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    Le numéro privé

     

    Le numéro privé

     

     
     
     
    Stéphanie ferma la porte d'entrée et remit ses clefs dans sa poche. Elle se retourna et observa quelques instants le couloir vide devant elle : Ils n'étaient pas rentrés. Ses parents avaient voulu passer le samedi soir « entre eux » à l'extérieur, et l'avaient prévenu qu'ils rentreraient tard. Elle en déduit qu'ils ne devraient pas revenir de si tôt : Il n'était que vingt-deux heures trente.

    Stéphanie regardait avec regret cette maison vide, elle s'était imaginé que sa soirée durerait un peu longtemps : Le cinéma avec Cédric c'était bien... mais elle aurait voulu passer plus de temps avec lui. Elle l'avait rencontré deux semaines auparavant lors de la fête qu'elle avait organisée pour ses dix-sept ans : Il lui avait bien tapé dans l'œil, et visiblement cela était réciproque... même si ce soir il n'avait pas insisté pour rester un peu plus avec elle.



    Ne sachant trop quoi faire, elle monta clopin-clopant l'escalier : De toute façon j'en passerai d'autres soirées avec lui... la prochaine fois je lui demanderai d'aller boire un verre... rrahhh ! c'est dommage, pour une fois que je n'avais pas les parents sur le dos !

    Arrivée dans sa chambre, elle repoussa la porte de la main, pendant qu'elle se refermait, elle envoya sa veste sur le dossier de sa chaise, et se laissa tomber sur son lit, allongée sur le dos. Le claquement de porte fit alors place au silence : Elle regardait le plafond, occupée à se remémorer la soirée, à se demander ce qu'elle ferait demain, à penser à ses prochains rendez-vous avec Cédric ou ses copines... sûrement qu'on l'appellerait demain pour passer le dimanche après midi à quelque chose de mieux que de rester enfermé à la maison... Au fait, on l'avait appelée ce soir ? Elle s'assit sur son lit, saisit le bas de son blouson, fouilla dans une des poches et en sortit son téléphone portable.



    Ah oui ! il est éteint. Je l'avais coupé au début de la séance de cinéma... j'ai oublié de le rallumer tout à l'heure. Bah ! c'est pas important, de toute façon personne n'a dû m'appeler ce soir... elles doivent être toutes à s'amuser... elles... et moi qui suis là toute seule... pfff... Ah, si ! J'ai eu des messages sur mon répondeur... hein ? huit ? Ben ça fait beaucoup quand même ! On cherche sûrement à m'appeler depuis tout à l'heure... hé, peut-être que je ne vais pas croupir ici ce soir finalement ! Fébrile à l'idée d'aller retrouver ce soir ses amies, elle appela sans attendre sa boîte vocale.



    « Veuillez composer votre code secret puis tapez dièse.

    ...

    Vous avez... HUIT... nouveaux messages »

    Elle avait donc bien eu huit messages, au moins là elle en était sûre, mais qui donc aurait bien pu l'appeler huit fois ce soir ?

    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... VINGT CINQ... MINUTES...

    - Quoi ! » s'étonna Stéphanie, stupéfaite. Elle regarda sans attendre sa montre pour s'assurer qu'elle ne se trompait pas sur l'heure : Il était vingt-deux heures trente-quatre.

    Bon dieu, huit appels en neuf minutes ! C'est insensé, pourquoi on chercherait autant à me joindre... à moins que... j'espère qu'il n'est rien arrivé de grave... Ce serait terrible si...

    Elle fut interrompue dans sa réflexion par le message qui commençait.



    Au début elle se demanda si son téléphone fonctionnait correctement, mais il marchait puisqu'elle venait d'entendre distinctement la voix de la boîte vocale. Le son était étrange, comme un froissement de linge au vent suivit d'un bruit sourd, le son se répétait, régulier... comme le bruit d'une machine à laver, comme un tourne disque arrivé à la fin du quarante cinq tour. Le son paraissait si froid, si répétitif « schrrr frrr chrrr BOUM... schrrr frrr chrrr BOUM... schrrr frrr chrrr BOUM ». Pendant les premières secondes, elle ne trouvait pas de quel son il pouvait s'agir, puis le bruit d'une voiture lui fit comprendre qu'on l'appelait de la rue. Du même coup tout lui parut évident : On l'appelait par erreur ! Le portable devait être dans la poche, le clavier n'était pas verrouillé, et l'appui des touches avait finit par appeler un numéro du répertoire du téléphone... et c'était tombé sur elle.

    Amusée, elle se prit à écouter le message : toujours ce bruit mécanique, répétitif, le son des voitures, et aussi celui du vent : C'est vrai qu'il ne faisait pas très beau en ce soir d'octobre, et en sortant du cinéma le vent commençait déjà à souffler. Le son en était ici assez angoissant, comme une longue plainte fantomatique, un « oooooouuuuuuuhhhhhhh » qui lui rappelait les soirs de grand vent pendant lesquels ce dernier émettait sa complainte par le foyer de la cheminée du salon.



    « Fin du message »

    Le brusque retour à la voix de la boîte vocale la surprit. Le message s'était coupé d'un coup, sûrement dû à un nouvel appui accidentel sur la touche d'appel. Ce ne fut pas la brutalité du passage qui la surpris, mais plutôt le fait d'entendre cette voix féminine, calme et posée, qui contrastait tellement avec le bruit mécanique de la marche, mêlé à celui des voitures, et du souffle du vent sur le micro du téléphone. Elle ne s'en était pas rendu compte lors de l'écoute du message, mais ce son était au fond assez sinistre.

    « Tapez 2 pour effacer, 3 pour réécouter.

    ...

    Effacer ».



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... VINGT SEPT... MINUTES... »

    Le message était quasi identique au premier : Toujours ce bruit, répétitif, monotone, qui devenait pour elle un peu angoissant, plus pesant que précédemment.

    Et puis il va y en avoir encore six comme ça ?... Eh bien... Super ! Mais de qui ça provient ? Qui c'est qui m'appèle à la fin ? Voulant passer au prochain message pour que la boîte vocale lui fournisse le numéro de l'appelant, et ayant assez entendu ce bruit, elle coupa le message sans attendre.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... VINGT HUIT... MINUTES... »

    Mais la boîte ne donnait pas de numéro, elle aurait dû formuler normalement un « message provenant du ... ». Elle se rappela que sur les deux premier messages on ne lui avait pas signalé le numéro. Elle en déduisit que l'appelant avait sûrement choisi que son numéro soit masqué aux personnes qu'il appelait : Sur le portable de Stéphanie le message « numéro privé » s'affichait quand une personne ayant cette option lui téléphonait. Elle fouilla dans sa mémoire pour trouver qui elle connaissait dans ce cas-là. A peine elle avait commencé à réfléchir que le message débutait, et le son lancinant reprenait. Un peu plus à chaque fois, il intensifiait en elle un certain malaise.

    Le son répétitif s'arrêta. Le hululement du vent prenait plus d'importance en l'absence du bruit assommant produit par la marche, elle entendait toujours les voitures passer. La personne était toujours dans la rue et venait de s'arrêter, elle n'entendait plus rien d'autre que le vent et les voitures. Que fait-il ? Ou bien que fait-elle ? pensait Stéphanie. Il est peut être en train de regarder quelque chose ? de s'arrêter pour allumer une cigarette ? ou alors juste pour prendre un peu le temps de flâner ? Tout cela la rendait de plus en plus curieuse... en même temps elle ne se sentait pas très bien, gênée d'entendre une autre personne à son insu, et aussi tout simplement parce que le bruit de la marche à travers le micro du téléphone dans la poche était sinistre !

    Puis le désagréable son de marche reprit et commençait franchement à l'apeurer : « schrrr frrr chrrr BOUM... schrrr frrr chrrr BOUM... ». Elle continuait d'écouter le message, le bruit des voitures semblait diminuer : Est ce qu'il rentrait dans un lotissement ? est ce qu'il allait dans une plus petite rue ? Finalement tracassée par ce côté « voyeur malgré elle », elle coupa le message et passa au suivant.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... TRENTE... MINUTES... »

    Le message était toujours le même : toujours ce bruit répétitif et morne. Mais elle n'entendait plus le bruit des voitures, la personne devait sûrement s'être engagée dans une petite rue. Agacée par le son, elle coupa le message.

    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEUR...

    BIP BIP... BIP BIP»

    Surprise par le son elle mis le téléphone face à elle : Comme le signal sonore l'avait indiqué, elle venait de recevoir un message... La personne continuait à l'appeler par erreur.



    Elle remit le téléphone à son oreille, et fut surprise d'entendre assez distinctement le miaulement d'un chat. Elle n'entendait toujours aucun bruit de voiture, juste le bruit et le vent. Puis, le son se transforma quelque peu, elle percevait comme un écho, la personne était peut-être dans une cour, ou dans une petite ruelle étriquée. Le bruit répétitif se fit de plus en plus lent, puis s'arrêta, c'est alors qu'à sa grande surprise elle entendit des gémissements. Ces derniers étaient plutôt faibles, mais elle en était sûre, elle entendait quelqu'un gémir au loin, c'était une voix féminine, mais elle avait du mal à l'entendre. Encore plus que les pas, ces gémissements la mettaient mal à l'aise.

    Le bruit de la marche reprit, mais lentement. Le volume des gémissements augmentait : Il ou elle s'approche d'elle... est ce qu'elle est malade ? pourquoi elle gémit comme ça ? peut-être il ou elle est de sa famille ? Stéphanie s'embrouillait dans toutes ces interrogations... Elle avait peur, de plus en plus peur de ce qu'elle entendait, mais tout cela l'hypnotisait, elle voulait suffisamment savoir ce qui allait se passer pour ne pas raccrocher.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... TRENTE ET UNE... MINUTES... »

    Le vent soufflait toujours, les pas avaient cessé, les gémissements continuaient, ils étaient très forts maintenant : Stéphanie en déduit qu'il ou elle devait se tenir devant la femme. Etait-ce sa mère ? peut-être que oui... ou peut être que non, elle ne savait plus très bien. Elle se sentait fébrile et à la fois mal à l'aise d'écouter tout cela à leur insu.

    Elle fut vraiment inquiète quand les gémissements firent place à des pleurs : Elle entendait distinctement la femme pleurer, à l'oreille elle aurait dit que la femme devait être assez âgée, dans la cinquantaine peut être. Mais pourquoi se mettait elle à pleurer ? Stéphanie serrait le téléphone à son oreille en tremblant : son bras, son corps frémissait, elle se sentait mal... elle avait peur de ce quelle entendait : Le son du vent, les pleurs, et auparavant le son des pas l'avait fait plonger petit à petit du trouble vers l'effroi. Mais elle ne voulait pas raccrocher, elle voulait savoir, elle voulait entendre la suite.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... TRENTE TROIS... MINUTES... »

    Les pleurs redoublaient, elle avait de plus en plus de mal à continuer d'entendre cela. Brusquement un bruit effréné de frottements se fit entendre avec force, ils furent très vite accompagnés de bruits secs et sourds. Ce fut surtout les cris de la femme qui terrorisèrent Stéphanie. Elle hurlait, elle souffrait... le bruit sourd qu'elle entendait maintenant, elle le compris vite, était assurément le bruit des coups qu'il ou elle infligeait à la vieille femme.

    Stéphanie était pétrifiée par ce quelle écoutait et ce qu'elle pouvait en conclure. Elle restait assise sur son lit, ne sachant que faire, tout se mélangeait dans sa tête, tout cela était tellement inconcevable : Elle était en train d'entendre, avec une poignée de minutes de retard, quelqu'un battre furieusement une vieille femme. Complètement paniquée, elle coupa le message.



    « Aujourd'hui à VINGT DEUX... HEURES... TRENTE QUATRE... MINUTES... »

    Ca n'en finira jamais ! se disait elle en entendant l'annonce du prochain message. Elle faillit éteindre son téléphone, mais elle ne le fit pas... peut-être pouvait-elle en apprendre plus ? peut-être qu'elle pourrait intervenir ? ... elle ne pouvait se résoudre à raccrocher, elle ne le pouvait pas... elle ne le voulait pas.

    Rien que le début du message la pétrifia de nouveau : les frottements bruissaient toujours autant, les cris de la femme avaient fait place à des gémissements, le son des coups continuait à retentir... Elle entendait l'agresseur émettre de petits geignements, sûrement dus à l'effort monstrueux et infâme qu'il déployait : C'était la voix d'un homme... mais elle entendait encore mal le son. Ce fut progressivement que le sombre nuage de la terreur envahi Stéphanie à mesure que les bruits de la femme s'estompaient, et que les geignements de l'agresseur faisaient place à des mugissements de plus en plus forts... Progressivement elle reconnut avec effroi la voix de Cédric. Elle se rappela avoir eu des appels de lui : son numéro ne s'affichait pas sur son téléphone. Elle s'en souvenait bien car elle s'était dit qu'elle ne pourrait pas savoir quand il l'appellerai avant de décrocher. Son petit ami était donc assurément en train de battre une femme quelque part, peut-être qu'il la battait à mort... il la battait à mort : On entendait plus la voix de la femme, plus que les beuglements de Cédric et le bruit de ses coups sur le corps de la femme. Terrifiée, Stéphanie raccrocha, elle ne voulait plus entendre tous ces messages, tout cela était trop horrible, trop abominable, tout cela n'était pas possible, elle avait dû mal comprendre.



    La sonnerie de son téléphone, pourtant guillerette, la terrifia quand elle se déclencha. Elle était plongée dans ses tourments, ne sachant ni que penser ni que faire. La sonnerie de son téléphone lui fit l'effet d'une décharge électrique à travers le corps. Lentement elle ramena son portable devant ses yeux, sur l'écran, elle n'en était pas surprise, était indiqué « numéro privé ». Elle attendit une sonnerie, puis deux, elle était épouvantée. Puis presque impulsivement elle appuya sur la touche pour décrocher et colla promptement le téléphone à son oreille : Elle n'entendait plus de coups, elle entendait juste un bruit régulier de frottement, c'était tout... Stéphanie pleurait, elle imaginait la pauvre femme à moitié morte, Cédric la traînant par les pieds... Cette image dans sa tête lui était insoutenable, surtout accompagnée de ce sinistre son de frottement.

    Soudain, un grand choc se fit entendre, le volume en était si fort qu'il lui fit mal à l'oreille, et ajouté à l'effet de surprise, elle en décolla quelque temps l'appareil. Quand elle le rapprocha de nouveau, le seul son qu'elle entendit était celui du vent, bien plus fort que précédemment.

    Subitement elle entendit comme un grondement sourd mêlé de fracas. Puis d'un coup, elle entendit très distinctement de la voix de Cédric :

    « Stéphanie ? ».

    Prise par surprise, elle ne put réprimer un petit cri d'étonnement.

    « Putain Stéphanie ? Bon Dieu, qu'est ce que tu fais en ligne, merde ! MERDE ! MER ».

    Complètement abasourdie et terrorisée elle raccrocha aussitôt et éteignit son téléphone.



    Il m'a entendu crier ! mon dieu, il sait que j'ai entendu... A l'aide, pitié ! Qu'est ce que je peux faire ? Il va peut-être venir ici me chercher... me tuer ! Je ne peux pas rester ici, je dois m'en aller tout de suite, peut-être était-il tout près de la maison ? Oh putain, c'est horrible, je... je dois aller à la police... je dois partir d'ici... il faut que je prévienne la police !

    Sur ce, Stéphanie bondit de sur son lit, et se précipita à toute allure hors de la maison. Elle courrait vers le commissariat de la ville, qui n'était qu'à cinq minutes de sa maison.



    Mais elle n'arriva jamais au commissariat.

    On l'enterra une semaine plus tard, deux jours après avoir retrouvé son corps, ainsi que celui de la mendiante que Cédric avait battu à mort.
     
     
     
     
     
     
     

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    Le dangereux cinéphile

     

    Le dangereux cinéphile

     

     
     
     
     
    « Salle deux : Premier étage à droite de l'escalator.

    - Merci. »

    Ouf ! Ca y est ! C'était interminable cette file d'attente !



    Excellent ! La salle deux ! Une grande salle... hmm, ça promet une bonne projection tout ça ! Hé hé, le week-end commence bien... après cette semaine de merde ça ne va pas me faire de mal !



    Alors, alors, alors... ? parfait ! La salle n'est pas encore trop pleine... Ben j'ai bien fait de venir un peu en avance.



    Bon, ça va me faire du bien une petite séance de ciné, ça va me détendre du taf... Purée ! ... et lundi ça va reprendre... Oh la laaa... pas hâte... Bon en même temps ça n'est pas toutes les semaines comme ça au boulot... heureusement... Mais bon lundi ça repart, et vu comment j'ai été cette semai... BON ! allez... JE M'EN FOUS ! Purée, faut que j'arrive à penser à autre chose ! Bon alors après le ciné je vais me faire une petite ballade tout seul, loin de la foule, tout au calme... Et puis demain j'appelle Stéphane pour qu'on aille passer le samedi soir dans les bars... ouais... pas mal... pas mal du tout !



    Ah ça y est ! en voilà un qui se met à côté de moi... pfff ça va être la bataille pour les accoudoirs... ils sont cons quand même dans les cinés, pour peu qu'on ai quelqu'un d'assis à côté on a plus qu'un demi accoudoir pour poser son bras... mouarf !

    Eh bé, j'ai bien fait de venir tôt moi, ça se rempli : il commence à y avoir du monde sur les premiers rangs, ça c'est signe que la salle commence à être bien pleine... Sinon les gens, ils ne vont pas trop devant d'habitude... Ah et derrière ?... hmmm... ouais il y a du monde aussi... Bon et puis ce qui serait sympa quand même, c'est qu'ils arrêtent un peu tous de jacter quand ça va commencer, on se croirait dans un hall de gare là.

    Bon ben tiens ! me voilà cerné... en v'la un qui se pose de l'autre côté maintenant... bon ça me fera un demi accoudoir de chaque côté, au moins ce sera équilibré !



    Aaah ! les lumières s'éteignent un peu... C'est parti... pour les bandes-annonces... Bon au moins ça n'est pas complètement inintéressant...

    ...

    ...

    Ouais... j'ai l'impression qu'il y en a quand même pas mal qui s'en foutent des bandes-annonces... et ça piaille, et ça piaille... enfin bon, allez je vais pas me plaindre, ça jacte déjà moins que tout à l'heure. J'espère que ça ne va pas être le souk même pendant le film... purée... ah non ! pas ça ! j'ai déjà eu ma dose cette semaine... Enfin bon allez, on se calme, ça ne sert à rien de s'énerver : Ce soir je suis tout seul, je me fais une petite soirée tranquillou... alors je ne vais pas commencer à m'énerver pour un rien.

    Bon allez ! maintenant les pubs... Pfff ! En plus assis là comme ça, on risque pas d'y échapper... Quand même on paye déjà cher pour voir un film et ils trouvent le moyen de nous passer des pubs... quand même...

    Ah ça y est, ça va commencer ! Les méchantes pubs sont finies... aaah, toutes les lumières s'éteignent.... et ?... Ouf ! les gens se taisent... Allez... C'est parti pour deux heures...



    ... ... ....



    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Purée c'est pas vrai.

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Putain !... un bouffeur de pop-corn juste derrière... oh la laaa...

    ...

    ...

    Bon on l'entend plus... tant mieux...

    ...

    ...

    Mouais... enfin c'est bizarre quand même qu'il ai déjà fini ses saletés de pop-corn.

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Tiens j'ai vu juste... putain qu'est ce que je vais foutre !

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Bordel de merde ! Bon.... Je change de place ?... mouais... moyen... il y a plus que les places sur le côté... et puis je vais devoir emmerder tous les gens assis à ma rangée pour bouger... oh la laaa... c'te prise de choux... bon allez, je bouge pas... je vais bien réussir à oublier son boucan.

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Rrrrrr... ça me gave !

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Allez... je l'oublie ! je pense au film et c'est tout.

    ...

    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    De toute façon je ne peux pas aller lui dire d'arrêter de bouffer sa cochonnerie...

    Bon allez, je n'ai qu'à me laisser glisser dans le film... je finirai bien par ne plus y faire attention.



    ... ... ....



    « Florent ?

    - hmm hmm.

    - Qu'est ce qu'on fait après le film ?

    - Heu, je sais pas trop... On pourrait aller boire un petit verre, non ?

    - Hein ?

    - Aller boi... heu... aller boire un petit verre, il y a un bar pas mal que je connais et c'est pas loin d'ici.

    - Ouais pourquoi pas... sinon on pourrait aller en boîte aussi après.

    - Heu, j'sais pas trop, faut voir, j'aurais pensé qu'on ne serait pas sorti trop tard... plutôt demain soir ?

    - Pfff... ouais... pourquoi on sortirait pas deux soirs de suite ? »

    - Parce q... hum ! Parce que je suis crevé, voilà aussi.

    - Booo... alleeezzz !

    - Bah, faut que j'y réfléchisse.

    - Ok ! »

    Purée, et ils parlent en plus derrière... bon, ils ne vont pas continuer longtemps non plus ! Allez... calme...



    ... ... ....



    « CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    Oooh, noon, voilà que ça reprend. Purée, ça me fatigue... bon si ça continue, je leur dis de se calmer... bon d'un autre côté je ne peux pas lui dire d'arrêter de bouffer, mais bon s'il pouvait au moins ne pas se mettre à parler...

    « Christelle ? T'en veux toujours pas ?

    Bah si ! allez un peu alors, mais pas trop, on a déjà mangé avant quand même. »

    « CROUNCH ! ... crounch... CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... »
    Pfff... et en plus maintenant ils s'y mettent à deux ! Bon je me retourne !... Allez ! je leur dis de se taire un peu... Mouais... je vais avoir l'air d'un con, ils ne sont plus vraiment en train de parler là... plutôt en train de bouffer leur saloperie... Pfff... ouais, je vais avoir l'air d'un con... Bon d'un autre côté, à deux, ils finiront plus vite leur dose de maïs brûlé... tsss...



    ... ...



    « CROUNCH ! ... crounch... CROUNCH ! ... crounch... crounch... crounch... crounch... »

    ffffooouuuuu.....

    ...



    ... ...



    « Dis Flo ?

    - ...

    - il est nul ton film.

    - Heu ! ... Ben attends, c'est commencé que depuis un quart d'heure.

    - Ben le premier quart d'heure je le trouve déjà naze.

    - Ouais... c'est vrai, c'est pas génial pour l'instant.

    - ...

    - Mais bon sur la bande-annonce ça avait l'air vraiment bien.

    - Ouais ben finalement il vaut mieux ne pas... »

    « Vous pourriez faire moins de bruit s'il vous plait ?! »

    ...

    Bien entendu, ils ne vont pas aller s'excuser tiens ! C'est sûr, c'est plus facile de ne rien répondre... Pfff... couple à la con !... Bon, au moins j'ai craché le morceau, j'espère qu'ils ont compris... purée, je vais peut-être pouvoir avoir un peu la paix à la fin !



    ... ...



    Bon ben, ça a dû marcher finalement, je les entends plus... Il y a peut-être moyen que les gens arrêtent de me faire chier cinq minutes finalement !



    ... ...



    « crounch... crounch... crounch... »

    Putain ! ils remettent ça... Pfff ! ... bon, ils font moins de bruits aussi, ça les à calmés quand même un peu. Je ne vais pas non plus les persécuter...

    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    Ouais... mais en attendant je ne profite même pas du film... Bon dieu ! mais il n'y a pas moyen d'avoir la paix ? Oh, allez, on respire, on regarde le film... et on oublie ces deux cons !



    ...crounch... ...crounch ... ...crounch...

    ... crounch... ...Crounch... ...crounch ...  

    ...crounch... ...crounch... ...crounch ... ...CROUNCH !

    Putain, mais c'est pas vrai ! Ils ont inventé le pop-corn pour emmerder les gens au ciné ou quoi !

    Je profite même plus du film... Je me demande si je ne reviendrais pas le voir finalement. Je n'aurais qu'à venir le dimanche matin... les cons dorment à cette heure-là normalement...

    « Pfff Flo ! Il est vraiment chiant ce film !

    - Ouais, c'est vrai qu'il est bof bof... Du pop-corn ?

    - Ouais ! »

    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    « crounch... crounch... crounch... »

    « Sinon, elle va comment Christine depuis sa rupture ?

    - Bah, un peu mieux, je crois qu'elle a... »

    « S'IL ! VOUS ! PLAIT ! TAISEZ-VOUS ! »

    Saloperie de couple de merde ! Deuxième fois qu'il faut que je leur dise de se taire ! ... Putain ! je parie qu'ils vont faire comme tout à l'heure ! Ils vont s'arrêter dix minutes et après ils vont reprendre !... Mais c'est dingue ça quand même ! s'ils voulaient parler et grignoter, ils n'avaient qu'à aller dans un bar ! pas dans un cinéma ! ... Raaaaalaaalaaaaa, et moi qui pensais me DETENDRE ce soir, et bien à cause de ces deux cons, je suis énervé maintenant... GrrrrrrRRRRRR... P'tain ! ce que j'aimerais pouvoir lui défoncer sa sale gueule à ce connard !



    ... ...



    Tiens, j'ai droit à une accalmie... encore... mais ça va pas tenir c'est sûr... C'est sûr aussi que si cette fois-ci ils se remettent à parler, je ne mettrais pas de gants.



    ... ...



    « Tiens Chris, tu vois, là je crois qu'il va tout péter : je l'ai vu dans la bande-annonce.

    - Mouais...

    ...

    - Ben ça rendait bien dans la bande-annonce.

    - Bof ! moyen comme film, j'aime pas. »

    RAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHH ! Une phrase de plus et je les engueule comme du poisson pourri ! J'EN AI MARRE !



    ... ...



    Purée ! ben voilà, ils disent plus rien maintenant, pfff... je ne sais plus sur quel pied danser moi... Ooooh, j'en ai ras le cul !



    ... ...



    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    « crounch... crounch... crounch... »

    Putain... il va leur en rester pendant combien de temps de leur sale truc de merde à bouffer.

    « Pas très trépident comme film

    - Ca ne te plaît vraiment pas, hein ?

    - Bof !

    - Tu veux encore du pop ? »

    ...

    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    « crounch... crounch... crounch... »

    ...

    « Bon c'est vrai qu'il est pas génial comme film, mais bon on a vu pi... »

    « VOS GUEULES DERRIERE ! »

    « Heu ! Pourriez rester poli au moins ! »

    Je réponds pas... je réponds pas... JE REPONDS PAS ! Sinon je vais le massacrer ce connard : « Pourriez rester poli », mais merde quoi : « POURRIEZ RESTER POLI » ! Mais il se fout de moi ou quoi, c'est QUI qui est mal poli dans l'affaire ? C'est lui et sa greluche qui dérangent tout le monde, pas moi ! Merde à la fin ! et il est en plus assez sans gêne pour aller me dire de rester poli ?!

    « heu, Chris, je vais pisser un coup, je reviens.

    - Dac ! »

    Bon au moins j'aurais la paix cinq minutes... Mouais... de toute manière mon film est gâché... Quel con... quelle conne aussi ! ... mais bon... J'irai bien lui parler à ce gars quand même. Ca me ferait du bien... sinon je vais sortir du ciné complètement en pétard. Si je m'explique avec lui... j'aurais de toute façon raté le film, mais au moins je serais plus calme après lui avoir dit ces quatre vérités à celui-là.

    ...

    Allez...

    ....

    J'y vais.



    ... ...



    Bon ! où ils sont ces toilettes ? Ah ! ici...

    ...

    Tiens c'est lui, il est tout seul... Bon il se lave les mains... tant mieux, je peux y aller.

    « Hum ! hmm, j'avais envie de vous dire deux mots.

    - Hein ? heu, c'est vous qui êtes devant nous dans la salle ?

    - Oui.

    - Ben faut se calmer mon gars ! pourriez nous foutre la paix quand même, on vous à rien fait !

    - Attendez, c'est vous qui ne me foutez pas la paix avec tout le boucan que vous faites !

    - Hé ! c'est un lieu publique une salle de ciné ! Je vois pas pourquoi on aurait même pas le droit de respirer.

    - Putain, mais si vous voulez parler, regardez la télé dans votre salon, mais faites pas chier les gens qui vont au ciné !

    - J'fais ce que j'veux, t'as pas à me dire ce que je dois faire, t'es pas mon père. Espèce de dingo, tiens !

    - Quoi dingo ? DINGO ! QUOI ?! parce que je suis énervé ?!

    - Ben faudrait que t'apprenne à te calmer ouais !

    - MAIS C'EST A CAUSE DE TOI ET DE TA GRELUCHE QUE JE SUIS ENERVE !

    - HE ! c'est pas la peine de gueuler. T'es malade toi !

    - JE NE SUIS PAS UN MALADE !

    - HE, ME TOUCHE PAS !

    - SALE PETIT CON, POURQUOI TU NE VEUX PAS ME FOUTRE LA PAIX ?

    - HE, MAIS ARRETEZ... AAAAAHHHHHHH... AU SECOURS !!!... AU SEC...

    - Raaaa, ARRETE DE TE DEBATTRE COMME CA ! ... Là tu fais moins le fier maintenant, hein ?

    - BBBBBBOOOOOOUUUUUUURRRRRRGGGGLGLGLGLGLGLGLGL....

    - SALE PETIT CON ! TIENS TU VA LE REBOUFFER TON POP-CORN DE MERDE !

    - BBBBBBOOOOOOUUUUUUURRRRRRGGGGLGLGLGLGLGLGLGL....

    - Lààààà ! vomis... gerbe tout ce que tu peux, et étouffe-toi avec !

    - bourgllll... bourgllll... bourgllll... bourgllll...

    - ...



    ... ...



    ... Très bien...

    ... Personne ne m'a trop vu sortir du ciné...

    ... C'est pas vrai... j'ai pas fait ça quand même...

    ... Il l'a cherché... c'est vrai, pourquoi on ne me fout pas la paix cinq minutes !... bordel IL N'AVAIT QU'A NE PAS ME FAIRE CHIER COMME CA, C'EST DE SA FAUTE ! PUTAIN, C'EST DE SA FAUTE ! ...

    ...

    ... Faudra que je retourne le voir ce film... demain après midi j'irai... vaudrait mieux que j'aille dans un autre ciné quand même...
     
     
     
     
     
     
     

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    Le lendemain de cuite

     

    Le lendemain de cuite

     

    Histoires d'horreur > Le lendemain de cuite

     

     

     

     

    C'est tout d'abord une espèce de sensation désagréable qui m'arrache au sommeil. Le néant se dissout lentement, et ma pensée renaît petit à petit. La sensation désagréable se précise, se mue en un faible mal au ventre qui va grandissant : Déjà, je voudrais que ça s'arrête, retourner à la douceur du sommeil. Mais la gêne se fait plus insistante encore et ne me laisse pas l'espoir de revenir en arrière. Une douleur à la tête commence aussi à se faire sentir : elle gagne progressivement tout l'avant de mon crâne et reste encore faible, mais je sais bien que bientôt elle ne me laissera pas de répit... Il me semble aussi entendre un léger bruissement de vagues pas très loin de moi : de petites vagues d'une mer qui me semble calme. Le bruit est vraiment agréable, je me laisserai bien bercer par le son, mais je me sens trop nauséeux, trop fatigué, trop meurtri pour l'apprécier... Je suis allongé, j'ai mal un peu partout, ma tête me lance encore un peu plus maintenant, et toujours ce mal au ventre qui enfle, toujours cette nausée... Je me sens impuissant face au mal qui m'envahit, et je sais pertinemment que je n'y pourrai rien. Alors, finalement résigné, péniblement, j'ouvre les paupières :

     

    La lumière me fait mal aux yeux, ou peut être à la tête, je ne sais plus très bien. Il fait jour, il ne me semble pas apercevoir de nuages dans le ciel, mais il demeure d'un bleu cendré : ce doit être le matin. Je tourne alors la tête sur le côté, et bien que les rochers autour de moi me barrent encore la vue du soleil, je peux néanmoins admirer la voûte rougeâtre se mêler somptueusement au bleu qui la recouvre. Je me rappelle qu'on est en juin, et avec le jour qui vient de se lever l'air est encore frais. Je suis alors curieux de connaître l'heure avec plus de précision : Je sens ma montre à mon poignet, et tout en restant allongé sur le dos, je tente de lever mon bras droit vers mon visage : J'essaie de le bouger, mais il me fait mal et m'incite à stopper mon geste. Finalement, malgré la douleur, je parviens péniblement à placer mon poignet devant mon visage : Il est cinq heures et quart du matin.

     

    Je délaisse alors ma montre pour mieux regarder mon avant bras : Celui-ci est meurtri, déjà quelques ecchymoses ont bleui ma peau. J'essaie de comprendre pourquoi, mais tout demeure embrouillé dans ma tête... ma tête qui me fait toujours aussi mal. J'aimerais que toutes ces douleurs s'arrêtent, mais plus j'ai l'impression de recouvrer mes esprits, moins bien je me sens : Hier soir j'ai trop bu, j'ai vraiment trop bu, c'est sûr. J'ai mal au dos aussi : les rochers sur lesquels je suis allongé ne doivent pas être plats, car ils me font bien mal. Et puis j'ai aussi la gorge en feu, sûrement parce que j'ai bien trop fumé hier soir.

     

    Hier soir... hier soir... je me rappelle qu'on fêtait les résultats du bac... Enfin, eux surtout, parce que moi c'est vrai que je ne l'ai pas eu. On a bien bu, mais je ne me souviens pas de tout, enfin pas de grand-chose même. J'avais fumé, et pas seulement du tabac, et je m'étais aussi bien marré avec Marion... enfin c'était une bonne soirée ! ... Alors, pourquoi je suis encore là ? Et où sont les autres ? quelque part près d'ici ? partis sans moi ?

     

    Je commence un peu à paniquer, je ferme les yeux, j'essaie de me calmer, mais tout se bouscule dans ma tête : je veux comprendre.

     

    Je me décide alors à essayer de me lever et d'aller voir s'ils sont toujours là, quelque part.

     

     

     

    *

     

     

     

    Laurent avançait dans la cour du lycée, au beau milieu du fourmillement incessant des autres élèves venus aussi voir leurs résultats. Devant lui se tenait tout un attroupement compact, duquel il en voyait beaucoup sortir à toute allure, le sourire aux lèvres, ou encore poussant de petits cris pour exprimer leur joie. Et puis il y en avait d'autres, moins nombreux, qui ressortaient de l'attroupement l'air penaud, tête basse... Il serait sûrement comme eux, tout à l'heure, quand il aurait vu ses résultats du bac sur les panneaux d'affichage : Il ne se faisait pas de faux espoirs, il n'avait presque pas travaillé pour. Il ne se faisait vraiment pas d'illusion, même si au fond de lui il espérait quand même se tromper.

     

    - Eh Laurent ! T'as été voir tes résultats, hein ?

     

    - Salut Cédric... ben non je viens juste d'arriver... J'y vais, là.

     

    - Ah... Tu sais ?... non ?... Purée ! Moi, je suis content ! je l'ai eu ! Je suis...

     

    - Super, je suis content pour toi aussi... mais faut que j'aille voir pour moi.

     

    Cédric continuait de le fixer bêtement, un sourire béat jusqu'aux oreilles, les mains dans les poches, se dandinant d'un côté puis de l'autre, absolument noyé dans son bonheur. Laurent avait du mal à supporter cette vision, il avait coupé court au dialogue et s'engouffrait déjà au sein de la foule qui s'entassait devant les panneaux d'affichage des résultats.

     

    Il se faufila péniblement sur la gauche, pour atteindre les premiers panneaux. Abgral, Laurent Abgral : son nom serait sans doute sur les premières feuilles. La foule était dense, les élèves étaient tous tendus et ne faisaient absolument pas attention à laisser passer les autres. En forçant un peu le passage, Laurent finit par atteindre le tableau : Il disait qu'il s'en foutait de son bac, mais là son cœur battait fort. Peinant pour garder sa place, il parcourut la liste des noms jusqu'à arriver au sien...

     

    7,85 sur 20 de moyenne... Le chiffre s'abattit violemment sur les faibles espoirs qu'il cultivait encore. Il baissa la tête, essaya de se réconforter, de se dire que ce n'était pas si terrible que ça, que de toute façon il l'avait un peu cherché... non ? Mais ce qui le démoralisait assurément était de devoir annoncer la nouvelle tout à l'heure aux parents, ainsi qu'aux amis qui, eux, l'auront sûrement eu...

     

    - Eh !... Heu... s'il te plait, tu peux te pousser, j'arrive pas à lire.

     

    - Ah... Désolé.

     

    Laurent, lentement, se tournant de côté, traversa la foule, puis mollement se dirigea vers la sortie de la cour, tête basse, l'air penaud, comme certains des élèves qu'il avait vus en arrivant.

     

    Il remarqua un petit groupe au milieu de la cour. Il reconnut Cédric, mais celui-ci était maintenant accompagné par Philippe et aussi Marion. Une envie de partir sans même aller les voir lui traversa l'esprit : il aurait voulu être un peu seul, ou du moins ne pas avoir à affronter tout de suite ses amis. Mais après tout, rester seul n'allait rien changer à son sort, et puis il avait envie de parler un peu aussi. Alors, d'un pas un peu plus décidé, tête relevée, il rejoignit le groupe.

     

    - Salut Philippe, Salut Marion...

     

    - Heu... Salut.

     

    - Hhhhmph... Salut. 

     

    Aucun des deux n'avait l'air dans leur assiette.

     

    A la recherche du regard d'un être moins déprimé que lui, Laurent se retourna finalement vers Cédric, qui lui avait toujours l'air de se sentir heureux... c'était bien le seul des trois à se sentir bien !

     

    - Ca ne va pas ?

     

    - Moi si, répondit Cédric en levant les épaules en signe d'impuissance.

     

    - Vous ne l'avez pas eu ? Demanda finalement Laurent en observant alternativement Philippe et Marion. Alors ce fut elle qui, l'air accablée et d'une voix vibrante, lui répondit :

     

    - Heu... non... pas eu... J'ai essayé de bûcher pourtant... mais c'était trop dur, j'arrivais pas... purée... pfff... j'y crois pas que je l'ai pas.

     

    - Tu sais moi non plus je ne l'ai pas eu, annonça-t-il à Marion en la regardant d'un air amusé, cherchant un peu à dédramatiser la situation pour lui remonter le moral.

     

    - Oh ! Ben... on est deux alors ! c'est super, on va pouvoir déprimer ensemble comme ça...

     

    - On est deux ? répéta Laurent. Mais alors Philippe tu...

     

    - Il l'a eu, l'interrompit Cédric. Mais il vient de croiser Marie, elle était avec un autre gars.

     

    Philippe leva la tête, fixa Laurent d'un regard humide, et d'une voix chevrotante, il commença :

     

    - Elle... quand je l'ai vue... elle revenait d'être allé voir ses résultats... Elle avait l'air heureuse... Et puis un autre gars est sorti de la foule... je ne le connaissais pas, mais lui il la connaissait : Il s'est approché d'elle... et puis... il... il lui a dit quelques mots... elle aussi... et puis... et puis... Elle l'a embrassé ! Ca a duré long ! ils sont restés comme ça enlacés dans la cour un sacré moment... et puis ils sont partis... Moi, je vais pas bien depuis... tu comprends ? c'est pas tenable ! j'arrive pas à l'oublier, et puis...

     

    - Allez calme-toi. T'y est pour rien si elle t'a quittée, et puis tu vas pas en rester là ! Tu en rencontreras une autre ! La vie contin...

     

    - Non ! Elle continue pas ! je l'aimais !

     

    - Mais t'as eu ton bac, non ?

     

    - Oui, mais...

     

    - Bon tu vas partir d'ici... tu vas à Rennes, c'est ça ? C'est bien plus grand que ce trou perdu ? Et là-bas tu rencontreras pleins de filles belles et sympas !

     

    Les mots de réconfort de Laurent ne l'apaisaient pas, et lassé d'expliquer son chagrin à tout le monde, Philippe scruta discrètement autour de lui, l'oeil à la recherche d'une diversion afin de changer de sujet.

     

    Indiquant alors du menton une direction, il annonça d'un air un peu moins éploré :

     

    - Tiens, voilà Céline qui arrive avec Michaël.

     

    Céline, toujours bien coiffée, propre sur elle, était accompagnée par Michaël, son copain depuis maintenant presque un an. Lui, présentait franchement moins bien qu'elle : il était habillé, comme à son habitude, en survêtement... Cela contrastait quelque peu avec la jupe et le beau chemisier que portait Céline. Elle faisait partie de leur groupe d'amis quand elle avait rencontré Michaël, ils n'avaient donc pas fait d'histoires pour intégrer son copain à leur groupe.

     

    Cédric demanda en premier :

     

    - Alors, vous l'avez eu ?

     

    - Oui, répondit Céline avec un grand sourire.

     

    - Tout juste pour moi, ajouta Michaël, mais bon je l'ai.

     

    Céline, voyant que tout n'allait pas pour le mieux, demanda :

     

    - Vous, ça ne va pas ?

     

    - Moi je l'ai eu aussi, répondit sans attendre Cédric. Philippe aussi, mais il est triste parce qu'il a croisé Marie, son ex, avec un autre.

     

    - Ah, heu... je comprends... je suis sincèrement désolé pour toi Philippe.

     

    - Pour moi et Marion, renchérit Laurent sans attendre, eh bien, on ne l'a pas eu.

     

    - Ah bon, même pas de repêche ?

     

    - Non... même pas, répondit timidement Marion en relevant un peu la tête.

     

    - Tout ça est bien triste, conclu Céline.

     

    Tout le groupe resta ainsi quelques secondes, gênés, sans mot dire, avant que Michaël ne brise la glace :

     

    - Je sais pas moi... qu'est ce qu'on fait maintenant ?

     

    S'adressant aux trois corps amorphes devant lui, Cédric demanda :

     

    - Vous, vous n'aurez peut-être pas trop envie de faire la fête non ?

     

    Tous trois se regardèrent alors, Marion se mit soudait à rire :

     

    - Ca nous ferait peut-être du bien de noyer notre chagrin dans l'alcool, non ?

     

    - Heu... pfff... au point où j'en suis, pourquoi pas ! Répondit Philippe.

     

    - Je sais pas trop moi...

     

    - Allez, Laurent tu vas pas te faire prier ! Lança Philippe qui semblait subitement un peu plus jovial.

     

    - Bon... allez, d'accord ! ça me va !

     

    - Comment on fait alors, on se rejoint sur la plage ce soir ?

     

    - A la crique, dans les rochers, comme d'hab ?

     

    - La crique de Porgoarret ? Ben... ouais, pourquoi pas.

     

    - Bon alors, il faut qu'on aille acheter les bouteilles maintenant.

     

    - T'as raison... ben, on y va alors !

     

    Ils quittèrent la cour du lycée, et se rendirent au premier super marché venu. Ils achetèrent beaucoup de bière, et aussi quelques bouteilles d'alcool fort « pour bien finir la soirée ». Puis ils transportèrent le tout jusque dans les rochers de la crique : Dans les fourrés, en haut des galets, près de l'endroit où ils comptaient passer la soirée, ils cachèrent toutes les bouteilles et les packs de bières. Ils se donnèrent ensuite rendez-vous au même endroit, à vingt et une heures.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je me tourne douloureusement sur le côté, et lentement, la tête pendante, je me mets à quatre pattes. J'ai l'impression qu'on me serre l'abdomen dans un étau et ma tête tourne horriblement. Tout s'accélère, je suis pris d'un atroce haut-le-cœur. Un soubresaut me fait tressaillir, puis une convulsion me parcourt du ventre à la bouche, et sans pouvoir me contrôler, je vomis : Impuissant, je regarde le liquide brunâtre se déverser par saccade et le goût acide envahit ma bouche. L'odeur, le son, s'y ajoute, me dégoûte... et me fait vomir encore... Puis cela s'estompe. Je reste immobile, à regarder, hébété, la marre brunâtre et grumeleuse sous mes yeux... Puis la convulsion revient, et tout le reste avec... puis ça s'arrête à nouveau. Alors j'attends pour voir si ça ne va reprendre encore une fois... mais plus rien. Soulagé, toujours à quatre pattes, les bras écartés, je tousse plusieurs fois, puis je m'appuie sur une main et m'essuie vaguement la bouche.

     

    Je relève la tête, je me sens un peu mieux.

     

    Je regarde autour de moi, je reconnais la crique de Porgoarret : Cette petite crique où quelques bateaux viennent y déposer amarres. Je regarde un peu plus vers le bord de l'eau, et distingue sur le sable une forme humaine allongée. Je m'en trouve à plus d'une centaine de mètres, bien trop loin pour distinguer mieux les choses. La personne reste allongée, et ne bouge pas, je m'interroge, je m'inquiète : je me doute que ce doit être un de nous six présents hier soir.

     

    Sans réfléchir plus longtemps, je me lève pour aller voir. En appuyant sur ma jambe droite, un élan de douleur me fait plisser les yeux, je force un peu dessus, mais même une fois debout là douleur est toujours là : J'essaie de faire un pas, j'ai mal, mais cela m'est supportable, et en relevant ma jambe de pantalon, je n'y vois rien d'apparent. Sans m'éterniser alors plus longtemps sur ma douleur, de plus en plus inquiet par celui étendu là-bas sur le sable, je me remets à cheminer dans les rochers en boitant fortement.

     

    Tout en progressant péniblement, je ne peux quitter du regard la personne vers laquelle je me dirige, et petit à petit le trouble m'envahit : Je le reconnais, c'est Michaël qui est étendu là-bas. J'arrive sur le sable, je presse de plus en plus le pas, et mon trouble fait place à l'inquiétude. Il est allongé sur le dos, et son visage me semble amoché. Plus j'avance vers lui et plus je discerne les ecchymoses, les coupures et les griffures qui le recouvrent. Je ne vois plus que son visage, j'avance en courant presque, traînant maintenant ma jambe comme je le peux. Arrivé à sa hauteur, je m'écroule à genoux sur le sable. Il ne se réveille pas : à le voir, on dirait qu'il sort d'un combat de boxe. D'une voix faible et chevrotante je commence à lui parler pour le réveiller.

     

    - Michaël ? eh oh, Michaël ? Dis, réveille-toi, allez !

     

    Mais, il ne se réveille pas, alors je panique, je ne comprends pas pourquoi il est dans un tel état. Dans ma tête, il y a un grand vide, je ne me rappelle pas de ce que j'ai pu faire hier après avoir bu, et j'en ai peur, j'ai envie de pleurer. Tout mon corps se crispe, je ferme les yeux avec force... Et là j'explose, les larmes sortent, je balbutie, puis je commence à brailler « Michaël, eh ! debout ! Oh, Michaël, allez ! réveille-toi ! ». Sans attendre de réponse, je le prends par les épaules et le secoue comme un prunier. Il émet une plainte, et je le relâche, une vague de soulagement m'envahit : il revient à lui. Il gémit encore un peu, et sûrement sous la douleur, son visage se crispe, puis il cligne et finit par ouvrir les yeux. Il m'aperçoit à côté de lui, tourne son visage meurtri vers moi et me regarde fixement.

     

     

     

    *

     

     

     

    Vingt heures cinquante, Laurent était déjà sur place.

     

    En avance, et voyant que personne n'était encore là, il s'était calmement assis en tailleur, contemplant le paysage : Cette crique, il y venait beaucoup étant enfant avec son père. Il passait son temps dans l'eau, souvent à jouer dans un petit bateau pneumatique que son père attachait à un rocher à l'aide d'une grande corde. Ainsi il pouvait s'amuser dans le bateau pendant que son père somnolait, tranquillement allongé sous la chaleur du soleil.

     

    Maintenant, pour lui, ce lieu se retrouvait chargé d'une certaine mélancolie : le temps avait passé, le bateau pneumatique était dégonflé et rangé dans un coin du garage, et il n'allait plus avec son père ici pendant les après-midi d'été : Le temps fuyait, les choses qui avaient été n'étaient plus, et il s'en rendait compte.

     

    Laurent soupira, souleva le pan de sa veste, plongea la main dans la poche intérieure et en sortit un paquet de cigarettes. Las, plongé dans ses souvenirs, il s'en alluma une, puis nerveusement en aspira une grande bouffée... la tête lui tourna un peu et il se sentit un peu plus calme. Le silence berçait ses pensées, même le bruit des vagues était à peine audible, le bord de l'eau se trouvant loin de lui. En effet, c'était presque marrée basse, et la mer, qui continuait de se retirer, avait déjà délaissé quelques petits bateaux de pécheur sur le sable, tandis que les plus gros, plus au large, mouillaient encore...

     

    - Alors on rêve ?

     

    - Hein ! heu... Céline ! Tu m'as surpris, je ne t'ai pas entendu venir.

     

    - Tu avais l'air absorbé dans la contemplation du paysage, en effet.

     

    - Oui, j'aime bien cet endroit.

     

    - C'est calme c'est vrai... Dis-moi, personne d'autre n'est arrivé à ce que je vois ?

     

    - Non non, pas encore. Mais bon, on est en avance, alors ça ne m'étonne pas.

     

    Céline jaugea rapidement Laurent, puis lui demanda :

     

    - Tu n'as pas l'air bien ?

     

    - Oh, ben j'étais plongé dans mes pensées, voilà tout.

     

    - Et pour ton bac, t'es pas trop cassé ? ça va ?

     

    - Heu... couci-couça... Enfin, je l'ai annoncé aux parents tout à l'heure, donc le plus dur est fait.

     

    - Ils ne l'ont pas trop mal pris ?

     

    - Oh... Ils n'étaient pas ravis, c'est sûr. Mais leur réaction a été bien moins mauvaise que ce que je ne pensais.

     

    Il haussa les épaules et reprit :

     

    - Bah j'essaie d'y voir le positif. Tu vois, au moins je resterai ici un an de plus.

     

    - C'est sûr, de toute manière tu ne peux plus rien y faire, alors...

     

    - Oh et puis tu sais, je n'ai pas non plus fait grand-chose pour l'avoir !

     

    Ils se regardèrent tous deux en rigolant. Puis Laurent, plus calme, reprit :

     

    - Et toi alors, tu ne vas pas rester ici, non ?

     

    - Oui... je ne vais pas rester.

     

    - Alors, tu vas aller ou ? demanda Laurent, impatient.

     

    - A Rennes, normalement, admit-elle d'un air enjoué.

     

    - Ah ben il y a Philippe qui y va aussi ! Il faudra lui faire connaître d'autres filles à celui-là ! Tu as vu comment il était déprimé tout à l'heure ?

     

    - Oui, c'est pas évident pour lui, le pauvre.

     

    - Alors au fait, continua Laurent, tu hésitais sur ce que tu voulais faire, non ?

     

    - Oui... mais c'est bon, ça y est je me suis décidée, je me sens d'ailleurs mieux maintenant, bien contente d'avoir fait mon choix.

     

    - Allez... dis ? C'était institutrice ou sage femme, c'est bien entre ces deux-là que tu hésitais ?

     

    - Oui, je m'étais pré-inscrite pour les deux filières, et ça faisait longtemps que j'hésitais, mais là c'est bon ! Finalement il fallait juste que j'ai mon bac pour que ça me décide...

     

    - Juste... juste, insista Laurent d'un air bougon. Moi, je l'ai pas eu, c'est pas non plus une formalité le bac.

     

    - Excuse moi Laurent, admis sincèrement Céline. Mais tu sais, je suis vraiment contente ! Tu comprends, ça y est ! j'en suis sûre ! je veux devenir sage femme.

     

    - Wow ! Et c'est vraiment un beau métier ça !

     

    - Oui,

     

    - Donc c'est sûr ? Pas institutrice alors ?

     

    - Non, pas institutrice... Mais je pense que si j'hésitais, c'était à cause des études qu'il faut faire pour devenir sage femme... Mais je veux au moins essayer.

     

    - Ah bon, c'est si dur que ça les études de sage femme ?

     

    - Eh bien, il faut faire la première année de médecine pour entrer ensuite en école de sage femme.

     

    - Hein ? ah bon ? Purée, mais c'est une année de dingo la première année de médecine ! renchérit Laurent, décidément intéressé par le sujet.

     

    - Oui... et ça me faisait beaucoup hésiter, c'est une année vraiment très sélective.

     

    - Mais c'était aussi peut être à cause de Michaël ? devina-t-il.

     

    - Oui, pendant la première année j'aurais vraiment très peu de temps libre.

     

    - Et qu'est ce qu'il en pense ?

     

    - Ben... je ne lui ai encore rien dit.

     

    - Ah, oh eh ben... pas évident.

     

    - Oui, mais je veux devenir sage femme ! J'ai hésité comme ça assez longtemps.

     

    - Ben dit donc, t'as l'air décidée... Ah tiens attends, je crois qu'il y a du monde qui arrive.

     

    Laurent plissa les yeux pour mieux voir. Il discerna deux personnes sortir de sous les arbres couvrant le chemin descendant à la crique. Il devina Cédric et Michaël.

     

    - Ils sont deux, non ? s'interrogea Laurent.

     

    - Il y a mon Michaël et Cédric si je vois bien.

     

    - Oui oui, c'est bien ça.

     

    Contemplant encore une fois cette crique qui n'avait décidément pas changé depuis toutes ces années, Laurent oublia quelques secondes tout son monde, pour replonger un instant dans celui de son enfance... Il entendit de nouveau Cédric et Michaël les appeler : ils se trouvaient maintenant sur le banc de sable et allaient commencer à grimper sur les rochers.

     

    - Tu appréhendes d'en parler avec lui, hein ? L'interrogea Laurent.

     

    - Oui, un peu, répondit assez nerveusement Céline. Mais bon, j'y ai vraiment réfléchi et je veux le faire.

     

    - Je comprends, répondit-il simplement, ne sachant trop qu'ajouter d'autre.

     

    Ils se turent, regardant calmement les deux autres arriver, et qui avançaient maintenant quelque peu difficilement dans les rochers.

     

    - Salut ! Ben vous êtes à l'heure, il est neuf heures pile ! Leur lança amicalement Laurent une fois qu'ils étaient parvenus suffisamment près d'eux.

     

    - Salut ! Répondit Cédric, vous allez bien ?

     

    - Ouais, tranquille, Céline et moi on se racontait notre vie ! s'exclama Laurent tout en se levant. Vous allez bien tous les deux ?

     

    Michaël, qui embrassait déjà Céline, répondit :

     

    - Oh... eh ben oui, on discutait un peu... Vous saviez que Cédric part sur Paris ?

     

    - En septembre j'attaque là-bas, en prépa d'ingénieur, précisa sans attendre Cédric, visiblement heureux. J'ai reçu mon acceptation cette après-midi.

     

    - Ben dit donc, t'as du bol ! s'exclama Laurent.

     

    - Oui, et puis, je vais partir à Paris ! Déjà je suis trop content d'aller vivre en ville, mais en plus à Paris, là c'est vraiment le pied !

     

    - Tu vois, ajouta sans attendre Michaël, il est pas attaché à sa terre... Mais je sais pas moi, la Bretagne, ça ne va pas te manquer quand même ?

     

    - Mais non, là-bas c'est autre chose, ici je connais déjà.

     

    - Ouais peut être, mais par exemple ici je me sens chez moi, rajouta Michaël, alors je n'aimerai pas vivre là-bas, parce que je connais pas, c'est la proie pour l'ombre... et puis ici c'est bien plus beau... et il y a la mer.

     

    - Quel extrémiste de la promotion de la Bretagne tu fais, Michaël ! s'esclaffa Laurent, puis s'adressant à Cédric, il rajouta : Mais c'est vrai ça, la mer ne va pas te manquer ?

     

    - Heu... non, répondit Cédric en haussant les épaules.

     

    Finalement Laurent, ne sachant trop quoi rajouter, se frotta les mains d'impatience, balaya du regard les trois autres, et le sourire aux lèvres, leur demanda :

     

    - Alors, on va prendre les bouteilles? 

     

    - On n'attend pas les autres ? intervint Céline.

     

    - Oh... Heu, ben on peut déjà aller prendre les bouteilles et commencer à boire un peu, non ? On ne sait pas quand ils vont arriver, et puis il faut préparer le feu.

     

    Devant une telle avalanche d'arguments, tous se laissèrent convaincre.

     

    Ils remontèrent tous vers le haut des rochers, là où la roche laissait place à une terre très en pente et qui montait quasiment verticalement. Il y avait plein de petits buissons qui s'étaient formés dessus, et sous ceux qui étaient au niveau du sol, ils avaient caché leurs bouteilles.

     

    Tous les quatre s'activèrent pour ramener sur leur rocher les packs de bières et les diverses bouteilles de vodka et de whisky. Certains qui n'aimaient pas boire des alcools forts purs, avaient aussi acheté du jus d'orange et du Coca.

     

    Ils ramassèrent aussi tous les vieux petits bouts de branches mortes qui se trouvaient un peu partout disséminés près des buissons. Ainsi ils rapportèrent assez de petit bois pour faire le feu. Laurent accumula un tas et mit le reste de côté pour plus tard. Il plaça une poignée d'herbes sèches sous le bois, sortit son briquet, le plaça sous les herbes, et consciencieusement fit lécher les flammes sous toute leur surface.

     

    - Wooch ! putain ça brûle, s'exclama-t-il en retirant violemment sa main de sous le feu. Bon, je pense qu'il devrait prendre là, on va bien voir.

     

    Tous les quatre contemplaient religieusement le feu. Une voix lointaine les sortit de leur méditation.

     

    - Ooouuuhhh ooouuuuh ! C'est nous !

     

    C'était Marion, accompagnée de Philippe, qui arrivait.

     

    - SALUT VOUS DEUX, s'écria Laurent en réponse.

     

    - Salut ! Répondirent en cœur les deux retardataires.

     

    Deux minutes plus tard, ils étaient tous les six réunis sur le rocher. Marion tout de suite expliqua la raison de son retard :

     

    - Houlala, je suis un peu en retard c'est vrai. Mais bon, j'hésitais à acheter des clopes. Et puis finalement j'y suis allé au dernier moment, et j'ai dû faire un détour, et à pied ça m'a pris du temps.

     

    - Ah, t'as craqué alors ! commenta ironiquement Laurent.

     

    - Bah ! juste pour ce soir... Je ne me sens vraiment pas bien d'avoir raté mon bac. Alors un petit paquet de clopes... ça me détendra, non ?

     

    - Les fumeurs trouvent toujours toutes sortes d'excuses pour fumer ! Maugréa Michaël en retour.

     

    - Oh ! eh ! pour une fois, hein ! rétorqua Marion un peu énervée.

     

    Elle se tourna vers Philippe, et vit qu'il ne disait rien, toujours l'air penaud. Alors elle continua :

     

    - Et j'ai croisé Philippe en arrivant : il était en haut du chemin à regarder au loin, perdu dans ses pensées.

     

    - Oui, poursuivit Philippe, je me sentais pas bien à cause de cette aprèm, et je me demandais si j'allais venir et descendre avec vous faire la fête ou pas.

     

    - Ben finalement t'es venu ! c'est cool ! Et puis on va passer une bonne nuit et se détendre, compléta Cédric.

     

    - Au fait, pourquoi on s'installerait pas sur le vivier ? suggéra Marion. Ca pourrait être sympa, non ?

     

    Le vivier était un bâtiment rectangulaire en béton, installé sur les rochers. Il servait aux pécheurs pour y stocker hors de la mer le contenu de leur pèche tout en les laissant dans l'eau et évitant donc l'asphyxie de leurs prises. Le bâtiment faisait bien quatre mètres de haut, et il n'y avait aucune fenêtre, tout simplement pour que l'eau apportée par la mer ne s'échappe pas lorsqu'elle baisse. Pour pouvoir y déposer et reprendre le contenu des pêches, il y avait juste une grille en barreaux métalliques sur le toit, et un gros escalier en béton sur un des côtés pour pouvoir y grimper à marée basse.

     

    - Heu non, ça vaudrait mieux pas, expliqua Laurent. Déjà on pourrait tomber du toit, et comme ce sont les rochers qui sont en dessous... En plus, vu la charge qu'on risque de se prendre ce soir, ça ne serait pas très prudent... Et puis surtout, quand la mer est haute, le vivier est la plupart du temps recouvert par la mer... alors bon, si on veut passer la nuit à boire, on sera mieux ici que là-dessus.

     

    Marion, tournée vers la mer, considérait le vivier, enraciné sur les rochers proches du banc de sable, il se trouvait à mi-chemin entre eux et les bateaux, et gâchait quand même un peu la beauté du paysage, même si avec le temps, on finissait par ne plus y faire attention.

     

    - D'accord ! admis t'elle finalement, l'air un peu triste. C'est vrai, t'as raison. C'est con, je trouvais ça bien... Mais bon, ok.

     

    Cédric se pencha, éventra un pack de canettes de bières, s'en saisis d'une, et la mettant en évidence devant lui, demanda :

     

    - Bon ! allez, on attaque ?

     

    - Ouais t'as raison, lui répondit Marion avec joie.

     

    Ils se saisirent tous d'une bière, Laurent ouvrit la sienne et la leva haut en l'air.

     

    - Eh bien, comme je ne peux pas dire qu'on peut tous trinquer pour l'obtention du bac, eh bien... TRINQUONS AUX VACANCES !

     

    - Ouais, t'as raison, rajouta Cédric, AUX VACANCES !

     

     

     

    *

     

     

     

    - Ca va Michaël ?

     

    Pas de réponse, il demeure sans expression, le regard figé sur moi.

     

    - Michaël, eh ! Ca va ? T'es pas beau à voir... Qu'est ce qui s'est passé ? Hein, dis ?

     

    Il me fixe, toujours sans rien dire ni bouger. Je me sens mal, je prends un peu peur.

     

    - Hein dis ! Qu'est ce qui s'est passé ? Pourquoi t'es comme ça ? Où sont les autres ?... Qu'est ce que j'ai fait hier soir ?

     

    La panique monte en moi, je veux le secouer pour qu'il me réponde, mais au moment où je le touche, il tressaute et se lève d'un bond. Il ne tient pas très bien debout, titube un peu, manque de tomber, et tout en me fusillant d'un regard, épouvanté, il commence à me dire :

     

    - Laurent... tu... ne... tu... tu ne va pas me faire de mal hein ?

     

    - Hein ? Mais non ! voyons, je ne vais...

     

    - T'as dessaoulé hein ?

     

    - Heu, oui, mais qu'est ce qu'il y a ?... Mais dis-moi !

     

    La panique me gagne de plus belle, je me sens mal, toujours accroupi, avec lui debout devant moi... alors je me lève, et immédiatement, l'air terrifié, Michaël recule de quelques pas.

     

    - AH NON, NE ME TOUCHE PAS !

     

    - Mais qu'est ce qu'il y a, qu'est ce que j'ai fait ? je lui demande, complètement désespéré.

     

    - MAIS C'EST DINGUE CA, TU NE TE SOUVIENS PAS ! me crie Michaël, l'air complètement affolé.

     

    - Mais... heu, non, je... Non, je ne me souviens pas, j'avoue d'une vois faible. J'ai trop bu, bordel ! je ne me souviens pas !

     

    - Heu... écoute (Michaël me semble un peu plus calme). Tu ne t'approches pas de moi d'accord ? Peut-être que là t'as l'air mieux, mais hier soir t'as bien faillit me battre à mort ! Et les autres, je ne sais même pas ce qu'ils sont devenus ! ... ou ce que t'en à fait : t'étais comme fou furieux !

     

    - Te cogner ! Mais pourquoi ? je demande, totalement médusé.

     

    - Ben je sais pas moi ! T'as pas eu ton bac, t'as trop bu, tu t'es énervé, et puis t'es parti en couille, voilà ce qu'il y a !

     

    Je reste bouche bée, sans réponse. Michaël reprend.

     

    - Bon écoute, quoi qu'il en soit, je préférerais te savoir loin de moi, et t'as assez fait de conneries comme ça.

     

    Il s'interrompt pour réfléchir, puis reprend :

     

    - Tu ferais mieux de partir, de rentrer chez toi... Je sais pas moi ! Mais vas-t'en ! Moi j'ai une gueule de bois d'enfer, mais je vais rester ici pour voir si les autres sont encore là.

     

    - Mais je...

     

    - Non, tu ne pourrais pas m'aider, m'interrompt Michaël. Je n'ai franchement pas très envie de te savoir à côté de moi après ce que tu m'as fait hier... Alors fout le camp !

     

    Je veux lui dire que je vais mieux, que je ne suis plus saoul, que je veux l'aider, mais à peine ai-je balbutié quelques mots, que sans me quitter du regard, il insiste.

     

    - Barre toi ! j'te dis !... Ça vaut mieux.

     

    Je le regarde, désespéré, mais il reste de marbre, son regard dur et froid tend à me dire de ne pas insister. Je me sens noyé sous la culpabilité. J'ai peur de ce qu'il va découvrir en fouillant le coin. Néanmoins, ne voyant pas d'autre choix possible, sans plus rien dire, je me retourne vers la petite route qui quitte la crique, et m'en vais lentement en boitant.

     

     

     

    *

     

     

     

    La première bière fit place à une seconde, puis à une troisième... Déjà une heure était passée, les discussions allaient bon train. Le jour s'en était allé, faisant progressivement place à la chaude lumière du feu de bois. Tous les visages se muaient depuis dans un océan de douces nuances jaune-orangé qui se mêlaient à l'obscurité de la nuit. Les yeux brillaient, chacun se sentait heureux, se narguant de ses soucis, oubliant le temps qui passe.

     

    Laurent sans mot dire sortit une cigarette de son paquet, l'éventra à l'aide d'une clé de son trousseau. Disposa le tabac sur plusieurs feuilles de papier à rouler qu'il avait collées entre elles, émietta une petite boulette qu'il sortit de sa poche... et roula le tout. Puis, le sourire aux lèvres, il parcourut du regard ses amis, et demanda :

     

    - Quelqu'un veut fumer un peu ?

     

    - Ah ouais ! moi ça me dit ! s'exclama Marion d'une voix vigoureuse.

     

    - Ouh là ! toi t'es déjà amochée ! Lui fit remarquer Laurent tout en rigolant. Fait gaffe, l'alcool et le shit, ça fait parfois un mauvais mélange, tu pourrais être malade.

     

    - Raaaah ! J'm'en fou ! Et puis toi t'as bu aussi, non ?

     

    - Ouais, sûr, mais je fume depuis longtemps déjà... Bah ! allez, tiens !

     

    Marion se saisit du joint que lui tendait Laurent, elle inspira longuement : La fumée âpre envahissant la bouche ainsi que la gorge lui donna un peu envie de tousser, mais elle se retint... Elle prit trois ou quatre bouffées puis rendit le joint à Laurent, celui-ci le porta à sa bouche et aspira longuement.

     

    - On est bien là quand même ! soupira Laurent de plaisir.

     

    - Ouais, c'est vrai, c'est vraiment reposant, rajouta Cédric.

     

    - Ben tu vois Cédric, t'arrives quand même à aimer d'être ici, non ? ne put s'empêcher de faire remarquer Laurent.

     

    - C'est vrai qu'une soirée au coin d'un feu, au bord de la mer... j'aurais du mal à dire que ça me déplaise, c'est sûr ! Mais je suis quand même trop content d'aller à Paris en septembre...

     

    - C'est parfois en quittant ce qu'on aime, qu'on se rend compte... qu'on l'aime ! justement ! rajouta Céline à l'intention de Cédric.

     

    - C'est peut-être vrai... bah ! Je verrai bien !... Mais dis Céline, et toi tu pars où ?

     

    Céline parut gênée par la question : avec Michaël, son copain, à côté d'elle, elle allait devoir aborder le sujet avec lui, alors qu'elle aurait préféré attendre un moment plus propice. Elle baissa la tête, cherchant quoi dire...

     

    Cédric, impatient d'obtenir une réponse, reprit :

     

    - Ben, heu, qu'est ce qu'il y a ? Tu vas aller où ? la pressa-t-il.

     

    - A Rennes, répondit-elle sans plus réfléchir davantage.

     

    - A Rennes ! répéta Cédric, visiblement content pour elle. Ben c'est cool ! Tu hésitais avant, non ? Donc maintenant, tu sais ce que tu vas faire alors ?

     

    - Oui, répondit-elle, gênée. Je me suis décidée, et...

     

    Inquiète du silence de son ami, elle se retourna vers Michaël : il restait prostré, sans bouger. Elle se dit, avec une certaine crainte mêlée de lassitude, qu'il fallait qu'ils en parlent tous les deux... et maintenant.

     

    - Heu... tu veux qu'on parle Michaël ?

     

    - J'aimerais bien... ouais.

     

    - Tu nous excuses Cédric ? demanda poliment Céline, se tournant vers lui.

     

    - Ah !... ok, je m'en vais, je...

     

    - Non reste là ! le corrigea-t-elle, je voulais juste te dire par là que j'allais te laisser pour aller parler avec Michaël.

     

    - Oh, heu... d'accord, pas de problèmes.

     

    Céline se leva gracieusement, Michaël fit de même et la suivit...

     

    Cette fille, toujours bien habillée, avait toujours eu l'admiration de Cédric pour son flegme et sa bonne tenue. Il la regardait s'en aller, elle se confondait progressivement avec la pénombre tandis qu'elle quittait la chaude lumière du feu pour s'avancer avec Michaël dans l'obscurité nocturne.

     

     

     

    *

     

     

     

    Ma tête me tourne tellement je me sens troublé, tout se mélange dans mon esprit. Je suis terrifié à l'idée de ce que j'ai pu faire : Ce n'est pas la première fois que je bois à ne plus me rappeler ce que j'ai fait, mais cette fois-ci, je sens que j'ai dépassé les bornes... pire ! que j'ai fait du mal... au moins à Michaël... et peut-être plus... : Peut-être que les autres étaient encore là-bas.

     

    Je commence à gravir le chemin vaguement bitumé qui part de la crique pour monter vers la route. Alors, peut-être dans un dernier espoir d'apercevoir les quatre autres, je me retourne... Mais, je ne vois que Michaël, qui ne bouge pas, toujours debout, me regardant fixement partir. Il n'y a avec lui ni Cédric, ni Marion, ni Philippe ou Céline.

     

    L'angoisse m'étreint tellement que j'en ai mal au ventre, je baisse la tête, honteux et malheureux. Je refais face au chemin et commence à grimper lentement, péniblement. Le poids de la culpabilité se fait de plus en plus lourd sur moi, et je ressasse les paroles de Michaël sans cesse. J'aimerais ne pas être moi, mais quelqu'un d'autre, pas celui écrasé sous les problèmes, le doute et la honte... En prime, mon échec au bac vient se mêler au flot de mes troubles, et me fait sentir plus encore accablé par les remords. Finalement, parvenu à la moitié du chemin qui monte vers la route, je n'en peux plus d'être dans cet état, et je décide de m'asseoir au bord du chemin pour me calmer un peu.

     

    Assis sur une vieille souche d'arbre coupée depuis longtemps, je me sens encore plus seul : Pas un bruit à part celui de quelques voitures au loin. Je me sens désœuvré, j'ai peur de ce qui va m'arriver, je ne sais même pas quoi faire une fois rentré. A cette idée, face à cette vision de mon impuissance, je suis pris d'un élan de panique mêlé de détresse... Je plonge alors ma tête dans mes mains, et pleure en silence, gémissant piteusement de temps à autre.

     

    L'angoisse me tord l'estomac, mon esprit désemparé cherche une solution, cherche à comprendre... mais rien ne vient. Je finis par être complètement paniqué à l'idée de rentrer chez moi. Et progressivement l'idée de revenir sur mes pas se dessine petit à petit dans ma tête : Finalement je me dis que redescendre à la crique et de retrouver Michaël me fait moins peur que de rentrer chez moi... Et au moins si les quatres autres sont encore en bas, ce serait quand même sûrement utile que j'aide à les rechercher.

     

    J'évite de penser au pire (à eux quatre dans le même état que Michaël ou pis encore) et je me lève, sèche mes larmes, puis redescends timidement vers la crique.

     

     

     

    *

     

     

     

    - Et tu comptais me le dire quand ? lâcha subitement Michaël.

     

    Céline s'arrêta de marcher et se retourna face à lui :

     

    - Je me suis vraiment décidée qu'aujourd'hui !

     

    - Alors t'aurais pu me le dire tout à l'heure !

     

    - Oui, mais j'attendais un peu, tu...

     

    - C'est à Rennes hein ? l'interrompit Michaël, qui visiblement ne voulait pas entendre plus d'explications.

     

    - Heu... oui.

     

    - Mais c'est à plus de deux cents bornes d'ici ! Tu n'aurais pas pu trouver plus près ?

     

    Céline ne répondit rien.

     

    - Et c'est pour faire quoi ?

     

    - Sage femme, répondit-elle sans attendre plus longtemps, ainsi libérée de ce qu'elle voulait lui dévoiler.

     

    A ces mots, Michaël se raidit... puis se mit à tourner en rond d'un pas pressé, l'air excédé :

     

    - Hein ? Mais, et pour la première année ?

     

    Céline hésita.

     

    - J'aurais très peu de temps libre pendant un an, finit-elle par répondre.

     

    - Mais... enfin, t'imagines ? On se verra quand ?

     

    - Oui... je sais...

     

    - Mais... t'as pensé à moi ?

     

    - Oui, mais je veux vraiment tenter ma chance ! Et peut-être que je pourrai rentrer de temps en temps ici.

     

    - De temps en temps ? Mais pas tous les week-ends, hein ? s'enquit immédiatement Michaël.

     

    - Heu, non, je n'aurais pas le temps, il y a trop de choses à étudier en première année de médecine pour que je me le permette.

     

    - Donc on ne se verra quasiment jamais ! conclut-il d'un ton aigri.

     

    - Mais toi, tu ne pourrais pas venir de temps en temps m'y voir ? proposa Céline, qui cherchait désespérément une solution palliative.

     

    - Heu... bof...

     

    - Ecoute, moi je n'y suis pour rien si tu ne veux pas bouger d'ici ne serait ce que de temps en temps, l'accusa-t-elle, en désespoir de cause.

     

    - Mais tu m'aimes à la fin pour me laisser tout seul comme ça ici, hein ?

     

    - Ben je te retourne la question : Tu sais maintenant que je veux devenir sage-femme, et tu ne veux pas faire un effort pendant une année scolaire ?

     

    - Mais quasi sans se voir ! l'interrompit Michaël.

     

    - Je n'aurais pas le temps de venir souvent ici, c'est sûr. Mais si toi tu passais me voir pendant une journée de temps en temps, on se verrait un peu plus, non ?

     

    Michaël resta tête basse et sans bouger, quelques secondes, puis relevant la tête, lança :

     

    - Tu te crois maligne hein ?

     

    - Heu... pardon ? répondit Céline, fronçant les sourcils, étonnée.

     

    - Ouais, parce que pendant tout ce temps tu ne feras peut-être rien d'autre que d'étudier ?

     

    - Heu, mais oui, je...

     

    - Non mais tu me prends pour un abruti ? Tu vas aller avec d'autres mecs, hein ? j'en suis sûr !... Ben c'est clair ! si t'es aussi loin... ne va pas me faire croire que tu vas bosser nuit et jour, sept jours sur sept...

     

    - Mais si ! il le faudra bien si je veux y arriver ! Mais Michaël, qu'est ce que...

     

    - Tu ne m'aimes pas vraiment, hein ?

     

    Les larmes commençaient à gagner les yeux de Céline, ce qu'elle craignait se déroulait...

     

    - Mais si !

     

    - Mais non ! Arrête de mentir ! autant se séparer tout de suite, ça vaudrait mieux !

     

    - Oh non... je ne veux pas ! fit-elle, la voix chevrotante.

     

    - Et toi, ça t'arrive de penser à ce que je veux ? répondit-il d'un ton grave, même si intérieurement il se sentait satisfait de l'avoir ébranlée.

     

    Céline s'était assise, maintenant en pleurs. Ceux-ci redoublèrent quand elle releva la tête et s'aperçut que Michaël était déjà reparti et l'avait laissée seule, noyée dans ses tourments.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je compte retrouver Michaël à la crique, pourtant, arrivé en bas du chemin, je ne l'y vois pas. J'imagine qu'il est peut-être parti dans les rochers, je l'appelle alors d'une voix un peu timide : mais rien, pas de réponse. L'idée me vient de crier plus fort, mais je la rejette : Finalement je pense que je serai plus à l'aise, seul, pour chercher dans les rochers... et aussi parce que Michaël ne voudra sûrement toujours pas que je l'approche.

     

    Je descends les galets avec difficulté, et arrivé sur le sable, je ne sais trop où aller chercher. Des deux côtés, le banc de sable est entouré par les rochers, mais comme hier soir nous étions sur la gauche, du côté ou se trouve le vivier, je décide d'aller chercher par là. Puis l'idée se précise dans ma tête : autant aller voir vers le feu de bois qu'on avait établi la veille, il y en sera peut-être encore resté là, à cuver leur alcool !

     

    Cette pensée me rassure un peu, je persiste à me dire que je vais les retrouver là où nous avions établi le feu, et j'y vais sans attendre. Sur le sable, je marche en boitant, mais sur les rochers, ma cheville me fait trop souffrir alors je m'appuie souvent sur les mains et progresse quasiment à quatre pattes. Je repère non loin de moi un rocher relativement plat et décide de passer par là. Arrivé dessus, je me remets debout pour avancer un peu plus vite... et je me fige : Céline est étendue un peu plus loin, face tournée vers les rochers : je l'ai tout de suite reconnue par sa jupe verte qui lui va si bien. Elle la porte toujours, mais elle n'a plus de chemisier et je ne vois sur son dos que l'attache de son soutien-gorge. Autour de sa tête, il y a une grande tache sombre sur le rocher. Je frémis, je comprends qu'elle ne doit pas être en train de dormir : Il y a cette tache... et sa peau me semble bien trop blanche.

     

     

     

    *

     

     

     

    Michaël réapparut à la clarté du feu. Ce fut Laurent qui l'aperçut en premier :

     

    - Alors, vous avez discuté ?

     

    - Ouais ouais...

     

    Laurent, remarquant qu'il était revenu seul, continua :

     

    - Elle n'est pas avec toi Céline ?

     

    - Heu... non, répondit-il un peu gêné.

     

    - Ben... heu... qu'est ce qui s'est passé alors ? l'interrogea Marion, qui avait de plus en plus de mal à parler correctement, son esprit envahi par le chanvre et l'alcool.

     

    - ... On s'est disputé, admit-il, l'air contraint.

     

    - Mais... j'veux t'dire Michaël... elle va revenir ou quoi ? s'inquiéta Marion.

     

    - Raaah, tu m'énerves ! Oui, elle va revenir, elle a mal pris ce que je lui ai dit et elle est restée dans son coin, à pleurer... c'est tout !

     

    - Michaël, t'es pas sympa là... Tu devrais retourner la voir.

     

    - J'suis pas sympa... j'suis pas sympa ! repris Michaël, visiblement énervé. Mais vous me faites chier à la fin ! vous vous êtes vu ? vous êtes complètement shootés ! Et ça veut donner des conseils, hein ?

     

    - Putain t'es con toi ! rétorqua calmement Laurent.

     

    - Quoi, je suis con ! Je suis con parce que je fume pas, hein ?

     

    - T'es con parce que t'essaie de changer de sujet, voilà pourquoi...

     

    - Putain, tu me fais chier, Laurent !

     

    - Hé ! on te force pas à rester.

     

    Là-dessus, Michaël ne répondit rien. Il demeura debout, fusillant Laurent du regard pendant de longues secondes. Puis il ramassa une bouteille de vin, et alla s'asseoir le plus loin possible du groupe, tout juste encore éclairé par la lumière du feu.

     

    Cédric et Philippe, eux, étaient restés silencieux. Finalement, Cédric se tourna vers Laurent et à voix basse lui avoua :

     

    - Quel con !

     

    - Ouais... il commence à me traîner sur les nerfs lui.

     

    Puis se tournant vers Philippe, Cédric continua :

     

    - Ben dis, Philippe, tu as l'air bien calme depuis tout à l'heure.

     

    Celui-ci, en retour releva la tête, l'air penaud.

     

    - Ben t'as vraiment pas l'air en forme, renchérit-il encore.

     

    - Ben, pfff... commença péniblement Philippe. Ça m'a fait vraiment mal de l'avoir vu cette après-midi dans la cour, et là avec l'alcool, ça a tendance à augmenter mon mal-être... Je ne devrais peut-être pas boire quand je ne me sens pas bien comme ça... j'aurais pas dû venir ce soir...

     

    - Bah ! mais si ! ... Allez... tiens, tu veux une clope ? lui proposa Cédric, tout en lui tendant son paquet.

     

    - Heu, oui tiens, pourquoi pas, répondit-il avec le sourire, tout en prenant celle que Cédric avait déjà un peu sorti du paquet.

     

    Il lui tendit son briquet allumé, Philippe se pencha vers la flamme et inspira longuement. Cédric reprit :

     

    - Tu te sens vraiment mal à cause d'elle, hein ? Et tu ne vois pas comment tu pourrais faire pour te sentir un peu mieux ?

     

    - Oh oui, je souffre et ça ne me lâche pas, j'ai l'impression que ça ne s'arrêtera jamais.

     

    - Heu... On peut en parler si tu veux ? lui demanda Cédric avec un peu d'hésitation.

     

    - Bah, pourquoi pas !

     

    - Alors si ça te dit on pourrait se mettre un peu à l'écart, au calme, pour discuter...

     

    - Heu, ouais, après tout, on sera peut-être mieux, c'est vrai, t'as raison.

     

    Ils se levèrent tous deux, et quittèrent la lumière du feu.

     

    Après avoir un peu marché, s'assurant qu'ils étaient hors de portée d'être entendu par les autres, Cédric proposa à Philippe de s'asseoir. Ils s'installèrent côte à côte au bord d'un rocher.

     

    Cédric, à son tour, s'alluma une cigarette :

     

    - Alors, elle va aller dans la même ville que toi à la rentrée ?

     

    - Marie ?... non... elle sera loin, balbutia-t-il : La simple idée d'être éloignée d'elle le terrifiait et le rongeait au plus profond de lui.

     

    - Tu vois Philippe, repris calmement Cédric, ce qui ne va peut-être pas, c'est que tu regardes tout du mauvais côté. Tu penses tout par rapport à Marie qui t'a quitté, tout te ramène à elle, tout te ramène à ta peine.

     

    - Mais je n'arrive pas à ne pas penser à elle ! s'offusqua-t-il, excédé.

     

    - Oui, tu ne fais que penser à elle, c'est normal parce que tu l'aimes, c'est sûr, mais elle t'a quitté, et tout ce que tu gagnes à continuer à l'aimer comme ça, c'est de souffrir.

     

    - Mais qu'est ce que tu veux que je fasse d'autre ? hein ?

     

    - Comme je viens de te le dire : si tu voyais les choses de l'autre côté ?

     

    - Qu'est ce que tu veux dire par là ? s'enquit Philippe, un peu plus calme.

     

    - Ben tu devrais peut-être voir les choses de l'autre côté... d'une manière différente quoi ! Tu me dis qu'elle sera loin de toi, et ça te fait souffrir... Eh bien pense-le d'une manière différente : Dis-toi que tu ne craindras pas de la croiser dans les rues, par exemple !

     

    - Hmmm hmmm... acquiesça-t-il, l'air dubitatif.

     

    Emporté sur sa lancée, Cédric continua :

     

    - Et tu vois aussi, cette après-midi tu l'as croisée dans la cour, elle était avec un autre et ça t'a fait du mal, non ?

     

    - Oui... beaucoup, gémit-il, les yeux un peu trop humides.

     

    - Eh bien là tu vois, tu te sens vraiment mal. Alors que tu pourrais penser différemment : Par exemple qu'elle n'est même pas triste de n'être plus avec toi puisqu'elle est avec un autre... alors pourquoi t'irais t'en faire pour une fille qui ne t'aime pas... Je ne sais pas... essaie de ne plus la mettre sur un piédestal... tu vois ? fais-en la tomber !

     

    - Mais tu crois que c'est si facile ? brailla Philippe.

     

    - Je ne te dis pas que c'est facile, je te dis que ce peut être un moyen pour que tu ailles mieux ! Ouais... pas facile c'est certain, mais peut être aussi nécessaire à faire pour que t'arrives, au fur et à mesure, à penser à autre chose qu'à elle.

     

    - Je sais plus trop... penser à elle... en mal !... heu... dur, tu sais.

     

    - Oh, je sais que c'est dur ! tout n'est pas toujours facile, affirma Cédric d'un air consentit, ne laissant paraître qu'il avait prémédité cette réponse depuis l'après-midi.

     

    - Pourquoi dis-tu ça ? On dirait que pour toi non plus ça n'a pas toujours été la joie ? l'interrogea Philippe.

     

    Cédric porta sa cigarette à la bouche et en tira une grande et longue bouffée. Il se sentait nerveux : le moment qu'il s'était imaginé avant de venir à la soirée arrivait. Comme il l'avait prévu, Philippe demandait à en savoir plus sur lui. Alors maintenant il avait la voie libre... la voie libre pour le lui dire :

     

    - Non... ça n'a pas toujours été évident pour moi non plus, annonça Cédric.

     

    - Ah bon ? Ben si tu veux tu peux en parler, comme ça ce ne sera pas toujours de moi qu'on parlera.

     

    - Eh bien comment dire...

     

    Il s'interrompit et de nouveau tira profondément sur sa cigarette, dans sa poitrine, son cœur battait la chamade, la tête commençait à lui tourner.

     

    - Bon... ben voilà, pour moi pour l'instant ma vie n'a pas été toujours une partie de plaisir non plus... Heu... comment dire...

     

    - Oui... dis-moi... qu'est ce qu'il y a ? s'inquiéta Philippe, voyant son ami hésiter de plus en plus.

     

    - Bon... ben... Je ne sais pas trop comment dire... mais voilà... je suis homo.

     

    - Hein ? Philippe ne put cacher son étonnement tellement sa surprise fut grande.

     

    - Ben oui...

     

    Philippe ne savait plus trop que dire, un peu décontenancé par la nouvelle. Le silence régna pendant de longues secondes. Cédric attendait une réponse, une réaction de son ami. Alors, face à son mutisme, il renchérit :

     

    - Tu m'as déjà vu sortir avec une fille ?

     

    - Heu... à bien y réfléchir... non, c'est vrai.

     

    - Alors tu vois !

     

    Le calme domina de nouveau. Philippe, gêné, ne savait trop que penser, l'idée que son ami voulait peut-être lui faire des avances vint le secouer.

     

    - Tu sais, repris Cédric, je l'ai pas trop choisi, voire pas du tout... au début, je n'y ai pas trop fait attention quand mon regard s'attardait sur des gars dans la rue... ou à l'école aussi... et puis ça ne m'a pas lâché. Alors, tu vois, aujourd'hui je n'ai plus un doute sur cela, même si ici, je ne peux pas vraiment vivre ma vie...

     

    - Alors tu dois être heureux de partir à Paris, non ? finit par lâcher Philippe.

     

    - Oh oui je le suis ! c'est clair ! ... Bon j'aurais beaucoup de boulot en prépa, c'est sûr, mais je pourrai quand même sortir un peu et vivre ma vie ! Parce qu'ici je me sens seul... d'ailleurs si je n'avais pas eu mon bac et qu'il m'aurait fallu rester ici un an de plus, je crois que j'aurais vraiment pété les plombs.

     

    - Ah ouais, à ce point ?... je vois... Au fait, tu disais que tu regardais des gars à l'école aussi ? Héhé ! heu... qui tu trouvais pas mal par exemple ? Demanda Philippe d'un air faussement détendu.

     

    - Heu... ben... heu..., balbutia-t-il en se reprenant une cigarette.

     

    Ses mains tremblaient, Cédric transpirait la nervosité, Philippe comprit alors assurément ce qu'il voulait encore lui dévoiler.

     

    - Qu'est ce qu'il y a Cédric ?

     

    Celui-ci resta figé pendant un temps, visiblement concentré, fixant le sol... pour diriger subitement son regard vers Philippe :

     

    - Ben comment dire... toi par exemple.

     

    - Tu veux dire que... que... que je te plais ? prononça-t-il finalement, gêné.

     

    - Heu... oui.

     

    Le silence revint. Cédric trépignait intérieurement dans l'attente d'une réaction. Il attendait les mots, cette réponse de Philippe, celle qu'il avait tant espérée et fantasmée.

     

    - Ecoute Cédric...

     

    - Oui, répondit-il la gorge nouée par l'anxiété.

     

    - Ben, je ne sais pas comment te dire...

     

    - T'es pas intéressé, le coupa Cédric, soudain désespéré.

     

    - Oui, Voilà, répondit Philippe, soulagé.

     

    Le silence reprit encore sa place, insidieux.

     

    - Heu... ça va ? s'inquiéta Philippe.

     

    Cédric, les lèvres fermement serrées et les yeux grand ouverts fixait de nouveau le sol. Il était encore un peu plongé dans son océan de tension, et déjà submergé par la désillusion : Qu'est ce qu'il s'imaginait ? que Philippe allait lui sauter au cou ? Que toutes les fois où il avait fantasmé son ami cachant une deuxième personnalité était vraiment réalité ?

     

    - Allez, t'en fais pas, reprit Philippe d'un ton apaisant. Tu sais, ça va, je ne vais pas le prendre mal.

     

    - Ah bon... répondit-il, l'air penaud.

     

    - Oui, je ne suis pas intéressé, mais je n'ai rien contre toi. On peut rester amis si tu veux, il n'y a pas de soucis !... Et puis tu sais (mentit-il pour le réconforter), ça me fait du bien qu'on ait parlé. Là tu vois, pendant quelques temps tu m'as fait sortir de ma tourmente par rapport à Marie. Si je peux t'aider à mon tour... Non mais ce que tu m'as dit c'est pas con tu sais, il faut pas que je la mette sur piédestal comme ça...

     

    Cédric ne l'écoutait pas. Il était complètement sonné par la discussion, découragé que Philippe n'ait pas sauté dans ses bras comme il le rêvait depuis de longs mois.

     

    - On retourne voir le groupe ? finit par lancer Philippe, qui s'était rendu compte qu'il parlait dans le vide.

     

    - Heu, oui d'accord, répondit Cédric péniblement.

     

    En revenant vers le feu, marchant un peu à tâtons dans les rochers que la clarté de la nuit ne laissait que deviner, Philippe ne put s'empêcher de demander.

     

    - Si tu m'as pris à part pour discuter, c'était pour me dire cela ?

     

    - Ben pour parler de ta copine aussi, mais oui, je voulais principalement te dire pour moi. Tu vois, après ce soir, on ne se verra que rarement, on sera chacun dans une ville différente pour nos études... Alors je voulais tenter ma chance avant qu'on ne se voit plus.

     

    - Je comprends, répondit Philippe, ne sachant qu'ajouter.

     

    Constatant la décrépitude de son ami, il finit par reprendre :

     

    - Mais tu sais Cédric, on reste ami, hein ? ok ?

     

    Son visage s'illumina, il s'arrêta et fixa Philippe d'un regard humide.

     

    - Merci, dit-il simplement.

     

    Déjà ils étaient tout proches du feu de bois.

     

    Céline était revenue.

     

     

     

    *

     

     

     

    J'avance vers elle, la quittant seulement furtivement des yeux pour voir où je mets les pieds dans toute cette rocaille. Je fouille dans mes souvenirs de la soirée, mais à part tout ce qui s'est passé au début, je ne me souviens de rien. L'idée que j'ai pu la tuer hier soir me terrorise, et arrivé tout près de son corps étendu là, tout se bouscule dans la tête : Peut-être qu'elle n'est pas morte ? Peut-être dois-je la secouer pour la réveiller ? Peut-être que je ferais mieux d'appeler au secours ? Ou alors m'enfuir de là sans plus attendre ?

     

    Je reprends progressivement mon calme, et inspirant une grande bouffée d'air, je m'accroupis et tends une main vers son épaule : hésitant, je finis quand même par la toucher, toucher sa peau nue... et froide, atrocement froide. Un frisson me parcourt, j'ai alors envie de partir, de m'enfuir d'ici tout de suite. Puis, je me sens soudain pris du besoin de vérifier qu'elle est bien morte : je cherche à lui soulever la tête, pour écouter si elle respire encore ou non. Je passe alors ma main sous son front, mais je la retire immédiatement : Elle est rougie de son sang ! le contact poisseux de son sang froid ! Pris de dégoût, je cherche une petite marre d'eau pour me laver la main, et en trouve une derrière moi. Je constate alors avec horreur que la mer est toute proche : Hier soir, quand nous étions arrivés, elle était assez basse et continuait de baisser, alors que maintenant elle se trouvait tout près de moi... et surtout du corps sans vie de Céline.

     

    Je ne veux pas la laisser là, je ne veux pas que son corps se fasse emporter par les eaux. Je me retourne vers elle, pense à appeler Michaël au secours pour qu'il vienne m'aider, puis rejette cette idée, craignant trop sa réaction. La pensée de devoir à un moment appeler quelqu'un pour s'occuper de la dépouille de Céline me semble soudainement inéluctable : je me sens pris au piège, terrifié.

     

    Je tremble, je retourne doucement sur le dos son corps froid et raidi pour pouvoir la traîner plus facilement. Tout son front est maculé de sang, mais c'est surtout la couleur de son visage, cette pâleur mortuaire : J'ai l'impression qu'elle s'est barbouillée la tête de farine. Ses lèvres sont presque grises et toutes gercées, comme des fruits desséchés. Je me dis juste que c'est la première fois que je vois une morte, mais rien d'autre ne se produit dans ma tête... Je constate avec un amusement soulagé que mon cerveau en a assez eu comme ça pour continuer à réagir. Et sans ne plus penser à rien, je saisis le corps de Céline sous les bras et le soulève péniblement. Je cherche un chemin relativement plat dans tous les rochers, puis je commence à reculer, mais ma progression reste très difficile : Je n'arrête pas de trébucher, ma jambe me fait mal, et je comprends mieux ce que signifie « un poids mort » en sentant la douleur naître dans mes bras à force de la traîner.

     

    Une fois un peu plus éloignée de la mer montante, épuisé par l'effort, je la repose au sol, ne sachant trop si je dois la déplacer davantage. Je reste à regarder la mer, la tête vide, noyé par l'angoisse, quand des gémissements, non loin de moi, vers ma gauche, me font sortir de la torpeur dans laquelle je m'enfermais depuis tout à l'heure. Je crois d'abord, un peu stupidement, que c'est Céline, mais elle demeure toujours aussi pale et immobile. Je secoue la tête pour recouvrer un peu mes esprits, et écoute : Je pense finalement reconnaître la voix.

     

    C'est Marion que j'entends gémir là-bas.

     

     

     

    *

     

     

     

    - Tu fais chier à la fin !

     

    - Mais Michaël...

     

    - Mais t'as pas encore compris ou quoi ?

     

    - Mais... tu ne peux pas me faire ça !

     

    - Et toi ? ça te gêne peut-être d'aller faire ce que tu veux là-bas ?

     

    Face à Michaël qui n'avait même pas daigné se lever, Céline, debout et en pleurs, s'effondrait littéralement. Chaque mot de son ami résonnait dans sa tête et lui torturait l'esprit. Plus elle voulait faire entendre raison à son Michaël, plus elle se noyait seule dans son chagrin. Malgré tout, suffoquant à demi, les joues trempées de larmes et la gorge serrée, elle reprit :

     

    - Mais je veux faire ce métier lààààà... Pourquoi tu ne veux pas faire un effort !

     

    - Ce sont tes études ou moi, t'as le choix !

     

    La réponse de Michaël ne s'était pas faite attendre, tellement sèche et dénuée de tout sentiment que Céline en restait bouche bée devant celui qu'elle avait aimé et qui maintenant la fixait d'un air triomphateur.

     

    Atterré par la scène qui se déroulait devant lui, Laurent se leva et prit la parole.

     

    - Mais t'es qu'un connard Michaël ! ne trouva-t-il qu'à dire.

     

    Michaël, lèvres serrées, obliqua le visage vers lui, et le regard menaçant, lui lança :

     

    - Toi, mêles toi de t'es affaires !

     

    - NON ! TOI TU M'ECOUTES ! lui cria Laurent, visiblement hors de lui.

     

    Michaël, surpris, ne répondit rien. Le silence, de nouveau, figeait les êtres. Laurent haletait, l'envie de coller son poing sur Michaël le rongeait au plus profond. La haine fit péniblement place à la réflexion, et plutôt que les coups, il se ravisa et choisit les mots afin de blesser :

     

    - Bon si t'es avec nous Michaël, ce n'est pas parce qu'on t'aime bien, mais parce que t'es avec Céline, et que Céline est notre amie depuis déjà longtemps ! Alors si tu veux la rendre triste, mon gars, tu dégages !

     

    - MAIS C'EST DE MA FAUTE SI CETTE CONNASSE VEUT PASSER TOUT SON TEMPS A BOSSER ET ME LAISSER SEUL COMME UN CON ? Hurla-t-il, excédé.

     

    C'en était trop pour elle : Céline se couvrit le visage de ses mains et s'enfuit en pleurs dans les rochers.

     

    - MAIS T'ES VRAIMENT QU'UN SALE CONNARD ! Beugla Laurent.

     

    Michaël ne répondit rien.

     

    Marion se leva et s'avança, en titubant, pour aller rechercher Céline. En passant devant Michaël, elle se figea un instant et le fusilla d'un regard assassin. « T'ES VRAIMENT QU'UN GROS CON ! » finit-elle par s'écrier avant de plonger à son tour dans la pénombre.

     

    - T'es content ? continua Laurent.

     

    Michaël restait irrévocablement stoïque et muet.

     

    Laurent, dont l'envie de lui en coller une devenait trop forte, finit par se détourner de lui. S'apercevant alors de la présence de Cédric et Philippe, il s'empressa de leur parler, n'était ce que pour briser ce silence qui lui pesait :

     

    - Ah, vous êtes revenus !

     

    - Heu... ouais... répondit timidement Cédric.

     

    - Nan mais Michaël, t'as vu dans quel état t'as mis Céline, mais t'es con ou quoi ? s'exclama Philippe.

     

    - Bah ! si ça vous fait plaisir, alors je suis un con... se contenta-t-il de répondre, l'air désabusé, avant de reprendre une lampée de vin au goulot de sa bouteille.

     

    Laurent, blasé par la réaction de Michaël, poursuivit la conversation avec Philippe.

     

    - Alors vous êtes allé discuter ? Ca va un peu mieux pour toi maintenant ?

     

    - Ben... bof... toujours mon ex... J'ai l'impression que ça ne me lâchera pas de sitôt.

     

    Cédric, soudain désireux de se dévoiler à tous, voulu engager sur sa voie :

     

    - Bah, on est tous un peu mal de toute façon, non ?

     

    - Ah bon, parce que toi aussi tu ne vas pas bien ?

     

    - Oh ! ben pour moi, disons que ça ira mieux quand je serais à Paris !

     

    - Ah bon pourquoi ? questionna Laurent dont la curiosité était accrochée.

     

    - Ben... dans ce bled... comment dire... je ne me sens pas à ma place...

     

    - Hmmm, hmmm... se contenta-t-il de répondre pour l'encourager à continuer.

     

    - Ben tu vois, je suis homo, alors...

     

    - Ah bon ? s'exclama Laurent, visiblement étonné.

     

    Michaël, lui, n'avait rien dit. Il avait juste levé la tête et le fixait d'un regard noir.

     

    - Ben oui ! fit simplement Cédric en retour.

     

    - Ben s'est marrant ça ! poursuivit Laurent d'un air enjoué. Parfois je m'étais demandé si tu l'étais... ben voilà la réponse.

     

    - Ah ouais, tu te l'étais demandé parfois ? Qu'est ce qui te l'a fait te le demander ? s'enquit Cédric, intrigué.

     

    - Oh, ben rien de précis, je m'en doutais un peu... c'est tout, convint Laurent.

     

    - Alors de quoi parliez-vous ? les surprit Marion, qui revenait accompagnée de Céline, s'essuyant encore ses larmes.

     

    - Oh... heu... rien de précis mentit Cédric.

     

    - Alors, comment vas-tu, Céline ? ne put s'empêcher de demander Laurent.

     

    Tout d'abord reniflant un peu, elle passa le mouchoir sur son nez et ses yeux, puis l'air faussement assuré, les apaisa :

     

    - Bah... on fait aller malgré tout, mentit-elle tout en jetant un rapide coup d'œil vers Michaël, qui d'ailleurs, pour ne pas la regarder, fixait ses chaussures depuis son retour.

     

    Cherchant à oublier quelque peu sa tristesse, d'une voix encore légèrement chevrotante, elle demanda, afin d'enchaîner sur autre chose :

     

    - Au fait, c'est vrai ça ! De quoi étiez-vous en train de parler ? hein ? de moi ?

     

    - Heu... Non, non, répondit Cédric.

     

    - Ben de qui alors ?

     

    - On parlait plutôt de moi.

     

    - Ah bon ?

     

    - Ouais... bon allez, quitte à le faire, autant y aller jusqu'au bout ! J'étais en train de dire que j'étais homo !

     

    - Oh sérieux ! Ben dis ! s'étonna Marion. Ca doit te faire du bien d'en parler, non ?

     

    - Heu... ouais, c'est vrai... j'suis content de le dire, au final. Même si ça n'est quand même pas très évident !

     

    - Je me disais aussi... on t'a jamais vu avec une fille, observa Céline

     

    - Ben ça aurait pu être parce qu'il avait trop de travail ? suggéra Philippe en réponse.

     

    - Ouais à d'autres ! s'exclama Laurent.

     

    Et ils se mirent tous les cinq à rire de bon cœur, Michaël restant toujours dans son coin. Les heures suivantes se poursuivirent dans la bonne humeur retrouvée : Tout le monde buvait plus que de raison, et l'alcool, petit à petit envahissait les esprits de chacun. D'ailleurs, Marion, qui était déjà bien amoché, commençait à atteindre des limites d'ébriétés. L'alcool gommait petit à petit leurs soucis, les prenait dans ses bras et les berçait mollement. Et le sourire régnait sur tous les visages... Sauf peut être celui de Michaël qui n'avait pas bougé de son coin et avait troqué sa bouteille de vin contre celle de Whisky. Il restait assis, immobile, s'envoyant une lampée de breuvage de temps en temps... Et la berceuse de l'alcool continuait :

     

    Les sourires devinrent rires... puis hilarités incontrôlées.

     

    Les fumées de toutes sortes s'engouffraient dans les poumons de certains.

     

    La berceuse se mut en farandole... puis en un vacarme endiablé.

     

    Le temps s'accélérait... la notion du temps s'estompait.

     

    La fête battait son plein...

     

    ... comme la vessie de Laurent : toute aussi pleine !

     

    Ainsi, après avoir braillé qu'il allait pisser à un auditoire qui ne l'écoutait pas. Il s'écarta de la lumière du feu en titubant maladroitement, et s'avança vers la pénombre dans les rochers.

     

    Finissant par trouver un endroit lui convenant, il urina longuement.

     

    Reprenant le chemin du retour tout en remontant sa braguette, il trébucha, n'arriva pas à se récupérer et dégringola dans une fosse formée par les rochers.

     

    Ce ne fut qu'une vingtaine de minutes après, que Philippe, peut être un peu moins ivre que les autres, ou le cherchant pour lui dire quelque chose, finit par demander :

     

    - Mais où est ce qu'il est passé Laurent, au fait ?

     

     

     

    *

     

     

     

    Sans réfléchir plus longtemps, je laisse là le corps sans vie de Céline et me dirige avec difficulté vers la source des gémissements. Je me rends compte qu'ils proviennent de l'endroit où nous avions établi notre feu hier soir. Je respire fort et mon cœur bat vite, je ne peux m'empêcher de me sentir mieux à l'idée de revoir Marion et de pouvoir lui demander ce qui s'est passé. Je me sens léger, heureux, l'espoir me dope, et j'avance vite.

     

    Nous avions passé la soirée sur des rochers un peu en hauteur. Et quoique je sois tout proche de l'endroit, je reste en contrebas et je ne la vois toujours pas. Cédant alors sous l'impatience, je commence à l'appeler tout en grimpant.

     

    - Marion ? Eh, Marion ? c'est toi ? fais-je d'une voix mal assurée, craignant toujours un peu que ce ne soit pas elle.

     

    - Marion ? C'est moi, c'est...

     

    Je m'interromps : près de notre feu de bois, ou plutôt des cendres qui en restent, se trouve Marion, dont je ne vois dépasser que les jambes, le reste du corps étant caché derrière le dos de Michaël, accroupi auprès d'elle.

     

    J'hésite à avancer, je crains encore la réaction de Michaël, mais l'envie de revoir Marion est plus grande et pour qu'il m'entende bien je lui lance d'une voix forte :

     

    - Michaël ? je suis revenu finalement.

     

    Il sursaute, se retourne brutalement, et me regarde l'air complètement paniqué.

     

    - Laurent ? Heu... ben... qu'est ce que tu fais là ? me demande-t-il d'une voix un peu tremblante.

     

    - Je... heu... je voulais t'aider...

     

    Il ne répond pas, je le regarde : il m'a l'air de ne pas se sentir très bien. Je suis encore à une dizaine de mètres de lui. Désireux de voir Marion, je lui demande :

     

    - Est ce que je pourrais m'approcher ? Je voudrais voir Marion.

     

    - Elle n'est vraiment pas dans un bon état, me rétorque-t-il sèchement.

     

    - Hein ? dis-je, pris par la surprise.

     

    Je reste sans bouger le temps de réfléchir, puis décontenancé j'ajoute :

     

    - Mais c'est bien elle que j'ai entendue gémir ?

     

    - Oui, mais là, de nouveau, elle ne dit plus rien. Elle a eu une sorte de délire, et puis elle a replongé.

     

    - Mais qu'est ce que...

     

    - Elle a trop bu et trop fumé, et elle s'en est rendue gravement malade, m'explique sans attendre Michaël. Ça m'inquiète, il faudrait que quelqu'un aille chercher une ambulance.

     

    - Ah... dis-je stupidement, complétant déjà la fin de sa phrase dans ma tête « et ça serait bien que tu y ailles ».

     

    - Tu devrais aller chercher des secours, Laurent, ajoute-t-il d'un ton condescendant.

     

    - Non, dis-je sèchement.

     

    - Quoi non ? réplique-t-il l'air énervé.

     

    - Ben non ! voilà, c'est tout... allez ! laisse-moi voir Marion.

     

    - T'as assez fait de conneries comme ça.

     

    - Raaaaah, tu me fais chier à la fin ! Je veux voir Marion, POUSSE-TOI !

     

    Mon sang bouillonne, j'en ai plus qu'assez de tout ça, je ressens la chaleur monter à mon visage. Sans laisser Michaël réagir, porté par cette colère soudaine, j'avance vers Marion, au moment où je passe à côté de Michaël, celui-ci me fusille du regard et me demande :

     

    - Tu as vu Céline ?

     

    Sa question me déclenche une décharge électrique à travers le corps. Ma colère retombe aussi vite qu'elle est venue. Dans ma tête, tout change subitement, je ne me retrouve plus devant quelqu'un qui m'énerve, mais devant celui dont j'ai peut-être tué la copine. Je ne sais plus trop quoi dire ou que faire. Apeuré par la réaction qu'il pourrait avoir, je recule de quelques pas, puis je réponds :

     

    - Oui.

     

    - Ah...

     

    Et sans que j'y réfléchisse, ma bouche prononce la vérité, évacue ces mots qui me prenaient à la gorge depuis tout à l'heure :

     

    - Elle est morte.

     

    Michaël se fige, visage fermé... J'imagine tout ce qui peut se passer dans sa tête, et je prends peur de sa réaction. Je le fixe stoïquement, attentif au moindre de ses mouvements. Il finit par écarquiller les yeux et serrer les dents, je perçois la rage envahir tout son visage.

     

    Puis il fonce sur moi.

     

    Je reçois un coup de poing au ventre. Un élan de douleur me fait courber en deux. Dans un éclair de lucidité, je saisis par terre une bouteille de vodka vide, et me redresse tout de suite en la brandissant.

     

    - ARRETE MAINTENANT ! ARRETE OU JE TE L'ENVOIE DANS LA GUEULE !

     

    Michaël me fixe, l'air hébété, moi je ne le quitte pas des yeux. Je souffle comme un bœuf tellement je suis nerveux, car ce n'est pas de la colère qui m'a fait hurler sur lui, mais la peur.

     

    - Mais t'as tué...

     

    - MAIS QU'EST CE QUE J'EN SAIS DE CE QUE J'AI FAIT HIER SOIR ! Puis reprenant un peu d'assurance, j'ajoute : Je ne vais pas me laisser casser la gueule, alors que je ne me souviens de rien ! C'est peut-être moi, et cette idée me terrifie assez comme ça, alors je veux en avoir le cœur net d'abord.

     

    - MAIS PUISQUE JE TE DIS QUE...

     

    - FOU MOI LA PAIX ! T'AS QU'A TE BARRER !

     

    Je serre la bouteille dans ma main, je la brandis toujours, le menaçant de le frapper. Même si j'ai peur qu'il me saute dessus, je ne bouge pas, j'attends qu'il réagisse : La fureur fait lentement place au dégoût sur son visage, il grogne, se détourne de moi, puis s'en va lentement, sans rien dire. Je ne le quitte pas des yeux jusqu'à ce qu'il descende du rocher.

     

     

     

    *

     

     

     

    - Hein ?... Laurent ?...

     

    - Booo... il est parti ?

     

    - Nan... devrait être là ?

     

    - 'tain y fait chier, il est où ce con ?

     

    - Il est pas parti pisser ?

     

    - P'tet... ben... on a qu'à attendre.

     

    - Ouais...

     

    - ...

     

    - ...

     

    - Mais... il est parti depuis longtemps ?

     

    - Assez... j'crois.

     

    - T'es sûr ? 

     

    - Ben ouais... m'semble bien !

     

    Ils se jaugeaient tous sans plus trop rien dire. Philippe finalement se leva péniblement, pivota sur lui-même en scrutant du regard pour essayer de l'apercevoir quelque part... mais rien.

     

    - Laurent ?... HE OH ?... Laurent ! Allez putain répond ! ... T'es où ? LAURENT ! ... BORDEL REPOND !

     

    Mais rien, aucune réponse.

     

    Se tournant alors vers les autres, il poursuivit :

     

    - Pfff... bon, on fait quoi ?

     

    Tous de nouveau se regardèrent sans mot dire... Devant ce silence, un peu agacé, Philippe proposa :

     

    - Allez... on va le chercher !

     

    - Hein ?

     

    - Heu... chais pas...

     

    - Vas-y seul ! finit par lâcher Michaël. Moi... j'irai pas l'chercher... m'a assez fait chier t'à l'heure comme ça.

     

    Voulant éviter d'envenimer la situation, Philippe se ravisa de répondre. S'adressant dès lors aux autres, il redemanda :

     

    - Allez... quelqu'un vient avec moi ?

     

    Devant lui, Cédric qui avait l'air hésitant, Cécile qui semblait inquiète, et Marion tellement ivre qu'elle demeurait allongée et ne disait plus grand-chose.

     

    - Eh !

     

    Philippe se tourna vers Michaël qui venait de l'interpeller.

     

    - T'as qu'à aller avec Cédric !

     

    Ce fut Cédric qui répondit :

     

    - Oula non ! On va pas t'laisser seul avec Céline... Si c'est encore pour qu'vous vous engueuliez...

     

    - Beuh !... y a aussi Marion...

     

    - Mais t'as vu ? Elle est complètement cuite !

     

    Brisant le débat entre Cédric et Michaël, Céline d'une voix lourde d'émotion trancha :

     

    - Non, non... il n'y a pas de soucis... vous voyez... Comme ça... lui et moi, on discutera...

     

    - Mais t'es sûr qu'ça va aller... hein ?

     

    - Oui... ça va... ça va aller...

     

    Sa voix était de plus en plus chevrotante, on la sentait prête à laisser déborder sa peine. Elle se reprit un peu et continua :

     

    - J'veux lui parler... hein, alors, ben allez-y ! dit-elle en fixant tour à tour Philippe et Cédric d'un regard décidé, un sourire forcé aux lèvres.

     

    Philippe voulant briser la glace, se leva brusquement :

     

    - On y va ?

     

    - Ouais... allez.

     

    Se penchant alors vers le corps allongé de Marion, Philippe tendit la main, et la secoua un peu.

     

    - Eh oh ! Marion ?... ça va ? tu veux v'nir avec nous, hein ?

     

    Emergeant de sa somnolence, ouvrant mollement un oeil, voyant le visage de Philippe en l'attente de sa réponse, elle se concentra tant bien que mal pour répondre.

     

    - Hmmm... nan !... chuis bien là...

     

    Philippe la regarda s'éveiller mollement, parler d'une voix lente et pâteuse, puis se refermer de nouveau... Comprenant qu'il était vain d'insister, il se redressa et se tourna vers Cédric :

     

    - Allez... On y go !

     

    Céline regarda ses deux amis s'en aller vers la pénombre, quittant la faible clarté de leur feu qui se mourrait. L'alcool brouillait ses idées et augmentait sa peine. Elle n'aurait peut-être pas du boire autant, car la douleur qu'elle ressentait s'en trouvait exacerbée, démultipliée. Intérieurement tout n'était plus que souffrances, que douleurs à l'idée que Michaël la quitte.

     

    - Alors... tu veux m'dire quelqu'chose ?

     

    Froid comme la mort, même si l'alcool lui rendait l'élocution difficile, le ton de Michaël la sortit de son marasme intérieur : Elle quitta la peine de la séparation pour rencontrer maintenant la peur de lui parler. Effrayée, elle n'osait pas prononcer le moindre mot.

     

    - ... Hummm...

     

    - Ben Allez, accouche ?

     

    - Michaël je... je ne veux pas...

     

    - Qu'est ce que tu ne veux pas ?

     

    - Qu'on se sépare !

     

    - Pfff... c'est la meilleure !... Alors tu te plonges dans tes études, hein ?... et je devrais attendre tranquillement ?

     

    - Mais je t'aime !

     

    - Tu m'aimes ouais, c'est ça... moins que tes bouquins et ton boulot !

     

    - Mas si ! je vais crouler sous le travail en médecine, et ton soutient me sera d'autant plus précieux pour tenir le coup !

     

    - Dans ce cas-là, t'as qu'à demander à tes potes !

     

    - Hein ? ... heu... quoi ?

     

    - Ouais, les autres soûlauds défoncés au shit de ce soir... Ils ont qu'à te soutenir, eux.

     

    - Attends... mais... qu'est ce que tu leur reproches... ils ont droit de faire la fête aussi... Et puis t'as bu aussi.

     

    - Ouais mais ils arrêtent pas de fumer leur shit à la con...

     

    - Et quoi ? ça te rend plus intelligent qu'eux de ne pas fumer !

     

    - Mais prends leur défense aussi pendant que t'y est ! Va d'ailleurs savoir où ce con de Laurent s'est paumé !

     

    - Il est pas con !

     

    - Ben mets-toi avec lui alors.

     

    - Mais... mais... t'es bête ou quoi ? T'es borné comme gars, tu m'agaces parfois !

     

    Michaël, furieux, se leva et se tint debout devant Céline.

     

    - Qu'est ce que tu veux me faire ? S'enquit Céline, Inquiète. Hein, tu veux me...

     

    - TA GUEULE ! TU COMMENCES A ME TAPER SUR LES NERFS !

     

    Céline, maintenant apeurée, se leva, et s'éloigna un peu de Michaël.

     

    - Michaël ! bon sang calme-toi !

     

    - ME CALMER ? ... ME CALMER ? MAIS POURQUOI JE ME CALMERAIS ?

     

    - Moi je t'ai rien fait Michaël, alors calme-toi s'il te plait.

     

    - TU NE M'A RIEN FAIT ? HEIN ? TU TE CASSE BOSSER COMME UNE TAREE... ET EN PLUS A 200 BORNES D'ICI, ET CA NE DEVRAIT RIEN ME FAIRE ?

     

    Paniquée devant la fureur de Michaël, Céline tourna talons et commença à s'éloigner, apeurée. Un frisson d'horreur l'envahit quand elle sentit la main de Michaël serrer son poignet pour la retenir.

     

    - TU M'ECOUTES UN PEU OUI ? ... HEIN ? CE SOIR TU ME REPROCHE DE M'EMPOR...

     

    Céline, prise de panique dégagea vigoureusement son poignet de l'étreinte de Michaël et s'enfuit dans les rochers. Michaël courut derrière elle pour la retenir. La fureur montait en lui : Il voulait s'expliquer, et elle ne lui en laissait même pas l'occasion, il ne la laisserait pas s'en tirer aussi facilement.

     

    - CELIIIIINE ! J'AI PAS FINI !

     

    - NE T'APPROCHE PAS DE MOI !

     

    Elle était terrifiée, et lorsque Michaël, arrivé derrière elle, essaya de la saisir par la cuisse, elle se projeta en avant pour échapper à son étreinte, elle trébucha, se sentit tomber, eut juste le temps de pousser un vague début de cri de peur, avant qu'un éclair de douleur envahisse tout son crâne... et que tout s'arrête.

     

    Le corps de Céline partait à la renverse devant lui, une décharge d'effroi le parcourut. Il vit sa tête se fracasser sur la pierre : le bruit sec l'accompagnant, semblable à celui d'une noix qu'on écrase, finit de le figer sur place.

     

    Céline, au sol, ne bougeait plus.

     

    Il se pencha vers elle, mais ne voyait trop rien dans toute cette obscurité. Complètement apeuré, il se mit à hurler à l'aide.

     

    Marion embourbée dans l'ivresse entendit les hurlements de Michaël au loin, mais elle se rendormit aussitôt, complètement assommé par le chanvre et l'alcool.

     

    Philippe et Cédric, qui étaient partis assez loin à la recherche de Laurent, mirent quelques minutes pour revenir jusqu'à Michaël. Quand ils arrivèrent, celui-ci hurlait toujours, les reflets de ses larmes abondaient sur ses joues... Il n'arrêtait pas de dire qu'il n'avait pas fait exprès, tout en maintenant à demi recourbé le corps de Céline, dont la tête ballottait atrocement dans le vide.

     

    Philippe demanda à Michaël de poser le corps au sol, ce qu'il fit sans trop discuter, tout en sanglotant toujours vigoureusement. Philippe se pencha sur le corps, voulut poser son oreille sur la bouche, mais se ravisa finalement d'approcher son visage de celui de Céline tellement il était maculé de sang. Il posa alors son oreille près de sa poitrine, fit signe aux autres de se taire, puis écouta attentivement. Il espéra de toutes ses forces entendre quelque chose, mais ne perçut aucun battement. Terrifié par la vue de son visage ensanglanté et sans vie, il retourna le corps sur le ventre, puis se leva, le visage clos, les bras ballants. Cédric comprenant la situation demanda :

     

    - Elle est morte ?

     

    Philippe hocha la tête.

     

    Michaël semblait terrorisé.

     

    Voulant éviter la panique, Cédric prit la parole sans attendre.

     

    - Bon... écoutez, on va se calmer, hein... dites... On va aller s'asseoir, hein ?

     

    - OUAIS ! FACILE A DIRE DE SE CALMER ! QU'EST CE QUE JE VAIS DEVENIR MOI ? brailla Michaël, en pleurs, les yeux fermement clos, le front plissé, la tête hochant de gauche à droite, marquant son envie de nier la réalité.

     

    Cédric s'approcha doucement vers Michaël :

     

    - Allez Michaël, on va s'asseoir, hein ? On va discuter, on va trouver une solution, t'es pas seul...

     

    - ...

     

    - Allez vient Michaël.

     

    La tête basse, il obtempéra. Ils s'écartèrent du corps sans vie de Céline pour retourner vers le feu. Marion dormant toujours, ils se mirent un peu à l'écart d'elle et s'essayèrent.

     

    Cédric commença :

     

    - Heu... alors qu'est ce qu'on fait ?

     

    Comme s'il n'écoutait pas, un regard accusateur braqué sur Michaël, Philippe demanda :

     

    - Mais qu'est ce qui s'est passé ?

     

    Michaël ne répondit pas, toujours à moitié en pleurs, fixant le sol devant lui.

     

    Philippe reposa alors différemment sa question :

     

    - Qu'est ce que tu lui as fait alors ?

     

    - MAIS J'AI RIEN VOULU LUI FAIRE, MOI ! beugla Michaël, il avait relevé la tête, découvrant un visage rougit et déformé par les pleurs.

     

    - OK, bon... heu... je sais pas moi... pourquoi vous n'êtes pas restés auprès du feu ?

     

    - ... ON... ON... ON S'EST... DISPUTES...

     

    - Encore ? Pfff... franchement tu trouves que tu t'es bien conduit avec elle ?

     

    - MAIS ELLE EST MORTE MAINTENANT !

     

    - Oui... elle est morte... t'a gagné mon gars... on a plus qu'à aller prévenir les flics maintenant.

     

    - OH NOOONNN !!! OOOHHH NOOONNN !!!

     

    - QUOI ?

     

    - PAS LES FLIIIIIICS !

     

    - MAIS T'ARRETES D'ETRE CON ? TU CROIS PAS QUE T'AS ASSEZ FAIT DE CONNERIES COMME CA ?

     

    - PUTAIN MAIS QU'EST CE QUE JE VAIS DEVENIR MOI ?

     

    - Ben ça je sais pas, continua Philippe un peu plus calme mais non moins agacé. Ils verront bien si t'y es pour quelque chose ou pas... les traces de coups, ça reste.

     

    - MAIS JE NE LUI AI RIEN FAIT !

     

    - Ouais c'est ça... à d'autres... Et elle s'est fracassée la tête toute seule peut être ?

     

    - Elle est tombée...

     

    - Ah bon ? Pourquoi ?

     

    - Elle voulait partir, alors j'ai essayé de la retenir, et puis là... et puis là... elle est tombée.

     

    - Ouais... bon, on verra de toute façon.

     

    - Non, faut pas aller le répéter.

     

    - Oh si !

     

    Philippe soupira, se leva en appuyant ses mains sur ses genoux, prit une profonde inspiration, puis continua :

     

    - Bon, moi je sais pas pour vous, mais je vais aller prévenir les flics.

     

    Michaël avait rebaissé la tête et replongé dans son mutisme.

     

    Cédric, qui n'avait rien dit pendant tout ce temps, finit par remarquer :

     

    - Heu, et Laurent ? On ne l'a pas retrouvé, et puis Marion ne va pas bouger...

     

    - Oui... et je ne préférerais pas la laisser seule ici avec Michaël.

     

    - Je reste ici si tu veux, se proposa Cédric sans hésitation.

     

    - Oui, d'accord, restes ici, et moi je vais aller à la gendarmerie, c'est un peu loin à pied mais bon... Le temps que j'y aille, que je leur explique et qu'on revienne en voiture, il faudra bien une heure et demie.

     

    - Ouais, ça fait du temps à poireauter ici, mais... bon, de toute façon, je ne vois pas ce qu'on peut faire d'autre, non ?

     

    - Bon allez, je vais y aller alors... Heu... au fait... tu pourrais me filer quelques clopes pour la route ?

     

    - Oui, pas de soucis... tiens ! Prends aussi mon briquet, je piquerai celui dans la poche de la veste à Marion.

     

    - Merci, beaucoup.

     

    Philippe s'alluma une des cigarettes que venait de lui donner Cédric.

     

    - Allez, j'y vais, salut !

     

    - A toute, alors !

     

    - A toute.

     

    Et il s'en alla. Cédric le regardait partir, il le matait quelques peu et se rappela qu'il n'aurait jamais sa chance avec lui. Ça l'attrista un peu, mais quand il compara cela à ce qui venait d'arriver ce soir à Céline, sa désillusion par rapport à Philippe lui sembla bien moindre en comparaison. D'ailleurs il remarqua que Philippe aussi avait mis de côté ses soucis depuis tout à l'heure.

     

    Philippe savourait sa cigarette en s'en allant. Il aurait envie de s'asseoir et de penser à son mal de cœur avec son ex petite amie, mais il se devait de mettre de côté tout cela, la soirée avait vraiment mal tourné et ce n'était pas le moment de ne penser qu'à lui. Il se dit aussi que Michaël n'avait pas dit un mot pendant qu'il se préparait à partir. Cela l'inquiéta un peu, il faillit revenir en arrière, puis se ravisa, se disant qu'il ne fallait pas non plus tourner complètement paranoïaque.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je me retourne vers Marion qui gît toujours, inconsciente, près des cendres du feu. Elle me semble trop pâle. Inquiet, je m'avance et m'agenouille auprès d'elle. Sans la quitter du regard, je pose ma bouteille vide par terre pour ensuite lui saisir délicatement la main. Je lui demande doucement :

     

    - Heu, Marion, tu m'entends ? hein ? dis... Marion ? hé !...

     

    Sans réponse, je penche ma tête vers la sienne, et l'oreille proche de sa bouche, j'écoute, immobile. J'ai l'impression d'entendre un très léger bruit de respiration, mais je n'en suis même pas sûr. Gagné de plus en plus par la panique, je relève la tête et considère son corps étendu là, immobile.

     

    Timidement, je pose une main entre ses seins et par à coups j'appuie légèrement... puis de plus en plus fort. Je m'aide des deux mains, commence à lui parler, à répéter son nom sans m'arrêter : elle ne réagit pas. Sans réfléchir, je plaque mes mains sur ses mâchoires, les écarte, colle mes lèvres contre les siennes et lui insuffle de l'air. Je me redresse, la regarde, mais elle reste horriblement immobile. Je sanglote, je ne réfléchis plus, je recommence le massage cardiaque comme je peux. Je ne sais même pas si je m'y prends bien, n'ayant vu cela qu'à la télé, mais je ne vois pas quoi faire d'autre. Puis les lèvres de nouveau collé contre les siennes, lui insufflant l'air, j'entends finalement en réponse un râle caverneux.

     

    Je m'arrête, relève la tête, et le souffle suspendu, immobile, j'attends...

     

    Ses yeux s'entrouvrent lentement.

     

    Je lui reprends la main, je me sens extrêmement soulagé.

     

    - Marion ? Marion ? Ça va ?

     

    Elle ne me répond que par un vague râle.

     

    - Marion ?

     

    Encore un râle en guise de réponse. J'approche l'oreille de sa bouche pour mieux la comprendre. D'une voix chuchotante, elle reprend :

     

    - Il ... eyé... ... de m... trrrrr... lé.

     

    - Quoi, qu'est ce qu'il y a Marion, je ne comprends pas.

     

    - Il... Il aaaaa... ess... rrrrmmm ess... ayé... de... rrrr... m'ét... grrmmm... étrangler.

     

    Je relève la tête et la regarde, stupéfait.

     

    - Qu'est ce que tu me dis là ? Michaël ? Michaël à essayer de t'étrangler ?

     

    Je distingue des larmes naîtrent aux bords de ses yeux.

     

    - Rrrrr... hmmmm... oui.

     

    L'étonnement me submerge et je reste planté là, bouche bée. Tout se bouscule dans ma tête, puis subitement je comprends le danger : de suite je me demande où peut se trouver Michaël. Paniqué, je me retourne, et le vois à une dizaine de mètres de moi, s'approchant, le regard déformé par la haine...

     

    ... et brandissant une grosse pierre au dessus de sa tête.

     

     

     

    *

     

     

     

    Très vite, le silence, lourd et pesant, prit la place du faible bruit des pas de Philippe qui s'éloignait. Puis, ce fut la pénombre qui acheva d'engloutir entièrement sa silhouette, si bien que le regard de Cédric se perdait maintenant dans l'obscurité de la nuit sans ne plus arriver à situer son ami.

     

    Marion n'émergeant maintenant plus du tout, il se retrouvait ainsi quasiment seul avec Michaël... Et progressivement le trouble l'envahissait, il n'osait même pas se tourner vers lui, juste par crainte de subir son regard.

     

    Michaël lui faisait finalement peut-être peur.

     

    Dans son esprit, tout se mélangeait : La soirée bien démarrée, Philippe qui avait repoussé ses avances, la mort de Céline... les disputes entre elle et Michaël... Michaël avec sa manière intolérable de réagir face aux choix des études de son amie et les crises de larmes qui sont alors survenues...

     

    - Mais je ne lui ai rien fait !

     

    Cédric sursauta. La voix de Michaël perça le silence. L'effet de surprise passé, essayant de contenir son affolement, il se tourna lentement vers lui : Michaël n'avait pas bougé, toujours assis, il le regardait maintenant avec un air de chien battu. Devant l'insistance du regard de celui-ci, Cédric se sentit obligé de répondre :

     

    - Heu... ben... je sais pas moi... je...

     

    - Tu penses aussi que je l'ai tuée, hein ?

     

    - Mais... hum... ben j'en sais rien en fait... je...

     

    - Ben tu vois, tu sais pas...

     

    - Ben... elle est morte...

     

    - Oui, mais qu'est ce qui vous dit que je lui ai fait quelque chose, hein ?

     

    - Ben j'en sais rien...

     

    - J'ai voulu la retenir, je l'ai à peine touchée qu'elle est tombée...

     

    - Oui... je sais... mais...

     

    - Et il va m'arriver quoi maintenant ?

     

    - Heu... mais... enfin... il fallait quand même aller prévenir la police !

     

    - ...

     

    - On n'allait pas la laisser ici comme ça de toute façon... non ?

     

    Mais Michaël ne répondait plus, de nouveau refermé sur lui-même, le regard figé vers le sol. Cédric en le voyant comme ça ne savait vraiment plus quoi faire ou que penser.

     

    Plus un bruit, les secondes s'égrainaient péniblement. Cédric fouillait dans sa tête à la recherche de quelque chose, de n'importe quoi à dire ou à faire afin de ne pas rester prisonnier plus longtemps de ce silence...

     

    - Ca serait peut-être bien qu'on cherche Laurent, non ? Finit-il par lâcher.

     

    Michaël réagit mollement, et leva lentement la tête. Son expression indiquant qu'il ne comprenait pas bien, Cédric continua :

     

    - Ben oui, on ne l'a toujours pas revu depuis qu'il est parti pisser... Il faudrait peut-être le chercher, non ?

     

    Michaël rebaissa la tête, l'air profondément pensif. Puis au bout de longues secondes de réflexion, il fixa longuement Cédric pour finalement répondre simplement :

     

    - D'accord.

     

    - Cool... On va le chercher par où par contre ? T'as une idée de par où il est parti ?

     

    - Ben toi et Philippe, vous avez déjà regardé vers le haut de la plage tout à l'heure ? Donc vaudrait mieux aller vers la mer... vers le vivier par exemple.

     

    - Hmmm... Ouais, pas bête, il est peut-être parti par là après tout, c'est vrai.

     

    - Bon ! ben on y va alors.

     

    Cédric se tourna vers Marion, vit qu'elle dormait toujours, allongée sur le sol... Elle pouvait très bien se passer de lui pendant un temps !

     

    - D'accord, répondit-il alors.

     

    Et ils se mirent en chemin...

     

    Ils marchèrent jusqu'au vivier...

     

    En silence...

     

    Dans la faible clarté de la nuit...

     

    Sans savoir que dire...

     

    Regardant leurs pieds...

     

    - Alors t'es homo, comme ça ?

     

    Surpris par la soudaineté de la question, Cédric hésita un peu avant de répondre.

     

    - Heu... ben... oui...

     

    - Et t'es avec quelqu'un ?

     

    - Non, à vrai dire ici je n'ai rencontré personne... Mais je suis vraiment plein d'espoir par rapport à Paris. Dans deux mois, je vivrais là-bas, et je vais alors enfin pouvoir vivre ma vie.

     

    - Ben dis donc... Enfin c'est marrant, je ne me le serais pas imaginé... tu vois...

     

    Cédric se sentait plus détendu, il s'adossa contre la paroi du vivier

     

    - Que je suis homo ? Ben... comment dire... c'est pas marqué dessus !

     

    - Hmmm... hmmm... Et... ça fait longtemps que t'es comme... enfin j'veux dire... que tu le sais ?

     

    - Boh... deux ans environs... Mais tu sais, je m'en suis rendu compte progressivement.

     

    - Ah ouais.

     

    Cédric tranquillement s'alluma une cigarette, ça lui faisait du bien de pouvoir un peu parler de lui, de ce qu'il était vraiment.

     

    - Oui, ben disons que je ne me suis pas levé un matin en me disant « tiens, ah ben je suis homo », je me suis rendu compte de mon attirance petit à petit.

     

    - Ah ouais... Michaël avait l'air pensif. Et... t'as envie de te faire prendre ou de prendre alors ?

     

    La question choqua quelque peu Cédric.

     

    - Ben, heu... je sais pas... heu, il n'y a pas que ça tu sais, loin de là.

     

    - Ouais, mais t'aimes ça hein ?

     

    - Heu, non... heu...

     

    - Arrête de déconner sale pédé ! Si t'es pédé, c'est parce que t'aime te faire enc...

     

    Cédric sentit la fureur monter en lui.

     

    - EH OH ! TA GUEULE MICHA...

     

    - ET POURQUOI JE LA FERMERAIS DEVANT UNE SALOPERIE DE PEDALE !

     

    Là le coup partit tout seul : Cédric, hors de lui, le frappa violemment au ventre. Michaël se plia en deux sous la douleur, il grogna, puis d'un coup se redressa en hurlant et se projeta sur Cédric qui se retrouva ainsi aplati contre le mur du vivier. Sans lui laisser le temps de réagir, Michaël lui plaqua son avant bras au cou, l'étouffant à moitié.

     

    - Alors, saleté de pédale de merde, on fait moins le malin ! lui cracha-t-il dans un râle, essoufflé.

     

    Pour toute réponse Cédric lui envoya un magistral coup de genoux dans les parties. Michaël se plia en deux de nouveau, et sans lui laisser le temps de se remettre, Cédric le prit par le bras et le plaqua face au mur, le collant joue contre la paroi du vivier. Cette fois-ci ce fut Cédric qui prit la parole :

     

    - Espèce de connard, tu me dégoûtes...

     

    - Va te faire foutre, espèce...

     

    Cédric n'était plus que colère et rage, sentant Michaël se débattre, il ne le laissa pas finir sa phrase qu'il le maintint encore plus fort et, de rage, de sa main libre, lui racla le visage contre la surface rugueuse du vivier.

     

    Michaël hurla, la joue déchirée par la rugosité de la paroi.

     

    Et là Michaël répliqua finalement en envoyant un puissant coup de coude qui frappa Cédric au plexus et lui bloqua la respiration.

     

    Sous la surprise, Cédric lâcha prise, cherchant désespérément une bouffée d'air qui ne venait plus.

     

    Il vit Michaël se retourner, le prendre par les épaules, et le projeter tête contre le mur. Un bref éclair de douleur envahit alors son crâne, juste avant qu'il ne perde connaissance.

     

    Michaël le saisit ensuite par les cheveux et lui fracassa encore deux ou trois fois la tête contre le mur. Il sentait le sang commencer à couler sur ses mains, dégoûté il lâcha le corps de Cédric qui s'écroula au sol. Quant à lui, sa joue gauche le brûlait horriblement, il avait atrocement mal, et cela alimentait encore sa colère. Il aurait voulu tout casser, tout démolir pour qu'on arrête de l'emmerder... Et puis il y avait les flics qu'était parti chercher Philippe...

     

    Il se leva alors d'un bond. Saisit le corps de Cédric sous les bras et le monta péniblement sur le toit du vivier en passant par le petit escalier en béton. Il déposa le corps inanimé de Cédric sur les barreaux de la grille qui recouvrait la moitié du toit. Il s'agenouilla près de lui, et nerveusement lui enleva sa ceinture... lui saisit un poignet, le plaqua férocement sur un des barreaux, enroula la ceinture autour, tira de toutes ces forces et boucla le fermoir. Il enleva ensuite sa propre ceinture, et fit de même sur l'autre poignet de Cédric. Celui-ci était toujours inconscient, la tête ensanglantée, les bras en croix maintenus aux poignets par les ceintures démesurément serrées.

     

    - Bordel ! toi, saloperie, tu ne vas pas bouger d'ici ! cracha Michaël au corps toujours inconscient de Cédric.

     

    Puis il se leva, et regardant vers le haut de la plage, reprit :

     

    - Et toi aussi je ne vais pas te laisser aller retrouver les flics, tu me feras pas ça connard, je vais te rattraper avant.

     

    Et sans attendre, il descendit l'escalier et se précipita dans les rochers, trébuchant de nombreuses fois, gêné par le manque de lumière de la nuit. 

     

     

     

    *

     

     

     

    Paniqué, je me redresse d'un coup. Je pense à fuir, mais je me retiens tout de suite, prenant peur pour ce qu'il pourrait faire à Marion. Il continue de s'approcher, impassible. Dans l'espoir insensé de le raisonner, je lui crie :

     

    - MAIS ARRETE ! QU'EST CE QUE TU VEUX FAIRE A LA FIN !

     

    - CONNARD ! TU AS TUE MA COPINE !

     

    - ET C'EST POUR CA QUE TU AS ESSAYE D'ETRANGLER MARION ?

     

    Il s'arrête, l'air surpris par ce que je viens de dire. Me sentant un peu plus sûr de moi, j'ajoute, plus calmement :

     

    - Depuis tout à l'heure, tu essaies de m'embrouiller, Michaël. Qu'est ce que tu cherches à faire à la fin ?

     

    - JE N'AI PAS FAIT EXPRES ! me rétorque-t-il les larmes aux yeux.

     

    Je veux essayer de le raisonner. Je suis angoissé, je sais que je n'ai pas intérêt à sortir un truc de travers. D'une voix douce, je réponds :

     

    - Mais alors arrête tout ça. On va parler, d'accord ? Mais calme-toi, s'il te plait.

     

    Il baisse les bras, portant sa pierre au niveau du ventre, et il explose en sanglot. Impassible, j'attends sans bouger qu'il me réponde.

     

    - Mais... mais comment je vais faire maintenant ?

     

    Je ne sais trop quoi répondre à sa question, je reste debout, incrédule, sans bouger. Finalement il reprend :

     

    - Hein ? Dis-moi ! Qu'est ce que je fais maintenant ?

     

    Poussé par son insistance, je finis par répondre :

     

    - Heu, on va aller chercher de l'aide, et...

     

    - AH NON ! ILS VONT M'EMPRISONNER !

     

    - Mais tu n'as pas fait exprès... il ne va rien...

     

    - MAIS POUR LES AUTRES ?

     

    - QUOI LES AUTRES ? je répète, incrédule, terrifié par ce qu'il me semble comprendre.

     

    - MAIS LES AUTRES ? QU'EST CE QU'ILS VONT DIRE MAINTENANT POUR LES AUTRES ? me cria-t-il totalement excédé, la voix extrêmement chevrotante, pleurant à flot.

     

    - Ils sont où Cédric et Philippe ? Je demande alors, déconcerté.

     

    - ...

     

    - Michaël, réponds-moi s'il te plait.

     

    - ...

     

    - Mais tu es fou Michaël, ne me dis pas que...

     

    Mais je m'interromps : Comme si mes mots avaient déclenché un électrochoc dans sa tête, il se rue de nouveau vers moi, poussant un cri, brandissant de nouveau sa pierre.

     

    Sans réfléchir plus longtemps, ne pensant qu'à défendre Marion, je fonce sur lui.

     

    Il lance sa pierre.

     

    Je la reçois en plein ventre.

     

    Une vague de douleur envahit mon abdomen, et je me courbe... puis m'écroule.

     

     

     

    *

     

     

     

    Michaël, arrivé sur le sable, courut au plus vite qu'il pouvait, il grognait sous l'effort, il savait qu'il allait devoir galoper longtemps s'il voulait le rattraper... et encore s'il arrivait à temps.

     

    Il trébucha sur les premiers galets en haut de la plage, continua sa course péniblement dans tous ces cailloux, et parvenu à l'orée du chemin qui menait à la route, il s'arrêta net : Philippe se tenait devant lui, visiblement aussi surpris que lui de se retrouver face à face.

     

    - Mais qu'est ce que tu fais là ? demanda tout de suite Michaël d'un ton glacial.

     

    - Ben, vous n'entendez pas le boucan que vous foutez ? J'étais arrivé à la route quand je vous ai entendu gueuler au loin... il fallait y aller quand même pour que je vous entende d'en haut ! Enfin bon, du coup je n'ai pas trop hésité et je suis redescendu voir ce qu'il se passait.

     

    Michaël l'écoutait à peine, tout ce qui comptait à ses yeux était qu'il soit resté là.

     

    - Mais alors tu n'es pas allé chercher les flics ?

     

    - Ben non !

     

    - Alors n'y va pas, on va se débrouiller, mais n'y va pas, d'accord ?

     

    Il avait demandé cela d'un air si tendu que Philippe prit un peu peur de répondre par la négative et de l'énerver davantage. Michaël se tenait devant lui, tout essoufflé, et le fixait, les poings serrés... D'ailleurs dans l'obscurité, Philippe put voir que sa joue droite était toute sombre, en y regardant un peu mieux, il s'aperçut qu'elle était bougrement écorchée.

     

    - Heu... mais qu'est ce que tu as à la joue, dis ? ne put-il alors s'empêcher de demander.

     

    Michaël ne répondit pas, il s'appuya d'abord la main sur sa joue pour la retirer immédiatement, l'air dégoûté.

     

    - Heu, je suis tombé dans les rochers, répondit-il en bredouillant.

     

    Philippe voyait bien qu'il mentait, mais il n'osait pas trop répondre par peur de sa réaction.

     

    - Heu... ah... d'accord... Mais, dis, ils sont où, Marion et Cédric ?

     

    - Ils sont restés auprès du feu.

     

    - Bon... d'accord, très bien... donc tout va bien ici.

     

    - Oui oui.

     

    - Bon, ben alors je peux retourner chercher la police alors.

     

    - NON !

     

    - Eh, calme-toi ! S'il te plait. Ecoute, tu as l'air d'oublier que ta copine est morte ! On ne va pas laisser le corps comme ça ici !

     

    - Ne va pas chercher les flics !

     

    - Mais on ne va pas l'enterrer ici, ou la planquer quelque part quand même ?

     

    - Pourquoi pas, j'ai rien f...

     

    - Non mais t'es dingue ou quoi ? Ecoutes, moi je ne la laisserai pas là, je vais chercher les flics et un point c'est tout.

     

    Sur ce, sans attendre de réponse Philippe fit demi-tour pour remonter le chemin.

     

    - RESTE ICI, T'ENTENDS ! TU RESTES ICI !

     

    Mais Philippe s'en allait s'en broncher.

     

    Michaël arrêta de crier, saisit une rame d'une barque qui traînait près de lui. Courut jusque derrière Philippe et lui asséna un grand coup de rame sur la tête.

     

    Philippe entendit Michaël courir jusque derrière lui. Il était encore à se demander s'il allait se retourner ou pas, qu'un grand bruit claqua à sa tempe droite, la violence du coup le déstabilisa tant qu'il se vit tomber au sol. La douleur sur tout le côté de son visage était vive et puissante. Il lui fallut quelques secondes pour se rendre compte qu'il était encore conscient. Il entendait un sifflement aiguë dans son oreille droite. Il se posa la main sur la joue : elle semblait brûlante. A moitié sonné il leva la tête vers Michaël, celui-ci se tenait debout non loin de lui et brandissait sa rame, présageant de le frapper à nouveau... Alors, paniqué, sans réfléchir, il ramassa un galet et le lança comme il le put sur Michaël.

     

    Celui-ci s'apprêtait à frapper Philippe à nouveau quand il le vit en un éclair saisir un caillou et le lui lancer. Prit de surprise, il n'arriva pas à éviter le coup. Celui-ci le heurta sur la tempe gauche, il entendit un son sourd, comme un « cloc », profond et puissant. La douleur s'enfonça dans son crâne, la tête lui tournait. Cela lui tournait tellement qui ne tint plus debout et posa genoux au sol. Il plaqua la main à sa tempe... et la retira poisseuse de sang. Il trouva d'abord drôle l'idée d'avoir les deux côtés de son visage ensanglantés, puis toutes ses idées se mélangèrent, il se sentait défaillir. En regardant devant lui, il aperçut Philippe qui, toujours allongé, s'appuyait sur les coudes afin de se relever. Terrifié une nouvelle fois par l'idée qu'il prévienne la police, prit à nouveau dans un élan de panique, Michaël se redressa sur ses jambes, saisit la rame à deux mains, et comme on enfonce une fourche dans le foin, planta la tranche de la rame dans le cou de Philippe. Il entendit vaguement un craquement semblable à celui provoqué quand on croque dans un brocoli, puis observa son ami chercher désespérément sa respiration, la bouche grande ouverte, émettant le bruit roque d'une respiration impossible : Philippe avait la trachée complètement écrasée, et mourrait étouffé.

     

    Michaël ne fit rien pour sauver son ami, il commençait d'ailleurs à ne plus bien y voir, tout était trouble, les sons se mêlaient entre eux, la tête lui tournait affreusement. Il réussit malgré tout à tirer une des nombreuses petites barques de pécheur qui étaient posées sur les galets, et la retourna péniblement sur le corps maintenant sans vie de Philippe.

     

    Le corps ainsi dissimulé, une seule chose comptait maintenant pour Michaël : Retourner au vivier pour en finir aussi avec Cédric... de toute façon, maintenant il n'avait plus le choix.

     

    Il avançait péniblement, titubant, zigzagant, la douleur à la tempe devenait atroce, il sentit une chaleur sur son épaule... et se rendit compte que le sang coulait sur son t-shirt. Tout tournait autour de lui, il ne savait plus très bien par où était le vivier, il tourna sur lui-même pour le rechercher, l'aperçu vaguement, il ne voyait plus grand-chose... Il se sentit d'un coup très fatigué, et ne put s'empêcher de se laisser tomber... Il s'écroula sur le sable et ne bougea plus.

     

    Cédric, quant à lui, se réveilla quelques minutes plus tard. Son crâne, mais surtout ses poignets lui faisaient atrocement mal, il se rendit compte qu'il était attaché. Il se mit à appeler au secours, à crier du plus fort qu'il pouvait. Il gémissait, il ne savait plus quoi faire, la douleur était atroce, et il avait peur de la mer qui allait monter : s'il restait attaché sur le toit du vivier, il allait mourir noyé. Il cria alors pendant bien deux bonnes heures, mais n'eut aucune réponse. D'épuisement, il finit par perdre connaissance. Ce ne fut qu'au matin que la mer qui commençait à baigner son corps le réveilla en sursaut : Elle avait bien monté, et la surface de l'eau ne se trouvait maintenant plus qu'à quelques centimètres de sa bouche.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je suis à genoux, une main appuyée au sol et l'autre sur mon ventre. J'ai mal et j'arrive à peine à respirer, j'ai l'impression d'étouffer et j'ai peur que cela n'empire. Ma tête me tourne, je garde mes yeux fermés, crispés sous la douleur. C'est un vacarme de pensées dans ma tête, Michaël me fait peur et je voudrais me défendre, mais je suis à genoux devant lui, encore sous le coup de la pierre qu'il a jetée sur moi...

     

    Je suis d'autant plus surpris de l'entendre subitement s'excuser.

     

    Je fais alors l'effort de relever la tête vers lui : il se tient accroupi devant moi et me regarde, l'air à la fois paniqué et désolé. Il me demande en balbutiant « ça va, hein dis ? ça va ? ». J'ai envie de lui répondre que ça va, oui : que je me retrouve avec un pote complètement taré qui me tabasse à coup de cailloux, alors oui ça va, bien sûr !

     

    Je suis toujours plongé dans mes pensées, à ne savoir trop quoi lui répondre, à chercher mes mots pour éviter de le « froisser », éviter qu'il pète les plombs et veuille me massacrer pour de bon. C'est alors que j'entends vaguement une voix s'élever au loin, une espèce de cri rauque d'une voix jeune mais comme déchirée. Je me crispe en la reconnaissant : c'est celle de Cédric, et ses cris proviennent du vivier... il est d'ailleurs immergé par la marée montante depuis déjà quelque temps.

     

    Sans réfléchir plus longtemps, oubliant Michaël, oubliant la douleur, je me relève et m'élance vers le vivier. Je n'entends plus que les cris éraillés et désespérés de Cédric. En regardant un peu mieux, je vois quelque chose dépasser légèrement de la surface de l'eau, là où devrait se tenir le vivier. Je ne peux m'arrêter d'essayer de discerner ce qu'il y a au-dessus du vivier, je cours maladroitement dans les rochers, et je trébuche plusieurs fois. Je suis presque arrivé à l'eau quand je me retrouve plaqué au sol par Michaël qui vient de me sauter dessus par derrière.

     

    Michaël souffle comme un bœuf, il me serre horriblement fort aux épaules. Je me débats, j'essaie de bouger, je ne regarde qu'au-dessus du vivier, il me semble voir juste un bout de tête émerger de l'eau... J'entends toujours ces cris désespérés, il hurle de plus en plus, ce qui était au début des « au secours » se sont transformés en cris saturés de panique et de désespoir.

     

    Michaël me grogne de ne pas y aller, qu'il faut le laisser crever... Je ne l'écoute pas, et pour toute réponse je crie à l'intention de Cédric que je vais venir le chercher. Michaël me plaque alors la tête contre le rocher, et me hurle de la boucler. Désespéré, je gesticule et j'essaie de le basculer sur le côté. Je lui dis d'aller se faire foutre, d'aller se faire soigner. C'est là qu'il se met à me prendre par les cheveux et à me fracasser la tête contre le rocher. Je suis fou de rage, chaque coup est une explosion de douleur, mais aussi une explosion de haine envers lui... J'entends Cédric qui hurle encore plus fort, je gesticule encore plus, je me cambre de toutes mes forces, mais je n'arrive pas à le faire basculer de mon dos. Je ne compte plus le nombre de fois où il me cogne la tête contre la roche, j'ai du sang dans les yeux, et le rocher en est d'ailleurs maculé. Je pleure de rage, Cédric est en train de se noyer et Michaël est en train de me massacrer. De désespoir, je me mets à crier, à hurler que je vais le tuer, mes mots sont à peine intelligibles, ma voix me fait peur, mais je crie quand même.

     

    Je vois Marion entrer dans l'eau, et nager vers le vivier.

     

    J'entends Michaël crier « merde elle va y aller la conne ! ».

     

    Je sens qu'il me serre encore plus fort les cheveux...

     

    ...Et il me balance la tête de toutes ses forces contre le rocher, et je perds connaissance.

     

     

     

    Quand je reprends vaguement conscience, je ne sais pas combien de temps s'est écoulé, mais je comprends vite en regardant devant moi que je suis resté évanoui que quelques secondes : Marion vient d'arriver sur le vivier, je la vois debout, de l'eau jusqu'au haut de ses chevilles. Michaël nage vite et n'est qu'à une cinquantaine de mètres d'elle.

     

    Comme un fou, je me relève... Mon visage doit être en charpie car je ne sens plus la douleur, j'ai même cette impression qu'il est en plastique : Comme quand la nuit je me réveille avec la main totalement insensible parce que j'ai dormi dessus et que le sang n'y circulait plus. J'ai du mal à garder les yeux ouverts et la tête me tourne, alors, pour ne pas tomber, j'avance sur les rochers en m'aidant des mains, comme le ferait un singe... J'arrive à l'eau, et me laisse tomber dedans, je me sens épuisé par l'effort, mais déjà Michaël est presque à la hauteur de Marion, et j'ai peur de ce qu'il peut lui faire... Péniblement je commence à agiter les bras : Je soulève le droit, le plonge, puis lève le gauche... et commence à crawler mollement. J'ai encore mes habits sur moi et mon corps me semble si lourd que j'ai du mal à garder la tête hors de l'eau, et je bois la tasse sans arrêt... C'est alors que je vois Michaël se mettre debout : Il est arrivé sur le toit du vivier : il prend alors Marion par la taille et la jette sur le côté. Puis sans s'intéresser plus longtemps à elle, il commence à envoyer des coups de pieds dans l'eau... Il me faut un petit temps de réflexion avant de comprendre qu'il est en train de tabasser Cédric. Complètement ahuri par tant d'acharnement, j'avance de plus belle dans l'eau, je ne crie pas, je veux le surprendre, je ne veux pas qu'il s'attende à me voir... Je veux le prendre par surprise, je veux le cogner, je veux qu'il souffre... je voudrais le massacrer.

     

    Je pense à Cédric sous ses coups, il n'arrête pas de hurler, et j'en ai les larmes aux yeux. Marion remonte sur le toit, Michaël se précipite alors vers elle et la frappe à coups de poings avant de la balancer à nouveau dans la mer. J'avance encore plus vite, par chance Michaël n'a pas l'air de me voir. Je passe en brasse pour faire moins de bruits, je ne suis plus qu'à quelques mètres derrière lui. Les hurlements de Cédric sont forts et couvrent le bruit que je produis.

     

    Je me mets debout sur le toit, et sans réfléchir plus longtemps je saute sur le dos de Michaël. Je ne veux pas lui laisser une seule chance de pouvoir se retourner contre moi, alors je m'arroche sur son dos de toutes mes forces... et je plante mes dents dans son épaule et je serre mes mâchoires du plus fort qu'il me soit possible. Michaël hurle et se débat, mais je ne lâche pas, je ne veux pas lâcher. Je vois à ses pieds la tête de Cédric qui émerge encore un peu de la surface de l'eau, il hurle aussi, et je voudrais le détacher, mais je ne lâcherai pas prise sur Michaël.

     

    Je commence aussi à le frapper aux côtes, j'aimerais toutes les lui casser, j'aimerais qu'il souffre, j'aimerais l'attacher et le frapper à coups de pieds comme il vient de le faire à Cédric. J'aimerais lui briser bras et jambes à coup de cailloux, je veux qu'il meure... et je grogne, je hurle de rage sans desserrer les dents de son épaule. Je vois Marion regrimper sur le vivier, elle semble sonnée, mais en me voyant, elle se précipite vers Cédric et continue d'essayer de le détacher. Libéré de ce problème, je me déchaîne encore plus sur Michaël, je me sens comme un animal, je tiens toujours bon, et son sang à depuis longtemps envahit ma bouche. Il hurle comme un débile, mais de toute façon, c'est ce qu'il est... je veux le tuer, je veux qu'il crève.

     

     

     

    Il est complètement paniqué, il a peur, je le sens, et je le frappe encore plus, parce que ça me fait du bien de le voir perdre pieds comme ça. Je le tabasse, et j'enfonce davantage mes dents dans sa chair... Finalement il cherche à fuir et je sens la viande de ce salaud se rompre au bout de mes dents... et comme un con je reste la bouche pleine de son épaule et lui qui s'enfuit sans demander son reste. Je ne veux pas qu'il s'enfuît, je veux qu'il paie, je suis ivre de fureur. Je plonge dans l'eau et nage comme un dératé : il a de l'avance et nage vite, mais je le rattrape petit à petit. Je hurle que je vais le tuer, je ne réfléchis plus, je veux le massacrer. Il arrive au bord de l'eau et court vers le sable, j'y arrive aussi, et je cours plus vite que lui : Je me jette sur lui et atterri sur son dos. Il tombe au sol sans un cri : Il pleure faiblement, et moi je suis content, je l'ai eu et je vais lui faire payer.

     

    Je le retourne sur le dos, et tout en le gardant plaqué au sol, je le regarde trembler. Il me fixe et me semble complètement terrorisé en me voyant. Il faut dire que je ne dois pas être bien beau à voir, vu qu'il m'a fracassé le crâne sur les rochers un très... trop grand nombre de fois... J'ai envie de lui faire pareil, mais sur le sable ça ne devrait pas trop bien marcher, alors accroupit sur lui, je commence à rouer son visage de coups de poings. Il pleure comme un gosse, et ça me remplit de joie de le voir aussi faible, aussi ridicule, aussi implorant.

     

    Je lui crie « CONNARD ! DIS MOI OU EST PHILIPPE, T'ENTENDS ? DIS MOI OU IL EST ! ». Alors complètement en larmes, il m'implore d'arrêter de le frapper, ce que je finis par faire. Il reprend un petit peu son calme, et finit par répondre « sous la barque là-bas ». Il pointe du doigt une barque couchée à l'envers sur les galets, à côté du chemin qui monte vers la route.

     

    Un grand vide m'envahit, je comprends qu'il ne plaisante pas et que s'il me dit qu'il est sous la barque, c'est que c'est sûrement vrai... Je me sens si mal que je ne sais plus quoi faire... je me dis qu'il faut que j'aille vérifier. Marion et Cédric entrent alors dans mon champ de vision : ils sont tous les deux trempées et reviennent du vivier. Cédric est donc vivant et ça me rassure, il pleure abondement ce qui me semble compréhensible. Et puis j'aperçois ses mains, elles sont complètement nécrosées, devenues toutes noires, et je me dis que s'il pleure ce ne doit pas être que de souffrance psychologique. Je me retourne alors vers Michaël, il commence à m'implorer de ne pas le frapper, mais je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase et je lui assène un coup de toutes mes forces.

     

    J'arrive à me calmer un peu, et me lève. Il semble complètement sonné et moi j'ai finalement mal aux mains de l'avoir autant frappé. Je le pointe du doigt, et crie à l'adresse de Marion et Cédric de le surveiller, et que s'il bouge, je reviens et je le tue... Ils acquiescent de la tête sans bouger, ils ont l'air mal à l'aise, peut être à cause de moi, mais je m'en fiche. Je marche jusqu'à la barque, arrivé là, je la soulève lentement, et un grand vide m'envahit : Je mets à jour le cadavre de Philippe qui gît là. Il est déjà tout blanc, et cela fait ressortir cette monstrueuse marque violacée à son cou. Je n'ai pas besoin de m'approcher plus de lui pour comprendre qu'il ne bougera plus jamais, et je repose doucement la barque comme elle était.

     

    Et je me retourne vers Michaël.

     

    Ni lui, ni Cédric ou Marion n'ont bougé, d'ailleurs ces deux-là me regardent l'air effrayé, comme s'ils avaient maintenant peur aussi de moi. D'un pas lent je m'avance vers Michaël. En me voyant arriver, il se met à genoux devant moi, il pleure comme un gosse... Je le frappe une fois, sa tête part violemment sur le côté puis revient mollement. Il continue de pleurer et ça m'énerve, ce n'est qu'un salopard de psychopathe, alors je le frappe encore et encore.

     

    Cédric et Marion ne bougent pas, ils me regardent l'air médusé. Je me rends compte que je dois avoir l'air encore plus fou que celui que je tabasse, et dans un mince éclair de lucidité, je m'entends hurler à Michaël « CASSE-TOI DE LA, CONNARD ! BARRE TOI DE LA OU JE TE TUE ! TU COMPRENDS ? SI TU RESTE LA, JE TE TUE ! ».

     

    Autant dire qu'il n'a pas attendu pour détaler de là à toutes jambes.

     

     

     

    *

     

     

     

    Je suis resté alors sans rien dire ni bouger pendant un bon moment : je pense que j'attendais que Michaël soit loin pour être sûr que je n'aille pas le poursuivre. J'ai alors fait signe à Marion et Cédric de me suivre, et je me suis dirigé vers la barque, et je l'ai soulevé... pour leur montrer. Ils étaient aussi accablés que moi en voyant Philippe qui gisait là-dessous.

     

    Ce fut un été difficile que nous avons passé. Les gendarmes ont arrêté Michaël, et il est aujourd'hui emprisonné, mais nous étions tous les trois marqués par cette nuit-là. Cédric et moi avons passé plusieurs semaines à l'hôpital : J'ai subit de nombreuses opérations de chirurgie esthétique pour « rattraper les dégâts » sur mon visage, et Cédric a eu beaucoup de soins pour ses mains : Le sang circulait de nouveau dedans, mais les médecins avaient peur que la gangrène s'y soit installée. Ils l'ont assommé d'antibiotiques et il s'en est finalement tiré sans qu'on ait eu besoin de l'amputer. Et moi j'ai à peu près récupéré mon visage même si j'en garde malgré tout quelques marques encore visibles.

     

    Pour passer notre bac, Marion et moi sommes restés encore un an ici, avant de pouvoir partir de ce coin perdu, à jamais remplit pour nous du souvenir de cette nuit. Nous nous sommes rapprochés elle et moi, nous avions besoin d'en parler, de pouvoir laisser échapper le traumatisme de cette soirée avec quelqu'un qui pouvait comprendre.

     

    Cédric, lui, est parti étudier sur Paris, et vit aujourd'hui comme un poisson dans l'eau : Il a trouvé des gens qui lui correspondent et est heureux... Une fois quand je l'ai revu, on parlait encore de cette fameuse nuit et de son agression à cause de son choix de sexualité, et là il m'a dit une phrase qui m'a beaucoup marqué : Il m'a dit qu'il n'avait pas choisi sa sexualité, qu'on ne la choisissait pas, et que la seule chose qu'on choisissait, c'était de l'assumer et de vivre avec... il n'a probablement pas tort.

     

     

    Quant à moi, j'ai eu le temps de me calmer. Disons que maintenant je suis conscient qu'en moi sommeille quelque chose... une brute... un furieux... je ne sais pas... disons, une espèce d'animal féroce prêt à tout bousiller ! Mais parallèlement aussi, je pense que chacun de nous garde cette part animale au fond de lui... Etre Humain ? Oh ! un bien grand mot... disons plutôt un singe avec des clefs de voiture !

     

     

     

     

     

     

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    L'intrus dans la maison

     

    L'intrus dans la maison

     

     
     
     
    « Mort ! Il est mort, tu comprends ça ? Tu l'as vu pourtant, son petit corps étendu, inanimé : T'en as hurlé, et à l'enterrement tu en as pleuré, d'ailleurs ça tu sais très bien le faire : pleurer ! N'empêche que tu pourrais te vider de ton eau tant que tu voudras, mais ça ne le ramènera pas ton gamin ! Ton gosse il est six pieds sous terre, dans une boite en bois, en train de se décomposer. Et oui, petit à petit, il pourrit ! Il faudra bien te faire à cette idée ma belle ! Ca doit quand même te faire du mal de penser que la chair de ta chair n'est plus et se fait bouffer par les vers, t'aurais du l'incinérer c'est moins dégueulasse ! T'imagines quand même : Tu l'as porté en toi, tu l'as nourri, élever, aimé ! avec tant d'énergie. Et tout ça pour quoi au final ? Pour un tas de viande morte qui moisit sous terre, elle est pas belle la vie ? C'est quand même moche d'être mort si jeune, de toute façon il serait mort un jour ou l'autre ! tout n'est qu'une question de délai avant la condamnation ! Mais huit ans, c'est peu quand même... Tu ne le verras jamais grandir certes, mais surtout tu ne le verras plus te faire un sourire le matin quand tu viens le réveiller pour l'école ; Tu ne le verras plus manger ses tartines ; Tu ne l'entendras plus jamais jouer dans le jardin ; Tu n'iras plus jamais te promener avec lui pour lui faire découvrir ou revoir de nouvelles choses ; Tu ne toucheras plus jamais sa douce peau : Tu aimais tendrement lui caresser la joue quand tu allais le border le soir ? eh bien tout ça c'est fini, tu entends ? FINI pour TOUJOURS ! Tu aimerais lui caresser la joue de nouveau, hein ? tu aimerais sûrement moins le contact de sa chair en décomposition ! Je sais, c'est dur d'accepter que ce qui à été n'est plus, c'est la vie... à croire que la vie n'est que dure et triste finalement... Hein Carole ? la mort c'est sûrement plus reposant tu sais. Ca te dirais ? ... Au fait, arrête de rester tête pendante comme ça, regarde moi... regarde moi.... PUTAIN je t'ai demandé de ME REGARDER, SALE GROGNASSE ! ».



    « Aaaaahhhhhhh » !

    Carole hurla, sortant de son cauchemar. Ce qu'elle y avait vu en levant la tête l'avait horrifiée : Ce qui lui parlait et se tenait devant elle était une bête, massive, velue et noire, aux yeux jaune sale, le regard fixe, maintenu vers le sien. Il hurlait après elle et sa gueule proéminente s'ouvrait et se fermait par saccades comme un chien qui aboie, laissant voir par intermittences ses longs crocs plus rouges que blancs.

    « Click ! »

    Marc avait allumé la lumière, s'était mis assis sur le lit et fixait Carole d'un regard ahuri.

    « Carole ?

    - ...

    - Carole ? Ca va ma chérie ?

    - Nan....pfff... cauchemar... terrible encore un fois.

    - Heu... ça ne m'étonne pas vu le cri que tu viens de pousser.

    - J'en tremble encore....horrible... horrible je te dis.

    - Tu sais moi aussi je fais des cauchemars par rapport à Nicolas. Tiens, la nuit dernière je rêvais qu'il partait de la maison et....

    - Non, là c'était ignoble ce dont j'ai rêvé, c'était le plus horrible que j'ai fait... Marc, j'en peux plus.

    - Je sais.

    - Ca fait deux semaines maintenant, et plus le temps passe, moins je me sens bien.

    - ... heu ....

    - Tu comprends ? Plus le temps passe, et plus je me rends compte qu'on ne reviendra jamais en arrière. Que c'est fini Marc, plus jamais on ne reverra notre fils, non plus jamais ! »

    Carole se mis à pleurer, elle se tenait assise sur l'oreiller, adossée contre le mur. Elle avait le dos courbé, la tête penché vers le bas. Elle se mettait à tressauter, comme si quelqu'un de cruel lui infligeait de petites décharges électriques. Marc, ému et attristé par l'image de sa femme, là, devant lui, complètement anéantie, lui prit doucement la main et baissa la tête pour chercher son regard.

    « Je... ne....Ma chérie on est deux à souffrir... Viens dans mes bras »

    Il s'enlacèrent, Carole lui paraissait aller mieux, elle avait arrêter de tressauter à cause des sanglots, mais continuait de pleurer. Subitement, Carole releva la tête et plongea son regard dans celui de Marc, elle le regardait fixement, d'un visage figé, sec, très sérieux malgré les larmes qui coulaient encore de ses yeux. Marc la regardait un peu hébété de la voir prendre si subitement un visage si sérieux et implorant en même temps.

    « Marc, à quoi ça sert tout ce qu'on fait ? A quoi ça sert notre vie ?

    - Pourquoi me pose tu cette question ?

    - On finira comme lui, tôt ou tard, ça me torture l'esprit, c'est égoïste, mais... en plus de l'avoir perdu, je n'arrête pas d'y penser... Je suis en train de devenir folle Marc !

    - Calme toi ma chérie, tu est malheureuse... Du coup tu broies du noir.

    - ...

    - Tu sais on est deux.

    - ...

    - Je t'aime.

    - Moi aussi Marc. »

    Les larmes se mirent à couler plus abondamment par les yeux de Carole. Ils étaient tous les deux assis sur leur oreiller, enlacés, Marc lui caressait le dos de pour la consoler. Les minutes passèrent, au fur et à mesure Carole retrouva son calme. Marc, lui, ne pleurait pas, ça n'est pas qu'il n'avait pas envie, mais bon, il essayait de ne pas le montrer devant Carole. L'idée que Carole le voit dans cet état là le dérangeait. Pourtant un soir, la semaine dernière, alors qu'elle était dans leur lit à l'étage à lire avant de dormir, elle eu envie de descendre pour se faire une petite tisane : Ca lui faisait du bien pour dormir, et malgré la mort de Nicolas, il fallait bien qu'elle dorme ! Elle était descendu, et arrivée en bas, elle avait entendu des sanglots. Elle avait marché dès lors à pas de loups, elle avait ouvert la porte lentement, doucement. Elle avait entraperçu Marc, allongé en chien de fusil sur le canapé, la tête dans les mains, en train de pleurer. Elle n'était pas entrée, avait fermé très doucement la porte, et était remonté se coucher.

    « Et si on essayait de se rendormir ?

    - Je ne veux pas t'embêter Marc, mais bon... je risque d'avoir du mal. »

    Marc se remis en position allongée, Carole restait assise.

    « Je peux éteindre la lumière ?

    - Heu, attends. »

    Alors Carole se mis à son tour allongée, se tourna sur le côté et tendrement enlaça Marc qui doucement fit de même. Elle tendit le bras, marqua une hésitation un peu avant de se plonger dans l'obscurité - son cauchemar lui faisant encore peur - puis éteignit la lumière.



    Les yeux ouverts, plongé dans ses pensées, le temps passait et Marc s'était rendormit assez vite... Le « tic tac » du réveil lui donnait le tournis à n'entendre que ce son régulier régner dans le silence de la nuit.

    (Mais elle ne dormait pas).

    Il fait si noir, est ce que ça n'est pas là, caché quelque part ? Peut être est il là, juste à côté de moi à me regarder ?... Putain je débloque ! on se calme, ça n'est pas possible, je suis seule là avec Marc, je n'ai rien à craindre... Hmmm ... Et s'il attendait que je bouge pour se jeter sur moi !... Bon ben je ne bouge pas ! ... Pfff, je ne vais pas réussir à dormir comme ça, j'ai encore le son de sa voix dans la tête ! cet espèce de grognement quand ça avait l'air de respirer, son ton de voix était si rauque, si grave... Et tout ce que ce truc m'a dit... si je me rendors et que ça recommence... Comme si réveillée je n'y pensais pas assez ! Comme si j'avais besoin qu'on me rappelle ma douleur même pendant que je dors. Ca paraissait tellement vrai, j'en ai encore mal au ventre tellement ce qu'il m'a dit m'a fait mal... Bon dieu je dois en prime subir des cauchemars pareil ... bon dieu... pourquoi... à quoi ça sert...hein ?... Comme si...je n'avais... pas assez... mal... Doucement elle se laissait glisser dans le sommeil, elle se sentait partir, elle s'en rendait compte et ne voulait rien faire contre : L'idée de passer quelques heures loin de sa vie, réfugiée dans le sommeil, l'apaisait : Depuis que Nicolas était mort le sommeil était devenu un échappatoire pour elle.



    Alors qu'elle perdait lentement conscience et sombrait vers le sommeil, son attention fut soudainement retenue par un bruit de grincement : Hein ? Qu'est ce que c'était ? mais qu'est ce que c' était ? ... bon je me calme, ce n'est qu'un bruit et je dormais à moitié, donc.. .DONC CA VENAIT D'EN BAS.... Non, ça venait de ma tête.... NON ! CA VENAIT DE LA PORTE DE LA CAVE, TU N'EN A PAS RECONNU LE GRINCEMENT ?... La maison est fermée de partout, et personne ne viendrait.... PERSONNE ? ET PARCE QUE TOUT EST FERMÉ ! TU EN ES SÛRE QUE CA SUFFIT ?...Bon je me calme, je me calme, je dormais à moitié, ça m'est déjà arrivé d'imaginer des bruits dans ces moment là, il faut que j'arrête de paniquer... Et si c'était vraiment la porte de la cave, elle aurait très bien pu s'ouvrir à cause d'un courant d'air. Ca arrive souvent en journée alors pourquoi pas la nuit ? Et puis est ce que ça venait vraiment d'en bas ce son ? Je n'en suis même plus sûre. Bon... le mieux à faire c'est peut être de continuer à essayer de dormir.



    Comme elle commençait à avoir trop chaud ainsi collée contre Marc, elle pivota. Maintenant allongée sur le dos, elle regardait le plafond... sans toutefois le regarder vraiment : elle avait les yeux grand ouvert, mais ne voyais rien à cause du manque de lumière. Elle restait là, à observer les ténèbres, pensive : « Il pourrit... il est mort... plus jamais»... Pourquoi j'ai fait un rêve comme ça, j'ai encore plus mal qu'avant. « il pourrit »... c'est insupportable cette image, je ne vais plus réussir à me l'enlever de la tête. Mon chéri, mon bébé chéri, il ne peut pas être en train de pourrir, non, je ne pourrais pas vivre avec cette idée en tête... Non, c'est son corps qui pourri, ça n'est pas vraiment lui, pas mon enfant... Les yeux de Carole laissaient verser sans bruit un léger flot continu de larmes, qui commençaient à former deux auréoles sur l'oreiller. Tombé dans l'escalier, juste tombé dans l'escalier ! Et il en est mort. A cause d'une chute dans un escalier je ne reverrai plus jamais mon fils de ma vie, pour lui tout est fini, il ne reviendra jamais... Pourquoi je fais tout ça tous les jours ? de toute façon je finirai aussi comme ça, quoique je fasse... Un jour ou l'autre tout sera fini, la fin de la bobine du film, plus d'image, plus de son, plus rien... Bon dieu, un jour je m'en irai moi aussi, et le monde continuera sans moi, oubliée de tous... Tout s'arrêtera net ?!? Oooohhh, et Nicolas, mon fils, mon amour chéri, c'est le néant pour lui aussi ?!?... Hé ! il faut que je pense à autre chose là ! Je dérape, je vais continuer à m'enfoncer si je continue à penser comme ça. Déjà j'ai arrêté d'être obsédée par l'idée de me suicider. C'est marrant, mourir me fait même peur là ! Bah ça doit être à cause de ce fichu cauchemar ! « salle grognasse » que ça m'a dit, franchement quand je pense que c'est moi qui rêvait... Je m'auto insultait alors ! Carole sourit, lentement elle passa le dos de sa main sur ses yeux pour les sécher, elle souriait toujours, contente de trouver un tout petit peu de rire au milieu de ce flot d'idées noires qui avait tendance à ne jamais s'interrompre depuis les deux semaines écoulées depuis le jour de « l'accident ».



    Carole se calmait progressivement, elle se sentait de nouveaux mieux. Cela la rendit très réceptive, et quand elle entendit un nouveau bruit, son sang ne fit qu'un tour : Comme si son corps était parcouru d'une décharge électrique, elle se crispa d'un coup, ses poils s'hérissèrent, ses mains se contractèrent, ses doigts creusant le matelas. Le son qu'elle entendit ne fit qu'un tour dans son esprit : elle était sûre que le son qu'elle venait d'entendre venait d'un des placards de la cuisine qu'on venait d'ouvrir : Il y a quelqu'un, j'en suis certaine, il y a quelqu'un, ce bruit ne s'est pas fait tout seul. Je n'ai aucun doute, il y a quelqu'un dans la cuisine, j'ai reconnu ce bruit c'est sûr... Qu'est ce que je fais ? Mon dieu qu'est ce que je fais ? Et s'il n'était pas seul ! et il fait si noir ici !... et... mon dieu ! s'il y avait quelqu'un ici, dans la chambre ! Carole fut prise d'une violente et forte poussée de panique, il fallait qu'elle allume la lumière et vite, l'interrupteur était du côté de Marc. Elle avait peur de passer par dessus Marc pour atteindre l'interrupteur : Et s'il attendait que je bouge ! Ne sachant pas quoi faire, impulsivement elle se saisit du poignet de Marc et serra fort. Marc gémit et se réveilla brutalement, pris par la surprise, il alluma la lumière. Carole ouvrir grand ses yeux et regarda très rapidement autour d'elle, elle s'attendait à voir fondre le voleur ou tout autre chose sur elle, mais il n'y avait rien, et la porte de la chambre était bien fermée.

    « Qu'est ce qu... »

    Dès que Marc commença à prononcer ces mots, Carole se tourna vers lui, et lui mis sa main sur la bouche d'un geste rapide. Marc écarquilla les yeux, et avant qu'il n'ait eu le temps de réagir, Carole prit la parole, parlant vite et à voix basse, elle fixa Marc pendant tout ce temps, comme pour l'empêcher de lâcher son attention pendant qu'elle parlait.

    « Chuuuttt ! Tais toi ! ne fais aucun bruit ! Il y a quelqu'un, j'ai entendu la porte de la cave, et dans la cuisine...le son des placards... j'en suis sûre Marc. »

    En fait elle se sentait déjà un peu moins sûre, elle se sentait moins paniquée maintenant que Marc était réveillé et que la lumière était allumée. Du coup, elle enleva lentement sa main de la bouche de Marc, elle ne savait plus trop quoi dire, et se sentait un peu bête d'avoir réagit avec tant de panache, en même temps elle avait toujours peur.

    « T'en es sûre ? tu sais t'as peut être cru entendre, mais tu sais quand on dort à moitié on imagine parfois des choses.

    - Heu, écoute j'ai vraiment eu peur Marc, j'ai vraiment eu l'impression d'entendre un des placards de la cuisine... Je débloque peut être... mais s'il y avait quelqu'un...

    - Tu veux que j'aille voir ?

    - Ah oui, vraiment, oui. »

    Carole avait répondu sans aucune hésitation, rassurée, elle resta calme pendant quelques secondes. Marc attendait sans bouger qu'elle dise quelque chose. Puis elle le regarda :

    « Je veux venir avec toi, je ne veux pas rester seule, j'ai trop la frousse, je me sens pas bien avec tout ça.

    - De quoi veux tu avoir peur, ce n'est pas en bas dans la cuisine que tu as entendu des bruits ? Il n'est pas à l'étage alors !

    - Et s'il y en avait plusieurs ?

    - Oulala, tu devient parano... bon allez on y va tous les deux si c'est ce que tu veux. »

    Marc se leva lentement, le réveil marquait trois heures du matin, il était nu ainsi que Carole : ils avaient toujours dormis comme ça, même avant de se connaître. Carole mettait sa robe de chambre pendant qu'il enfilait un caleçon et un vieux tee-shirt qu'il portait souvent quand il faisait froid la nuit. Ils faisaient attention à ne pas avoir de mouvement brusques pour ne pas faire de bruit. Carole avait peur, Marc entendait sa respiration : elle était forte et saccadée. Lui, il n'avait pas entendu les bruits, il dormait, mais l'état de panique de sa femme l'inquiétait et le mettait quand même en alerte malgré tout.

    « Je veux bien qu'on descende voir, Carole. Mais on ne va pas y aller sans rien pour se défendre !

    - Je ne vois pas ce qu'on pourrait prendre... »

    Marc réfléchit sans bouger quelques secondes. Puis se baissa, prit son pantalon qui traînait sur le sol, en enleva la ceinture, et la montra à Carole.

    « C'est toujours mieux que rien, non ? »

    Carole inspirée par l'idée de Marc pris une de ses chaussures à talon qui étaient alignées près de l'armoire.

    « Mouais ! » Dit Marc « on à pas l'air fin comme ça, tu ne trouves pas ?! ».

    Carole eu un petit rire, étouffé pour ne pas faire de bruit. Marc était content de l'avoir fait rire un peu, son état de panique l'inquiétait... soit il y a quelqu'un, soit elle commence à divaguer, pensait il.

    Ainsi armés, Marc pris la poignée de la porte, ils s'apprêtaient à sortir.



    Marc saisit doucement la poignée, puis la tourna lentement. Le ressort de la poignée émis un léger grincement.

    « clic »

    Le pêne sorti du gâche, Marc s'arrêta quelques secondes à l'écoute de mouvements éventuels derrière la porte, mais n'entendit rien. Il se retourna, pointa la lampe de chevet du doigt pour faire signe à Carole d'éteindre la lumière de la chambre. Elle s'exécuta.

    Doucement il tira la porte vers lui.

    Dans le couloir, à travers la fenêtre de la cage d'escalier, la faible lueur de la nuit laissait discerner les formes du couloir. Malgré tout la lune était dans ses premiers quartiers, le manque de lumière se faisait sentir. Carole chuchota :

    « Marc, on ne voit pas grand chose.

    - Je sais, on à qu'à allumer la lumière ?

    - Et s'il y a quelqu'un, on ne pourra pas le surprendre, et je ne pense pas qu'on puisse faire grand chose avec ce dont on est équipés pour se défendre !

    - Tu veux qu'on descende dans le noir ?

    - Oui.

    - Bon... pfff... d'accord... dans ce cas attends un peu. »

    Marc retourna dans la chambre plongée dans les ténèbres, et chercha à tâtons son pantalon. Il s'en saisit, fouilla dans ses poches, et en sortit un petit briquet. Il l'alluma et regarda vers Carole.

    - « Ca ira avec ça ? On y verra quelque chose au moins !

    - Heu... oui, d'accord. »

    Carole état un peu étonnée de l'avoir vu sortir un briquet de sa poche : il avait arrêté de fumer depuis deux ans maintenant. Malgré tout elle ne voulu pas faire de remarques, elle avait déjà assez honte de son propre comportement, qu'elle trouvait au fond assez gamin, mais elle avait peur : Si on allumait la lumière, ainsi à découvert, qui sait qui aurait pu leur sauter dessus !

    En faisant bien attention à marcher doucement pour ne pas faire craquer le bois des marches, lentement, ils descendirent les marches de l'escalier. L'air était plus frais au rez-de-chaussée, Marc eu la chair de poule, Carole s'emmitoufla dans sa robe de chambre, tout en serrant avec force sa chaussure à talon.

    Arrivé au palier, Marc fit passer son briquet de gauche à droite, puis de droite à gauche : Son regard suivait l'éclairage du briquet, les sourcils froncés par l'attention qu'il mettait à observer le moindre recoin... Mais il ne vit rien d'anormal.

    Il ne dit rien, Carole non plus. La pénombre, le silence de la nuit, la seule faible lumière du briquet : Tout cela pesait sur leurs nerfs, et alimentait leur peur grandissante.

    Il mit sa main tendue devant le visage de Carole pour lui signaler de ne pas bouger : la porte de la cuisine était entrebâillée, rien de bien anormal, mais il fallait maintenant y entrer pour vérifier qu'il n'y avait rien. Il s'avança jusqu'à la porte, plaqua sa main dessus, et poussa tout doucement, elle ne fit aucun bruit en pivotant, Marc voyait maintenant la cuisine éclairée faiblement par la flamme de son briquet, il s'attendait à ce que quelqu'un surgisse de cette demi pénombre et lui bondisse dessus. Promptement, il regarda sous la table, ne vit rien, et sans demander quoi que ce soit à Carole, cédant à la panique, il alluma la lumière de la cuisine d'un geste rapide de la main. La lumière leva le voile sur sa peur : Il n'y avait personne dans la cuisine.



    « Tu m'as fait peur Carole, mais viens dans la cuisine voir, il n'y a personne. »

    Gênée, son visage en rougissant quelque peu pour le coup, elle s'avança à pas lents jusqu'à la cuisine. Emmitouflée dans sa robe de chambre, elle cherchait à gagner un peu de temps pour trouver les mots afin de moins paraître ridicule. Elle pu constater par elle même qu'il n'y avait rien d'anormal dans la cuisine, et tous les placards, même de ceux qu'elle croyait avoir entendus, étaient fermés. Elle ne savait toujours pas quoi dire, Marc la regardait d'un air calme, sans paraître moqueur. Elle paraissait vraiment gênée, et voyant qu'elle ne parlait pas, il entreprit de la rassurer un peu.

    « J'ai bien flippé, tu avais l'air si terrorisée que ça m'a paniqué aussi... Bon tu vois, il n'y a rien, tant mieux, non ? Tu sais, c'est pas grave, ça peut arriver de paniquer, on perd un peu la boule avec tout ça, il n'y a pas de honte à avoir.

    - Oui c'est vrai on perd la boule » dit Carole avec un sourire qui lui était revenu.

    Elle se sentait mieux, Marc l'avait déchargée de sa gène d'avoir eu peur pour rien. Rassurée, elle regardait Marc dans les yeux en souriant.

    « Tu es vraiment gentil avec moi, merci. Heureusement que tu es là. »

    - Heu... tu sais, heureusement que tu es là aussi.

    - Tu ne va pas si bien que ça non plus, hein ?

    - C'est vrai que ça n'est pas la fête tous les jours, en effet.

    - Le briquet dans ta poche... tu as repris la cigarette ?

    - Heu... oui.

    - Depuis l'accident ?

    - Depuis ce jour je perds pieds, je ne sais plus trop quoi faire pour aller mieux... Je fumais pendant la journée, quand je n'étais pas à la maison, pour ne pas que tu te rendes compte... Bah, c'est pas ça qui m'a fait aller mieux en plus.

    - Si on en parlait... Ca te ferais peut être du bien, non ?

    Marc baissa la tête, regardant se pieds, resta quelque secondes sans bouger. Puis releva la tête, fixant la fenêtre, fuyant ainsi le regard de Carole. Lèvres serrées et visage crispé, ses yeux brillaient, il les ferma avec force, front plissé. Il prit une grande inspiration, puis sans tourner la tête, s'adressa à Carole.

    « C'est vrai que je n'ai pas laissé paraître mon chagrin tant que ça, je suis con, ça ne m'avance à rien. On vis à deux, et moi je m'enferme, croyant que tout seul j'arriverai à encaisser le choc, alors que je n'y arrive pas. C'est l'inverse j'ai l'impression de m'enfoncer un peu plus chaque jour. »

    Emue par son mari, elle tendit doucement les lèvres vers Marc, celui-ci en retour l'embrassa tendrement et l'enlaça. Elle ferma les yeux pour mieux apprécier ce moment de tendresse retrouvé.



    Etreints tous les deux, plongés tout d'abord dans un bouche à bouche, qui de tendre, devenait plus puissant, plus intense. Marc fit glisser ses mains sur les fesses de Carole : Bon dieu, ça fait plus de deux semaines qu'on à rien fait ! Ce que ça fait du bien ! Ce que j'en ai besoin ! Carole quand à elle caressait de plus en plus vigoureusement le dos de Marc, elle aimait caresser son dos fort et puissant, elle aimait tâter ce corps d'homme, le corps de l'homme quelle aimait. Elle fut heureuse quand elle senti les mains de Marc au bas de son dos, elle ne fit rien pour le repousser : Ce que j'ai envie de refaire l'amour avec lui ! Ce que j'en ai envie !

    Leurs mains se crispèrent, ils arrêtèrent subitement de s'embrasser. Le visage paré d'effroi, ils se regardèrent :

    « Tu as entendu ?

    - Oui.

    - J'ai peur Marc !

    - Le bruit venait de la chambre du bas je crois.

    - Le lit... je suis sûre d'avoir entendu le lit de la chambre d'amis grincer sur le sol.

    - Bordel ! ça ne peut pas être le vent qui ferait bouger le lit ! T'as raison, il y a quelqu'un dans la maison. »

    Marc sans dire mot, se dirigea vers les étagères, ouvrit un des tiroirs, et en sorti un gros couteau de cuisine. Carole écarquilla les yeux.

    « Heu, tu ne va quand même pas ...?

    - Et si on à a se défendre ? Ce peut être un voleur, ou je ne sais qui, mais s'il nous agresse ? Franchement je me sentirai mieux avec ça. Je vais voir de quoi il en retourne dans la chambre, tu ferais bien de prendre un couteau aussi, on ne sait jamais »

    Marc n'attendit pas qu'elle s'exécute et retourna dans le couloir. Carole, ne voulait pas rester seule, surtout pas. Elle trottina vers le tiroir, fouilla rapidement et en sorti un autre couteau, plus petit que celui de Marc : il avait pris le plus gros. Elle s'empressa de rejoindre Marc qui l'attendait dans le couloir : Il y avait allumé la lumière, il regardait Carole d'un air décidé. Une fois qu'elle fut à côté de lui, il s'avança jusqu'à la porte de la chambre d'amis, elle était entrebâillée, il faisait noir à l'intérieur. Marc s'arrêta et baissa la tête, pensif, il respirait fort. Carole sentait qu'il était en colère, mais comme il marquait une pause devant la porte, il ne lui fit pas de doute qu'il avait peur.

    Il prit une grande inspiration, leva la jambe droite, et poussa violemment la porte du pied, cette dernière cogna violemment contre le mur en s'ouvrant, la lumière du couloir éclairait maintenant faiblement la chambre, mais il n'y avait personne de visible. D'un geste prompt Marc passa la main par l'encadrement de la porte et alluma la lumière de la chambre, ainsi pleinement éclairée, il se risqua à avancer d'un pas : Il avait peur que ce sale type puisse être planqué dans un recoin à attendre le moment pour se jeter sur lui. Il tourna la tête sur le côté, mais il n'y avait personne collé au mur attendant qu'il passe le pas de la porte. Il fit le tour du lit, pour voir si il pouvait être couché là, il regarda aussi sous le lit, dans l'armoire, vérifia que les volets étaient bien fermés... mais rien, personne. Carole était entré dans la chambre et le regardait l'air désœuvré.



    « Toujours personne ?

    - Personne... Ca commence à m'énerver cette histoire. »

    Marc revient vers Carole, passa de côté, retourna dans le couloir, et se tint debout devant les escaliers.

    « Il y a quelqu'un ? ... Eh oh, il y a quelqu'un ici ? »

    Il n'obtint pas de réponse. Carole, voyant cela, s'avança jusque derrière lui et passa une main sur son épaule : Elle voulait apaiser son mari, il s'énervait. Et même s'il n'était pas d'un naturel violent, un homme énervé avec un gros couteau de cuisine à la main ne lui inspirait pas confiance.

    « Marc, il est peu être parti, non ?

    - Bah, comment veux tu en être sûre ! Comme si on avait besoin de ça en ce moment. »

    Carole ne répondit pas, ils restèrent un peu de temps sans bouger, Carole accrochée au dos de Marc.

    « Bon, il y a quelqu'un ici ou pas à la fin ? », repris Marc, d'un ton sévère.

    En réponse, à l'étage, le « dring » continu d'un réveil se déclencha.

    « Heu, Carole, on n'avait pas mis le réveil à sonner à cette heure, hein ?

    - A moins que je me sois trompée, il ne devrait sonner qu'à sept heures... il n'est que quatre.

    - T'es sûre ?

    - A peu près oui, de toute façon je n'en ai pas changé l'heure de réveil depuis longtemps.

    - Bordel.

    Serrant son couteau fortement, il monta en courant l'escalier, arrivé à l'étage, il ouvrit prestement la porte de leur chambre, tout en tendant le couteau devant lui. Il s'arrêta pour être sûr de bien entendre, il n'y avait pas de réveil qui sonnait dans leur chambre, non, ça venait de la chambre de Nicolas. Il sorti de la chambre, se tenant sur le pas de la porte, il regardait Carole remonter l'escalier : emmitouflée dans son manteau, tenant son couteau à la main. La sonnerie du réveil continuait, incessante, et dans le silence de la maison, en pleine nuit, ce son donnait la chair de poule à Carole.

    - Ca vient de la chambre de Nicolas.

    - Quoi ! Heu... oui tu as raison.

    - Putain, je n'aime pas ça C arole. Qui c'est qui pourrait nous faire ça ? pourquoi en plus ?

    Sans attendre de réponse, il se dirigea vers la porte de la chambre de Nicolas, cette dernière était fermée. Marc en saisit la poignée et l'ouvrit - cette fois-ci - calmement. Le réveil sonnait toujours, maintenant que la porte était ouverte, le bruit était plus fort, Marc alluma la lumière, entra dans la chambre, et calmement se dirigea vers la table de nuit, il se saisit du réveil et appuya sur le dessus, la sonnerie s'arrêta. Marc regarda autour de lui : Il n'y avait rien d'anormal dans la chambre, tout était en ordre : Ils ne voulaient pas toucher à la chambre de Nicolas, cela leur laissait au moins un souvenir de lui. Parfois Carole y venait pour s'asseoir sur son lit, et restait là souvent longtemps, immergée dans sa tristesse. Marc sortit de ses pensées, et se rendit compte que Carole se tenait au pas de la porte et le regardait.

    « Pffff, personne ici non plus !

    - Et pour le réveil ?

    - A l'heure, et réglé pour sonner à quatre heures.

    - Mais tu l'as remonté récemment ?

    - Non... ces réveils mécaniques, ça ne dure pas plus de deux jours sans être remontés, et ça fait deux semaines qu'il ne l'a pas été.

    - Peut être qu'il a juste tressauté un peu, et ...

    - Dans ce cas la sonnerie n'aurait pas duré comme ça. Non, j'en suis sur, il y a quelqu'un qui nous joue une sale blague, enfin, j'espère que c'en est une. »

    - Marc, j'ai peur, vraiment peur. Il faut qu'on appelle la police.

    - Heu, ils risquent de ne pas arriver tout de suite... mais... Oui tu as raison, on ne va pas rester ici seuls comme ça. De toute façon je ne sais plus quoi faire. »



    Il n'y avait pas de téléphone à l'étage. Il s'apprêtaient donc à descendre pour téléphoner quand une voix se fit entendre au rez-de-chaussée.

    « Alors on flippe les vieux ? »

    Marc et Carole s'arrêtèrent net de bouger. La surprise mêlée à l'effroi s'empara d'eux comme un éclair, hérissant leur poil, et crispant leur visage au passage. Marc serrait très fort la rampe de l'escalier, il repris son calme aussi vite qu'il pouvait : Bon il y a quelqu'un dans la maison, là c'est sur... C'est une voix d'adolescent, j'ai bien entendu, juste une voix d'adolescent, alors ça ne sert à rien d'avoir peur. Ca doit être un sale gosse qui veut nous faire peur... si je le choppe...il mériterait une sacrée rouste. Subitement il sortit de ses pensées et releva la tête.

    « Sale petit con ! Qu'est ce que tu fous dans notre maison !

    - ...

    - Tu vas te montrer oui ?

    - ...

    - Aaaah ! faire peur aux gens c'est facile, mais avoir du cran c'est autre chose, hein ?

    - ...

    - Tes couilles, tu te les as bouffées ?

    - ...

    - Mais tu vas répondre à la fin, sale petit connard !

    Mais aucune réponse ne vint. Marc avait viré au rouge et respirait bruyamment, ses yeux regardaient dans le vide devant lui, il semblait hors de lui. Carole, un peu effrayée de voir son mari dans un tel état, lui dit de la voix la plus douce.

    « Chéri, le mieux à faire c'est d'appeler la police.

    - ...

    - Marc... allez... s'il te plait.

    - Oui, d'accord. »



    Carole, toujours emmitouflée dans sa robe de chambre, serrant plus que jamais son couteau à la main, descendit les quelques marches qui la séparait de Marc. Une fois à son niveau ils descendirent tous les deux d'un même pas. Ils marchaient lentement, à l'écoute du moindre bruit... Le seul qui se faisait entendre était le grincement des marches de l'escalier, qui, seul son dans le silence de la nuit, angoissait un cran de plus Carole et Marc.

    A la dernière marche, Marc fit signe à Carole de s'arrêter, il scruta autour de lui, et couteau en avant descendit la dernière marche. Il regardait sur son côté pour vérifier que personne n'allait surgir du coin du mur. Sur le palier il regarda de nouveau autour de lui. Mais il ne vit personne, et personne ne s'était jeté sur lui.

    Carole sursauta dès les premiers mots de Marc : il hurlait, elle l'avait rarement entendu crier, et elle ne s'y attendait pas.

    « Bon dieu, j'en ai marre sale petit con ! montre toi à la fin, que je te fiche dehors ! Car sinon, si je te trouve, tu vas te prendre une sacrée raclée ! »

    - ...

    - Sale gosse, t'es qu'un sale gosse !... Ca t'amuse ça ?

    - Alors c'est triste ce qui vous arrive... Oooooohhhh, le petit chéri à sa maman, il est tout mort ! »

    Marc fut parcouru d'un frisson, la voix venait juste d'à côté de lui, de la cage d'escalier pour descendre à la cave. Passée la surprise, serrant son couteau de toutes ses forces, il agrippa la poignée de la porte, et l'ouvrit d'un geste très brutal. La lumière n'était pas allumée dans la cage d'escalier, il eu juste le temps de discerner une ombre filante se mouvoir puis disparaître : à peine le temps de la discerner qu'elle n'était déjà plus visible. Sans attendre il appuya sur l'interrupteur pour allumer la lumière. Puis s'adressant vers le bas de l'escalier, il hurla :

    « Sale petit con t'es dingue ou quoi ? Qu'est ce que tu veux ? Que je te charcutes à coup de couteau ? Arrête de parler de notre fils, ou si je te choppe je vais te tuer ! »

    Mais il n'y eu pas de réponse. Marc était hors de lui, les larmes aux yeux tellement il n'arrivait plus à contenir sa fureur. Sans même prêter attention à Carole, qui effrayée l'observait impuissante, ne sachant plus trop quoi faire, Il se mit à dévaler l'escalier à toute allure. Une fois au seuil il se précipita sur les interrupteurs à sa portée pour allumer la lumière dans chaque pièce. Carole était arrivée au milieu de l'escalier de la cave, quand elle poussa un petit cri de surprise : La voix retenti de nouveau, juste quelques mètres derrière elle, au rez-de-chaussée.

    « Alors au fait vous comptez refaire un mioche ? Héhé, les paquets de viande, c'est comme les fleurs, ça va mieux en nombre impair ! ... Ou alors prenez un chat ou un chien ! Ca fait moins de bruit !.

    - Je vais te tuer sale petit con ! »

    Marc remonta l'escalier en courant, doublant et bousculant Carole au passage, qui faillit tomber. Arrivé en haut, il s'arrêta, il n'y avait personne dans le couloir. Il couru dans la chambre et dans la cuisine pour voir, mais il n'y avait rien non plus. Nerveusement épuisé, ayant trop entendu ces paroles horribles, il n'en pouvait plus, et s'asseya en bas de l'escalier. Carole remonté de la cave s'accroupit devant lui, plongeant son regard dans le sien, cherchant à capter son attention.

    « Ca va aller Marc ? ... tu me fait peur.

    - Appelle la police, appelle la police s'il te plait. »



    Le téléphone se trouvait dans le couloir, Carole ne fit que quelques pas et s'en saisit, Marc pendant ce temps là restait assis sur les marches, tête baissée, mains pendantes, le couteau posé entre ses jambes. Carole porta le combiné à son oreille et fit le 17, elle regardait Marc, constatant impuissante l'état abattu dans lequel il était. Dès la première sonnerie, une voix féminine répondit :

    « Commissariat de Barelot, je vous écoute.

    - Il y quelqu'un dans la maison !

    - Vous l'avez vu ?

    - Non, mais j'ai peur, il rôde dans les pièces, il dit des choses sur notre fils....il est mort il y a deux semaines, et...

    - Je vois, je vais vous faire venir un agent. Donnez moi votre nom, prénom et adresse s'il vous plait.

    - Marc et Carole Duval, au 110 rue Pasteur à Barelot.

    - ...

    - Assez loin du centre ville.

    - Oui d'accord, je vois... Un agent va venir, il sera sur place dans cinq à dix minutes.

    - Dans cinq à dix minutes c'est bien ça ?

    - C'est ça.

    - Merci beaucoup.

    - Au revoir madame.

    - Au revoir. »

    Et la femme du commissariat raccrocha. Carole posa le téléphone précautionneusement, sans faire trop de bruit. Marc n'avait pas bougé, il l'inquiétait beaucoup.

    « Marc, ça va ?

    - Mouais.

    - Tu as entendu ? un policier va passer, il sera ...

    - Oui il sera là dans cinq à dix minutes, j'ai entendu.

    - Il faut attendre maintenant.

    - Quel sale petit connard.

    - Oui, c'est sur, mais il vaut mieux rester calme, et attendre, non ?

    - Peut être, mais quel sale con quand même.

    - Il est peut être parti maintenant.

    - Peut être... »

    Carole s'avança jusqu'à l'escalier, monta les deux premières marches, et s'assit aux côtés de Marc. Elle mis son bras autour de la taille de son mari et posa la tête sur son épaule. Marc ne broncha pas, elle ferma les yeux, et attendit.



    Cela faisait deux ou trois minutes qu'ils étaient assis sur l'escalier à attendre sans bouger la venue du policier, quand la voix repris :

    « Bouhouhou ! C'est triste hein ? Je vous embête à parler comme ça, hein ? Oh les pauvre chéris, ils ont perdus le bout de viande qu'ils ont fait, et un méchant monsieur vient maintenant les embêter !

    - Ta gueule ! Tu vas la fermer ta gueule ! Bon dieu, boucle là ! »

    Marc avait répondu en hurlant, il était resté assis, et regardait vers le haut : La voix venait maintenant de l'étage, comment cela se pouvait alors qu'ils étaient assis sur l'escalier, il ne le savaient pas trop : Il a sûrement du poser des enceintes de chaîne hi-fi dans la maison, pensait Marc. Puis la voix reprit :

    « Au fait Carole, j'oubliais de te dire quelque chose... SALUT SALE GROGNASSE ! »

    la voix s'était subitement transformée, ce n'était plus la voix d'un adolescent qui parlait, elle était devenu très grave, caverneuse, elle était bien plus forte et ne venait plus du haut, mais de tous les étages à la fois : Si il y avait des enceintes dans la maison, il devait y en avoir partout. Le sang de Carole ne fit qu'un tour, ce qu'elle compris provoqua en elle une réaction de panique, une décharge électrique la parcouru, elle inspira une grande bouffée d'air, mains crispée, yeux écarquillés.

    « C'est la voix de mon cauchemar ! C'est la voix de mon cauchemar ! C'est la voix de ... 

    - Carole qu'est ce qu'il y a bon dieu ! »

    Marc l'avait saisit par les épaules et la secouait frénétiquement, elle paraissait complètement hors d'elle.

    « Marc, on sort d'ici, je ne reste pas dans cette maison, ON SORT D'ICI VITE. »

    Sans attendre de réponse, elle se leva des marches, couru jusqu'à la porte d'entrée, tourna la poignée, essaya d'ouvrir la porte, elle devait être fermée, elle ne s'ouvrait pas. Elle saisit frénétiquement les clefs qui se trouvaient dans la serrure et les tourna, mais elle se bloquaient comme si la porte n'était pas fermée à clef. Hystérique, elle continua à tirer la porte de toutes ses forces.

    « Hummmphhh ! Bordel, elle ne s'ouvre pas, merde !

    Marc couru pour lui venir en aide. Il s'efforçait à son tour d'ouvrir la porte, tirant de toutes ses forces et essayant de faire tourner les clefs comme il pouvait, quand la voix reprit, toujours aussi grave, carveneuse, rauque, venant toujours de partout à la fois, très forte et grondante.

    « Alors les souris, on se sent piégés ? Je suis comme un gros chat, j'aime bien jouer avec mes proies avant de les achever !... Au fait, pour Nicolas, je peux vous garantir une chose, je me suis bien amusé avec lui ! Il était mort de peur ! Ah ah ah ! »

    Marc et Carole ne prêtaient même plus attention à ce que disais la voix, il fallait qu'ils sortent, c'était tout ce qui comptait.

    « Marc il y a la hache en bas !

    - Oui. »

    Ils coururent tous deux jusqu'en bas, dans la cave, Marc ouvrit le placard sous son établi et fouillait. La voix continuait à vociférer.

    « Que vous êtes beau ! c'est tellement attendrissant de vous voir gesticuler dans tous les sens pour sauver votre peau. Vous savez quand même un truc, non ? Un jour ou l'autre vous allez y passer ! Courrez si vous voulez ! Tôt ou tard il faudra s'arrêter. Ggggggrrrrrrr ! Quel pied je prend ! Vous me faites vraiment plaisir vous deux ! »

    Aucun des deux ne prêtait attention. Marc trouva la hache, bien caché au fond du placard. Il remonta tout de suite, Carole le suivant de près, jamais elle ne serait restée seule à l'attendre au rez-de-chaussée ! Elle était complètement terrorisée par la situation.



    Marc arriva devant la porte, posa la hache appuyée contre le mur, saisit les clefs et la poignée et essaya encore de l'ouvrir... toujours en vain. Il se saisit alors de la hache à deux mains, la fit passer derrière sa tête, prit une grande inspiration, regard fixe, yeux grand ouverts. D'un violent geste circulaire il fit s'abattre la hache sur la porte, qui violemment s'ouvrit juste à ce moment là. La hache vint heurter la porte en mouvement avec une grande violence, ce qui l'emporta sur le côté, l'éjectant des mains de Marc. Celui-ci avait maintenant le regard qui pointait au dehors, et dans cette fraction de seconde, il pu voir sur le seuil de la porte une ombre massive, noire, qui se détachait assez du bleu sombre de la nuit pour être discerné. Son attention, encore captivée par sa vision de l'ombre fut détournée par un tout petit début de cri suivit d'un « plotch » qui survint sur son côté gauche. Il se tourna et vit sa hache, plantée dans le cou de Carole, yeux exorbités, elle émettait une espèce de gargouillis. La hache glissa, tomba au sol en émettant un « gling » bruyant sur le carrelage qui s'en trouva effrité par le choc. La hache laissa béante une fente énorme au cou de Carole, le sang dégoulinait de tout le tour de son cou. Le haut de sa robe de chambre avait déjà passé entièrement au rouge quand la fente s'élargit de plus en plus. Puis la tête se renversa sur le côté, elle n'était plus rattaché au tronc que par un lambeau de chair. De la carotide giclait par pulsation de petits jets de sang qui allaient de moins en moins haut, jusqu'à s'estomper, le cœur arrêtant de battre. Carole s'effondra par terre. La tête se détachant du corps sous le choc, alla rouler sur le carrelage du couloir jusqu'à heurter le mur.

    Le corps sans tête et sans vie de Carole baignait, par terre, dans une mare de sang. Marc n'avait pas bougé, tout s'était passé si vite, tout au plus une poignée de secondes. Il regardait à terre se demandant si ce qu'il voyait était vrai ou un cauchemar. Il se laissa tomber à genoux, et au pieds de Carole il fixa sa tête qui se trouvait à deux mètres du corps. A peine eut il eu le temps de sentir la convulsion de son estomac, qu'il se mit à vomir. N'ayant eu le temps de réagir il ne put que faire le constat de se voir ainsi couvrir les pieds de sa femme des restes de son repas.

    Il entendit derrière lui la porte de la cave s'ouvrir violemment. Il eu juste le temps de tourner la tête pour rapidement discerner une bête d'au moins deux mètres de haut, au corps massif, velu et noir qui avançait d'un pas rapide et lourd vers lui. Il n'eut même pas le temps de réagir que la bête l'avait saisit par les cheveux, elle ne prononça ni n'émit aucune son. La tête de Marc émis un « ploc » sourd quand il la lui fracassa contre le mur. Toujours en le tirant par les cheveux, la bête le traîna jusqu'à l'escalier de la cave, Marc, assommé, restait inconscient. La bête claqua la porte avec violence, et au « blam » qu'elle fit suivit le silence, plus un bruit, plus un son.



    La police arriva deux minutes plus tard, la porte de la maison était toujours ouverte et le policier put constater le drame avant même d'entrer. Il appela sans hésiter plus longtemps le commissariat. Trois heures plus tard, à sept heures du matin, il finissait sa nuit et s'apprêtait à rentrer chez lui :

    « Putain, c'est moche là... vraiment moche.

    - Quand même, quand elle à appelé, elle disait qu'il y avait quelqu'un dans la maison... J'ai écouté l'enregistrement, elle ne parle pas de son mari, et on ne l'entend pas.

    - On n'a toujours pas retrouvé le corps du mari ?

    - Non, et moi je te dis qu'on ne le retrouvera pas. Ils ont perdu leur enfant il y a deux semaines, ça semble clair : il a pété les plombs.

    - Et a tué sa femme... ouais... peut être.

    - Je te le dis ! On ne retrouvera pas son corps ! Il a décapité sa femme à la hache ce dingue ! Sur le coup ça à du quand même lui faire un choc quand même ! ... Il a vomi. Puis il c'est rendu compte de ce qu'il à fait, et s'est barré.

    - Pfff ! eh bien je préférerais qu'on retrouve son corps... Bon allez ! c'est l'heure pour moi, j'ai fini ma nuit, et je rentre me coucher. Je ne sais pas si j'arriverai à dormir, et je ne pense pas que j'y arriverai, mais je veux voir autre chose, j'ai eu ma dose pour la nuit.

    - A ce soir alors

    - Ouais à ce soir. »
     
     
     
     
     
     
     

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    Intra-muros

     

    Intra-muros

     

     

     
     
     
    Hein, hmm... heu... qu'est ce qu... bon di... hein ! qu'est ce qui m'ar... Putain, qu'est ce qui se passe, j'arrive pas à respirer, ça passe pas, l'air passe pas ! JE N'ARRIVE PAS A RESPIRER ! j'étouffe ! A l'aide, A l'AIDE ! Ahhh ! Mon dieu qu'est ce qui m'arrive, aucun son ne sort ! Allez, je vais bien réussir à crier... humph ... ça fait mal à la gorge... Allez ! un son au moins... ahhh, merde ! merde ! merde ! qu'est ce que c'est que ce bordel ! qu'est ce que c'est que ce cauchemar ? je vais me réveiller ! J'étouffe ! Je veux pas mourir ! A L'AIDE ! oh non ! à l'aide... Pourquoi tout est noir autour de moi ? Il faut que je bouge, que je me tire de là... veux pas crever... Mais... ahhh, non ! je délire ou quoi ? ça n'est pas possible ! pitié ! je n'arrive pas à bouger !... mais ça va s'arrêter à la fin ! qu'est ce qu'il se passe ? bon dieu.... Allez faut que je force, l'air va finir par passer... oh, putain, à l'aide, j'ai mal... à force d'appeler de l'air... je.... ah... j'étouffe... mal à la poitrine... j'arrive pas à bouger, j'ai mal aux bras... pitié, bon dieu, pitié ! je ne vais pas crever comme ça sans rien faire ! Je dois pouvoir faire quelque chose... allez ! réfléchis... réfléchis... rrraaahhh, je ne peux pas non plus bouger mes jambes, ni ma tête, rien, je suis complètement bloqué... C'est bizarre cette pression que je sens partout sur mon corps... je n'y comprends rien, qu'est ce qui se passe ?... mais qu'est ce qu'il se passe à la fin... Attends... on se calme... on se calme... je devrais être déjà mort là... ou du moins en train de convulser à cause de l'étouffement... pourquoi je reste vivant ? Normalement on meurt vite sans air... qu'est ce qu'il m'arrive ? je ne meurs pas ?... mais cette impression d'étouffer... j'ai pas d'air, mon dieu pas d'air, mais pourquoi je reste en vie alors ?



    - 2 -



    « Aucune trace ?

    - Non, ni de poison, ni de drogue.

    - Pas de marque de violence physique non plus ? de coups ?

    - Bien sûr si on excepte la décapitation, il n'y à pas d'autre trace d'agression physique.

    - Bon... vous êtes sûr ? D'après votre analyse du corps, vous pouvez m'affirmer qu'elle était en pleine possession de ses moyens au moment du... de... enfin je veux dire, quand elle à eu la tête coupée ?

    - Ca fait déjà un petit paquet d'années que je suis légiste, et d'après ma connaissance et les examens que j'ai réalisés, ceci est ma conclusion, en effet.

    - Bon et bien, merci alors, gardez le corps de côté jusqu'à demain avant de le rendre à la famille, je vais passer à la maison des Duvals, on ne sait jamais, j'aurais peut être besoin de voir des choses en plus après.

    - D'accord Monsieur Kerll, je le remettrai à la famille si vous n'êtes pas passé avant demain matin.

    - C'est bien ça. Au revoir »

    Il mit ses mains dans les poches de sa veste beige, fit demi-tour, la tête entre les épaules, l'air un peu bougon. Discrètement il jeta un petit coup d'œil aux pieds qui dépassaient de sous les couvertures blanches : marrant cette manie qu'on ceux des morgues à laisser les pieds dépasser ! ils veulent économiser en porte-étiquettes ? les draps sont peut être trop courts ? ou alors les légistes fantasmeraient-ils sur les pieds ? hé hé ! Bah, je serais quand même curieux de savoir ce qui les motive à faire ce métier quand même. Enfin... j'ai assez de questions à répondre tous les jours quitte à m'en poser en plus.

    Philippe Kerll était inspecteur à Barelot depuis deux ans maintenant : Il n'avait rien contre le fait de venir s'installer plus au calme, dans les alpes, et comme il y avait une place vacante, il avait décidé d'y venir s'y installer. Il était célibataire à l'époque, aujourd'hui cela n'avait pas beaucoup changé, même s'il avait deux ou trois petites amies, il n'arrivait pas à se fixer sur une : L'idée de partager sa vie avec une autre personne l'effrayait, il préférait rester seul, et continuer à son aise à profiter de cette situation. Il avait maintenant 31 ans, il en paraissait un peu plus, car il se laissait toujours une barbe naissante lui donnant un côté un peu baroudeur. Il était brun, de taille moyenne, ni gros ou maigre, et n'était pas spécialement musclé : Il préférait rester comme il était, il ne voyait pas d'avantages à travailler plus son physique : « boh ! Je plais déjà comme ça, pourquoi j'irai me fatiguer plus ! ».

    Philippe sortait lentement de la morgue, toujours avec son air un peu ronchon : non pas par colère, mais plutôt dû aux engrenages qui tournaient à plein régime dans sa tête. Il avançait vers sa voiture toujours complètement absorbé dans sa réflexion : pas de drogue, ni poison, elle était en pleine possession de ses capacités physiques quand c'est arrivé... D'ailleurs vu qu'entre le coup de fil et l'arrivée du policier il n'y avait eu que dix minutes, l'empoisonnement était peu probable, comment se faisait-il donc que tout était en ordre dans la maison ? elle s'était laissée tuer sans se débattre ? Pourquoi n'à t'elle pas utilisé le couteau qu'elle avait à la main ? C'est sûr, pour qu'une chose pareille arrive, elle connaissait son meurtrier... son mari, ce ne peut être que son mari... J'en reviens toujours à lui, ce n'est pas sur ce coup là que je trouverai quelque chose de surprenant, même les collègues ont pensé tout de suite au mari... Et ces empruntes fraîches sur le manche de hache, ils les ont comparé avec celles supposées de Marc, trouvées sur ses affaires personnelles et partout dans la maison, et cela correspond bien... Eh bien ! je ne pense pas pouvoir faire bien des miracles sur cette affaire là...

    Philippe monta dans sa voiture, claqua la porte, posa ses mains sur le bas du volant, ferma les yeux, tête baissée, et poussa un soupir : il devait aller rejoindre le policier qui était de garde pendant la nuit du meurtre. Il l'attendait à la maison des Duvals pour qu'ils passent en revue ensembles le lieu du crime. Bah, j'y crois pas trop, mais bon, peut être pourra-il mettre le doigt sur un point que j'aurais oublié... Enfin bon ça m'étonnerait. Il rouvrit les yeux, démarra la voiture, et pris la direction de la maison des Duvals.



    - 3 -



    Qu'est ce qui m'arrive ? mais qu'est ce qui m'arrive ? Je suis mort ? C'est ça être mort ? hmm, je ressens quand même comme une pression sur tout mon corps.... Mais bon, d'un autre côté je ne le vois pas... même pas mon nez, alors est ce que j'ai encore un corps ? Si j'avais été enterré vivant, je serais mort étouffé depuis longtemps, même si ça y ressemble, je reste vivant.... enfin, du moins, ça en à tout l'air. Je suis peut être en train de cauchemarder, et je vais me réveiller dans mon lit, auprès de Carole... mais Carole était... je... c'était réel ça pourtant : les bruits dans la maison, on s'était levé, puis les voix, elles déblatéraient sur Nicolas, oh mon dieu Nicolas... et la hache... Carole... mais, je ne l'ai pas tuée quand même ! Tout c'est passé si vite, je voulais juste défoncer la porte d'entrée pour qu'on s'échappe de là... Je l'ai vu, cette ombre qui à ouvert la porte juste à ce moment là... Mon dieu, Carole... sa tête qui roulait sur le sol, tout ce sang, partout, tout ce sang... oh, non ! Et Nicolas, mon petit Nicolas.... il est mort comment alors finalement ? peut être à t'il vécut le même cauchemar que nous... du moins c'est ce qu'avait l'air de dire la voix cette nuit là. Non, pas possible, tout cela n'est qu'un cauchemar, ils ne sont pas morts, je vais me réveiller ! Hmm... et si... peut être que... je suis peut être dans le coma ? Oui, bien sûr ! Je suis dans le coma, c'est sûr ! c'est cela ! Ce ne peut être que cela, et là je reprends conscience petit à petit ! J'en suis sûr maintenant, c'est limpide. Je ne me rappelle pas d'avoir eu un accident, mais ça va me revenir, allez... ça va me revenir ! il faut que j'essaie de bouger, je vais bien réussir à ré-émerger, je vais bien réussir à me sortir de là.



    - 4 -



    Philippe arrêta la voiture dans la petite cour de la maison des Duvals. Alain Tesnal, policier qu'il connaissait depuis son arrivée à Barelot, se tenait debout devant l'entrée. En voyant la voiture arriver, il descendit les marches du perron et se dirigea à la rencontre de Philippe.

    « Salut Alain, comment va ?

    - Salut Monsieur Kerll ! Bah ! on fait aller, j'aime pas trop les histoires de meurtres, mais bon, ça fait partie du métier ! »

    Il se serrèrent la main, et se dirigèrent à pas lents vers la maison.

    « C'est vrai qu'il n'y en à pas des masses dans le coin, c'est une petite ville.

    - Espérons que ça reste rare !

    - Sans vouloir paraître cynique, s'il n'y avait pas de violence, de meurtres, de vols, moi en tant qu'inspecteur, je me retrouverai sur la paille !

    - A choisir, je préférerai vous voir sur la paille que de voir des têtes coupées comme j'ai pu voir il y a deux jours en arrivant ici.

    - Justement, je serais très curieux que vous me dites ce que vous avez vu et entendu exactement cette nuit là.

    - D'accord. »

    Ils montèrent l'escalier, ouvrirent la porte d'entrée, puis tout en restant sur le palier, le policier reprit :

    « Donc voilà : Quand je suis arrivé, j'ai garé ma voiture dans la rue, assez loin pour ne pas faire de bruit, je voulais éviter tout problème : L'appel téléphonique de la femme indiquait qu'il y avait « quelqu'un dans la maison », j'ai préféré éviter de faire le chien dans le poulailler, on ne sait jamais quel peut être la réaction de l'agresseur dans ces cas là. Une fois passé le côté de la maison, j'ai vu que la porte était ouverte, toutes les lumières étaient allumés. Je ne voyais pas encore le corps d'où j'étais, mais j'avais sorti mon arme, je n'étais pas très rassuré. Puis quand je fus un peu plus devant l'escalier de l'entrée, j'ai vu le corps. J'ai préféré faire le tour de la maison avant d'entrer pour... Ah, c'est vrai que là, j'ai entendu un peu de bruit.

    - Ah bon ? je ne le savais pas. D'où venait le son ?

    - Ca venait de la cave, du moins ça en avait l'air.

    - Quel genre de son étais-ce ?

    - Hmm, un genre de « blop », un peu comme lorsque vous faites cuire de la confiture dans une casserole.

    - Ca a duré longtemps ?

    - Non, du tout, j'ai entendu cette espèce de « blop » deux ou trois fois de suite, puis plus rien.

    - D'accord, bon allons y jeter un oeil. »

    Il passèrent le perron, entrèrent, puis descendirent l'escalier de la cave. Philippe réfléchissait, puis subitement lança :

    « Les canalisations ?

    - Oui peut être, vous savez, je n'ai rien remarqué de bizarre dans cette cave.

    - De vers où ça venait d'après vous ?

    - De la buanderie, là. »

    Ils fouillèrent la pièce pendant une demi-heure. A part quelques touffes de poils noirs qu'ils identifièrent comme des poils de chat, ils ne trouvèrent rien d'autre de notable.

    « C'est flippant quand même, il y à un peu plus de deux semaines de là, la femme avait découvert son enfant mort au bas de l'escalier.

    - Ouais, hmm, vous savez Alain, à mon avis, c'est le mari.

    - Ah ! vous êtes d'accord avec moi alors, je pense la même chose.

    - Sinon de toute manière, si ce n'était pas lui, alors où est-il passé ? Les gens ne se volatilisent pas comme ça sans raison ! J'en suis quasi sûr, c'est lui qui l'à tué : encore un qui a pété les plombs quoi.

    - Vous allez faire quoi alors.

    - Eh bien on le cherche. Et si on ne le trouve pas et que je ne trouve pas d'autres pistes, alors on redonnera accès libre à la maison et on mettra l'affaire de côté en attendant du nouveau, en espérant qu'on le retrouve un de ces quatre. »

    Il remontèrent l'escalier, continuèrent à fouiller la maison. Une heure plus tard, faute d'avoir trouvé du nouveau, ils s'en allèrent, Philippe pensant déjà à passer très vite à d'autres choses.



    - 5 -



    « Bonjour Marc »

    Hein ? Qu'est ce que c'est ? Une voix ? Oui, une voix ! Je ne sais pas d'où ça vient... mais... c'était une voix ! Sûrement un médecin ou quelqu'un d'autre qui essaie de communiquer avec moi... Humph ! j'arrive toujours pas à parler, bordel ! Je vais rester dans cet état là pendant combien de temps à la fin ?

    « Tu es sûr d'être dans le coma ? »

    Quoi ? j'ai rien dit ! C'est quoi cette voix ? Je perds les pédales ! C'est dans ma tête que j'entends des voix, là.

    « Oui si tu veux, dans ta tête.

    - Hein ?... heu... bonjour...

    - Bonjour Marc.

    - Vous m'entendez ?

    - Comme tu peux le constater, oui. »

    Hé hé, ça n'est pas possible, j'entends des voix, et celle que j'entends me répond en plus !

    « Je ne suis pas une invention de ton esprit. Je me suis juste collé tout prêt de toi, si près que je suis un peu dans ta tête, mais je ne suis pas toi.

    - C'est ça oui, c'est fantastique !

    - Tu ne devrais pas te moquer de moi comme ça.

    - Oh ! Bon, comme vous voulez... Comme tu veux ! Après tout, ça me fera une compagnie au moins ! Tu es qui alors ? Ma conscience ? Mon coté sombre ? Mon « moi » refoulé ?

    - Celui qui a tué ton fils et ta femme.

    - Quoi ?

    - Tu crois que ton fils est mort paisiblement ? Et pour ta femme, la porte, elle s'est ouverte toute seule peut être ? Apprécie quand même la coordination qui m'a été nécessaire pour que la hache parte en rebond sur la porte. Je ne savais pas comment elle allait rebondir, mais bon... ça a dépassé mes espérances : couic ! plus de tête !

    - Raah ! Arrête tout de suite ! je sais que ça n'est pas vrai !

    - Ca ne te paraissais pas trop réel pour être un rêve ?

    - Tais-toi... tais-toi si c'est pour me dire ce genre de trucs !

    - Tu es sûr que tout cela n'est que du rêve ? Même si tu étais dans le coma, qu'est ce qui te garanti que tout cela ne s'est pas passé avant ?

    - Je ne veux pas croire que cela soit réel, c'est ma tête qui déraille et qui m'a fait rêver tout ça !

    - Ah bon, tu dérailles ? Alors peut être est-ce toi qui les as tués ? »



    - 6 -



    « Je suis triste aussi, mais on ne fera jamais revenir notre sœur de toute façon.

    - Elle venait d'avoir trente deux ans, si jeune... Eh puis... oh tu sais, elle me manque déjà tant.

    - A moi aussi Marie, à moi aussi tu sais »

    Ils étaient assis tous deux à un coin de la table de la cuisine, chez Marie qui avait invité son frère, Pierre, à venir prendre le café. Ils se voyaient souvent depuis la mort de leur sœur : Se voir leur permettait de s'entre soutenir, d'arriver à contenir un peu mieux la peine qu'ils éprouvaient.

    Marie saisit sa tasse, l'amena à sa bouche, et bu lentement, les yeux à demi clos, plongée dans ses pensées.

    Pierre, regardait un peu par la fenêtre, cherchant à ne pas peser de son regard sur sa sœur. Il porta la cigarette à sa bouche, aspira lentement, repris une gorgée de café : sa tasse était maintenant vide. Il écrasa sa cigarette qui était consumée jusqu'au mégot. Il pensait maintenant à retourner chez lui.

    Marie rouvrit les yeux, et regardait son frère fixement. Il sentait qu'elle cherchait ses mots.

    - Pierre, qu'est ce qu'on va en faire ?

    - De quoi ?

    - De la maison de Carole ?

    - Oui, c'est vrai qu'elle en avait hérité de nos parents.... C'est quand même la maison où l'on avait grandit tous les trois...

    - Oui c'est vrai. J'aimais aller prendre le café chez Carole depuis le décès de nos parents : à chaque fois je me rappelais notre enfance.

    - Tout était si simple à cette époque.

    - Si tranquille.

    - Oui... Tu serais intéressé par la maison, Marie ?

    - Disons que j'ai déjà la mienne, donc... à part d'un point de vue affectif, ça ne m'intéresse pas, non.

    - De mon côté pas trop non plus, j'ai déjà la mienne, et je n'ai pas tant d'argent que ça, et avec les droits de succession.... Ca ne serait pas évident.

    - Bon, Pierre, qu'est ce qu'on va faire alors ?

    - Franchement ? Je ne sais pas trop encore... Tu veux qu'on la vende c'est ça ?

    - Oui.

    - Pfff, pas évident quand même comme idée. Ecoute Marie, il faut que j'y réfléchisse, on en reparle demain, d'accord ?

    - D'accord. »



    - 7 -



    « Je ne pourrais jamais faire ça !

    - Exact, c'est moi qui ai causé tout cela, qui ai provoqué leur mort. Tu veux toujours croire que je suis une voix dans ta tête ? Dans ce cas là tu es le meurtrier aussi alors ?

    - Heu... non... mais je... je... je m'en fou ! Arrête de parler, saleté de voix ! Fous-moi la paix à la fin.

    - Sûrement pas. Et tu commences à m'énerver avec ton histoire de coma : Je suis là, je peux te dire que ta femme et ton fils sont morts, et que toi tu n'es pas dans le coma.

    - Et je suis où alors ?

    - Oh, ça... tu n'as pas trop à le savoir, disons que je t'ai bien caché. Tout le monde croira que tu as disparu.

    - Arrêtes de divaguer ! Tout ça ne rime à rien, tout ce que j'ai à faire c'est de faire des efforts, et d'attendre, je vais bien finir par émerger et me retrouver dans un lit d'hôpital, alors arrêtez avec vos conneries !

    - Bon... TU COMMENCE À M'ENERVER ! Tu ferais mieux d'être plus sympathique avec moi.

    - Allez vous faire...

    - Tu va arrêter ça tout de suite !

    - ...

    - Tu ne veux plus répondre ?

    - ...

    - Mais vous êtes tous pareil ! JE VOUS HAITS, JE VOUS HAITS TOUS, VOUS ALLEZ TOUS MOURRIR !... Et toi TU VA ME PARLER !

    - ...

    - Tu crois toujours être dans le coma, c'est ça ?

    - ...

    - Tu sais que tu ne sortiras jamais de là ? Et tu ne mourras pas non plus, ce que je te réserve est bien pire que la mort, c'est de rester comme ça éternellement.... alors tu ferais mieux de me parler, sinon tu resteras en prime, pour toujours, dans le silence.

    - ...

    - Oooh, vous êtes tous pareils ! J'ai bien raison de vouloir tous vous tuer, vous le méritez bien, vous ne vous êtes pas améliorés avec le temps.

    - ...

    - Tu crois que je bluffe alors ? »



    - 8 -



    « Elle vous plait alors ? »

    Le promoteur, les mains serrées l'une dans l'autre, se tenait droit, balayant du regard la famille qui se tenait devant lui. De gauche à droite, de droite à gauche, les mains toujours jointes, pendu aux lèvres de ses possibles acheteurs. Voyant que le père de famille, Olivier, allait parler, son regard s'arrêta sur lui.

    « Elle semble intéressante en effet.

    - C'est une affaire vous savez »

    Olivier se tourna vers sa femme, cette dernière était plongée dans ses pensées. Elle eut un petit mouvement de surprise quand Olivier s'adressa à elle.

    « Corinne, tu en penses quoi alors ?

    - Ben... oui elle est bien c'est vrai... mais

    - Je commence à travailler dans trois semaines ici, on ne peut pas traîner éternellement pour acheter une maison... Ca fait quand même déjà un mois qu'on cherche.

    - Oui, elle me plait aussi, mais tu te souviens de ce matin, quand on était chez l'épicier, ce qu'il à dit. »

    Le promoteur compris tout de suite de quoi elle voulait parler : les ragots sont allés bon train. Que le fils soit mort, cela passait encore, mais la femme assassinée, et le mari qui avait pris la fuite, toujours introuvable... De toute façon je ne pourrais pas leur raconter de mensonges là dessus se dit il, Il vaut mieux que je joue franc jeu, j'ai plus de chance de les amadouer sur le sujet si je relativise la chose.

    « Je vois que vous êtes au courant madame Fayard.

    - Oui ce matin, un commerçant nous a parlé de l'histoire de cette famille.

    - C'est triste en effet, mais bon, vous croyez aux fantômes vous ? Parce que j'ai l'impression que les gens dénigrent cette maison. Bon, certes, le mari à assassiner sa femme, du moins ce fut le résultat de l'enquête : on a toujours pas retrouvé le mari. Mais bon, soyons sérieux, cette maison est en bon état, et en plus je peux vous garantir qu'elle est moins chère que les autres, on a volontairement fait baisser le prix, par rapport à cette histoire.

    - C'est vrai qu'elle n'est pas chère.

    - Alors... profitez-en ! Vous venez de Paris c'est bien ça ? Bon je vais vous dire un truc : ici on est à la montagne, les gens sont peut être un peu superstitieux. Mais vous, vous l'êtes ? Parce que si ça n'est pas le cas, vous avez une bonne affaire à faire là ! »

    Olivier et Corinne se regardèrent, puis dirigèrent leur regard vers leur fille, Emilie, qui, du haut de ses sept ans, se tenait à côté d'eux, écoutant tranquillement la conversation.

    « Tu en penses quoi Emilie ?

    - Moi, j'aime bien ! Et puis il y a un grand jardin !

    - Bon écoutez Monsieur, on est intéressé. Qu'en penses-tu Corinne : on se donne jusqu'à demain pour réfléchir encore un peu ?

    - Oui, c'est sûr, il faut qu'on en parle encore un peu.

    - Et puis on vous appelle... donc demain normalement, pour vous donner notre réponse. »

    Le promoteur éprouva une grande joie, mêlée d'un grand soulagement : Il allait sûrement la vendre ! Il n'y croyait pas, avec tous les ragots qu'il y avait sur cette maison, il désespérait de trouver un acheteur... Finalement il avait réussit, il se félicita intérieurement d'avoir réussit aussi habilement à les convaincre.

    « Alors, eh bien monsieur et madame Fayard, j'attendrais votre coup de fil. »



    - 9 –



    « Tu te crois malin à ne pas me répondre ?

    - ...

    - Tu sais, je peux faire ce que je veux de toi.

    - ...

    - Tu ferais mieux de céder et de me parler. Je veux qu'on parle, je veux que tu me parles, je veux pouvoir discuter avec toi, je veux que tu me racontes tout ce que tu sais, tout ce que tu connais.

    - ...

    - Tu ne me prends toujours pas au sérieux ? Tu veux décidément que le sort déjà sombre que je te réserve soit encore pire ?

    - ...

    - Vraiment ?

    - ...

    - Tu sais j'ai un petit creux !

    - Quoi ?

    - Ah, tiens, tu parles de nouveau ? Mais bon, j'ai vraiment un petit creux maintenant, désolé mais tu m'à énervé, et ça m'à ouvert l'appétit... ça t'apprendra, toi et les autres vous ne méritez pas mieux de toute façon.

    - Quels autraaaaAAaaaAAAAAAAHHHHHHH ! »

    Marc senti soudain une douleur fulgurante lui provenant de la jambe gauche. La douleur enveloppait son pied et son mollet. Celle-ci, atroce, semblable à la brûlure d'un acide, imprégnait sa chair. Elle grandissait, pénétrait de plus en plus profond. Elle devenait aveugle, insupportable, il avait l'impression que cet acide, ou du moins ce qu'il ressentait tout comme, dissolvait sa jambe. Pire, ne voyant rien, il ne pouvait ne ressentir que la douleur : est-ce que sa jambe était vraiment en train d'être mutilée ? qu'est ce qui lui était fait ? La douleur physique qui le percutait se mêlait à celle de ne pouvoir identifier ce que son corps subissait, et d'être impuissant face à son tortionnaire. Puis, un bruit de succion se fit entendre, Marc ressentit comme une ivresse le gagner. Il sentait ses chairs aspirées... bon dieu, il était en train d'aspirer sa jambe ! Il sentait l'étourdissement grandir, que sa conscience l'abandonnait, les sons se déformer, l'ivresse augmenter... puis perdit conscience.



    - 10 -



    Les déménageurs avaient maintenant tout emporté dans le camion, et s'en était allés. Il leur fallut ensuite tout l'après midi pour finir de nettoyer de fond en comble ce qui devenait du coup leur ancien appartement : Ils l'avaient en location depuis bientôt trois ans et cela leurs fit un petit pincement au cœur de devoir le quitter après voir vécu trois années de leur vie dedans. La femme de l'agence passa comme prévu en toute fin d'après midi pour effectuer l'état des lieux et reprendre les clefs. Ils passèrent donc la nuit à l'hôtel et partirent au petit matin.

    Le voyage jusqu'à Barelot était long, ce fut sept cent kilomètres pendant lesquels Corinne se laissait à penser à leur maison : Ca y est, on à une maison bien à nous ! se plaisait-elle à répéter dans sa tête. De temps en temps Emilie, leur fille, émergeait d'un demi sommeil pour demander si ils étaient arrivés, Olivier répondait paisiblement en indiquant le nombre de kilomètres leur restant à parcourir.

    « On est sorti de l'autoroute depuis une demi-heure ma chérie, il nous reste encore cinquante kilomètres à faire.

    - C'est tout ? On est bientôt arrivés alors !

    - Oui, mais là on va aller moins vite : ça devient de la route de montagne maintenant. »

    Emilie se redressa sur son siège, décidée à ne plus se rendormir. Le paysage qui se dessinait devant elle l'émerveilla : Les montagnes montaient si haut ! Elles lui semblaient majestueuses, elle les trouvait tellement plus grandes et plus belles que les immeubles qui l'entouraient jusqu'alors.

    « C'est vraiment joli les montagnes papa !

    - Oui c'est vrai, je suis moi aussi content. Je ne pensais pas trouver du travail dans le coin. Ca va nous changer de la ville, ici on vivra plus au calme.

    - Maman, c'est joli hein ?

    - Oui ma chérie, c'est très beau ! »

    Corinne était absente, complètement absorbée par le paysage majestueux qui se dessinait devant elle, elle avait du mal à réaliser qu'ils allaient maintenant vivre dans un cadre aussi merveilleux.

    « Maman ?

    - Oui Emilie. 

    - j'ai faim, je peux avoir des gaufrettes s'il te plait ? » 

    Emilie tout en grignotant, resta ainsi à admirer le paysage qui défilait devant les fenêtres de la voiture. Cela faisait la seconde fois qu'elle venait dans les alpes, la première fois c'était pour trouver une maison, cette fois ils allaient vivre là. Elle était un peu triste d'avoir du quitter ses amis d'école, mais sa mère lui disait qu'elle en trouverait d'autres. Emilie n'y croyait pas vraiment, elle en souffrait de perdre ses amis, mais sa mère lui avait bien fait comprendre qu'elle n'avait pas le choix.



    - 11 -



    Il voyait le plafond d'une église, les fresques étaient belles, il se plaisait à les admirer. Il entendait un prêtre parler : il disait du bien d'un homme disparu, qui était mort jeune, dans la pleine fleur de l'âge. Et si c'était lui ? Il est où là d'ailleurs à regarder le plafond ? qu'est ce qu'il fait allongé là ? Comprenant la situation il se mit à hurler « JE NE SUIS PAS MORT ! vous entendez ? Je ne suis PAS MORT ! », mais tout continuait comme s'il n'avait rien dit, il essayait de bouger mais il n'arrivait pas à faire le moindre mouvement. Puis, chose atroce, il vit les membres de sa famille se pencher sur lui, pleurant à chaudes larmes. Puis quelqu'un qu'il ne connaissait pas reposa le couvercle de ce qu'il semblait donc être... son cercueil ! Il sentit qu'on le transportait, puis qu'on le reposait quelque part. Le bruit d'un petit moteur suivit de celui de petits couinements se fit entendre, il sentait la chaleur s'élever. Le bruit de flammes se faisait entendre maintenant, il entendait comme un grand feu autour de lui. Il aperçut de la lumière ! elle venait de vers le bas, elle était d'une couleur jaune oranger et... et...horreur ! le feu entrait dans le cercueil ! Ses pieds brûlaient, ses pieds brûlaient ! Il avait maintenant atrocement mal, il hurlait, il en avait même mal à la gorge, elle lui semblait maintenant si sèche ! Il n'arrivait plus à crier, sa gorge lui faisait mal, sa jambe gauche le lançait d'une douleur épouvantable, mais il n'y avait plus de lumière, tout était noir. Il était réveillé, il était toujours là dans les ténèbres, il étouffait toujours, et sa gorge lui faisait mal. Mais c'était par-dessus tout sa jambe, la gauche, qui le faisait souffrir abominablement.



    - 12 -



    « On y est ! Nous voici à Barelot ! On Arrive ! »

    Emilie eut un petit sursaut de surprise : Elle était captivée à regarder le paysage, elle en avait oublié le temps qui passait.

    « Hein ? Déjà !

    - Oui ma chérie, regarde, c'est notre maison tout devant. »

    Elle regardait la maison qui se dessinait en haut de la côte qu'ils étaient en train de monter. Le camion de déménagement était garé devant, et plusieurs hommes s'affairaient à porter des cartons.

    « Tu à vu Corinne, ils ont presque fini de vider le camion, on arrive à temps.

    - Oui ils m'avaient dit que le camion devait arriver vers midi, ça doit faire trois heures qu'ils sont là.

    Arrivé au niveau de la maison. Olivier dépassa le camion, et gara la voiture quelques mètres devant.

    « Allez, on y est. Terminus ! tout le monde descend ! »



    - 13 -



    Qu'est ce qu'il m'arrive ? Qu'est ce que c'était que cette voix ? Qu'est ce qu'elle m'a fait ! Oh ce que j'ai mal, si mal... Qu'est ce qu'il à pu me faire à la jambe, est-ce que qu'elle est vraiment mutilée au fait ? Je suis peut être en train d'imaginer tout ça ! De toute façon comment pourrais-je le vérifier... Finalement c'est pire que la douleur, je ne sais même pas dans quel état je suis.. A quoi je ressemblerai en ce moment si je pouvais me voir dans une glace ? Je me verrai peut être inanimé dans un lit d'hôpital, ou alors bien éveillé, et mutilé.... Oh ! je ne comprends plus grand chose, je ne sais même plus sûr d'être dans le coma... Allez, il faut que j'essaie de bouger, je ne vais pas rester là comme ça, sans rien faire. Si la voix revient, qu'est ce que se sera la prochaine fois ? Elle va finir de me bouffer ! Sa voix... ce quelle disait... elle était complètement folle ! Et si c'était ma tête qui générait tout cela, je suis peut être en train de perdre la raison... je suis peut être en train de devenir complètement fou ! Allez ! Je vais bien finir par arriver à bouger un p... Hé ! Je sens que mon index frémit, je sens qu'il bouge un peu ! Hihi, ça gratte ! Je sens qu'il bouge ! Argh, par contre pas mes autres doigts... mais j'ai au moins un que je sens bouger ! Je sens qu'il frotte ! On dirait du papier de verre... j'arrive à bouger un doigt !



    - 14 -



    « Oooh ! Olivier. On en verra jamais le bout de tous ces cartons ! En deux jours j'ai du en déballer qu'un tiers, pas plus.

    - Bah ! c'est normal, ça prend toujours plus de temps pour organiser que pour désorganiser !

    - Ca me fait vraiment drôle d'être dans une maison ! Ca nous change vraiment de l'appartement.

    - Ne m'en parle pas ! Je suis bien content qu'on en soit parti. Au fait, tu as vu Emilie ?

    - Elle à passé la matinée à ranger sa chambre. Maintenant elle est dans le jardin, à jouer.

    - Faudrait peut être que je commence aussi à jouer moi, avec ma perceuse ! »

    Olivier fouilla dans un petit carton qu'il avait disposé dans un coin de la cuisine, il en sorti un boite rectangulaire en plastique. Il la posa sur la table, l'ouvrit, il y jeta un coup oeil puis redressa la tête jusqu'à fixer le visage de Corinne, il pris un petit sourire amusé :

    « Ca faisait longtemps que je ne l'avais pas ouverte, au moins depuis que l'on nous l'avait offerte non ?

    - Héhé, heu... oui, c'est vrai qu'on ne l'avait jamais utilisé à Paris dis donc.

    - Bah, ici on peut y aller, la maison est à nous, ça n'est pas comme pour l'appartement... Au fait tu as vu, j'ai disposé les meubles dans le salon, ça te va ?

    - Heu... attends un peu. »

    Après quelques ajustements sur la position des meubles dans le salon, Olivier invita sa femme à continuer sur sa lancée avec la décoration des murs. Il attendait donc patiemment qu'elle se décida sur la position et l'agencement des étagères murales dans la pièce. Au final comme Olivier n'avait rien contre la disposition qu'elle lui présenta, il accepta sans rechigner.

    « Allez, zou, je fais les trous.

    - Des petits trous, des petits trous...

    - ... toujours des petits trous. »

    Et sur ce, Olivier, se pencha sur le contenu de la boite de la perceuse, il ne savait pas bien quel foret utiliser. Après réflexion, il se décida, monta le tout, puis tout en fredonnant, passa dans le salon et pris les marques sur le mur. Pendant ce temps Corinne était retourné s'affairer au déballage des cartons.

    Debout sur une chaise, la perceuse bien perpendiculaire au mur, le foret frôlant la surface de ce dernier, Olivier appuya doucement sur le bouton, et la perceuse se mit en marche à vitesse réduite. Même si ça ne lui paraissait pas très sorcier, il appréhendait le premier trou : c'est résistant un foret ? et s'il cassait ? je ne vais pas avoir l'air fin si je casse un foret... Encore moins si je n'arrive pas à faire ces trous !

    Olivier poussa la perceuse, le foret commençait à entrer lentement dans la surface de la cloison. Il appuya sur le bouton un peu plus, le moteur accéléra, maintenant le foret entrait quasiment comme dans du beurre dans le mur. Finalement ça n'est pas sorcier ! se dit-il, rassuré.



    - 15 -



    Hmm... hein ? Je ne rêve pas là ?... mais... j'entends un bruit ! Qu'est ce que c'est ?... ça ronronne. Tiens ça augmente... hmm, c'est curieux, on dirait... comme si.... une perceuse ? Ca n'est pas possible, qu'est ce que ça viendrait faire là une perceuse ! Le bruit paraît en plus tellement étouffé... Pourquoi diable j'entends le bruit d'une perceuse ? ça n'est pas normal, qu'est ce que ça viendrait faire là dans mon coma... mais si je ne l'étais pas... si j'étais enfermé quelque part et qu'on serait venu me chercher ?... Après tout je ne sais pas ce que c'est, mais ça doit bien être quelque chose !.... Faut que j'arrive à me rapprocher... il faut.

    Marc arrivait à bouger un peu plus que les doigts : Progressivement il avait réussi à faire bouger avant bras, puis pieds - du moins son pied droit, l'autre jambe le faisant toujours atrocement souffrir -, puis ensuite la tête, les épaules, puis le tronc tout entier. Il ne faisait que bouger que de quelques centimètres chaque partie de son corps, mais il ne doutait pas de pouvoir bouger de mieux en mieux, il ne le souhaitait pas, il le fallait.... Car la voix, et donc la chose qui l'avait fait souffrir, pourrait revenir.

    Le bruit de la perceuse venait de vers le haut à gauche, il essaya de se déplacer vers cette direction, ça ne devait être qu'à quelques mètres de distance tout au plus. Mais il lui fallait une énergie folle pour ne bouger que de quelques millimètres.

    Puis le bruit de la perceuse s'arrêta. Marc bouleversé de ne plus entendre aucun son, et n'arrivant à se déplacer qu'à une vitesse d'escargot, essaya de crier. Toujours aphone, il continuait néanmoins sans relâche, tout en continuant à peiner pour se déplacer, mais toujours aucun son ne sortait.

    Cela faisait des heures maintenant qu'il avait passé à se traîner lamentablement et à essayer de hurler sans qu'aucun son ne sorte. Il commençait à perdre espoir et progressivement abandonnait son effort, jusqu'à ce que, lors d'une énième tentative pour émettre un son, de manière inespérée, il s'entendit émettre un très faible râle.



    - 16 -



    L'après midi avait été dure pour Corinne et Olivier, mais elle avait déjà rangé bon nombre d'affaires sorties des cartons, et lui, avait installé les meubles dans beaucoup de pièces, ainsi que posé les étagères. Le plus gros du travail était fait, et ils commençaient à entrevoir le bout de l'emménagement.

    Fatigué de leur journée, ils avaient préparé un repas simple, et avaient pris place autour de la table de la cuisine pour manger. Emilie était assise avec eux, elle avait passé l'après midi à jouer dans le jardin et maintenant mangeait goulûment : Il y avait deux arbres sur le terrain de la maison, Corinne était plutôt réticente à laisser sa fille y grimper, mais désarmé devant son insistance, elle la laissa grimper dans les arbres « à condition qu'elle fasse attention » et « qu'ils auraient l'œil sur elle, et qu'elle ne devra pas faire d'acrobaties ». Bien entendu, ils avaient passé l'après midi à emménager, et n'avaient donc pas pu garder l'œil sur leur fille de toute l'après midi, de toute manière on ne pourrait pas la surveiller tout le temps qu'elle passera dans le jardin, se fit remarquer Corinne à elle-même.

    « C'est vraiment bien ici maman !

    - Content que ça te plaise ! Au fait, dans deux jours tu reprends l'école, tu n'as pas oublié, hein ?

    - Non maman, et puis j'ai hâte de me faire de nouveaux copains.

    - Les gens on l'air gentil par ici, je suis sûr que tu te feras vite de nouveaux amis ici. »

    Corinne saisis son verre, bu une gorgée d'eau, puis le verre toujours à la main, tourna la tête vers Olivier, et s'adressa à lui.

    « Prêt pour demain ?

    - Pfff... bah... faut bien reprendre le boulot.

    - Je m'occuperai de finir de ranger tous les cartons demain, le principal c'est que tu te sois occupé des meubles et des murs, moi je ne l'aurais pas fait.

    - Tu veux que j'achète des choses au magasin demain ? En revenant du travail je pourrais sûrement faire quelques courses.

    - Heu, laisse moi réfléchir... je vais te faire une liste, ce sera plus simple. »

    Corinne posa son verre, alla chercher un bout de papier et un crayon sur la commode, se rassit, et commença à écrire. Olivier et Emilie, regardaient leur mère écrire la liste des courses, on entendait le crayon gratter le papier... et puis aussi comme un autre son de grattement, il ne venait pas du crayon celui là. Olivier s'en aperçu, et tendit l'oreille... il entendait bien un bruit de grattement, le son venait du salon.

    « Tu entends ?

    - Heu, quoi ?

    - Ce bruit

    - ... Ah oui ! on dirait comme un son de grattement.

    - Ca vient du salon.

    - Oui, je crois que tu as raison. »

    Olivier se leva, avança jusqu'à l'encadrement de la porte du salon, puis s'arrêta pour mieux entendre le son.

    « Ca vient bien du salon »

    Sans attendre de réponse il entra, trente secondes plus tard, Corinne et Emilie le virent revenir, il semblait tracassé, cela transparaissait sur son visage.

    « Rah ! c'est énervant.

    - Qu'est ce que c'est Olivier ?

    - Les bruits viennent du mur. Il doit y avoir des souris.

    - Tu penses ?

    - J'en suis pas complètement sûr, mais je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre.

    - Il faudra que j'appelle le dératiseur demain alors.

    - Oui ça serait bien.... mais bon ça m'énerve : ça fait deux jours qu'on est dans cette maison, et voici un premier problème... dès le début comme ça, c'est flippant, j'espère qu'on ne s'est pas fait avoir sur ce coup là.

    - Allez, calmes toi, j'appellerai les dératiseurs demain, on verra bien ! Allez vient finir de manger. »



    - 17 -



    Continuer à avancer dans la direction. Continuer à essayer de crier. Marc n'avait plus que cette idée en tête, il voulait, il devait se sortir de là, le son de la perceuse était la seule chose à laquelle il pouvait se raccrocher. Bien sûr, le son avait cessé depuis des heures, mais il se devait de continuer à avancer dans la direction d'où il était provenu : Et si j'étais dans le coma, et que le bruit venait d'un bricoleur à côté de ma chambre ? Et si j'étais enfermé sous des décombres, et que le bruit venait des sauveteurs ? De supposition en supposition, Marc n'arrivait pas vraiment à s'expliquer le pourquoi de tout cela, mais il n'avait aucun repère autre que la direction du son. Ce qui l'effrayait beaucoup maintenant, était que ce son avait cessé depuis longtemps. Lui, s'était déplacé, et n'avait rien rencontré.... et peut être avait-il même dépassé l'endroit d'où provenait le bruit : Quand il l'avait entendu, il venait de vers le haut à droite, mais qu'est ce qui lui dit qu'il n'avait pas dépassé l'endroit ? Marc, en effet, se déplaçait bien mieux maintenant, sa vitesse ne devait pas dépasser les dix centimètres à l'heure, mais il progressait ! Il n'était plus figé : il pouvait se déplacer. La sensation restait néanmoins très désagréable, il aurait dit progresser dans un bloc de papier de verre, il sentait tout son corps comme écorché à chaque mouvement, mais la douleur n'était malgré tout que très légère... surtout négligeable comparée à l'atroce souffrance qui émanait de sa jambe gauche : souvent il se demandait dans quel état elle était, mais tout n'était que ténèbres et il ne pouvait le savoir, alors que c'était son propre corps, il ne pouvait même pas voir dans quel état il était ! Se sentir ainsi comme dépossédé de son corps l'accablait de frustration et de chagrin, souvent il aurait eu envie de pleurer, mais il n'y arrivait pas, ses yeux, comme sa gorge, restaient désespérément et douloureusement secs. Malgré la douleur à la gorge, de temps en temps, il s'efforçait d'émettre quelques sons, mais la douleur qu'il subissait en retour le dissuadait de le faire tout le temps. Malgré tout à chaque essai, les sons - ou plutôt l'espèce de vibration monocorde qui s'échappait de sa gorge douloureuse - se faisaient de plus en plu forts : Le premier qu'il avait émis lui était à peine audible, maintenant il s'entendait distinctement.



    - 18 -



    Le dératiseur était passé dans la journée : Corinne, dès son réveil, avait recherché son numéro dans l'annuaire, puis appelé. Par bonheur, celui qu'elle avait contacté était disponible dès l'après midi, elle n'en espérait pas tant ! Ils avaient ainsi dû, elle et sa fille, passer deux heures au dehors pendant qu'il oeuvrait à débarrasser la maison des rongeurs. Ils en avaient profité pour aller faire les courses. A leur retour le dératiseur avait presque fini son travail, il régnait maintenant dans toute la maison une odeur désagréable due au gaz qu'il avait diffusé dans toutes les pièces. Avant de partir, il signala à Corinne que les rongeurs étaient maintenant sûrement maintenant morts, mais que s'il y en avait, il n'avait toutefois trouvé aucun cadavre de rongeur, il était encore plus surpris de ne pas avoir trouvé ne serait-ce que des crottes de souris sur le sol.

    Corinne était allongée sur le canapé, sa tête reposait sur les cuisses d'Olivier : sa première journée au travail s'était bien passé, il paraissait bien content. Ils regardaient la télévision, Olivier caressait doucement les cheveux de sa femme. Il regardait vaguement le film, plutôt occupé à rêvasser à cette nouvelle vie qui lui semblait vraiment bien commencer : Loin de la ville, dans une maison bien à eux, et son travail qui lui paraissait aussi bien débuter. Ce soir il ferait l'amour avec sa femme, il n'avait pas trop envie d'attendre la fin du film pour entreprendre les premières caresses, et voir si elle aussi était partante, mais voyant Corinne concentrée sur l'écran, il préféra s'en abstenir et patienter.

    « Tu as entendu »

    la voix de Corinne le fit sortir de ses pensées, elle avait tourné la tête et le regardait, en attente d'une réponse.

    « Heu, quoi ? ... non, rien de spécial.

    - C'était comme un geignement, ça ne venait pas de la télé.

    - Quoi ? »

    Olivier saisit la télécommande et coupa le son. Ils ne bougeaient plus, ne faisant maintenant plus de bruit et écoutaient, scrutant le silence, en attente d'un son, au cas ou celui-ci se reproduirait...

    De lourdes secondes de silences s'écoulèrent, puis il se reproduit : Il était faible, on entendait comme un « hhhhhhhiiiiiiiiiinnnnnnn » long et monotone.

    « Tu l'as entendu cette fois ci Olivier ?

    - heu...oui, c'est inquiétant, ça peut être quoi ? Ca ne serait pas des souris qui feraient ce bruit là quand même ?

    - Hum, heu.... je n'en sais pas grand chose sur le son d'une souris qui agonise. Mais je crois qu'elles couinent... là, on dirait plutôt un gémissement.

    - C'est flippant quand même... On dirait que le son vient du mur, je vais aller voir ça. »

    Sur ce, Corinne se redressa, libérant ainsi les cuisses d'Olivier, qui se leva ensuite, puis lentement se dirigea vers le mur. Il le fixait, l'évaluant du regard, comme s'il cherchait à voir quelque chose, un détail, un indice qui pourrait l'aider à comprendre.

    Le gémissement reprit, il dura bien sept ou huit secondes, il semblait provenir de vers le haut du mur. Olivier se sentait pétrifié, il était terrifié, Corinne elle, restait assise dans le canapé, et n'osait plus bouger. Malgré tout Olivier colla son oreille contre le mur, il écoutait attentivement, il avait peur, extrêmement peur, il souhaitait ne pas de nouveaux entendre ce bruit, et l'idée d'avoir l'oreille collée contre le mur alors que la lamentation venait de là, l'affolait complètement. Néanmoins, il arrivait encore à garder son calme. Il n'entendait plus aucun son provenir du mur. Il tapota alors sur ce dernier, comme pour frapper à une porte.

    Et le résultat ne se fit pas attendre bien longtemps.



    - 19 -



    hein ? je n'y croyais plus... j'entends du bruit ! On dirait qu'on frappe contre une porte. Grâce au ciel, je suis peut être presque à la fin de cet enfer ! Ce sont peut être des sauveteurs venus me chercher... On doit peut être m'entendre alors ? Le son vient de vers le bas, le temps d'y aller je vais encore mettre des heures comme la dernière fois... Il faut que je me fasse entendre ! cette fois-ci je ne dois pas laisser ma chance passer. Il faut que j'arrive à émettre un son plus fort, il faut que j'y arrive ! il faut que je crie !



    - 20 -



    « AAAAAAAAAaaaaaahhhh !

    - C'est Emilie ! Olivier, c'est Emilie qui crie ! »

    Olivier, sans perdre un instant, traversa le salon puis la cuisine en courant. Corinne le suivait au pas de course. Il grimpa quatre à quatre les marches de l'escalier, bondit sur la poignée de la porte, et se rua dans la chambre leur fille : Emilie était assise dans son lit, les couvertures toujours sur les jambes, elle continuait de crier, elle fixait le mur en face d'elle. On entendait très distinctement la voix geindre dans sa chambre : le volume des geignements était ici beaucoup plus fort que dans le salon et se mêlait sinistrement au cri ininterrompu de leur fille, terrorisé et qui continuait à fixer le mur... le mur... le mur qui frémissait. Ce n'était pas très visible mais on sentait bien qu'il tremblait, et il y avait un léger dépôt de plâtre au bas de ce dernier.

    Emilie réalisant finalement que son père était là, sauta du lit, et se réfugia derrière ses jambes. Ses pleurs s'arrêtèrent progressivement, pour ne devenir que des gémissements. Dès lors la complainte qui venait du mur pris horriblement le dessus sur le silence qui s'installait dans la pièce. Corinne, derrière, tenait Emilie par les épaules. Personne ne savait plus trop quoi faire, et devant ce mur qui frémissait et les geignements qui se faisaient toujours plus insistants, chacun restait tétanisé. Olivier, sans réfléchir, mis alors ses mains en porte-voix devant sa bouche :

    « il y a quelqu'un ? »



    - 21 -



    « Il y a Quelqu'un ?» j'ai bien entendu ! oui j'ai bien entendu, j'en suis sûr : le son venait de devant moi ! Mon dieu, plus qu'un effort ! Je vais enfin sortir de cet enfer.. Il se mit ainsi à déployer toute son énergie afin d'avancer vers la voix, il devait réussir à se libérer de ces ténèbres. De toutes ces forces il essaya d'avancer. Il sentait qu'il bougeait, il allait sortir des ténèbres, la voix était juste devant lui, quelques efforts et il allait sortir, c'était certain maintenant.



    - 22 -



    Le mur se déforme, Il en était sûr, le mur se déformait ! Olivier regardait le plâtre s'effriter et s'accumuler toujours en une couche plus grosse sur le parquet. Il distinguait maintenant des proéminences se former à différentes hauteurs du mur. Elles apparaissaient lentement, mais il était clair que le mur se bosselait, cela était flagrant. Aucun des trois membres de la famille ne bougeait, ils restaient comme pétrifiés devant l'horrible spectacle s'offrant à leurs yeux.



    - 23 -



    Persévérant à avancer, Marc ressentit comme une résistance plus forte que d'accoutumée, il poussa de toute ses forces pour franchir ce dernier obstacle : sûrement la dernière avant le retour à la vie, se dit-il, mais il avait un mal de chien à avancer. Il persévéra alors encore plus : la résistance se faisait plus forte à chaque centimètre qu'il gagnait devant lui.



    - 24 -



    Tous restèrent tétanisés devant le spectacle surréaliste qui se déroulait devant eux : distinctement une main, un bras, puis une tête, prirent forme en lieux et place des bosses sur le mur. Une forme humaine se dessinait de plus en plus distinctement en relief sur la surface, le plâtre se fissurait et craquelait tout autour de la forme. Ils voyaient distinctement les mains bouger, elles devaient dépasser d'au moins dix centimètres du mur : on ne voyait pas trop les doigts, on aurait dit que deux gros moufles sortis du mur cherchaient à battre l'air d'un mouvement très lent.



    - 25 -



    Voyant qu'il n'avançait plus, pris de panique, Marc se remis à crier. Il hurla encore plus fort que précédemment : son cou lui faisait atrocement mal, il avait l'impression qu'une flamme lui brûlait la trachée, sa gorge n'était plus qu'un désert douloureux, mais il continuait à crier. Ce son plaintif et monocorde qu'il émettait avec tant de peine, vibrait et résonnait lourdement dans sa tête, il ne pensait plus à rien d'autre qu'à se faire entendre et qu'on vienne l'aider.



    - 26 -



    Du mur ils voyaient maintenant distinctement la bouche d'un être humain s'ouvrir : on aurait dit que le visage d'un être s'était sculpté dans le mur et s'animait dorénavant devant leurs yeux. L'intérieur de la bouche se dessinait par un creux peu profond, et le volume des dents transparaissait à travers les boursouflures sur la surface. Le nez ressortait comme une bosse proéminente au dessus de la bouche, et ne laissait ainsi aucun doute quand à l'humanité du visage qui se dessinait devant eux.

    Le cri repris et fut cette fois si fort, qu'Emilie, terrifiée, se mis à crier à son tour. Entre les hurlements venants du mur, et le cri de leur fille, le bruit devenait assourdissant.

    Olivier revenant subitement à la lucidité, se retourna et fixa Corinne.

    « On part d'ici, vite. »

    Elle acquiesça du regard, ne pensant même pas à essayer de parler, elle se sentait trop bouleversée pour dire quoique ce soit. Olivier prit Emilie dans ses bras, ils dévalèrent les escaliers à toute allure. Sortis de la maison ils coururent jusqu'à la voiture et s'enfermèrent tout de suite à l'intérieur, Emilie sur les genoux de Corinne. Olivier mis le contact aussi vite qu'il le put et parti en trombe, les pneus crissèrent sur le bitume, déchirant le silence de la nuit. Puis il accéléra très vite, et quelques secondes plus tard, la voiture disparaissait au coin de la rue.



    - 27 -



    Un cri, c'est un cri ! On dirait celui d'une petite fille... Eh oh, je suis là ! jute devant vous, ne me laissez pas comme ça, aidez-moi bon dieu ! Marc continua à hurler encore et encore. Il n'arrivait plus à avancer, mais gesticulait autant qu'il le pouvait contre cette barrière invisible. Il sentait l'épuisement le gagner, les minutes passèrent, il parvenait de moins en moins à crier, sa douleur à la gorge devenait tout bonnement insupportable. Il n'arrivait pratiquement plus à bouger, il était à bout de force, mais il fallait qu'il continue, il fallait qu'on le trouve et qu'on le sorte de là. Il n'avait pas rêvé, il avait entendu des voix de l'autre côté, il en était sûr ! ... Il fallut une heure environs avant que Marc, qui pendant tout ce temps n'avait cessé d'essayer de passer la barrière devant lui et qui n'avait arrêter de crier, s'évanouisse, totalement à bout de force et absolument désespéré.



    - 28 -



    Olivier avait directement foncé jusqu'au commissariat, la tension était alors comme palpable : l'ambiance dans la voiture était très tendue, personne ne parlait, chacun se demandant si ce qu'il avait vu était réel. Le commissariat était fermé à cette heure-ci, mais il y avait de la lumière à une fenêtre près de l'entrée. Ils frappèrent à la porte pour se faire entendre, et la standardiste fini par arriver, les voyants, elle leur ouvrit la porte, puis finalement les fit rentrer dans le hall.

    Olivier et Corinne, lui racontèrent ce qu'ils avaient vu, la femme ne répondit pas grand chose, mis à part poser des questions pour trouver une explication « logique » à ce qui c'était passé. Au final, elle se décida à appeler le policier de garde pour qu'il passe voir directement sur les lieux. Olivier se proposa d'y aller pour le rejoindre à la maison, il laissa sa femme et sa fille au commissariat.

    Quand Olivier arriva devant chez lui, un véhicule de police était déjà là, garé dans la rue, il y avait un agent à l'intérieur. Il s'arrêta et descendit de sa voiture, le policier en fit autant, il s'avancèrent l'un vers l'autre.

    « Monsieur Fayard.

    - Oui, c'est bien moi.

    - Je vous attendais, je suis monsieur Tesnal.

    - Enchanté.

    - Alors que c'est il passé ici ? »

    Olivier se sentait de nouveau gêné, aller dire qu'ils avaient vu une silhouette humaine sortir du mur n'était pas chose aisée. Il l'avait déjà bien vu avec la standardiste qui paraissait ne pas trop croire ce qu'ils racontaient. En même temps cela n'avait rien de trop surprenant... Tout cela semblait tellement surréaliste !

    « Oh, je ne sais plus très bien ce que j'ai vu... j'en doute de plus en plus.

    - Mais vous doutez d'avoir vu quoi ? »

    Olivier pensait qu'il devait expliquer ce qui c'était passé à l'agent, ainsi il essayait d'y aller finement pour éviter qu'il ne réagisse mal.

    « Oh... vous me croiriez si je vous disais qu'il y a quelqu'un d'emmuré vivant dans la maison.

    - Non, je penserais que vous avez mal interprété quelque chose de normal qui serait arrivé.

    - Pourtant j'ai beau réfléchir, je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre.

    - C'est bizarre, il y a deux mois de cela, je venais de nuit à la maison où vous habitez pour trouver cette pauvre femme.

    - Ah ? C'était vous qui aviez trouvé le corps en premier.

    - Oui... vous êtes peut être influencé par ce qui c'est passé dans cette maison ?

    - Non, je ne pense pas, on l'a tous vu : ma femme, ma file et moi.

    - Soit... de toute façon, c'est plutôt avec mon supérieur qu'il faudra en parler. »

    Sur ce, ils se dirigèrent vers la maison, Olivier appréhendait d'y entrer de nouveau, il fit un effort pour ne rien laisser transparaître. Arrivés silencieusement dans la chambre d'Emilie, le policier inspecta la pièce, tout en questionnant Olivier en même temps.

    « C'était ici alors.

    - Oui.

    - Vous n'aviez pas mis un chauffage d'appoint, ou un absorbeur d'humidité à cet endroit ?

    - Non... vous savez, on est parti d'ici précipitamment, on à touché à rien.

    - Je vois... vous savez, à part le mur qui semble bien fissuré, je ne vois rien d'autre. Je ne préfère pas trop bouger les choses dans la pièce, ce sera mon supérieur, monsieur l'inspecteur Kerll qui le fera. En attendant, ce que je vous propose, c'est que l'on rentre au poste et que je prenne votre déposition.

    - D'accord. »

    Ils quittèrent alors la pièce. En sortant de la maison, le policier scotcha devant la porte un ruban « défense d'entrer » : « Comme ça au moins, d'autres ne viendront pas ici avant la venue de monsieur Kerll » dit-il en tendant le ruban entre les deux murs entourant la porte.



    - 29 -



    « Marc ?

    - Hein ? Heu... Hmm...

    - C'est mal tu sais.

    - Mais j'ai ri...

    - Tu as peur hein ?

    - Oui.

    - Je te fais peur ?

    - Oui.

    - Alors tu sais ce que je vais dire.

    - Mais... je... heu... je voulais sortir de là !

    - Tu n'y arriveras pas de toute façon.

    - Je ne veux pas rester comme ça toute ma vie !

    - Justement, si, et tu le mérites bien. Tu sais, ils sont tous parti, tu es de nouveaux seul, mais ils risquent de revenir pour fouiller, alors je t'ai mis hors de portée de leur recherches.

    - Saloperie ! Tu n'es qu'u...

    - S'ils t'avaient trouvé, tu en serais mort ! Ils t'auraient déchiqueté, déchiré morceau par morceaux en démolissant le mur.

    - Quoi ! le mur ?

    - Tu croyais vraiment toujours à ton histoire de coma ? Idiot. Tu es encore dans ta maison, tu ne comprends donc pas ?

    - Comment tu as fait pour...

    - Je demanderais plutôt comment toi tu as fait pour bouger, tu ne devrais pas le pouvoir, je ne comprends pas pourquoi, mais peu importe, je ne comprends peut être pas la cause, mais je peux en empêcher les conséquences.

    - Quoi ! mais enfin quoi ! je ne comprends pas.

    - Tu ne comprends pas ? ah ! vraiment ? Mais tu crois que je vais te laisser gueuler comme ça longtemps. Et tu t'imagines que je vais te laisser te balader où tu veux ? Vraiment ?

    - Non ! Vous ne pouvez pas me mut...

    - Tais-toi ! tu crois que quelqu'un va m'en empêcher ! Rah, tu m'énerves, tu es comme les autres : ah ! ç'est plus facile quand on est le plus fort, hein ? Vous n'hésitez pas à faire les pires atrocités si c'est vous qui tenez le manche de la fourche, hein ? Mais quand la situation est inversée, vous faites moins les malins !

    - Mais de qui vous parlez, je n'ai rien fait de mal moi.

    - Si ! celui d'exister !

    - Mais tuez-moi à la fin alors !

    - Arrêtes de tout vouloir tout de suite comme ça, je prends mon temps... le désir, le plaisir, n'en est que plus grand. »

    Sans avoir de temps pour répondre, la souffrance l'envahi de nouveau. L'horreur s'empara de lui : la douleur provenait cette fois ci de son cou ! Il avait la sensation qu'on lui dévorait la gorge. Il entendait un bruit continu qui lui faisait penser à celui de quelqu'un croquant une bouchée de bonbons durs. Le son continuait, la douleur à son cou aussi, mais l'esprit de Marc s'enfuyait. Face à l'horreur et au dégoût des mutilations qu'il subissait, Marc s'évanouis de nouveau.



    - 30 -



    Au matin, Philippe, dès son arrivée au commissariat eu à peine le temps de se verser un café que déjà on le sollicitait : Il fallait qu'il passe voir une famille qui avait eu des problèmes pendant la nuit. Il s'agissait d'une certaine famille « Fayard », il ne les connaissait pas, et quand on lui dit qu'ils étaient les nouveaux propriétaires de la maison des Duvals, il s'exclama : « ah oui ! je vois de quelle maison vous voulez parler ! Mais je ne connais pas les nouveaux propriétaires... jamais vus. ».

    Intrigué par la raison qui pouvait les amener ici, il s'empressa, sans trop de zèle quand même, d'aller les rejoindre : Ils n'étaient pas beaux à voir, leur fille dormait, mais le couple était toujours éveillé, et n'avait pas trop l'air d'avoir dormi de la nuit, ils semblaient autant épuisés qu'effrayés. Philippe s'isola donc avec eux à son bureau : L'histoire qu'il lui racontèrent le fit d'abord sourire intérieurement : Bon, il faut que je garde mon sérieux, ces gens ont l'air morts de peur, je ne peux pas me bidonner devant eux ! Puis la discussion continuant, il comprit qu'il ne pourrait pas ne rien faire pour eux, il fallait qu'il essaie au moins de trouver une réponse. Il demanda donc au couple de venir avec lui sur les lieux, Corinne ne le souhaitait pas et ressentait trop le besoin de dormir pour faire quoique ce soit de plus. Il partit donc avec Olivier.

    Dix minutes plus tard, ils arrivaient dans la cour de la maison, Philippe arrêta la voiture.

    « Bon ! vous allez me montrer tout ça alors !

    - Oui, enfin vous verrez, à part le mur qui est dégradé, il n'y à pas d'autres choses à voir. 

    - Décidément, pas de chances autour de cette maison... deux fois qu'il y a des problèmes ici en deux mois... enfin, cette fois ci il n'y a pas eu de morts au moins.

    - Mais on à eu peur tous les trois... Je n'arrive toujours pas à trouver une raison logique à tout cela vous savez. »

    Sur ce, Olivier descendit de la voiture de police, Philippe en fit de même quelques secondes après, et marcha jusqu'à Olivier qui se tenait sur le perron.

    « Vous savez Olivier, on est là pour ça : pour trouver les réponses.

    - Hmm, Hmm... »

    Olivier ne croyait pas trop que l'inspecteur puisse faire quelque chose pour lui : il n'était pas là au moment où tout cela c'était passé et il ne le croirait pas. D'un autre côté, il ne savait pas trop quoi faire d'autre... Peut être ce monsieur Kerll aura t'il une idée... on ne sait jamais après tout.

    Arrivé dans la chambre, l'inspecteur examina le mur pendant au moins cinq bonnes minutes... Il ne croyait pas du tout à l'histoire d'Olivier : Les gens ne sortent pas des murs pensait-il. Néanmoins c'était son métier, il ne pouvait pas couper à chercher une explication, au moins un minimum. Est-ce qu'une canalisation passe par là ? Est ce que la pierre n'est pas pourrie à cet endroit du mur ?, à tout cela il ne pouvait pas répondre simplement, il faudrait faire un trou. Philippe se senti une bouffée de fatigue le gagner en comprenant cela, cette histoire saugrenue le désintéressait, mais il allait en plus falloir faire casser une partie du mur pour en savoir plus... Il décida d'en référer au père de famille.

    « Hmm... le mur est bien effrité et fissuré de partout à cet endroit. Mais je ne pense pas qu'on puisse trouver grand chose sans creuser un peu.

    - Quoi ! creuser un peu ?

    - Oui : Y a t'il une canalisation derrière, un problème dans les matériaux du mur à cet endroit là, ou encore une infiltration d'eau qui aurait abîmer le mur à l'intérieur.

    - Ce que j'ai vu cette nuit ne ressemblait pas à tout cela.

    - Quoique vous ayez vu, c'était bien à cet endroit là du mur... Où il y a du plâtre sur le sol... c'est bien là ? »

    Philippe Kerll pointait du doigt le petit tas de plâtre dispersé au bas du mur sur le parquet de la chambre..

    « Oui.

    - Bon, eh bien si c'est une canalisation, nous le verrons. Si c'est un homme qui est là dedans, nous le trouverons.

    - Oui, c'est sûr.

    - Mais par contre, la décision de le faire ou non vous appartient : je ne suis pas expert là dedans, mais derrière le mur on est dehors, il y a onc de fortes chances que le mur soit porteur, donc il y aura un risque pour la maison à y creuser. Et si on ne trouve rien, on ne pourra pas à mon avis démolir d'avantage, sauf si vous voulez que votre maison s'écroule.

    - Je comprends... Bah oui, on fera le minimum alors, sinon je ne pourrais jamais me débarrasser de cette maison.

    - Vous êtes déjà décidé à en partir ?

    - Oui, avec Corinne - ma femme - cette nuit, on en a parlé : Elle surtout, mais moi aussi, ne voulons pas vivre une minute de plus entre ces murs. »

    Philippe ne trouvait de réponse à dire, il l'invita donc à aller poursuivre les recherches dans les autres pièces la maison. Pendant que l'inspecteur examinait les différentes pièces, Olivier expliquait ce qui c'était passé et les bruits qu'ils avaient entendus depuis leur arrivée. Au bout d'une heure de recherches infructueuse, toujours sans indices valables, ils s'accordèrent pour faire venir quelqu'un pour creuser le mur dans la chambre, pour au moins avoir le cœur net sur ce qui pourrait s'y cacher derrière.



    - 31 -



    La douleur l'arracha de son sommeil : Marc, reprenait peu à peu conscience d'elle, de sa présence. Elle se faisait de plus en plus forte au fur et à mesure qu'il revenait à lui. Il voulait qu'elle arrête de progresser, qu'il retourne dans le néant sans douleur qu'il était en train de quitter. Mais rien n'y faisait, la douleur était déjà insupportable, il aurait pu croire qu'on lui brûlait gorge et oreilles au chalumeau tellement la douleur se faisait aiguë. Oui, il avait pu imaginer, mais il le savait, il se souvenait bien de ce qu'il subissait avant de s'évanouir, qu'il ait mal était une chose, mais pourquoi avait-il mal ? Dans quel état étaient ses oreilles ... sa gorge ?

    Les minutes passèrent, la douleur, elle, continuait. Elle était insupportable, elle devait cesser. Il essaya de se débattre, de se dégager de nouveau de sa prison. Dès lors il se rendit compte qu'il ne ressentait plus toute cette pression sur son corps, elle avait disparue... Il ne se sentait pas bouger non plus : la sensation de frottement qu'il avait auparavant en se déplaçant n'existait plus. Il se risqua à crier, sa gorge se fit encore plus douloureuse, mais il n'entendit aucun son. Il ne sentait pas non plus les muscles de son corps travailler malgré les efforts qu'il faisait pour tenter de se déplacer.

    Il ne sentait plus que la douleur.

    Et l'absence d'autres sensations le terrifiait.



    - 32 -



    Le mur de la chambre fut creusé, rien ne fut trouvé. Face au choix de démolir le mur encore un peu plus, ou de revendre la maison en un état acceptable, Olivier et Corinne firent le second choix. L'enquête fut suspendue faute de plus de preuves, il faut dire l'inspecteur Kerll n'était pas tellement emballé par ces histoires de forme humaine qui sortent des murs : il ne faisait pas ce métier là pour entendre ce genre d'extravagances, il le faisait pour résoudre des cas réels et concrets.

    Par contre, les habitant de Barelot furent très avides de cette histoire peu commune. Le bruit se répandit donc très vite dans la ville, que ce qui se passait à la maison du 110 rue pasteur n'était pas très catholique. Déjà que les deux morts successives du fils et de la mère Duval avaient émoustillés beaucoup d'esprit, l'histoire de gens dans les murs enfonça le clou dans l'esprit des habitants qui n'étaient pas encore convaincus par l'idée que cette maison était à éviter. Ainsi l'opinion publique dans la ville devenait sans équivoque : cette maison était peut être de nouveau à vendre, mais ce serait folie que de l'acheter.

    Pendant que leur maison était en vente, les trois membres de la famille Fayard dormaient à l'hôtel en attendant de pouvoir récupérer leur argent investi et de pouvoir rechercher une nouvelle maison. Malgré toutes les difficultés que la vie à l'hôtel leur imposait, à aucun moment ils ne pensèrent à retourner vivre dans la maison, pour rien au monde ils n'auraient passé une nuit de plus là bas.

    Cela faisait maintenant un mois que la maison était en vente, mais aucun acheteur se présentait, l'opinion faite sur la maison était bien trop négatif, personne n'en voulait. Et du côté de Corinne et d'Olivier l'attente se faisait longue, l'espoir de la voir être vendue s'amenuisait : de leur nouvelle vie si prometteuse qui commençait, ils avaient plongé dans l'horreur puis dans le cul de sac d'une situation inextricable pour laquelle ils ne voyaient pas d'issue.



    - 33 -



    Pourquoi d'un côté ais-je tant mal, et d'un autre je ne ressens plus rien ? Il m'a dit qu'il m'avait mis hors de porté des recherches, peut être suis-je dans un autre endroit et c'est pour cela que je ne ressens plus rien... Ou alors peut être est-ce pire... Est ce que j'ai encore un corps ? peut être que je ne suis plus qu'une tête qu'il aurait coupée et maintenu en vie je ne sais comment ? Peut être que je suis mort ?... Ou peut être que je ne ressens plus mon corps... A quoi je ressemble maintenant ? Qu'est ce que je suis devenu ? Qu'est ce qu'il à fait de moi ? Depuis combien de temps je suis ici ? C'est vrai que je ne sais même pas si on est le jour ou la nuit. J'ai l'impression d'être là depuis une éternité, j'ai l'impression d'avoir rêvé d'avoir vu un jour la lumière du soleil... tout cela me parait si loin maintenant : C'était le dix mars 1989, ce jour maudit pendant lequel Nicolas était mort. Donc deux semaines après ce fut la nuit où l'accident avec Carole était arrivé, et depuis je suis là... On était en mars 1989... c'était la nuit du vingt cinq ou du vingt six mars ?... C'était le début du printemps... j'aimais bien voir la nature s'éveiller au printemps... Est-ce que maintenant c'est l'automne au dehors ? l'été ?... Est-ce que tout le monde m'a oublié ? Qu'est ce qu'on à dit sur ma disparition ? Est-ce qu'on est encore au printemps ? Peut être que juste un mois c'est passé ?... J'en sais rien... je n'en sais plus rien... je ne sais même plus ce que je suis... oh mon dieu...



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    Il leur restait de moins en moins d'espoir de vendre la maison. Un soir ils reçurent un appel à l'hôtel, c'était l'agent immobilier responsable de la vente. La nouvelle était assez bonne : il avait eu une proposition d'achat pour démolir la maison et y construire un petit super marché à la place : en effet l'entrepreneur allait acheté les champs avoisinants, il ne lui restait plus qu'à acquérir le terrain de la maison. La moins bonne nouvelle était qu'ils devaient brader la maison en dessous de ce qu'avait été leur prix d'achat. Mais peu leur importait, il leur fallait récupérer l'argent, même s'ils en perdaient un peu au passage. Ils acceptèrent donc l'offre, et signèrent l'acte de vente le surlendemain.

    Ce fut deux semaines plus tard, pendant les premiers jours chauds et ensoleillés du mois de juillet que les bulldozers prirent la route de leur maison pour commencer les travaux.



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    - Bonjour Marc.

    - Heu... quoi ?encore vous ?

    - Oui, tu ne m'aime pas hein ?

    - Comment le pourrais-je.

    - Les bulldozers arrivent, ils sont en chemins, ils vont démolir la maison.

    - Quoi ? mais je suis dedans n'est ce pas ?... Non... vous ne pouvez pas ?

    - Oui, tu es dans la maison.... Et je suis d'accord, j'ai été trop cruel... je... regrette.

    - Heu... Mais qu'est ce qui me dit que vous le regrettez.

    - Je vais te libérer d'ici.

    - Hein ? C'est vrai ?

    - Oui, c'est vrai, je vais te laisser partir.

    - Enfin ! je vais enfin pouvoir retrouver ma liberté !

    - Oui, allez, il ne faut pas perdre de temps, j'entends les moteurs des bulldozers.

    - Je ne les entends pas.

    - Laisse-moi d'abord te sortir de là, tu verras tout cela après.

    Marc sentit quelque chose le pousser dans son dos. Il se sentait heureux : il allait recouvrer la liberté, il n'y croyait pas, cela lui paraissait tellement merveilleux.



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    Puis il se sentit comme aspiré devant lui, d'un coup, tout ne fut plus que lumière, il était complètement aveuglé, il reçut un très gros coup à la tête, il plissa les yeux sous le choc. Il les rouvrit et peu se rendre compte que la lumière qui l'aveuglait était la lumière du jour qui passait à travers le toit en morceau : il était dans le grenier de sa maison.

    Marc était allongé sur le dos, il sentit l'air s'engouffrer de nouveau dans ses poumons, mais il ne sentait pas l'air passer par sa bouche ou ses narines. Il respirait au travers du trou béant à sa gorge. Il essayait de bouger, mais rien n'y faisait, à la base de sa nuque on pouvait distinguer un amas d'os et de chair mélangés : sa moelle épinière était sectionnée au niveau des cervicales. Ainsi il ne ressentait plus rien, même la demi jambe gauche qui lui restait ne lui causait plus aucune douleur.

    Il resta comme cela pendant quelques secondes avant de comprendre.

    Comprendre qu'il ne pouvait bouger ou crier.

    Comprendre qu'on lui avait rendu la liberté pour mieux le voir mourir.

    Le godet de la pelleteuse était au-dessus de lui, il ne l'entendait pas, tout était calme, paisible : les deux trous rougeâtres et cayeux de chaque côté de sa tête ne pouvaient lui permettre d'entendre quoi que ce soit.

    Le godet s'abattit sur le toit, puis sur lui.

    Il ne sentit rien, aucune douleur, aucun bruit, il se sentait comme un spectateur, comme si tout cela ne lui arrivait pas puisqu'il ne sentait rien : il put juste voir un peu de sang gicler, puis quelques secondes plus tard, il ressentit de la chaleur vers sa nuque : il baignait maintenant dans son sang, le corps coupé en deux au niveau de l'abdomen, les jambes avaient été emportées vers les étages inférieurs par le godet.

    Le ciel est si bleu, le soleil brille tant... ce que c'est beau... Il me réchauffe le visage... ce que c'est bon... le ciel est si beau...

    Il se sentait fatigué, si fatigué, de plus en plus fatigué.
     
     
     
     
     
     

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