de l'escalier, bras et jambes écartés, yeux écarquillés, sa langue pendant grotesquement hors de sa bouche. De son petit nez coulaient deux filets de sang qui avaient coagulé et formaient deux petites flaques sur le sol de chaque côté de sa tête.

    L'analyse du corps révéla que Nicolas était tombé dans l'escalier : il s'était cassé la cheville droite, mais avait surtout écopé d'une hémorragie cérébrale, il ne s'était donc jamais relevé après sa chute dans l'escalier et était resté dans le coma... jusqu'à sa mort qui survint peu après.
     
     
     
     
     
     
     

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    La boîte au fond du jardin

     

    La boîte au fond du jardin

     

     
     
    Jeudi 22 juillet 2004



    Ca fait bien deux heures que je suis devant cette page blanche à me demander si je fais bien de le faire ou pas... mais ce que je me dis c'est que j'en ai besoin, tout simplement.

    J'ai trop mal : ça peut paraître con, mais je me sens vraiment pas bien et je ne vois pas trop mes parents aller me consoler, alors je préfère vider tout ça sur papier.

    Alors voilà, allons-y ! Donc je m'appelle Cédric Noël, j'ai dix-sept ans, je suis en première (Eh oui ! j'ai un an de retard parce que j'ai redoublé ma quatrième... bah ! je foutais rien à l'époque). Je fume un peu, ça me fait un peu peur parce que j'aime ça et que je commence à en prendre l'habitude. J'ai peu d'amis, en fait j'en ai surtout deux : Mathieu et Xavier, avec eux je m'entends bien, on passe pas mal de temps dans les bars le soir à jouer au billard...

    Enfin bref, je ne vais pas m'éterniser sur moi non plus. Si aujourd'hui j'ai tant besoin de mettre ce que je ressens sur papier, c'est parce que mon chat est mort cette nuit : Ca faisait trois jours qu'elle souffrait, sûrement suite à un choc avec une voiture, c'est ce qui a semblé le plus probable. Enfin, pendant ces trois jours elle était chez le véto et on espérait qu'elle allait aller mieux, mais ça n'a pas été le cas : Cette après-midi, on l'a enterré dans le jardin, mes parents ne voulaient pas trop, mais j'ai insisté...

    Ils avaient surtout l'air plus désolé pour moi que pour Bagherra (c'était son nom). Enfin bon, j'ai creusé le trou et je l'ai enterré... Voilà, elle est sous terre maintenant... et depuis je suis dans ma chambre à me morfondre... Je ne sais pas si cette feuille de papier m'aidera, mais je ne vois pas trop quoi faire d'autre pour l'instant.



    Vendredi 23 juillet 2004



    Hier, comme je ne me sentais vraiment pas bien, j'ai appelé Xavier : On est allé se boire une bière dans notre bar habituel, et, comment dire... Oui c'est un chat, et alors ! C'est pas une raison pour se foutre de moi parce que je suis malheureux ! Du coup hier en plus d'être triste, je me suis senti seul : En gros Xavier était surpris que je sois si accablé par la mort de Bagherra, il cherchait un peu à me consoler, mais bon, il me trouvait bien sensible d'être autant affecté par la mort d'un chat... Mais quand je pense à elle... : Elle avait tout juste deux ans et demi ! Une petite chatte noire avec une petite tache blanche sous le cou, toute féline, à vous faire un raffut de tous les diables le matin pour vous réveiller et que vous lui ouvriez la porte pour qu'elle puisse aller en sortie... Elle avait un sale caractère mais en même temps elle passait toutes les nuits sur mon lit... Purée ! et alors c'est pas normal d'être triste ?

    Xavier s'en fout... et mes parents compatissent comme ils peuvent : Ils m'ont proposé d'en prendre un nouveau, mais je ne veux pas, je pense trop à elle... Je me rappelle quand mes parents sont entrés dans ma chambre au matin du jour de mes quinzes ans avec une boîte à chaussures entre les mains en me disant « bon anniversaire ! » : J'ai tout d'abord cru qu'ils m'offraient une paire de baskets, c'est quand j'ai pris la boîte que j'ai senti que ça bougeait dedans !

    « Fais attention ! c'est fragile » m'avaient dit mes parents : Alors j'avais délicatement posé la boîte sur mon lit, et doucement soulevé le couvercle : Dès qu'elle fut entrebâillée, une petite forme noire passa par-dessus le rebord de la boîte : elle gambadait maintenant sur les couvertures. Bagherra avait tout juste deux mois à ce moment-là. Elle a commencé à fouiller partout dans la chambre, je l'ai prise dans mes bras, elle avait peur... Ca me fait tout drôle quand j'y repense, elle était toute petite, elle tenait entière dans le creux d'une main ! C'était une petite boule de poils, et elle avait peur de moi, et moi j'avais juste envie qu'elle se sente bien... j'avais juste envie de la réconforter...

    Ouais, à part que maintenant elle est morte.

    Pour l'enterrer, je l'ai reposée dans la boîte à chaussures : celle dans laquelle elle était le premier jour. Je l'avais gardée dans mon placard, en souvenir.

    Pauvre petite, seule, dans sa boîte à chaussures, sans un bruit, sans un son, sans un réconfort...

    Bon... ça me fout les boules d'écrire tout ça, je préfère m'en arrêter là pour aujourd'hui.



    Samedi 24 juillet 2004



    Ce que j'ai écrit hier m'a beaucoup affecté : Depuis je n'arrête pas de l'imaginer seule, sous la terre, dans le silence, sans un son, sans une lumière, sans rien... abandonnée dans cette boîte à chaussures à peine assez grande pour elle. Cette image m'obsédait, et je ne savais plus trop quoi faire pour me calmer, alors finalement je suis allé au fond du jardin, à l'endroit où je l'avais enterrée, et je suis resté debout près du petit tas de terre meuble qui dépassait un peu du sol. Je suis resté comme ça assez longtemps, mon père a dû m'apercevoir et est passé regarder ce que je faisais. Il avait l'air désolé de me voir abattu comme ça, il m'a conseillé de rentrer à la maison ou de sortir un peu.

    Lui est triste pour moi... moi je suis triste pour elle.



    Dimanche 25 juillet 2004



    Quelle nuit j'ai encore passé !

    Hier soir je suis allé en sortie avec Mathieu et Xavier, je dois dire qu'ils ont été super avec moi : On a beaucoup bu bien sûr, et comme je n'avais pas le moral, ils n'ont pas arrêté de faire les guignols, ça m'a fait penser à autre chose, et finalement je me suis bien amusé... Non, le problème c'est quand je suis rentré chez moi.

    C'était vers les deux heures du matin, après la fermeture des bars. J'arrivais à l'entrée de la maison, et je me suis mis à penser à Bagherra : La lumière du réverbère se reflétait sur mon blouson en cuir et mettait bien en évidence les petits trous qu'il y avait un peu partout sur les épaules... Ces petits trous elle me les avait faits les deux premiers mois qu'elle a passé avec moi : Je la mettais sur l'épaule et j'allais me promener à pied dans les quartiers avoisinants, et elle restait calme, tranquillement installée, observant le paysage, les griffes plantées dans mon blouson... Jusqu'à ce qu'elle ait vers les quatres mois et qu'elle apprécie trop d'aller voir les jardins des maisons devant lesquelles je passais ! Enfin bref, en voyant ces petits trous sur les épaules de mon blouson j'ai repensé à elle, et alors je suis retourné près du trou, je me suis assis en tailleur et je suis resté là, sans bouger, sans parler... Il faut dire qu'à cause de l'alcool j'avais tendance à somnoler... mais bon je sais pas... je... disons que... je voulais lui tenir compagnie !

    Elle me manque, ça me fait bizarre de me dire que je ne la reverrais plus, j'ai jamais connu la mort de quelqu'un avant. Mais là, on a beau me dire que ce n'est qu'un chat, je m'en fous... La mort... La mort ça ne devrait pas exister... c'est n'importe quoi... je ne comprends pas pourquoi.



    Lundi 26 juillet 2004



    J'ai attendu que mes parents soient couchés et je suis allé dehors, près d'elle, et je me suis assis en tailleur, comme la nuit dernière... Je ne veux pas la laisser seule, je ne veux pas l'abandonner comme ça. Pourquoi maintenant chaque nuit je dois dormir tout seul, sans elle sur les couvertures ? Je ne peux pas dormir maintenant sans me dire qu'elle est toute seule au fond du jardin, sans rien, abandonnée dans une boîte à chaussure sous la terre... Donc ce soir je suis allé la voir, et je lui ai tenu un peu compagnie, je me sentais mieux. Au bout d'un moment je suis rentré à la maison... Mais je retournerai demain soir, je refuse de l'oublier comme ça.



    Jeudi 29 juillet 2004



    Je ne sais pas trop comment dire... ben voilà : J'étais maintenant comme chaque soir au fond du jardin, assis près d'où repose Bagherra, dans ma tête je me repassais en boucle mes souvenirs d'elle, et en même temps je ne pouvais m'empêcher de me dire que je ne la reverrai plus jamais... Alors j'ai commencé à réfléchir à tout ça, tout d'abord par rapport à elle, et puis progressivement par rapport à ma famille : Je n'ai pas encore perdu un membre proche de ma famille, mais ce soir je me l'imaginais, et vu mon âge je me disais que par exemple, il était plus probable que ma mère ou mon père parte avant moi, que l'inverse. Et me dire qu'un jour ils disparaîtront me tordait l'estomac... Un jour ils ne seront plus là, et je resterai là sans eux...

    Ce soir je me dis que j'ai peur d'avancer dans la vie, peur de voir les choses qui m'entourent disparaître.



    Vendredi 30 juillet 2004



    J'en ai marre ! J'ai vraiment l'impression que personne ne me comprend, ils me font tous chier à la fin !

    Bon alors ce midi, pour commencer, je mangeais seul avec ma mère (mon père ne rentre pas le midi, mais elle oui), et là je lui ai parlé un peu de mes appréhensions sur la vie... enfin la mort... enfin... Bon, bref, elle m'a regardé l'air étonnée, et elle m'a dit « Tu es sûr que ça va Cédric ? » : Je lui ai dit que oui, mais que je pensais beaucoup à la mort en ce moment. Et là elle m'a répondu « Bah ! tu ne devrais pas trop penser à ça, tu vas broyer du noir, ça n'est pas bien bon. » et comme je ne répondais rien, elle rajouta « Et puis c'est l'été, ce sont les vacances, allez ! pense à autre chose ! » : Vu sa réponse j'ai préféré acquiescer et faire mine d'aller mieux.

    Mais alors comme ça je ne devrais pas penser à ça ! Ah bon ? Je devrais ne pas y penser ?... de toute façon, j'ai l'impression que personne ne pense à ça... Les gens se croient tous immortels ou quoi ?

    Et puis le soir, pendant le repas, mon père en a remis une couche : « Tu es sûr que tu ne voudrais pas un autre chat ? » : Alors voilà qu'il me sort ça d'un coup, comme ça ! Bon ben j'ai vite compris, maman avait dû lui raconter ce dont je lui avais parlé le midi... Ca doit les faire flipper, ils doivent se dire que je déprime... Mais je ne veux pas d'un autre chat ! pas comme ça, juste après qu'elle soit morte. Pas comme on changerait de voiture une fois l'autre bonne pour la casse. Non, je ne veux pas la remplacer comme ça.



    Dimanche 1 août 2004



    Alors après être resté dans ma chambre tout le samedi après-midi comme un con, j'ai fini par appeler Mathieu et Xavier pour aller passer la soirée dans les bars : Après tout autant en profiter, puisque « ce sont les vacances », comme dis ma mère... D'ailleurs à ce sujet, Xavier part demain avec ses parents pour deux semaines.

    Bon, on s'est bien marré, et à un moment je leur ai quand même parlé de mes tourments sur la mort... Quand je le leur ai dit, Mathieu m'a regardé avec un air crispé, il m'a dit qu'il n'avait pas du tout envie de parler de tout ça. On est resté alors silencieux pendant une ou deux minutes, et puis pour briser ce silence qui devenait pesant Xavier a enchaîné sur autre chose. Après, pendant le reste de la soirée, j'en ai plus du tout parlé.

    Donc voilà, j'ai l'impression d'être bien seul... et toutes ces idées me rongent... et je ne reverrais jamais plus Bagherra me rejoindre quand j'arrive le soir à la maison... et je n'arrive pas à m'y faire.



    Lundi 2 août 2004



    Comme prévu, Xavier vient de partir en vacances avec ses parents pour deux semaines. Mathieu, lui, partira samedi, aussi pour deux semaines... Et moi je vais rester ici tout seul... J'en ai marre, je me sens fatigué, je dors mal, je me sens mal, et je n'ai personne à qui parler...

    Alors, ce soir comme d'habitude, vers vingt-trois heures, une fois les parents couchés, je suis allé la voir au fond du jardin, je me suis assis en tailleur : D'habitude je restais silencieux, mais là je lui ai parlé... Ca m'a fait bizarre de me dire que je parlais à mon chat mort, enterré à mes pieds, dans une boîte à chaussures... Mais en même temps ça m'a fait du bien : Je lui ai parlé de mes peurs, des réactions que ça a provoquées autour de moi... Je lui ai aussi dit qu'elle me manquait, et que je pensais à elle tout le temps... et puis au bout d'un moment j'ai fini par rentrer à la maison.



    Mercredi 4 août 2004



    Il ne fait pas beau ces jours-ci, il pleuvait aujourd'hui, alors avec Mathieu on est resté jouer aux jeux vidéos chez lui...

    Je n'arrêtais pas de penser à Bagherra, dans sa boîte à chaussures, enterrée sous la terre, toute trempée à cause de la pluie... elle qui n'aimait pas l'eau...

    J'ai mal, ce que j'ai mal...



    Samedi 7 août 2004



    Je reviens d'avoir été dire au revoir et souhaiter de bonnes vacances à Mathieu, il était encore à faire ses bagages, toujours à la bourre comme d'hab ! Il doit être parti avec ses parents à l'heure qu'il est... Bon... me voilà tout seul comme un con... Mes parents auraient pu prendre des vacances quand même cet été, mais ils ne pensent qu'au boulot... J'en ai marre.

    Tout me semble si triste en ce moment et me retrouver seul ainsi, ça ne m'aide pas vraiment. A part Mathieu et Xavier je ne vois pas avec qui je pourrais sortir. Je n'ai vraiment pas beaucoup d'amis. Ce soir on a beau être samedi, je vais rester ici... de toute façon je ne suis pas d'humeur à sortir.

    Et puis, ce soir, comme tous les soirs maintenant, j'irai au fond du jardin et je parlerais à mon chat... à qui d'autre pourrais-je parler en ce moment de toute façon ?



    Dimanche 8 août 2004



    Je me suis levé tard : vers midi. D'ailleurs je n'avais pas très faim, j'ai mangé un petit peu quand même histoire de faire illusion aux parents. J'ai passé les premières heures de l'après-midi seul dans ma chambre, et pour finir je suis sorti me promener à pied.

    Je me sentais déjà mal : Personne à qui parler, mes copains partis en vacances, et la mort Bagherra qui continue obstinément de me hanter la tête... et en prime pendant ma promenade j'ai croisé une chatte noire qui se prélassait au soleil devant l'entrée d'une maison. Elle ressemblait vraiment à Bagherra, et ça m'a anéanti : J'avais l'impression que c'était elle... sauf qu'elle n'a pas bronché en me voyant. Au bout de quelques secondes, elle s'est même levée et est partie, sûrement que je devais trop la fixer ou être trop près d'elle à son goût !

    Je suis resté là à la regarder s'en aller, effrayé par la ressemblance que je lui trouvais par rapport à Bagherra et par cette envie que j'avais de la prendre dans mes bras... et aussi par la peine que j'éprouvais à m'admettre que ce n'était pas elle.



    Lundi 9 août 2004



    Il est cinq heures du matin, mais j'ai envie d'écrire parce que j'ai peur... peut-être que c'était juste mon imagination...

    Enfin voilà, à deux heures du matin je ne dormais toujours pas, je n'arrêtais pas de me tourner et de me retourner dans mes couvertures, obsédé par l'image du chat que j'avais vu pendant l'après midi. Le cœur serré, j'ai fini par réaliser que je n'étais même pas allé voir Bagherra. Du coup je me suis rhabillé et doucement je suis sorti de la maison pour aller au fond du jardin. Arrivé à une dizaine de mètres de l'endroit où elle est enterrée, je l'ai entendu... oui ! je l'ai entendu miauler, je suis sûr que ça venait du trou ! j'entendais Bagherra miauler : Ces mêmes petits miaulements aigus qu'elle faisait quand elle voulait quelque chose. J'ai eu comme un immense frisson qui m'a parcouru tout le corps tellement j'étais surpris. J'en suis resté hébété, immobile, sans ne savoir quoi faire ou que penser. Puis j'ai couru jusqu'au trou, et j'ai collé mon oreille sur la terre qui le recouvrait : Mon cœur battait fort, j'étais paniqué, mais je me calmai un peu et écoutai attentivement... mais je n'entendis rien. J'ai bien dû rester une bonne demi-heure, l'oreille contre terre à écouter. Parfois je lui demandais de miauler encore, je la suppliais de faire encore un peu de bruit... mais rien. Au bout du compte j'ai fini par retourner dans la maison, désespéré de n'avoir plus rien entendu : pas un bruit, pas un son, que le silence.

    Pourtant je me suis senti tellement heureux quand je l'ai entendu miauler, je n'en croyais pas mes oreilles, alors pourquoi après je n'ai plus rien entendu ? Peut-être qu'elle miaulait pour m'appeler et quand je suis arrivé elle s'est arrêtée ?...

    Mais qu'est ce que je dis là ! Elle est morte à la fin !



    Lundi 9 août 2004



    C'est l'après-midi, je n'ai pratiquement pas réussi à dormir, tout se mélange dans ma tête. Je n'arrête pas de me dire « et si j'avais bien entendu ? elle est vivante alors ? »... et là je ne sais plus...

    Je me suis quand même levé un peu avant midi pour aller manger, je n'ai pas envie que maman se pose des questions... elle me croirait fou si je lui disais.



    Mardi 10 août 2004



    J'ai appelé son nom, je me suis remis l'oreille collée au sol, et j'ai encore appelé, plein d'espoir de l'entendre de nouveau, de l'entendre réponde à mes appels... Mas rien, je suis resté presque une demi-heure, à attendre, à espérer, en vain... Je n'ose pas aller déterrer la boîte... Mais bon sang ! Pourquoi elle ne me répond pas ? pourquoi ?



    Mercredi 11 août 2004



    Elle est peu être trop faible pour miauler ? ... Oh, mais qu'est ce que je dis là... Purée ! mais elle est morte !

    Oui, mais si je n'avais pas rêvé... Alors elle est enfermée dans cette boîte à chaussures sans rien, sans boire ni manger... Non ça n'est pas possible ! Je ne veux plus penser à ça !... Je ne veux pas aller déterrer la boîte... non... J'ai trop peur.



    Vendredi 13 août 2004



    Hier, j'ai vraiment passé une journée horrible, partagée entre me demander si je pétais les plombs, et penser à ma pauvre Bagherra dans sa boîte à chaussures, et à ses miaulements que j'ai, ou ai cru, entendre. J'en avais des crampes d'estomac... et l'idée d'aller la déterrer me révulsait... Alors j'ai eu une idée :

    Une fois les parents couchés, je suis allé prendre le vieux balais qu'on utilise pour la balayer cave : le manche est métallique et creux. Muni de mon tube de fortune je suis allé dehors, et je l'ai planté dans la terre qui recouvre le trou... Puis je l'ai enfoncé jusqu'à sentir la boîte qui bloquait : On ne l'avait pas enterré profond, peut être soixante-dix à quatre-vingts centimètres de profondeur environs. J'ai un peu forcé, et le tube a traversé le carton... Alors comme le tuyau était dans la boîte, j'ai écouté, mais rien... Je lui ai parlé, mais je n'ai rien entendu en retour. C'est quand j'ai enlevé le tube que je me suis rendu compte qu'il y avait plein de terre dedans, c'était normal, elle était passée dedans en même temps que j'enfonçais le tuyau dans le sol... Franchement après je me suis senti tellement bête d'avoir fait ça que je suis allé nettoyer le tube, je l'ai remis avec la tête du balai, et je suis remonté dans ma chambre... Je me sens idiot d'avoir fait ça.



    Dimanche 15 août 2004



    Finalement j'ai beaucoup réfléchi et j'ai fini par trouver une solution pour le manche à balais : j'ai mis un bouchon de liège dedans, je l'ai tenu fixe en enfonçant un bâton dans le tube, et une fois dans la boîte, j'ai poussé juste un petit peu sur le bâton pour le faire sortir du tuyau... Bon du coup il est tombé dans la boîte : il faudra que j'en trouve d'autres.

    Par contre je n'ai toujours pas entendu de miaulements... J'étais plein d'espoir, mais rien, toujours rien...

    Alors je lui ai fait passer quelques croquettes par le tuyau... j'y ai fait couler aussi un peu de lait... on ne sait jamais...

    Je ne sais plus trop quoi penser.



    Mardi 17 août 2004



    Xavier m'a appelé aujourd'hui... Bon dieu, j'avais complètement oublié, mais lundi il est rentré de vacances !

    Il m'a appelé hier après midi, j'en étais tout surpris d'entendre sa voix... j'étais vraiment ailleurs ces derniers jours...

    On s'est vu le soir, on est allé boire et jouer au billard, comme d'habitude... Moi ça me faisait bizarre d'entendre tout ce bruit, tous ces gens autour de moi, mais je pense que ça m'a fait du bien.

    Par contre je n'ai pas trop bu, j'avais un peu peur de trop boire vu les idées que j'ai dans la tête en ce moment.

    Xavier a passé de bonnes vacances... Quand il m'a demandé ce que j'ai fais de mon côté pendant ces deux semaines, je lui ai dit que j'ai passé mon temps à faire du vélo, à jouer aux jeux vidéos et à lire... : J'ai préféré ne pas lui parler de Bagherra et de tout ce que j'avais en tête.

    Vers une heure du matin, en rentrant à la maison, je suis passé la voir, j'ai planté le tuyau, je n'ai encore rien entendu et puis j'ai fini par pleurer : J'aimerais ne plus penser à tout ça, vivre comme avant... J'en viens à regretter ce jour où mes parents m'ont donné un chat...



    Mercredi 18 août 2004



    Je n'y comprends plus rien ! J'en peux plus ! Pourquoi ? Mais bon sang pourquoi elle ne miaule plus ?!

    Ca fait maintenant quatre jours que tous les soirs je plante mon tuyau et que je lui parle, à chaque fois je lui fais passer un peu de croquettes et du lait... Pourquoi je ne l'entends pas ?!

    Ma pauvre petite, là toute seule dans son trou...

    Mais je continuerais à y aller, je suis sûr de l'avoir entendu miauler, j'en suis certain ! Elle va bien finir par se manifester de nouveau !



    Jeudi 19 août 2004



    Et si j'avais mal entendu la fois où j'ai cru l'entendre miauler ?

    Ce soir encore aucun son n'est sorti de sa tombe... je lui ai encore fais passer un peu de croquettes et un verre de lait.

    Je me suis risqué à sentir l'air qui venait de tuyau, et ça ne sentait pas bon... : un mélange de viande pourrie et de lait rance.



    Vendredi 20 août 2004



    Cette nuit je suis encore allé lui parler et lui donner à manger par le tuyau... L'odeur que j'y ai encore senti me fait peur.

    Elle ne répond toujours pas : Je donnerais tout ce que j'ai pour l'entendre de nouveau miauler... Mais je ne sais même plus très bien si je l'ai vraiment entendu la dernière fois.

    Je me sens paumé.



    Samedi 21 août 2004



    Mathieu vient de m'appeler ! Il est rentré de vacances ! Ca me fait bien plaisir qu'il soit de retour ! On a prévu de se voir ce soir, Xavier sera avec nous aussi. Je ne sais pas si je pourrais leur parler de tout ce qui m'arrive en ce moment... D'un autre côté je vais toujours aussi mal, et je me dis qu'il faut que j'en parle à quelqu'un... et eux, ils comprendront peut-être.



    Dimanche 22 août 2004



    Je ne sais pas par quoi commencer...

    Hier avec Mathieu et Xavier j'ai beaucoup bu, vraiment beaucoup... Du coup avec l'effet de l'alcool je me suis lâché : j'ai dis tout ce que j'avais en tête, j'étais complètement abattu, et les mots sortaient, s'enfuyaient de ma bouche sans que je puisse m'arrêter. Je leur ai tout déballé : Les miaulements que j'avais crus entendre, le tuyau, et tout le reste... Ils ont été assez gentils avec moi, il faut dire qu'ils étaient bien amochés aussi, je n'avais pas été le seul à boire. On est sorti dehors, ils m'ont assis sur un banc dans le jardin public qui n'était pas trop loin. On a fumé clope sur clope, ils ont cherché à me remonter le moral, à me dire qu'il fallait que je pense à autre chose... mais je me suis borné à mon désespoir et à ma peur. Vers les trois heures du matin, ils ont dû en avoir marre, et ont prétextés de devoir rentrer chez eux. Alors on s'est séparés, et moi je suis donc rentré à la maison.

    En titubant, encoure bien saoul, je suis allé jusqu'au fond du jardin, et je me suis écroulé devant le petit monticule de terre. Je pense que j'ai bien dû rester allongé au moins une heure comme ça, je me sentais vraiment mal : Encore bien bourré quand même, les souvenirs de Bagherra n'arrêtaient pas de venir me torturer l'esprit, je sombrais dans un tourment incontrôlable, tout seul affalé par terre dans le jardin.

    Encore complètement submergé par la tristesse, je crus entendre de nouveau des miaulements. Je me suis figé, j'ai senti mon cœur battre la chamade, et j'ai écouté attentivement, mais cela ne me faisait aucun doute : j'entendais bien des miaulements... des miaulements qui provenaient du trou ! Pris de panique, ne sachant plus quoi penser, entre le bonheur et la terreur, encore à moitié sous l'effet de l'alcool. Je suis alors rentré d'un pas précipité chez moi, j'ai été prendre une pelle dans le garage, et j'ai creusé, j'ai déterré la boîte, j'ai déterré Bagherra.

    Mon dieu, c'était horrible, la boîte à chaussure était toute cabossée, le couvercle était tout défoncé, le carton était imbibé d'humidité, et commençait à se décomposer. Je me suis penché sur le trou et j'ai touché le couvercle : il était tout humide et mou. Je l'ai soulevé, et je ne voudrais plus jamais, oh non, plus jamais voir ce que j'ai vu : Bagherra était morte, oui belle et bien morte ! Son corps recroquevillé n'avait pas bougé, il y avait de la terre... non... de la boue dans tout le fond de la boîte... il y avait des croquettes un peu partout, l'odeur de lait rance était insupportable ainsi que l'odeur de viande pourrie, elle m'envahissait les narines... Bagherra gisait là-dedans, son poil n'était plus brillant, mais mat et tout couvert de boue, ses yeux étaient ouverts, et ils ne brillaient plus du tout, ils paraissaient tout flétris. Avec horreur, j'ai remarqué que son ventre était ouvert... et bon dieu, il y avait un ver de terre qui entrait par le trou ! Et cette odeur, cette odeur devenait insupportable... et le ver de terre entrait tranquillement dans le ventre de mon petit chat... et d'un coup j'ai vomi. J'ai vomi dans le trou... enfin sur le bord je crois bien, j'ai juste eu le temps de me décaler un peu avant que ça ne sorte... Je me suis relevé, les yeux fermés, n'osant plus voir tout ça. Je pleurais, j'avais envie de hurler, mais je ne pouvais pas, il ne fallais pas, je devait taire tout ça, ou on m'aurais pris pour un détraqué... Je n'osais plus regarder vers le trou... Alors sans le regarder je l'ai rebouché, j'ai bien tassé la terre, et puis je me suis assis par terre, et j'ai pleuré... Vers six heures, j'ai ramassé la pelle, et je suis rentré dans ma chambre, silencieusement... J'ai entendu mon père se lever une heure après...

    Ni lui ni ma mère n'ont rien dis là-dessus aujourd'hui, ils m'ont juste demandé si j'avais bien fait la fête cette nuit. Ils m'ont aussi prévenu que je devrais peut-être reprendre un rythme plus régulier car l'école ne va pas trop tarder à redémarrer. Ils n'ont donc sûrement rien entendu, tant mieux pour moi.

    Je ne sais plus quoi faire ou quoi penser, je n'ai pas faim, j'ai l'estomac noué : Je me suis forcé à manger ce soir, et je n'ai envie de rien... j'ai juste toutes ces images horribles dans la tête.

    J'ai mal pour Bagherra... ça fait maintenant un mois jour pour jour qu'elle est morte.



    Lundi 23 août 2004



    Aujourd'hui j'ai revu Mathieu et Xavier... je leur ai dit que j'étais trop bourré samedi soir et que j'ai peut-être démesurément exagéré ce que j'ai dit : Ils m'ont répondu qu'ils se sentaient soulagés, parce que mon comportement de la dernière fois les avait inquiétés... La vérité est que ce soir-là j'avais exprimé ce que j'avais en tête, l'alcool ne m'avait pas fait exagérer les choses, mais avait plutôt ouvert les vannes à ce trop plein que j'avais en tête...

    Mais bon, il valait mieux que je désamorce tout ça... de toute façon ils ne comprennent pas.

    J'ai toujours mal au ventre quand je repense à ce que j'ai vu en la déterrant : son image me torture, je n'arrive pas à arrêter d'y penser... Je commence aussi à me dire que je finirai comme ça un jour et ça me terrifie.



    Mardi 24 août 2004



    Cette nuit j'ai pleuré... Je pensais à Bagherra, et puis j'ai pensé à moi... Une vision affreuse m'est venue à l'esprit : Je me sentais bien vivant là, maintenant, et j'imaginais que dans cent ans, par exemple, ce serait le néant pour moi : je serais mort, enterré comme Bagherra, et tout serait noir, ce serait le néant... le vide. Cette vision m'emportait dans un vertige qui m'épouvantait : le vide, le néant... Je ne veux pas, j'ai peur de mourir...



    Jeudi 26 août 2004



    Je n'en peux plus... je viens encore de pleurer, seul, en silence, dans ma chambre. Tout me paraît si triste, tout me semble si futile, si inutile... de toute façon quoi que je fasse, je mourrais tous tôt ou tard. Je ressens maintenant souvent ce vertige face à cette idée de vide et de néant après ma mort... Tout ce que je ressens aujourd'hui, tout ce que j'entends ou vois... tout cela ne sera plus... Cette idée m'insupporte... Je voudrais que tout ça sorte de ma tête : Ca devient obsédant, je ne sais plus quoi faire, je ne sais pas à qui en parler...

    C'est comme si la mort de Bagherra m'avait fait prendre conscience que j'étais mortel.



    Samedi 28 août 2004



    Mes potes m'ont proposé de sortir ce soir : C'est l'avant dernier week-end avant la rentrée... purée l'école va reprendre dans neuf jours ! En plus cette année, c'est la terminale, avec le bac à la fin... Il va falloir bosser. Je commence déjà à avoir peur de l'échec, j'ai du mal à me dire que je vais pouvoir réussir à travailler dans mon état d'esprit. Déjà que l'année dernière je suis passé tout juste... Et puis, je ne sais même pas ce que je ferais après mon bac. Pourtant il faut que je choisisse cette année : Que je choisisse dans quelle filière, dans quelle école je vais aller... que je choisisse mon avenir... Mais je n'arrête pas de me dire qu'au bout, de toute façon, c'est le néant, la mort. Alors à quoi tout ça va me servir ?



    Lundi 30 août 2004



    C'est bizarre, il y en a qui à l'adolescence se suicident... ils sont déprimés, et se suicident... Alors est-ce que je suis vraiment déprimé ?... Parce que je n'ai vraiment pas envie de mourir, justement, je ne veux absolument pas mourir !

    J'ai mal, j'ai très mal d'avoir perdu Bagherra, et je suis terrifié à l'idée de ma mort, mais est-ce que je suis déprimé...

    ... ou est ce juste que je suis maintenant conscient de ma condition ?



    Mercredi 01 Septembre 2004



    Hier j'étais à boire avec Mathieu et Xavier, d'un coup je me suis mis à penser aux années que j'avais encore à vivre... J'ai dix-sept ans : Imaginons que je meure, à, disons... soixante-dix ans : il m'en reste cinquante-trois à vivre ! Ca fait plus de trois fois ce que j'ai déjà vécu !



    Jeudi 02 septembre 2004



    Même, si je ne vis pas jusqu'à soixante-dix ans... purée ! là je suis vivant ! Et tant que je le suis, je peux en profiter...

    De toute manière je ne peux rien contre ma mort... Elle est là, et aller pleurer n'y changera rien... Mais en attendant je peux peut-être mieux profiter de ma vie...



    Dimanche 05 septembre 2004



    J'ai préparé mon sac pour l'école, ça commence demain... Maintenant je me sens mieux, j'ai presque hâte d'y être : Cette année je décroche mon bac, et après je pars d'ici ! Je partirai faire mes études ailleurs : j'irai à la ville, j'irai connaître pleins de gens ! Bordel, tant qu'à faire autant en profiter ! Je commence aussi à réfléchir au métier que je vais faire : Autant faire un métier qui me plait, ça n'en sera que mieux ! J'ai envie de faire pleins de choses, que ma vie ne soit pas inutile... Un jour je mourrai, c'est comme ça ! c'est ainsi... et en même temps c'est une force... Une force qui va peut-être me donner l'envie d'avancer... Avancer tant que je le peux : Etre conscient de ma mortalité me pousse à profiter de la vie qui m'est offerte... C'est vrai que je me dis que je ne sais pas ce qu'il y a après la vie... Mais justement je ne sais pas, et je n'arriverai jamais à le savoir et à en être sûr... alors autant profiter de la vie, au moins je sais qu'elle est là... même si je sais qu'elle ne durera pas.

    on, plus jamais voir ce que j'ai vu : Bagherra était morte, oui belle et bien morte ! Son corps recroquevillé n'avait pas bougé, il y avait de la terre... non... de la boue dans tout le fond de la boîte... il y avait des croquettes un peu partout, l'odeur de lait rance était insupportable ainsi que l'odeur de viande pourrie, elle m'envahissait les narines... Bagherra gisait là-dedans, son poil n'était plus brillant, mais mat et tout couvert de boue, ses yeux étaient ouverts, et ils ne brillaient plus du tout, ils paraissaient tout flétris. Avec horreur, j'ai remarqué que son ventre était ouvert... et bon dieu, il y avait un ver de terre qui entrait par le trou ! Et cette odeur, cette odeur devenait insupportable... et le ver de terre entrait tranquillement dans le ventre de mon petit chat... et d'un coup j'ai vomi. J'ai vomi dans le trou... enfin sur le bord je crois bien, j'ai juste eu le temps de me décaler un peu avant que ça ne sorte... Je me suis relevé, les yeux fermés, n'osant plus voir tout ça. Je pleurais, j'avais envie de hurler, mais je ne pouvais pas, il ne fallais pas, je devait taire tout ça, ou on m'aurais pris pour un détraqué... Je n'osais plus regarder vers le trou... Alors sans le regarder je l'ai rebouché, j'ai bien tassé la terre, et puis je me suis assis par terre, et j'ai pleuré... Vers six heures, j'ai ramassé la pelle, et je suis rentré dans ma chambre, silencieusement... J'ai entendu mon père se lever une heure après...

    Ni lui ni ma mère n'ont rien dis là-dessus aujourd'hui, ils m'ont juste demandé si j'avais bien fait la fête cette nuit. Ils m'ont aussi prévenu que je devrais peut-être reprendre un rythme plus régulier car l'école ne va pas trop tarder à redémarrer. Ils n'ont donc sûrement rien entendu, tant mieux pour moi.

    Je ne sais plus quoi faire ou quoi penser, je n'ai pas faim, j'ai l'estomac noué : Je me suis forcé à manger ce soir, et je n'ai envie de rien... j'ai juste toutes ces images horribles dans la tête.

    J'ai mal pour Bagherra... ça fait maintenant un mois jour pour jour qu'elle est morte.



    Lundi 23 août 2004



    Aujourd'hui j'ai revu Mathieu et Xavier... je leur ai dit que j'étais trop bourré samedi soir et que j'ai peut-être démesurément exagéré ce que j'ai dit : Ils m'ont répondu qu'ils se sentaient soulagés, parce que mon comportement de la dernière fois les avait inquiétés... La vérité est que ce soir-là j'avais exprimé ce que j'avais en tête, l'alcool ne m'avait pas fait exagérer les choses, mais avait plutôt ouvert les vannes à ce trop plein que j'avais en tête...

    Mais bon, il valait mieux que je désamorce tout ça... de toute façon ils ne comprennent pas.

    J'ai toujours mal au ventre quand je repense à ce que j'ai vu en la déterrant : son image me torture, je n'arrive pas à arrêter d'y penser... Je commence aussi à me dire que je finirai comme ça un jour et ça me terrifie.



    Mardi 24 août 2004



    Cette nuit j'ai pleuré... Je pensais à Bagherra, et puis j'ai pensé à moi... Une vision affreuse m'est venue à l'esprit : Je me sentais bien vivant là, maintenant, et j'imaginais que dans cent ans, par exemple, ce serait le néant pour moi : je serais mort, enterré comme Bagherra, et tout serait noir, ce serait le néant... le vide. Cette vision m'emportait dans un vertige qui m'épouvantait : le vide, le néant... Je ne veux pas, j'ai peur de mourir...



    Jeudi 26 août 2004



    Je n'en peux plus... je viens encore de pleurer, seul, en silence, dans ma chambre. Tout me paraît si triste, tout me semble si futile, si inutile... de toute façon quoi que je fasse, je mourrais tous tôt ou tard. Je ressens maintenant souvent ce vertige face à cette idée de vide et de néant après ma mort... Tout ce que je ressens aujourd'hui, tout ce que j'entends ou vois... tout cela ne sera plus... Cette idée m'insupporte... Je voudrais que tout ça sorte de ma tête : Ca devient obsédant, je ne sais plus quoi faire, je ne sais pas à qui en parler...

    C'est comme si la mort de Bagherra m'avait fait prendre conscience que j'étais mortel.



    Samedi 28 août 2004



    Mes potes m'ont proposé de sortir ce soir : C'est l'avant dernier week-end avant la rentrée... purée l'école va reprendre dans neuf jours ! En plus cette année, c'est la terminale, avec le bac à la fin... Il va falloir bosser. Je commence déjà à avoir peur de l'échec, j'ai du mal à me dire que je vais pouvoir réussir à travailler dans mon état d'esprit. Déjà que l'année dernière je suis passé tout juste... Et puis, je ne sais même pas ce que je ferais après mon bac. Pourtant il faut que je choisisse cette année : Que je choisisse dans quelle filière, dans quelle école je vais aller... que je choisisse mon avenir... Mais je n'arrête pas de me dire qu'au bout, de toute façon, c'est le néant, la mort. Alors à quoi tout ça va me servir ?



    Lundi 30 août 2004



    C'est bizarre, il y en a qui à l'adolescence se suicident... ils sont déprimés, et se suicident... Alors est-ce que je suis vraiment déprimé ?... Parce que je n'ai vraiment pas envie de mourir, justement, je ne veux absolument pas mourir !

    J'ai mal, j'ai très mal d'avoir perdu Bagherra, et je suis terrifié à l'idée de ma mort, mais est-ce que je suis déprimé...

    ... ou est ce juste que je suis maintenant conscient de ma condition ?



    Mercredi 01 Septembre 2004



    Hier j'étais à boire avec Mathieu et Xavier, d'un coup je me suis mis à penser aux années que j'avais encore à vivre... J'ai dix-sept ans : Imaginons que je meure, à, disons... soixante-dix ans : il m'en reste cinquante-trois à vivre ! Ca fait plus de trois fois ce que j'ai déjà vécu !



    Jeudi 02 septembre 2004



    Même, si je ne vis pas jusqu'à soixante-dix ans... purée ! là je suis vivant ! Et tant que je le suis, je peux en profiter...

    De toute manière je ne peux rien contre ma mort... Elle est là, et aller pleurer n'y changera rien... Mais en attendant je peux peut-être mieux profiter de ma vie...



    Dimanche 05 septembre 2004



    J'ai préparé mon sac pour l'école, ça commence demain... Maintenant je me sens mieux, j'ai presque hâte d'y être : Cette année je décroche mon bac, et après je pars d'ici ! Je partirai faire mes études ailleurs : j'irai à la ville, j'irai connaître pleins de gens ! Bordel, tant qu'à faire autant en profiter ! Je commence aussi à réfléchir au métier que je vais faire : Autant faire un métier qui me plait, ça n'en sera que mieux ! J'ai envie de faire pleins de choses, que ma vie ne soit pas inutile... Un jour je mourrai, c'est comme ça ! c'est ainsi... et en même temps c'est une force... Une force qui va peut-être me donner l'envie d'avancer... Avancer tant que je le peux : Etre conscient de ma mortalité me pousse à profiter de la vie qui m'est offerte... C'est vrai que je me dis que je ne sais pas ce qu'il y a après la vie... Mais justement je ne sais pas, et je n'arriverai jamais à le savoir et à en être sûr... alors autant profiter de la vie, au moins je sais qu'elle est là... même si je sais qu'elle ne durera pas.

    regarder vers le trou... Alors sans le regarder je l'ai rebouché, j'ai bien tassé la terre, et puis je me suis assis par terre, et j'ai pleuré... Vers six heures, j'ai ramassé la pelle, et je suis rentré dans ma chambre, silencieusement... J'ai entendu mon père se lever une heure après...

    Ni lui ni ma mère n'ont rien dis là-dessus aujourd'hui, ils m'ont juste demandé si j'avais bien fait la fête cette nuit. Ils m'ont aussi prévenu que je devrais peut-être reprendre un rythme plus régulier car l'école ne va pas trop tarder à redémarrer. Ils n'ont donc sûrement rien entendu, tant mieux pour moi.

    Je ne sais plus quoi faire ou quoi penser, je n'ai pas faim, j'ai l'estomac noué : Je me suis forcé à manger ce soir, et je n'ai envie de rien... j'ai juste toutes ces images horribles dans la tête.

    J'ai mal pour Bagherra... ça fait maintenant un mois jour pour jour qu'elle est morte.



    Lundi 23 août 2004



    Aujourd'hui j'ai revu Mathieu et Xavier... je leur ai dit que j'étais trop bourré samedi soir et que j'ai peut-être démesurément exagéré ce que j'ai dit : Ils m'ont répondu qu'ils se sentaient soulagés, parce que mon comportement de la dernière fois les avait inquiétés... La vérité est que ce soir-là j'avais exprimé ce que j'avais en tête, l'alcool ne m'avait pas fait exagérer les choses, mais avait plutôt ouvert les vannes à ce trop plein que j'avais en tête...

    Mais bon, il valait mieux que je désamorce tout ça... de toute façon ils ne comprennent pas.

    J'ai toujours mal au ventre quand je repense à ce que j'ai vu en la déterrant : son image me torture, je n'arrive pas à arrêter d'y penser... Je commence aussi à me dire que je finirai comme ça un jour et ça me terrifie.



    Mardi 24 août 2004



    Cette nuit j'ai pleuré... Je pensais à Bagherra, et puis j'ai pensé à moi... Une vision affreuse m'est venue à l'esprit : Je me sentais bien vivant là, maintenant, et j'imaginais que dans cent ans, par exemple, ce serait le néant pour moi : je serais mort, enterré comme Bagherra, et tout serait noir, ce serait le néant... le vide. Cette vision m'emportait dans un vertige qui m'épouvantait : le vide, le néant... Je ne veux pas, j'ai peur de mourir...



    Jeudi 26 août 2004



    Je n'en peux plus... je viens encore de pleurer, seul, en silence, dans ma chambre. Tout me paraît si triste, tout me semble si futile, si inutile... de toute façon quoi que je fasse, je mourrais tous tôt ou tard. Je ressens maintenant souvent ce vertige face à cette idée de vide et de néant après ma mort... Tout ce que je ressens aujourd'hui, tout ce que j'entends ou vois... tout cela ne sera plus... Cette idée m'insupporte... Je voudrais que tout ça sorte de ma tête : Ca devient obsédant, je ne sais plus quoi faire, je ne sais pas à qui en parler...

    C'est comme si la mort de Bagherra m'avait fait prendre conscience que j'étais mortel.



    Samedi 28 août 2004



    Mes potes m'ont proposé de sortir ce soir : C'est l'avant dernier week-end avant la rentrée... purée l'école va reprendre dans neuf jours ! En plus cette année, c'est la terminale, avec le bac à la fin... Il va falloir bosser. Je commence déjà à avoir peur de l'échec, j'ai du mal à me dire que je vais pouvoir réussir à travailler dans mon état d'esprit. Déjà que l'année dernière je suis passé tout juste... Et puis, je ne sais même pas ce que je ferais après mon bac. Pourtant il faut que je choisisse cette année : Que je choisisse dans quelle filière, dans quelle école je vais aller... que je choisisse mon avenir... Mais je n'arrête pas de me dire qu'au bout, de toute façon, c'est le néant, la mort. Alors à quoi tout ça va me servir ?



    Lundi 30 août 2004



    C'est bizarre, il y en a qui à l'adolescence se suicident... ils sont déprimés, et se suicident... Alors est-ce que je suis vraiment déprimé ?... Parce que je n'ai vraiment pas envie de mourir, justement, je ne veux absolument pas mourir !

    J'ai mal, j'ai très mal d'avoir perdu Bagherra, et je suis terrifié à l'idée de ma mort, mais est-ce que je suis déprimé...

    ... ou est ce juste que je suis maintenant conscient de ma condition ?



    Mercredi 01 Septembre 2004



    Hier j'étais à boire avec Mathieu et Xavier, d'un coup je me suis mis à penser aux années que j'avais encore à vivre... J'ai dix-sept ans : Imaginons que je meure, à, disons... soixante-dix ans : il m'en reste cinquante-trois à vivre ! Ca fait plus de trois fois ce que j'ai déjà vécu !



    Jeudi 02 septembre 2004



    Même, si je ne vis pas jusqu'à soixante-dix ans... purée ! là je suis vivant ! Et tant que je le suis, je peux en profiter...

    De toute manière je ne peux rien contre ma mort... Elle est là, et aller pleurer n'y changera rien... Mais en attendant je peux peut-être mieux profiter de ma vie...



    Dimanche 05 septembre 2004



    J'ai préparé mon sac pour l'école, ça commence demain... Maintenant je me sens mieux, j'ai presque hâte d'y être : Cette année je décroche mon bac, et après je pars d'ici ! Je partirai faire mes études ailleurs : j'irai à la ville, j'irai connaître pleins de gens ! Bordel, tant qu'à faire autant en profiter ! Je commence aussi à réfléchir au métier que je vais faire : Autant faire un métier qui me plait, ça n'en sera que mieux ! J'ai envie de faire pleins de choses, que ma vie ne soit pas inutile... Un jour je mourrai, c'est comme ça ! c'est ainsi... et en même temps c'est une force... Une force qui va peut-être me donner l'envie d'avancer... Avancer tant que je le peux : Etre conscient de ma mortalité me pousse à profiter de la vie qui m'est offerte... C'est vrai que je me dis que je ne sais pas ce qu'il y a après la vie... Mais justement je ne sais pas, et je n'arriverai jamais à le savoir et à en être sûr... alors autant profiter de la vie, au moins je sais qu'elle est là... même si je sais qu'elle ne durera pas.
     
     
     
     
     
     
     

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    Cette chose attend que j'éteigne

     

    Cette chose attend que j'éteigne

     

     
     
     
     

     

    Marie,



    S'il te plait, je t'en supplie Marie, lis les mots qui vont suivre. Je n'ai pas arrêté d'essayer de t'appeler cette après-midi : tu ne m'as même pas laissé le temps de m'expliquer ! Comme tu as dû débrancher ton téléphone (vu que tu ne réponds plus du tout), j'ai décidé de t'envoyer cette lettre. Je t'écris depuis la chambre de l'hôpital psychiatrique où l'on m'a interné aujourd'hui. Ca ne va pas du tout pour moi, il faut que tu m'écoutes, s'il te plait ne jette pas cette lettre avant d'avoir fini de la lire.

    Si cette lettre est écrite au crayon-feutre c'est parce que les médecins ne veulent pas me donner de crayon à bille ou à plume : ils ont peur que je me fasse du mal avec. Ils n'arrêtent pas de dire que je me suis automutilé cette nuit chez moi, mais ça n'est pas vrai ! ils ne croient pas ce que je leur dis ! Il y a un quart d'heure ils m'ont coupé les ongles tellement courts que ça a saigné un peu : Ils disent que comme ça je ne pourrais pas m'infliger de griffures et d'écorchures supplémentaires. Le psychiatre à l'air de dire que je vis mal notre séparation, mais qu'est ce qu'il en sait !

    Je ne veux pas rester ici. D'accord je ne vais pas vraiment bien, mais je suis sûr que je ne suis pas fou ! et qui à part toi pourrait m'aider à me faire sortir de là ? Tu es ma famille la plus proche depuis que mes parents sont décédés. Ça peut paraître un peu sordide ce que je vais te dire, mais tant qu'on a pas divorcé, s'il y a bien quelqu'un qui pourrait faire des démarches pour me sortir de là, c'est bien toi. Ecoutes, si tu ne le fais pas par souvenir de nous deux, alors fais moi sortir d'ici et je signe tout de suite les papiers du divorce. Ca va presque faire un mois maintenant que tu attends ça, hein ? Si tu me fais sortir de là, je les signe sur le champ.

    Je ne veux pas continuer à dégringoler comme ça : Si ça continue, si je ne retourne pas travailler, je vais en plus perdre mon boulot ! Déjà que ce mois-ci je n'y suis presque pas allé à cause de tout ça et du reste : En effet ces derniers temps il n'y a pas eu que notre séparation qui a été difficile, j'ai eu d'autres problèmes. Ca n'est pas évident à expliquer, et je ne sais pas comment te dire tout ce qui m'est arrivé, déjà que ces cons de toubibs ne veulent pas me croire, je me demande vraiment si tu me prendras aussi pour un fou, mais de toute façon au point où j'en suis...

    Bon, depuis le début du mois, après le week-end de la toussaint, enfin disons plutôt suite à notre ultime dispute, j'ai fini par dégotter un petit appartement après deux nuits d'hôtels : il était assez pourri, mais je pouvais le louer tout de suite. Puis j'ai donc pris mon jeudi pour venir chercher mes affaires : Excuse moi, mais à ce moment-là tu étais obligé d'être aussi désagréable avec moi ? Tu savais que je passais, alors tu as vraiment fais exprès d'avoir déjà quelqu'un d'autre à la maison ? Tu étais vraiment si pressée d'enterrer nos dix-huit ans de mariage ? Je ne te demandes pas non plus d'être éplorée et habillée en noir, mais là quand même... Tu ne peux pas savoir à quel point j'ai souffert toute la nuit qui suivit, j'étais anéanti. Le lendemain, je suis allé travailler, mais j'ai été voir Fred pour lui demander deux semaines de vacances : Je me sentais beaucoup trop mal pour pouvoir travailler, avec tout ça j'avais besoin de me mettre au vert et de m'aérer l'esprit. Bah ! tu connais un peu Frédéric, je t'en ai déjà parlé, il est souvent assez chiant pour accorder les congés, mais j'ai fini par le faire céder. Donc arrivé le vendredi soir je me retrouvais avec deux semaines de repos, j'avais trouvé une maison de vacances à louer dans un petit village près d'Albertville, en Savoie. Le lendemain midi je suis parti là-bas.

    Les tout premiers jours se passèrent bien, l'air de la campagne, le calme, loin de la ville : tout cela m'aidait à faire le point, et à mieux supporter la situation. Je passais mes journées à me promener dans la montagne, le soir j'allais dans le bistrot du bourg du village, et je me saoulais un petit peu avant de rentrer me coucher : je n'arrêtais pas malgré tout de ressasser le passé, de penser à nous.

    Durant la nuit du lundi au mardi je me suis réveillé en sursaut, j'ai poussé un cri tellement j'ai eu peur. Pendant mon sommeil j'ai eu l'impression qu'on me grattait sur le dessus de là tête, j'étais sûr qu'on m'avait gratté dans les cheveux. La sensation qui m'avait tiré du sommeil paraissait réelle, mais quand j'ai allumé la lumière, je n'ai rien vu, il n'y avait personne. Je suis resté un bon quart d'heure, lumière allumée, allongé dans mon lit à regarder au plafond avant de me décider à me rendormir. Sur le moment je me suis juste dis que ma dépression me faisait des tours... je le croyais, mais plus maintenant.

    Deux nuits plus tard je me suis réveillé en hurlant en plein milieu de la nuit pour la même raison : Je sentais qu'on me grattait sur le dessus du crâne. Je suis resté assis sur mon lit quelques minutes, je n'arrêtais pas de me dire que je perdais la boule. J'ai fini par allumer la télé et je me suis endormi devant. Au matin, les dessins animés pour enfant m'ont tiré du sommeil. A mon réveil, je me suis dit qu'il valait mieux que je ne consomme plus du tout d'alcools, fort de cette décision, je passai une bonne journée.

    Tu n'as sûrement pas peur dans le noir, non ? Je dois dire que moi aussi, cela faisait partie des peurs d'enfants qui m'avaient quittées avec le temps. Mais à cause de la nuit précédente, le soir arrivé, je n'avais pas trop envie d'aller me coucher. Il est vrai que j'avais envie de boire un peu, c'est vrai, mais j'avais surtout un peu peur. Une fois allongé, lumière éteinte, je me suis blotti dans les couvertures, je gardais les yeux bien clos, on aurait sûrement dit un enfant de cinq ans ! Je finis par m'endormir, mais d'un sommeil léger, sûrement à cause de la peur, et elle m'a été salvatrice : C'est sûrement à cause de cette crainte que je dormis d'un sommeil agité, et que je me suis réveillé plusieurs fois au milieu de la nuit. Ce devait être la troisième fois de la nuit que j'ouvrais l'œil : tout était plongé dans l'obscurité, on ne discernait qu'un léger trait de lumière à la jonction des volets qui laissaient filtrer un peu de la clarté de la lune du dehors. Au début, à moitié endormi, j'ai pensé que je devais être un peu pris à la gorge et que le son que j'entendais devait être le râle de ma respiration. Mais je respirais très bien, et plus qu'un râle j'entendais à présent clairement le son, non pas d'un râle, mais d'un grognement, comme celui d'un chien prêt à attaquer. Il provenait d'à côté de la porte de la chambre. Je me blottis encore plus fort dans mes couvertures : j'avais peur de bouger. Le grognement s'intensifia. Pris alors de panique, dans un mouvement incontrôlé je projetai ma main sur l'interrupteur de ma lumière de chevet, et allumais : Le grognement s'arrêta aussitôt, il n'y avait rien dans la chambre. J'ai gardé les lumières allumées toute la nuit.

    Il me fallut attendre jusqu'au petit matin avant de trouver le sommeil. J'ai dormi jusqu'en début d'après-midi, puis je suis allé au bistrot du coin : On était le samedi et il y avait un match de foot qui passait à la télé, du coup il y avait du monde et ça me rassurait d'entendre le brouhaha tout autour de moi : je me sentais en sécurité. Je me suis mis à boire, jusqu'au milieu de la nuit. Arrivé à la maison, même saoul, je ne me sentais pas très rassuré, je laissais les lumières de la chambre allumées avant de m'écrouler sur le lit. Le lendemain j'ai passé une bonne partie du dimanche à récupérer de ma gueule de bois, mais je me sentais, malgré cela, un peu plus serin : Il n'y avait rien eu de bizarre pendant la nuit.

    Le soir venu je me suis endormi avec la lumière allumée, j'étais rassuré par la lumière : J'avais l'impression de retourner en enfance, mais entre laisser les lumières allumées et ne pas dormir, mon choix avait été vite fait.

    Je me suis réveillé dans mon lit en hurlant, une douleur atroce au torse. J'étais plaqué sur le dos, on m'écrasait le ventre. La pièce était plongée dans le noir : La lumière, je ne savais comment, était éteinte. J'ai hurlé... oh ! ce que j'ai hurlé ! de douleur surtout, mais aussi d'effroi. Ce qui était sur moi hurlait aussi, enfin, plutôt émettait une espèce de « gggGGGoooOOOO » guttural, grave et puissant, rien que d'y penser, j'en ai des frissons. Je ne voyais rien, juste une ombre aux contours indéfinis au-dessus de moi. J'ai tendu le bras et essayé plusieurs fois d'allumer la lampe de chevet, mais sans résultat. Ensuite je ne sais pas comment j'ai fait pour me dégager, sûrement que la poussée d'adrénaline n'y a pas été pour rien, mais j'ai réussi à m'échapper de l'étreinte. J'ai couru hors de la chambre, ce qui était maintenant derrière moi s'est mis à hurler encore plus fort. Ce truc m'a poursuivi, je l'entendais juste derrière moi. Au moment où j'ai allumé la lumière, ça hurla, le cri fut déchirant, comme le hurlement d'une femme qui se fait agresser. Le temps que je fasse volte-face, le cri avait cessé et il n'y avait plus rien derrière moi.

    Comment te décrire l'état dans lequel je me trouvais après cela : Tu t'es déjà réveillé en sueur, parfois en hurlant après un cauchemar terrifiant, puis d'un coup tu réalises que tu es au chaud, en sécurité dans ton lit ? Eh bien là c'était l'inverse, je me croyais au calme, en sécurité, et je me suis fait agresser : j'étais complètement terrifié, il n'y avait plus de lumière et je ne voyais donc rien quand c'était arrivé, et ce... cette chose me labourait le torse. Quand c'est parti je suis resté dans le couloir, la main sur l'interrupteur. Je suis resté comme ça jusqu'au petit matin, je ne voulais plus bouger, je ne pouvais plus dormir : j'avais trop peur.

    Je suis retourné dans la chambre à la lumière du jour : j'ai compris pourquoi la lumière était éteinte quand c'était arrivé : La maison datait pas mal, et les fils électriques ne passaient pas par les murs, mais le long de la plinthe : Ils avaient été déchiquetés juste avant l'entrée dans la chambre.

    On était le lundi, j'avais encore devant moi un peu moins d'une semaine de location de la petite maison de vacances, mais je ne voulais plus rester là. Franchement je ne savais pas ce qu'il y avait de bizarre dans ce village, mais je n'aurais pas voulu aller mener l'enquête auprès des habitants : Ils m'auraient sûrement cru fou, et je ne serais de toute façon pas resté une nuit de plus dans ce patelin.

    J'ai repris le bus puis le train le jour même : Plus je m'éloignais, mieux je me sentais : Toutes ces choses avaient eu lieu là-bas, et en partant je les laissaient derrière moi. Franchement je ne cherchais plus trop à savoir si j'étais fou ou si c'était vrai : j'avais peur, et je voulais retrouver ma sécurité et ma sérénité. Au moins l'avantage était que notre rupture me tracassait du coup beaucoup moins : Un souci en chasse un autre finalement !

    Mais deux nuits plus tard ça à repris : Je commençais tout juste à penser à autre chose, que ça reprenait. Je m'étais réveillé de nouveau à cause du grognement près de moi dans mon lit : Là encore complètement paniqué j'ai allumé la lumière, et tout c'est arrêté. J'avais peur, mais ce qui me rendait malade était que je n'avais pas pensé que ça m'aurait poursuivi.

    On était le mercredi et j'étais donc toujours en vacances, ça valait mieux car je ne devais pas être beau à voir : Je n'avais pas dormi de tout le reste de la nuit, j'avais bu tout ce qui me restait de whisky, je restais juste assis sur le bord de mon matelas à me demander désespérément ce que je pouvais faire, et à qui je pourrais demander de l'aide. Plus j'y pensais et plus je pouvais constater que j'étais vraiment seul, je ne voyais personne en qui j'avais assez confiance pour lui déballer tous ces trucs de dingues. A part toi et les enfants j'ai vraiment l'impression que je n'ai plus grand monde que je connaisse bien et sur qui je puisse compter.

    Pour la nuit suivante j'ai rallumé les lumières dans ma chambre, j'avais bien vérifié que le fil passait dans le mur, mais c'est le cas pour toutes les constructions d'aujourd'hui. J'avais vraiment peur de la nuit qui allait venir, je ne savais plus trop quoi faire, au final pour me rassurer un peu plus, j'ai scotché les interrupteurs dans ma chambre à grosses doses de chatterton.

    Durant la nuit je dormis par intermittence, à penser et à ressasser sans fin ce qui m'arrivait. Vers les trois heures du matin, j'eus envie d'uriner : Je me levais, ouvris la porte de ma chambre, entrai dans le couloir. Mon sang se glaça quand j'entendis le rugissement sourd sur ma droite, j'eus à peine le temps de bouger qu'une douleur fulgurante me fit hurler. Je bondis sur l'interrupteur, la lumière s'alluma, le même cri aigu de la dernière nuit dans la maison de campagne résonna, puis plus rien. Je suis resté assis sur le sol, adossé au mur, ma cuisse saignant lentement par la longue plaie que ça m'avait infligée. J'avais vraiment mal, et je me sentais complètement abasourdi par cette agression foudroyante que je venais de subir. Je me suis dit que les gens qui se font agresser dans la rue devaient ressentir un sentiment de dénuement avoisinant. Au bout de dix minutes je me suis décidé à aller dans la salle de bain pour soigner ma blessure.

    Disons que si les jours précédents je doutais encore que ça craignait la lumière, j'en étais complètement sûr après cette nuit-là : La lumière n'était allumée que dans ma chambre quand c'était arrivé. J'en ai déduit que ça m'avait attendu juste en dehors, je ne l'avais vraiment pas vu venir quand ça m'avait sauté dessus : Au moins j'étais quasi persuadé qu'à la lumière j'étais en sécurité. Après m'être désinfecté et bandé ma cuisse, j'ai bien pensé à appeler la police, mais pour leur dire quoi ? Qu'un monstre me saute dessus quand je dors la nuit ? J'ai failli aussi t'appeler à ce moment-là, j'aurais peut-être dû, mais je ne voulais pas empirer davantage la situation entre nous. Il faut croire que j'avais encore un espoir qu'on puisse se remettre ensembles : Et je te rassure, si aujourd'hui je t'écris, c'est pour demander ton aide, juste ça, pas plus, juré.

    Après réflexion, vu qu'à la lumière j'étais en sécurité, je suis allé acheter de gros rouleaux de chatterton, j'ai allumé toutes les lumières de l'appartement et j'ai abondement scotché les interrupteurs, je n'y étais pas allé de main morte : Ca avait marché pour ma chambre, donc je me disais que ça marcherait aussi pour le reste de l'appartement, et j'avais raison.

    De nouveau je dormis paisiblement. La première nuit, j'eus des craintes, mais il ne se passa rien, cela me rassura et je m'endormis assez sereinement les nuits suivantes. Mes congés touchaient doucement à leur fin, je commençais à repenser au boulot, à notre séparation, à me dire que j'avais peut-être un peu perdu la tête avec les agressions que je subissais la nuit : Je ne leur trouvais pas d'explication, je finis par admettre un peu l'idée que tout ça puisse se passer dans ma tête. J'ai failli t'appeler le week-end pour passer te voir afin qu'on décide des dates pour aller en finir avec notre mariage : vu que tout ça me faisait perdre la boule, je voulais que ça s'arrête au plus vite. Mais je n'ai rien fait, je suis resté tranquillement chez moi tout le week-end, à attendre le lundi pour reprendre le travail. Je ne m'endormis pas trop tard le dimanche soir afin d'arriver en forme au boulot le lendemain.

    Bon dieu ! Je me suis réveillé en plein milieu de la nuit dans les ténèbres, tout était noir ! Je dis que je me suis réveillé, disons plutôt que je fus réveillé par ce qui était en train de me secouer comme un prunier, je hurlais de douleur : Ca m'agrippait, comme pris dans un étaux, je sentais ses griffes rentrer dans mes épaules. Ca me secouait avec une telle violence que quand ma tête heurta le montant du lit, je crus bien m'évanouir. Le son que ça émettait, le « ggggGGGoooOOO » grave et guttural, fit place à des grognements dès que j'ai commencé à me débattre. J'ai essayé de donner des coups de pieds, mais ça me tenait par les épaules et je ne pouvais rien faire. Alors prenant appui sur mes jambes, j'ai tenté de me dégager en pivotant sur moi-même : j'ai eu très mal, les griffes m'ont littéralement déchiré les épaules quand je me suis arraché de sa prise. Je reculai vers le pied de lit, je sentis une douleur atroce me parcourir le dos, j'entendais maintenant derrière moi comme le hurlement d'un cochon qu'on égorge, j'étais complètement terrorisé. Je courus hors de la chambre, il n'y avait pas de lumière dans le couloir. Je me jetai sur l'interrupteur, mais rien ne s'alluma ! Pris de panique, entendant ce qui était derrière moi approcher, je me précipitai dans le couloir de l'immeuble, j'allumai la lumière, qui marchait : J'entendis alors comme des petits cris de chien battu venant de mon appartement. J'étais nu, dans le couloir de l'étage de mon immeuble, les épaules et le dos gravement et profondément écorchés, avec ce truc dans mon appartement qui allait me sauter dessus dès que je me retrouverais dans le noir. Comment voulais-tu que j'aille voir un voisin pour lui dire ça et demander de l'aide ? Heureusement que la moquette du couloir était sombre, car je pense que sinon les voisins auraient vu au petit matin les taches de sang que j'avais laissées. Quant à moi j'avais décidé d'attendre que le jour arrive, je m'étais caché dans la cage d'escalier de l'immeuble : Je me suis dit que les gens prennent tous l'ascenseur et que je ne serais pas surpris si je restais là. Il faisait très froid, je n'en pouvais plus. Mon sang, qui avait fini par arrêter de s'écouler au bout d'un moment, avait tacheté le sol en béton. Je gardais le doigt pressé sur l'interrupteur, craignant plus que jamais de me retrouver dans l'obscurité. Pendant tout le temps où je suis resté là à attendre, je n'arrêtais pas de me demander comment ça avait pu tout éteindre dans l'appartement, pourquoi les lumières ne s'étaient pas allumées quand j'avais essayé.

    Quand j'entendis les premières personnes sortir de chez eux, cela faisait bien trois heures que j'étais dans la cage d'escalier, derrière la porte, nu, en chien de fusil, le bras tendu vers l'interrupteur pour tenir la lumière allumée. Principalement j'étais frigorifié, je tremblais de partout, et je crois bien que j'aurais fini par être en hypothermie si j'avais dû rester plus longtemps là. J'entrouvris donc la porte, jetai un oeil dans le couloir, il n'y avait personne, la porte de mon appartement était toujours ouverte, je voyais de la lumière : Je n'avais pas fermé les volets, et la lumière du jour éclairait maintenant mon appartement. Je courus jusqu'à l'entrée, ça n'avait plus l'air d'être là : je vérifiais qu'il n'y avait plus rien dans chaque pièce, attrapais ma couette au passage dans la chambre, retournais à l'entrée, fermais la porte et m'effondrais, le dos contre le mur de l'entrée. Je pleurais, j'étais épuisé, je me suis enroulé dans ma couette. Quelques minutes plus tard je m'endormais, derrière ma porte d'entrée, à même le sol, sanglotant encore.

    Je me suis réveillé un peu avant midi. J'avais le dos et les épaules en feu, je n'étais évidemment pas allé travailler, n'ayant pas encore le téléphone dans cet appartement de fortune, ils n'avaient aucun moyen de me contacter du travail. Mais ce n'était pas mon travail qui me tourmentait le plus, je voulais savoir pourquoi les lumières étaient toutes éteintes cette nuit quand je fus agressé. Je devais être vraiment complètement désorienté pour ne pas avoir compris plus tôt : Le compteur d'électricité était à l'intérieur de l'appartement, mais tout près de l'entrée... et il était coupé. Je ne sais pas comment ça a fait à cause de la lumière, mais ça c'était débrouillé. Une heure plus tard, je sortais dehors pour aller acheter des bougies, j'en profitais pour appeler au boulot et demander un jour de congé car je me sentais mal, mon patron n'était pas content. Après mes achats, je revins chez moi, avec un sac rempli de bougies.

    Avant que le soleil ne se couche, j'avais disposé les bougies un peu partout dans ma chambre. Leurs lumières, ajoutées à celles du plafond, emplissaient la chambre. Cela me rassurait, et même si le courant était coupé je n'aurais pas été pris au dépourvu. Malgré tout je n'arrivais pas trop à dormir.

    Il était deux heures du matin, je ne dormais toujours pas. J'entendis le « clac » du disjoncteur à m'entrée, les lumières s'éteignirent : C'était là, c'était encore venu. Je ne bougeais pas de mon lit, j'avais peur et je tremblais, mais avec les bougies ce n'était que la seule pièce éclairée, je n'allais donc pas sortir de là ! Sans surprise j'entendis son grognement rauque approcher de la porte, puis ça se mit à pousser de longs rugissements caverneux, ils s'accompagnaient de sifflements comme ceux de la respiration d'un asthmatique, j'étais terrifié : Je restais emmitouflé dans ma couette, n'osant plus bouger d'un pouce. Ca n'entra pas : Progressivement les cris redevinrent grognements, à cause de la lumière des bougies ça ne pouvait pas entrer. Même si j'avais toujours peur, je me sentais mieux, plus en sécurité.

    Au bout d'une demi-heure j'avais sombré dans un demi-sommeil, je poussais un petit cri de surprise quand je vis la porte de ma chambre s'entrebâiller doucement. Je vis alors passer le dossier d'une des chaises de la cuisine qui balaya les bougies près de la porte, puis le dossier battit en vain dans le vide pendant une bonne minute. Les grognements firent de nouveaux place aux longs cris graves et sifflants, j'étais encore blotti dans ma couette, d'où ne dépassaient que mes yeux, j'attendis comme cela jusqu'à six heures du matin. Ca avait encore essayé plusieurs fois de renverser d'autres bougies avec la chaise, mais toujours en vain. A six heures je m'endormais malgré sa présence derrière la porte de ma chambre : je l'entendais toujours grogner.

    Je me réveillais encore une fois vers midi, je mis bien une heure pour me préparer à sortir : Même si j'avais trouvé la parade, je m'alarmais déjà à l'idée de devoir dormir bougies allumées pour toutes les nuits à venir. Je fis quelques courses, j'achetais cette fois-ci un plus grand nombre de bougies, car elles avaient toutes fini de se consumer. Puis je suis allé à reculons dans une cabine téléphonique pour appeler à mon travail : J'eus droit à de sérieuses remontrances, je me confondis en excuses pour ce deuxième jour d'absence, mais je n'avais pas le choix, il fallait que je retourne au travail le lendemain. Je rentrais chez moi, une bougie allumée à la main, la peur au ventre, tourmenté par mes absences au travail, par notre rupture, complètement apeuré et fatigué. Tu sais Marie, je crois que c'est quand ça ne va pas comme ça que la solitude est la plus pesante.

    Même si ce ne fut pas de sommeil profond, je passais une nuit de repos presque complète. Au réveil, les bougies étaient toujours allumées, je n'avais pas entendu de grognements. Je suis allé manger un morceau de brioche et me fis un café, puis je suis allé prendre une douche : Je ne voulais pas être en retard pour reprendre mon travail, surtout que j'allais devoir subir les reproches de mes absences, rien que d'y penser cela me tracassait, mais de toute façon je ne pouvais pas y couper.

    Je suis allé prendre une chemise dans le placard mural de la chambre après ma douche. A peine j'avais entrebâillé la porte de la penderie qu'une main osseuse, grise et griffue surgit de l'entrebâillement et me saisis au poignet. Je n'ai pas eu le temps de comprendre ce qui m'arrivait, elle me tira avec une telle force et une telle violence vers le placard que je fus comme projeté contre la porte. Le choc m'étourdit, je n'avais plus la force ni la volonté de m'échapper, et de toute façon ça ne m'a pas laissé le temps de reprendre mes esprits. La main me tira pour me projeter une seconde fois sur la porte du placard et ma tête cogna cette fois-ci sur le coin de la porte. Je ressentis une décharge de douleur au crâne, tout devint sombre, j'entendis un bourdonnement dans mes oreilles, puis ce fut les ténèbres.

    Je ne pense pas être resté sans connaissance bien longtemps, tout au plus quelques secondes. Je suppose que je me suis réveillé à cause de la douleur : Je sentais ses coups de griffes me déchirer du haut du visage jusqu'au nombril, elle me labourait les chairs, la douleur était atroce, il faisait complètement noir autour de moi. Je voulus m'enfuir, je sentis la porte bouger, mais elle devait être fermée à clef car malgré mon insistance elle ne s'ouvrait pas. Sa patte fit un nouveau un passage complet de mon épaule gauche jusqu'au bas des mes côtes : je hurlais de douleur. Poussé par l'effroi je me projetais contre la porte, elle s'ouvrit en me laissant tomber sur le sol, je relevais la tête, les bougies étaient toujours là, allumées. J'avais du mal à garder les yeux ouverts car j'avais de la transpiration qui me coulait dans les yeux, je me passais alors la main sur le visage, puis l'examinai, elle était recouverte de mon sang. La douleur était atroce, je n'arrivais pas à dire où j'avais mal : tout le haut de mon corps n'était plus que douleur. Péniblement je me relevais, puis décidé à demander à l'aide je me dirigeais au dehors de mon appartement, j'avais du mal à marcher, je jetais un coup d'œil à mon ventre, il était couvert de sang, je réalisais que j'étais nu, mais je n'avais plus de forces, il fallait que je sorte. J'ouvris la porte d'entrée, je sortis en m'appuyant sur la poignée, je fis encore quelques pas en titubant dans le couloir avant de m'écrouler sur le sol. J'entendis une voix de femme dire « Oh, mon dieu », puis plus rien.

    Je me suis réveillé il y a quelques heures dans cette chambre, au début je ne sentais rien à cause des anti-douleurs, mais je pense que je vais maintenant en demander en plus pour passer la nuit car je commence à avoir mal. Je me suis regardé tout à l'heure dans une glace, ils m'ont bandé une bonne partie du visage : j'ai soulevé un peu les bandes pour regarder au-dessous, et ça n'était pas beau à voir : la peau est labourée. J'ai fini par pleurer tout en éclatant de rire en me disant que mon visage devait plus tenir du steackaché que de celui d'un homme ! Mon bras gauche, mon torse, et mon ventre sont bandés, je n'ai même pas regardé, de toute façon je sais dans quel état ils sont.

    Voilà donc où j'en suis depuis qu'on s'est quittés. j'ai besoin que tu viennes me tirer d'ici. Je ne vais pas...



    « Monsieur Le Bail ? »



    ... passer ma vie ici à bouffer leurs médic...



    « Monsieur Le Bail ?

    - Hmmm, heu, oui... heu... excusez-moi.

    - Monsieur le Bail, il est vingt et une heure, c'est l'heure de dormir.

    - Déjà ? Mais je n'ai pas fi...

    - Il faut aller dormir, c'est comme ça ici, c'est pareil pour tout le monde.

    - Mais ma lettre ?

    - Vous la finirez demain matin, vous pouvez la laisser sur la table, il ne lui arrivera rien vous savez !

    - Mais...

    - Allez Monsieur Le Bail ! Et vous devez prendre vos médicaments avant.

    - Mes médicaments ? j'ai juste mal...

    - Ca vous calmera aussi vos douleurs, et vous dormirez mieux »

    Il allait répondre, puis se ravisa, ça ne servait trop à rien de discuter avec l'infirmière, de toute évidence elle se bornait au règlement. Il se glissa dans le lit, habillé d'une de leur « robe de chambre » : un tablier en tissus, fermé à l'arrière par un nœud sur un petit cordon. Il se demanda si ça les excitait de voir ainsi les fesses des patients à nu toute la journée.

    « Voilà, maintenant prenez vos médicaments »

    L'infirmière tendit un gobelet au fond rempli de gélules, puis un autre repli d'eau. Il regarda l'infirmière pour lui demander s'il devait tout prendre. En voyant son regard fixé droit sur lui, il se ravisa et goba toutes les gélules puis les avala d'une rasade d'eau. Le visage de l'infirmière passa de l'agacement au sourire.

    « Eh bien voilà, quand vous voulez, vous y arrivez ! »

    Sans répondre, il tendit les deux gobelet vides à l'infirmière. Celle-ci les rangea sur son chariot puis le poussa jusqu'à la sortie de la chambre.

    « Non ! s'il vous plait ! J'ai besoin de la lumière. »

    L' infirmière gardait son doigt sur l'interrupteur.

    « Vous avez la veilleuse dans le couloir.

    - Oui, mais elle ne fera pas assez de lumière dans la chambre.

    - Bon, Monsieur Le Bail, vous allez dormir. Pour la lumière ce soir c'est non, vous demanderez demain matin au médecin.

    - Mais...

    - Allez dormez, demain vous en parlerez avec le docteur, en attendant j'éteins.

    - Mais...

    Elle éteignit la lumière puis sortit de la chambre sans même le regarder.



    La veilleuse du couloir produisait un peu de lumière, mais une bonne partie de la chambre restait plongée dans le noir. Il s'enfouit sous les couvertures, apeuré, à l'écoute de chaque son.

    Le sommeil commençait à le gagner, il luttait pour garder les yeux ouverts, il avait chaud sous les couvertures, il se sentait bien, détendu, comme dans du coton, il avait du mal à garder les yeux ouverts. Il avait chaud... il se sentait bien... il avait du mal à garder... comme dans du coton... il avait chaud... les yeux ouverts.

    « Hein ! »

    Il entendait distinctement le grognement juste à côté de lui. Complètement pris de panique il sauta du lit du côté opposé et se rua vers la porte, il déboula dans le couloir en hurlant :

    « AU SEECCCOOOUUUURRRS ! AAAUUUU SECCCCOOOUURRRS ! IL Y A QUELQUE CHOSE DANS MA CHAMBRE ! A L'AAAAIIIDDE ! »

    L'infirmière qui était passé lui donner les gélules ressortit d'une des chambres d'à côté. Une autre infirmière arriva aussi, elles accoururent vers lui.

    « On se calme monsieur !

    - AAA LLL'AAAAIIIIIDDE.

    - MONSIEUR CALMEZ VOUS !

    - JE NE VEUX PAS Y RETOURNEEEEEERRRRRR »

    Les deux infirmières se regardèrent d'un air interrogateur.

    « Bon, ben tu lui dis de venir ?

    - D'accord.

    - Je reste ici pour le surveiller en attendant. »

    Il s'adossa contre un mur, épuisé.

    « Ne me laissez pas dans le noir... je ne veux pas retourner dans la chambre.

    - Oui oui monsieur Le Bail, calmez vous, ça va aller.

    - Qui va venir ?

    - Un médecin.

    - Le psy de garde ? hein, c'est ça ?

    - Oui, mais... heu, non... il va juste vous aider à rester cal...

    - JE NE VEUX PAS RETOURNNNEEERRR DANS LA CHAAAAMMMBRRE »

    Le médecin déboula par la porte battante au bout du couloir.

    « ALORS ON N'ARRIVE PAS A DORMIR ?

    - C'EST DANS MA CHAMBRE ! IL Y A QUELQUECHOSE ! C'EST PARCE QUE J'ETAIS DANS LE NOIR. PARCE QU...

    - Monsieur calmez-vous, s'il vous pl...

    - PUISQUE JE VOUS DIT QUE C'EST DANS LE NOIR, DES QU'IL Y A UN COIN SOMBRE C'EST LAAA.

    - Bon allez ! on l'attache et une piqûre, il va comprendre comme ça. »

    Un homme costaud qui était arrivé entre temps lui pris les bras par derrière et le maintint.

    « CA VOUS ATTEND DERRIERE LA PORTE DE VOTRE CHABRE, LA OU VOUS N'AVEZ PAS DE LUMIERE ALLUMEE ! CA SE JETTERA SUR VOUS PAR SURPRISE ! VOUS VERREZ ! ... JE NE VEUX PAS RETOURNER LA DEDAAAAAANNNS !

    - ALLEZ ATTACHEZ LE MOI ! »

    Le psychiatre de garde, visiblement fatigué et énervé prêta main forte au gros bras qui le tenait toujours fermement. A eux deux, ils le traînèrent jusqu'à sa chambre. Ils le plaquèrent sur le lit pendant que les infirmières scellaient les attaches métalliques aux poignets et aux chevilles.

    « Allez ! maintenant on dort !

    - NOOOOONNNNN, NE ME LAISSEZ PAS LAAAAAAA ! »

    l'infirmière sans prêter attention à ses cris et sans un regard lui fit l'injection dans son bras.

    « Avec cette dose au moins il va dormir, c'est sûr. »

    Ils éteignirent la lumière puis sortirent sans un regard dans sa direction.

    « A L'AAAAAAIIIIIIIIIIIDDDDDEEEEE ! LAISSEZ-MOI SORTIR D'ICIIIIIIIIII ! AAAAUUUU SSSSSEEEEEECCCCCCooooooooOOUuuUrrrs, Aaiiiddeeez mm mm mmoi à sort... à sort... à sortiiir d'iciii... A l'aiddde... au... au secours... sss... sss... sss'il vous.... ppp... pplaaaiiitt... j... Je... vous... en... en... sup... p... ppp... llll... plll... ... pl... ... ... pl... ... ... ... »






    labourait les chairs, la douleur était atroce, il faisait complètement noir autour de moi. Je voulus m'enfuir, je sentis la porte bouger, mais elle devait être fermée à clef car malgré mon insistance elle ne s'ouvrait pas. Sa patte fit un nouveau un passage complet de mon épaule gauche jusqu'au bas des mes côtes : je hurlais de douleur. Poussé par l'effroi je me projetais contre la porte, elle s'ouvrit en me laissant tomber sur le sol, je relevais la tête, les bougies étaient toujours là, allumées. J'avais du mal à garder les yeux ouverts car j'avais de la transpiration qui me coulait dans les yeux, je me passais alors la main sur le visage, puis l'examinai, elle était recouverte de mon sang. La douleur était atroce, je n'arrivais pas à dire où j'avais mal : tout le haut de mon corps n'était plus que douleur. Péniblement je me relevais, puis décidé à demander à l'aide je me dirigeais au dehors de mon appartement, j'avais du mal à marcher, je jetais un coup d'œil à mon ventre, il était couvert de sang, je réalisais que j'étais nu, mais je n'avais plus de forces, il fallait que je sorte. J'ouvris la porte d'entrée, je sortis en m'appuyant sur la poignée, je fis encore quelques pas en titubant dans le couloir avant de m'écrouler sur le sol. J'entendis une voix de femme dire « Oh, mon dieu », puis plus rien.

    Je me suis réveillé il y a quelques heures dans cette chambre, au début je ne sentais rien à cause des anti-douleurs, mais je pense que je vais maintenant en demander en plus pour passer la nuit car je commence à avoir mal. Je me suis regardé tout à l'heure dans une glace, ils m'ont bandé une bonne partie du visage : j'ai soulevé un peu les bandes pour regarder au-dessous, et ça n'était pas beau à voir : la peau est labourée. J'ai fini par pleurer tout en éclatant de rire en me disant que mon visage devait plus tenir du steackaché que de celui d'un homme ! Mon bras gauche, mon torse, et mon ventre sont bandés, je n'ai même pas regardé, de toute façon je sais dans quel état ils sont.

    Voilà donc où j'en suis depuis qu'on s'est quittés. j'ai besoin que tu viennes me tirer d'ici. Je ne vais pas...



    « Monsieur Le Bail ? »



    ... passer ma vie ici à bouffer leurs médic...



    « Monsieur Le Bail ?

    - Hmmm, heu, oui... heu... excusez-moi.

    - Monsieur le Bail, il est vingt et une heure, c'est l'heure de dormir.

    - Déjà ? Mais je n'ai pas fi...

    - Il faut aller dormir, c'est comme ça ici, c'est pareil pour tout le monde.

    - Mais ma lettre ?

    - Vous la finirez demain matin, vous pouvez la laisser sur la table, il ne lui arrivera rien vous savez !

    - Mais...

    - Allez Monsieur Le Bail ! Et vous devez prendre vos médicaments avant.

    - Mes médicaments ? j'ai juste mal...

    - Ca vous calmera aussi vos douleurs, et vous dormirez mieux »

    Il allait répondre, puis se ravisa, ça ne servait trop à rien de discuter avec l'infirmière, de toute évidence elle se bornait au règlement. Il se glissa dans le lit, habillé d'une de leur « robe de chambre » : un tablier en tissus, fermé à l'arrière par un nœud sur un petit cordon. Il se demanda si ça les excitait de voir ainsi les fesses des patients à nu toute la journée.

    « Voilà, maintenant prenez vos médicaments »

    L'infirmière tendit un gobelet au fond rempli de gélules, puis un autre repli d'eau. Il regarda l'infirmière pour lui demander s'il devait tout prendre. En voyant son regard fixé droit sur lui, il se ravisa et goba toutes les gélules puis les avala d'une rasade d'eau. Le visage de l'infirmière passa de l'agacement au sourire.

    « Eh bien voilà, quand vous voulez, vous y arrivez ! »

    Sans répondre, il tendit les deux gobelet vides à l'infirmière. Celle-ci les rangea sur son chariot puis le poussa jusqu'à la sortie de la chambre.

    « Non ! s'il vous plait ! J'ai besoin de la lumière. »

    L' infirmière gardait son doigt sur l'interrupteur.

    « Vous avez la veilleuse dans le couloir.

    - Oui, mais elle ne fera pas assez de lumière dans la chambre.

    - Bon, Monsieur Le Bail, vous allez dormir. Pour la lumière ce soir c'est non, vous demanderez demain matin au médecin.

    - Mais...

    - Allez dormez, demain vous en parlerez avec le docteur, en attendant j'éteins.

    - Mais...

    Elle éteignit la lumière puis sortit de la chambre sans même le regarder.



    La veilleuse du couloir produisait un peu de lumière, mais une bonne partie de la chambre restait plongée dans le noir. Il s'enfouit sous les couvertures, apeuré, à l'écoute de chaque son.

    Le sommeil commençait à le gagner, il luttait pour garder les yeux ouverts, il avait chaud sous les couvertures, il se sentait bien, détendu, comme dans du coton, il avait du mal à garder les yeux ouverts. Il avait chaud... il se sentait bien... il avait du mal à garder... comme dans du coton... il avait chaud... les yeux ouverts.

    « Hein ! »

    Il entendait distinctement le grognement juste à côté de lui. Complètement pris de panique il sauta du lit du côté opposé et se rua vers la porte, il déboula dans le couloir en hurlant :

    « AU SEECCCOOOUUUURRRS ! AAAUUUU SECCCCOOOUURRRS ! IL Y A QUELQUE CHOSE DANS MA CHAMBRE ! A L'AAAAIIIDDE ! »

    L'infirmière qui était passé lui donner les gélules ressortit d'une des chambres d'à côté. Une autre infirmière arriva aussi, elles accoururent vers lui.

    « On se calme monsieur !

    - AAA LLL'AAAAIIIIIDDE.

    - MONSIEUR CALMEZ VOUS !

    - JE NE VEUX PAS Y RETOURNEEEEEERRRRRR »

    Les deux infirmières se regardèrent d'un air interrogateur.

    « Bon, ben tu lui dis de venir ?

    - D'accord.

    - Je reste ici pour le surveiller en attendant. »

    Il s'adossa contre un mur, épuisé.

    « Ne me laissez pas dans le noir... je ne veux pas retourner dans la chambre.

    - Oui oui monsieur Le Bail, calmez vous, ça va aller.

    - Qui va venir ?

    - Un médecin.

    - Le psy de garde ? hein, c'est ça ?

    - Oui, mais... heu, non... il va juste vous aider à rester cal...

    - JE NE VEUX PAS RETOURNNNEEERRR DANS LA CHAAAAMMMBRRE »

    Le médecin déboula par la porte battante au bout du couloir.

    « ALORS ON N'ARRIVE PAS A DORMIR ?

    - C'EST DANS MA CHAMBRE ! IL Y A QUELQUECHOSE ! C'EST PARCE QUE J'ETAIS DANS LE NOIR. PARCE QU...

    - Monsieur calmez-vous, s'il vous pl...

    - PUISQUE JE VOUS DIT QUE C'EST DANS LE NOIR, DES QU'IL Y A UN COIN SOMBRE C'EST LAAA.

    - Bon allez ! on l'attache et une piqûre, il va comprendre comme ça. »

    Un homme costaud qui était arrivé entre temps lui pris les bras par derrière et le maintint.

    « CA VOUS ATTEND DERRIERE LA PORTE DE VOTRE CHABRE, LA OU VOUS N'AVEZ PAS DE LUMIERE ALLUMEE ! CA SE JETTERA SUR VOUS PAR SURPRISE ! VOUS VERREZ ! ... JE NE VEUX PAS RETOURNER LA DEDAAAAAANNNS !

    - ALLEZ ATTACHEZ LE MOI ! »

    Le psychiatre de garde, visiblement fatigué et énervé prêta main forte au gros bras qui le tenait toujours fermement. A eux deux, ils le traînèrent jusqu'à sa chambre. Ils le plaquèrent sur le lit pendant que les infirmières scellaient les attaches métalliques aux poignets et aux chevilles.

    « Allez ! maintenant on dort !

    - NOOOOONNNNN, NE ME LAISSEZ PAS LAAAAAAA ! »

    l'infirmière sans prêter attention à ses cris et sans un regard lui fit l'injection dans son bras.

    « Avec cette dose au moins il va dormir, c'est sûr. »

    Ils éteignirent la lumière puis sortirent sans un regard dans sa direction.

    « A L'AAAAAAIIIIIIIIIIIDDDDDEEEEE ! LAISSEZ-MOI SORTIR D'ICIIIIIIIIII ! AAAAUUUU SSSSSEEEEEECCCCCCooooooooOOUuuUrrrs, Aaiiiddeeez mm mm mmoi à sort... à sort... à sortiiir d'iciii... A l'aiddde... au... au secours... sss... sss... sss'il vous.... ppp... pplaaaiiitt... j... Je... vous... en... en... sup... p... ppp... llll... plll... ... pl... ... ... pl... ... ... ... »






    usqu'au bas des mes côtes : je hurlais de douleur. Poussé par l'effroi je me projetais contre la porte, elle s'ouvrit en me laissant tomber sur le sol, je relevais la tête, les bougies étaient toujours là, allumées. J'avais du mal à garder les yeux ouverts car j'avais de la transpiration qui me coulait dans les yeux, je me passais alors la main sur le visage, puis l'examinai, elle était recouverte de mon sang. La douleur était atroce, je n'arrivais pas à dire où j'avais mal : tout le haut de mon corps n'était plus que douleur. Péniblement je me relevais, puis décidé à demander à l'aide je me dirigeais au dehors de mon appartement, j'avais du mal à marcher, je jetais un coup d'œil à mon ventre, il était couvert de sang, je réalisais que j'étais nu, mais je n'avais plus de forces, il fallait que je sorte. J'ouvris la porte d'entrée, je sortis en m'appuyant sur la poignée, je fis encore quelques pas en titubant dans le couloir avant de m'écrouler sur le sol. J'entendis une voix de femme dire « Oh, mon dieu », puis plus rien.

    Je me suis réveillé il y a quelques heures dans cette chambre, au début je ne sentais rien à cause des anti-douleurs, mais je pense que je vais maintenant en demander en plus pour passer la nuit car je commence à avoir mal. Je me suis regardé tout à l'heure dans une glace, ils m'ont bandé une bonne partie du visage : j'ai soulevé un peu les bandes pour regarder au-dessous, et ça n'était pas beau à voir : la peau est labourée. J'ai fini par pleurer tout en éclatant de rire en me disant que mon visage devait plus tenir du steackaché que de celui d'un homme ! Mon bras gauche, mon torse, et mon ventre sont bandés, je n'ai même pas regardé, de toute façon je sais dans quel état ils sont.

    Voilà donc où j'en suis depuis qu'on s'est quittés. j'ai besoin que tu viennes me tirer d'ici. Je ne vais pas...



    « Monsieur Le Bail ? »



    ... passer ma vie ici à bouffer leurs médic...



    « Monsieur Le Bail ?

    - Hmmm, heu, oui... heu... excusez-moi.

    - Monsieur le Bail, il est vingt et une heure, c'est l'heure de dormir.

    - Déjà ? Mais je n'ai pas fi...

    - Il faut aller dormir, c'est comme ça ici, c'est pareil pour tout le monde.

    - Mais ma lettre ?

    - Vous la finirez demain matin, vous pouvez la laisser sur la table, il ne lui arrivera rien vous savez !

    - Mais...

    - Allez Monsieur Le Bail ! Et vous devez prendre vos médicaments avant.

    - Mes médicaments ? j'ai juste mal...

    - Ca vous calmera aussi vos douleurs, et vous dormirez mieux »

    Il allait répondre, puis se ravisa, ça ne servait trop à rien de discuter avec l'infirmière, de toute évidence elle se bornait au règlement. Il se glissa dans le lit, habillé d'une de leur « robe de chambre » : un tablier en tissus, fermé à l'arrière par un nœud sur un petit cordon. Il se demanda si ça les excitait de voir ainsi les fesses des patients à nu toute la journée.

    « Voilà, maintenant prenez vos médicaments »

    L'infirmière tendit un gobelet au fond rempli de gélules, puis un autre repli d'eau. Il regarda l'infirmière pour lui demander s'il devait tout prendre. En voyant son regard fixé droit sur lui, il se ravisa et goba toutes les gélules puis les avala d'une rasade d'eau. Le visage de l'infirmière passa de l'agacement au sourire.

    « Eh bien voilà, quand vous voulez, vous y arrivez ! »

    Sans répondre, il tendit les deux gobelet vides à l'infirmière. Celle-ci les rangea sur son chariot puis le poussa jusqu'à la sortie de la chambre.

    « Non ! s'il vous plait ! J'ai besoin de la lumière. »

    L' infirmière gardait son doigt sur l'interrupteur.

    « Vous avez la veilleuse dans le couloir.

    - Oui, mais elle ne fera pas assez de lumière dans la chambre.

    - Bon, Monsieur Le Bail, vous allez dormir. Pour la lumière ce soir c'est non, vous demanderez demain matin au médecin.

    - Mais...

    - Allez dormez, demain vous en parlerez avec le docteur, en attendant j'éteins.

    - Mais...

    Elle éteignit la lumière puis sortit de la chambre sans même le regarder.



    La veilleuse du couloir produisait un peu de lumière, mais une bonne partie de la chambre restait plongée dans le noir. Il s'enfouit sous les couvertures, apeuré, à l'écoute de chaque son.

    Le sommeil commençait à le gagner, il luttait pour garder les yeux ouverts, il avait chaud sous les couvertures, il se sentait bien, détendu, comme dans du coton, il avait du mal à garder les yeux ouverts. Il avait chaud... il se sentait bien... il avait du mal à garder... comme dans du coton... il avait chaud... les yeux ouverts.

    « Hein ! »

    Il entendait distinctement le grognement juste à côté de lui. Complètement pris de panique il sauta du lit du côté opposé et se rua vers la porte, il déboula dans le couloir en hurlant :

    « AU SEECCCOOOUUUURRRS ! AAAUUUU SECCCCOOOUURRRS ! IL Y A QUELQUE CHOSE DANS MA CHAMBRE ! A L'AAAAIIIDDE ! »

    L'infirmière qui était passé lui donner les gélules ressortit d'une des chambres d'à côté. Une autre infirmière arriva aussi, elles accoururent vers lui.

    « On se calme monsieur !

    - AAA LLL'AAAAIIIIIDDE.

    - MONSIEUR CALMEZ VOUS !

    - JE NE VEUX PAS Y RETOURNEEEEEERRRRRR »

    Les deux infirmières se regardèrent d'un air interrogateur.

    « Bon, ben tu lui dis de venir ?

    - D'accord.

    - Je reste ici pour le surveiller en attendant. »

    Il s'adossa contre un mur, épuisé.

    « Ne me laissez pas dans le noir... je ne veux pas retourner dans la chambre.

    - Oui oui monsieur Le Bail, calmez vous, ça va aller.

    - Qui va venir ?

    - Un médecin.

    - Le psy de garde ? hein, c'est ça ?

    - Oui, mais... heu, non... il va juste vous aider à rester cal...

    - JE NE VEUX PAS RETOURNNNEEERRR DANS LA CHAAAAMMMBRRE »

    Le médecin déboula par la porte battante au bout du couloir.

    « ALORS ON N'ARRIVE PAS A DORMIR ?

    - C'EST DANS MA CHAMBRE ! IL Y A QUELQUECHOSE ! C'EST PARCE QUE J'ETAIS DANS LE NOIR. PARCE QU...

    - Monsieur calmez-vous, s'il vous pl...

    - PUISQUE JE VOUS DIT QUE C'EST DANS LE NOIR, DES QU'IL Y A UN COIN SOMBRE C'EST LAAA.

    - Bon allez ! on l'attache et une piqûre, il va comprendre comme ça. »

    Un homme costaud qui était arrivé entre temps lui pris les bras par derrière et le maintint.

    « CA VOUS ATTEND DERRIERE LA PORTE DE VOTRE CHABRE, LA OU VOUS N'AVEZ PAS DE LUMIERE ALLUMEE ! CA SE JETTERA SUR VOUS PAR SURPRISE ! VOUS VERREZ ! ... JE NE VEUX PAS RETOURNER LA DEDAAAAAANNNS !

    - ALLEZ ATTACHEZ LE MOI ! »

    Le psychiatre de garde, visiblement fatigué et énervé prêta main forte au gros bras qui le tenait toujours fermement. A eux deux, ils le traînèrent jusqu'à sa chambre. Ils le plaquèrent sur le lit pendant que les infirmières scellaient les attaches métalliques aux poignets et aux chevilles.

    « Allez ! maintenant on dort !

    - NOOOOONNNNN, NE ME LAISSEZ PAS LAAAAAAA ! »

    l'infirmière sans prêter attention à ses cris et sans un regard lui fit l'injection dans son bras.

    « Avec cette dose au moins il va dormir, c'est sûr. »

    Ils éteignirent la lumière puis sortirent sans un regard dans sa direction.

    « A L'AAAAAAIIIIIIIIIIIDDDDDEEEEE ! LAISSEZ-MOI SORTIR D'ICIIIIIIIIII ! AAAAUUUU SSSSSEEEEEECCCCCCooooooooOOUuuUrrrs, Aaiiiddeeez mm mm mmoi à sort... à sort... à sortiiir d'iciii... A l'aiddde... au... au secours... sss... sss... sss'il vous.... ppp... pplaaaiiitt... j... Je... vous... en... en... sup... p... ppp... llll... plll... ... pl... ... ... pl... ... ... ... ».
     
     
     
     
     
     
     

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